CNDP

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LE CNDP, INSTRUMENT ET EXUTOIRE D'UNE RÉFORME INHIBÉE DU SYSTÈME ÉDUCATIF
  Yves Morel
   

I) Rappel historique : du Musée Pédagogique à l'Institut Pédagogique National (1879-1955)

 

Ce titre, nous l'empruntons au petit livre de René Guillemoteau (1956) auquel nous devons beaucoup. L'histoire du CNDP a commencé en 1879 par la création du Musée Pédagogique, par Ferdinand Buisson, et Jules Ferry (décret du 13 mars) qui ambitionnaient d'instituer ainsi une exposition permanente, une grande bibliothèque spécialisée destinée aux maîtres du primaire et un centre de réflexion voué à l'étude des méthodes d'enseignement et doté d'un organe particulier la Revue pédagogique Ferdinand Buisson, philosophe, rêve de voir la Revue devenir « un congrès pédagogique permanent et universel » et le Musée, un lieu de débat sur les méthodes d'enseignement dans le primaire puisque alors la grande question scolaire est celle de l'instruction et de l'éducation du peuple alors que sont votées, à l'instigation de Jules Ferry, les lois sur la gratuité (1881), la laïcité et l'obligation (1882) de l'école élémentaire. Mais Ferry, homme politique dont les idées en matière d'éthique et d'éducation avaient été formées une fois pour toutes à la lumière du positivisme comtien et qui redoutait le caractère potentiellement subversif d'une réflexion pédagogique susceptible de mener à la contestation des principes moraux et de la discipline dans les écoles et chez les instituteurs, entendait tenir le Musée en marge du centre de décision ministérielle. Aussi, alors que l'avant-projet du 16 mai 1878, présenté par le prédécesseur conservateur de Jules Ferry, Agénor Bardoux, à la Chambre des Députés, annonçant clairement la création d'un « Musée national de l'enseignement primaire » comprenant trois services (un bureau de statistiques, une bibliothèque et une exposition permanente), le décret du 13 mai 1879, institue en son article Ier, « un musée pédagogique et une bibliothèque centrale de l'enseignement primaire, comprenant des collections diverses de matériel scolaire, des documents historiques et statistiques et des livres de classe provenant de la France et de l'étranger ». On remarque d'emblée l'imprécision du texte : avons-nous à faire à deux établissements distincts ou à deux sections d'un établissement unique dépourvu de dénomination ? La mention des contenus donne une impression de flou et de disparité : collections « diverses » de matériel scolaire, documents historiques et statistiques, livre de classes. D'autre part, les documents statistiques ne sont plus analysés et exploités par un bureau spécifique, comme dans l'avant-projet de 1878, mais mêlés aux documents historiques et implicitement abandonnées à la consultation éventuelle et ponctuelle des usagers de l'administration.

Enfin, les missions du musée et de la bibliothèque ne sont aucunement précisées. Ils semblent, dès le départ, voués au rôle de dépôts et archives et de livres et, finalement, de «sanctuaire d'ennui». Certes, le Musée pédagogique s'enrichit d'un service de vues fixes (1896) et de l'adjonction (1903) de l'office d'information et d'études (créé en 1901), et accueille un cours de législation scolaire ainsi que le cours magistral du professeur de sciences de l'éducation de la Faculté des Lettres de Paris, mais il demeure un établissement d'accompagnement, un auxiliaire du système éducatif sans tâche bien précise.

Presque un demi-siècle après la naissance du Musée Pédagogique, Edouard Herriot envisage la transformation de celui-ci en un moderne Institut de Pédagogie, voué à l'innovation et à l'exploitation pratique des travaux de psychologie de l'enfant (1925). Deux ans plus tard, la commission Langevin propose l'institution d'un Institut pédagogique lié aux départements et laboratoires de psychologie des universités françaises et étrangères. Mais, encore une fois, les intentions excèdent de beaucoup les réalisations. Le rapport de la commission Langevin aboutit seulement à la constitution d'un Centre National de Documentation Pédagogique au sein du Musée Pédagogique et au transfert de ce dernier du 41, rue Gay-Lussac au 29, rue d'Ulm, sur décision de Mario Roustan, Ministre de l'Instruction publique (janvier 1931 – juin 1932), puis de son successeur Anatole de Monzie (juin 1932 –janvier 1934). Encore faut-il attendre le décret du 6 décembre 1936 pris par Jean Zay, Ministre de l'Education nationale du front populaire pour que la création du Centre Nationale de Documentation Pédagogique soit inscrite dans la loi. Le même décret détache le musée de la direction de l'enseignement primaire et en fait un établissement public sous la tutelle directe du ministre. Les missions ne sont cependant pas plus précisées qu'en 1879.

Aussi, expression d'une ambition réformatrice inhibée, marginale, juxtaposant une exposition permanente, des archives, des documents statistiques, une revue, un service de vues fixes et un autre d'information, il devient plus fatalement que naturellement le réceptacle des organismes les plus disparates que le Ministère ne sait pas trop où placer : après l'Organisme Central de Coopération à l'Ecole (OCCE, 1925), il inclut le bureau Universitaire de Statistiques (BUS, 1936) (3) le Service d'édition et des ventes des publications de l'Education nationale (SEVPEN,1944), le Service puis le Centre National d'enseignement par correspondance (décret du 2 décembre 1939, puis du 30 mai 1944), le Centre de Recherche et d'Etude Pédagogique, (Circulaire du 4 avril 1945), le Centre International d'Etudes Pédagogiques (CIEP, lettre ministérielle du 30 juin 1945), le Centre Audiovisuel de l'LENS, de Saint Cloud (1952, puis arrêté du 22 mars 1956), le Centre d'Equipement en matériel scientifique (CEM, 1956) et le Bureau d'Etude, pour les Langues et la Culture (arrêté du 9 mars 1966). Le Musée Pédagogique, puis Centre National de documentation Pédagogique qui ressemble à un complexe fourre-tout englobant tous les services péri-éducatifs de l'éducation. Et il n'a encore aucune mission définie, aucune activité précise, aucune influence sur le système éducatif au début des années 1950.

 

II) L'œuvre de Louis Cros, un Grand administrateur prospectif et missionnaire et un tacticien prudent

 

 

1)  Les textes de 1955 et 1956 – La création de l'IPN, des CRDP et des CDDP

 

En 1955, Louis Cros, Inspecteur général et Directeur, depuis 1954, du Centre National de Documentation Pédagogique, élabore un décret daté du 19 janvier et signé par le Ministre de l'Education Nationale, Jean Berthoin.

 

Ce décret comporte :

-         une redéfinition précise des missions du Centre.

-         la définition de ses organes d'administration et de fonctionnement et de ses rapports avec le Ministère et les autorités académiques.

-         la définition précise de l'organisation et de l'administration des centres régionaux et départementaux de documentation pédagogique.

-         la mention des diverses catégories de personnels affectés au centre.

 

Pour la première fois depuis 1879, un décret définit précisément le rôle, les structures, et la place au sein du système éducatif de l'établissement. En outre, ce texte fait une réalité des centres régionaux et départementaux que deux circulaires du 24 août 1945 et du 9 avril 1946 avaient lancé avec tant d'imprécision et de timidité (elles «recommandaient» simplement leurs créations) que nulle réalisation n'en avait résulté. Au même moment, Louis Cros crée d'ailleurs les centre régionaux de Lyon et de Toulouse et, la même année, ceux de Caen, Bordeaux, Rennes et Strasbourg, que suivront rapidement ceux de Nancy, Montpellier, Poitiers (1956), puis d'Aix-Marseille, Dijon (1957) et Lille (1958), pour nous en tenir aux années 50.

 

Louis Cros entend en précisant les missions du Centre et en déconcentrant ses services lui conférer le rôle de promoteur de renouvellement des méthodes pédagogiques. A cette fin, il modifie l'appellation du centre qui devient désormais l'Institut Pédagogique National par le court décret du 23 octobre 1956 signé de la main du ministre René Billères. Un arrêté ministériel du même jour fixe le règlement intérieur de l'établissement et approfondie le contenu de décret. Mais c'est dans la circulaire du 26 octobre 1956 que les intentions pédagogiques rénovatrices de Louis Cros apparaissent le plus explicitement. Louis Cros y déclare : «Il est de plus en plus nécessaire dans la perspective de la réforme de l'enseignement que soient multipliés les échanges et les contacts entre les maîtres des divers degrés comme entre l'enseignement et les autres activités nationales. Il faut aussi que soient développés et exactement adaptés à leur destination pédagogique tous les moyens de documentation et de travail qui permettent de donner un engagement actif et concret fondé sur les observations et les recherches personnelles des élèves».

La circulaire d'André Boulloche, Ministre de l'Education Nationale de janvier à décembre 1959, datée du 26 mai 1959, cite textuellement le passage ci-dessus mentionné et reprend en grande partie mot pour mot le contenu de celle de Louis Cros dans sa définition de l'IPN et de ses services extérieurs. Et de préciser, concernant les centre régionaux et départementaux : «Ils contribuent ainsi au perfectionnement constant des méthodes et moyens pédagogiques». L'IPN joue donc un rôle pédagogique actif et pas seulement d'accompagnement.

Cette ambition de rénovation pédagogique par un enseignement fondé sur les documents existe à l'état diffus au cours des années 50. André Marie, Ministre de l'Education Nationale d'août 1951 à mai 1954, invite les professeurs du second degré, par une circulaire du 13 octobre 1952 à utiliser le document comme substrat de leur cours plutôt que comme illustration de celui-ci. E en dehors de la sphère ministérielle, Marcel Sire crée au Lycée Janson de Sailly, dont il est proviseur, un «service local de documentation pédagogique (1958)» première esquisse de nos futurs centre de documentation et d'information. Louis Cros, qui dirige l'IPN de 1954 à 1960, assigne à cet établissement trois fonctions essentielles :

-         Une fonction d'accueil, de liaison et de documentation générale qui fait de lui un lieu de consultation, de prêt de documents pédagogiques et administratifs aux enseignants et aux établissements, de réunions, débats et conférences.

-         Une fonction d'étude et d'élaboration des moyens d'information et d'action pédagogique : enquêtes et travaux de réflexion et d'analyse donnant lieu à des publications diverses sur les moyens, méthodes et matériels d'éducation, sélection, perfectionnement, voire création de ceux-ci.

-         Une fonction de distribution et d'équipement auprès des établissements scolaires.

 

2) Les inconvénients de la prudence tactique de Louis Cros

 

Mais ces initiatives ne peuvent s'inscrire dans une grande politique de réforme de l'enseignement car celle-ci achoppe sur la question de l'école moyenne qui oppose instituteurs et professeurs. L'Assemblée Nationale enterre le projet Billères (juillet 1957) auquel collaborait Louis Cros, Directeur de cabinet du Ministre. Echaudés, les ministres réaliseront l'école moyenne vaille que vaille et à pas comptés : décret Berthoin (6 janvier 1959), décrets Fouchet-Capelle (instituant les CES [3 août 1963], loi Haby consacrant le collège unique [11 juillet 1975].

 

L'impossibilité d'une réforme globale du système éducatif incite Louis Cros à la prudence. Les textes instituant l'IPN et les CRDP ménagent délibérément les prérogatives de l'administration. L'article 10 du décret du 19 janvier 1955 subordonne l'institution des CRDP à l'initiative des autorités académiques : «les organismes de documentation pédagogique peuvent (4), sur proposition des recteurs et inspecteurs d'académie, être constitués, par arrêté du Ministre de l'Education Nationale en centres régionaux ou départementaux de documentation pédagogique ayant le caractère de sections du Centre National de Documentation Pédagogique». Il est vrai qu'au même moment, Louis Cros crée les deux premiers CRDP (ceux de Lyon et Toulouse) et qu'il en fonde dix autres entre 1955 et 1958. Néanmoins, la formulation de l'article 10 du décret de 1955, reprise dans la circulaire ministérielle du 26 octobre 1956, révèle sa prudence tactique.

Celle-ci apparaît également dans la définition de l'administration des CRDP et CDDP. Le décret du 19 janvier 1955 et l'arrêté du 23 octobre 1956 place les premiers sous la tutelle des Recteurs, les second sous celle des Inspecteurs d'Académie, qui, assistés d'un conseil de contrôle, sont ordonnateurs du budget établi par le CNDP (puis l'IPN) et adressent au Directeur général de ce dernier un rapport d'activité annuel.

 

Ainsi l'IPN, établissement public autonome redevable de comptes au seul Ministre, voit ses services déconcentrés administrés par des représentants régionaux de l'Etat, et, de surcroît, ceux-ci deviennent ordonnateurs d'une part d'un budget national sur la détermination duquel ils n'exercent aucune influence sérieuse, et sont soumis au contrôle d'un Directeur général indépendant de la hiérarchie traditionnelle. Cependant, les CRDP et CDDP seront en fait administrés par des Directeurs auxquels les Recteurs et/ou les Inspecteurs d'Académie délégueront leur autorité. D'ailleurs, Louis Cros choisit d'emblée lui-même des Directeurs des CRDP de Lyon (Henri Jeanblanc) et de Toulouse (Charles Redonnet).

 

En procédant ainsi, Louis Cros rassurait les autorités académiques et les directions ministérielles et les investissait de la mission de rénovation pédagogique qu'il souhaitait instiller et développer dans tout le système éducatif du pays. Sans doute se serait-il heurté à de vives réticences de l'administration centrale et des rectorats s'il avait constitué très officiellement l'IPN en instrument voué à une vaste entreprise de rénovation pédagogique aux mains du Ministre et de son cabinet fermement décidés à l'accomplir souverainement, au mépris des pesanteurs du système. Mais il rendait la place de l'IPN ambiguë et difficile, occultait sa mission de rénovation et le laissait dans sa situation d'organisme d'accompagnement aux structures disparates.

 

a) La place de l'IPN au sein du système éducatif était ambiguë et difficile :

On peut se demander, à quoi bon, quelle est l'autorité de tutelle des CRDP : le Recteur d'Académie ? Mais celui-ci reste à l'écart de la politique d'ensemble et de l'élaboration globale du budget de l'IPN. Le Directeur général de cet établissement? Logiquement oui, mais l'autorité du Recteur d'académie limite tout de même celle du Directeur général, d'autant plus qu'un centre régional participe à une politique académique conduite par le Recteur sous les directives du Ministère. De plus, au prix d'une aberration juridique, les CRDP et CDDP «bénéficient du même régime d'autonomie financière que l'établissement central» et peuvent donc «recevoir des subventions (notamment sur les fonds de l'allocation scolaire) (5) et faire des opérations d'achat et de distribution de documents d'intérêt pédagogique». (6)

Le danger de cette double autonomie par limitation des pouvoirs des autorités de tutelle réside dans le risque d'un défaussement des responsabilités (notamment financières) de celles-ci à l'égard des CRDP et CDDP. Et cela ne manquera pas de se produire. Du reste, dès le départ, Louis Cros ne prévoit pas de financement d'Etat spécifique pour les CDDP qu'il abandonne à la bonne volonté des conseils généraux sollicités de leur accorder des crédits prélevés sur la caisse des écoles (7). Et il justifie cette dépendance, qui les laissera dans la précarité, par l'aide apportée par les CDDP aux écoles en équipement ;

b) La mission de rénovation pédagogique de l'IPN était occultée :

En insérant les CRDP et CDDP dans les structures académiques, Louis Cros a  annihilé leur rôle novateur ;

La pédagogie documentaire se développe sans leur concours déterminant et la multiplication des services documentaires (8) (les futurs CDI) incombe à Marcel Sire, premier Inspecteur Général chargé des Etablissements et de la Vie Scolaire (1966-1973), puis à son successeur Georges Tallon et à d'autres pionniers tels Geneviève Lefort ou Jean Hassenforder plus qu'à l'IPN, même si, dès 1958, le centre du Lycée Janson de Sailly est rattaché à celui-ci.

Certes, dès les années 60, les CRDP recrutent et affectent les documentalistes des lycées et collèges et ils reçoivent, en 1975, la responsabilité de leur formation. Mais cela n'investit nullement l'IPN de la mission de mise en œuvre d'une politique pédagogique d'envergure et clairement définie, et ne fait que s'ajouter aux multiples activités que l'administration, qui ne veut rien changer à ses structures et à ses finalités, relègue dans cet établissement. L'IPN tient lieu de canal de dérivation à un système éducatif rétif à sa modernisation. Aussi, les transformations graduelles de l'enseignement secondaire, désormais ouvert aux couches populaires et de plus en plus massif, se produisent sans que l'IPN joue le rôle de coordination, de rationalisation et de conception ordonné à une politique éducative clairement définie que lui assignait Louis Cros.

 

c) l'IPN allait devenir un ensemble lourd et ingérable

Organisme périphérique incluant tout ce que le système éducatif ne peut intégrer sans modifier profondément ses structures, l'IPN a, à la fin des années 60 la responsabilité de la documentation scolaire (administrative et pédagogique) de l'enseignement par correspondance, de l'audiovisuel et du cinéma scolaires, des statistiques scolaires, de la recherche pédagogique (en collaboration avec les départements spécialisés des Facultés des Lettres), de l'étude des méthodes et structures éducatives à l'étranger, du recrutement et de la formation des documentalistes scolaires, de l'accueil des enseignements stagiaires en formation initiale et des enseignants titulaires en formation continue, de l'organisation matérielle de cette dernière, de l'accueil et/ou de l'organisation de conférences, colloques, forums sur les sujets les plus divers, de la coopération avec des associations à caractère éducatif, culturel ou social. Et, outre son siège parisien, il est disséminé en 22 centres régionaux, une soixantaine de centres départementaux, et les implantations du Centre National de Télé-Enseignement (CNTE) à Vanves, Lyon et Toulouse.

 

Cette incroyable disparité, liée à une forte augmentation des personnels et des usagers (en particulier an CNTE dont les effectifs d'élèves connaissent une croissance exponentielle) suscite des blocages, des dissensions et l'impossibilité d'une gestion cohérente de l'ensemble. Le mouvement contestataire de 1968 aggrave encore la situation. Les services de la rechercher pédagogique, ceux de la radio et de la télévision scolaires, et le CNTE réclament l'autonomie institutionnelle. Aussi, en septembre 1968, Pierre Chilotti, successeur de Louis Cros à la Direction générale de l'IPN (depuis 1960) et Edgar Faure, Ministre de l'Education Nationale, créent une commission destinée à étudier les modalités d'une partition de l'établissement.

 
III) La reprise en main par l'Etat – Les réformes de 1970 et de 1976.

 

Les travaux de la commission aboutissent aux décrets n°70-798 et 70-799 du 9 septembre 1970 instituant en lieu et place de l'IPN, deux nouveaux établissements :

-         L'Institut National de la Recherche et de la Documentation pédagogique (INRDP) qui regroupe les CRDP et CDDP, le CIEP, le BELC et le SEVPEN.

-         l'Office Français des Techniques Modernes d'Education (OFRATEME) incluant le CNTE et le service national de la télévision et de l'audiovisuel scolaires ;

 

Mais cette partition ajoute à la confusion administrative dans la mesure où les activités respectives des deux établissements se chevauchent souvent, notamment dans le secteur de l'audio-visuel. D'autre part, les services lyonnais et toulousain du CNTE se séparent des CRDP de leurs académies respectives tout en restant leurs voisins et partenaires privilégiés. Enfin, si l'INRDP englobe les CRDP et CDDP, l'OFRATEME, lui, succède censément au CNDP (cf. décret 70-799).

 

Dès lors, une recomposition se révèle nécessaire et deux décrets du 3 août 1976, pris par René Haby, donnent le jour à deux nouveaux établissements :

-         l'Institut National de la Recherche Pédagogique (INRP) qui inclut la bibliothèque et le Musée Pédagogique ainsi que, jusqu'en 1987, le CIEP.

-         Le Centre National de Documentation Pédagogique (CNDP) qui regroupe les CRDP et CDDP et le CNTE, lequel deviendra en 1979 un établissement public indépendant. Le Ministre veut reprendre en main la recherche et la documentation pédagogique.

 

1) la reprise en main de l'évolution vers la spécialisation scientifique de la recherche pédagogique.

 

     a) L'orientation imposée par René Haby et Christian Beullac (1976-1989)

En 1976, il ne s'agit plus de laisser se développer et diffuser en tache d'huile ou par capillarité une réforme pédagogique en progression  continue approfondie et régulée par l'IPN (puis l'INRDP) selon le vœu et la stratégie de Louis Cros, mais de contenir et de mettre au service d'un projet politique rationnel et cohérent de la réforme du système éducatif les innovations pédagogiques les plus disparates surgies au cours des années 60 et 70 sous les effets conjugués de  la vogue des sciences humaines, de l'esprit de contestation et de la nécessité pour les enseignants du secondaire de s'adapter à un public nouveau étranger à la culture universitaire, en tenant la balance entre d'une part le caractère incontestable de cette rénovation, d'autre part les réticences et contradictions du corps professionnel, progressiste, volontiers critique, et revendicatif, mais attaché à son identité et ses traditions.

Aussi, René Haby (1974-1978), son successeur rue de Grenelle, Christian Beullac (1978-1981) et les Directeurs de l'INRP choisis par eux, Pierre Magnin (1976-1977) et surtout Raymond Jacquenod (1977-1979) et Georges Septours (1980-1982) conçoivent cet établissement comme un "bureau d'études" du Ministère chargé de répertorier, analyser, évaluer, les multiples pratiques pédagogiques afin d'éclairer l'action du décideur. Il s'agit, non de se consacrer à la recherche fondamentale ou à
l'expérimentation pédagogique, mais d'en élaborer une synthèse exploitable par le Ministère (9).

 

b) Rupture et continuité dans l'utilisation politique de l'INRP au cours de la première législature de la gauche (1981—1986).

Les ministres socialistes de l'Education Nationale ne dévieront pas de cette conception ouvertement politique et instrumentale de l'INRP. En avril 1982, Alain Savary replace, à la direction de l'établissement le conservateur libéral Georges Septours par la socialiste Francine Best, militante convaincue des mouvements pédagogiques qui, si elle entend «remettre en selle la rechercher-action», rappelle aussi l'obligation de l'INRP de collaborer étroitement avec le Ministère, notamment en matière de lutte contre l'échec scolaire et de réforme des transformations du collège (commission Legrand) et de la formation des enseignants (commission de Peretti) (11). Plus encore, Jean-Pierre Chevènement reprend «l'idée d'un grand Institut National de recherche sur l'Education et la Formation» financé et orienté par l'Etat, et qui, «en contrepartie (de l'aide publique) doit mériter cette reconnaissance e répondre à un besoin social et s'insérer dans des projets collectifs » (12). Au fond, ces déclarations rejoignent celles de Francine Best, d'Alain Savary et même de René Haby dans la mesure où, nonobstant les différences idéologiques qui les sous-tendent (libéralisme pour René Haby, socialisme non directif pour Alain Savary, socialisme jacobin pour Jean-Pierre Chevènement), il atteste la continuité de l'idée d'instituer un établissement public de recherche pédagogique au service d'un projet politique déterminé.

 

c) La professionnalisation de l'INRP

L'apprentissage du pragmatisme par la gauche à l'épreuve du pouvoir les divergences de conceptions en matière d'enseignement dans son propre camp (différences très nettes entre les projets de Savary et celles de Chevènement, opposition entre pédagogues d'avant-garde et conservateurs «républicains» attachés à l'école méritocratique) et l'essoufflement des mouvements pédagogiques novateurs et des idées contestatrices des années 60 et 70 ont sensiblement modifié les relations de l'INRP avec l'autorité politique.

Plus que de rapports entre parti au pouvoir et intellectuels militants, ils ont pris l'aspect d'une collaboration entre le décideur et le spécialiste dans une ambiance de respect mutuel et de liberté. Ecoutons Francine Dugast, Directrice de l'INRP de 1988 à 1993, décrire ces relations : «Tout le travail effectué au cours des années passées permet à l'Institut d'apporter sa contribution dans les transformations du système éducatif.

La loi d'orientation (13) correspond à un nombre d'analyses auxquelles aboutissaient depuis plusieurs années les chercheurs de la rue d'Ulm. Citons par exemple tout ce qui concerne la centration sur l'élève (14) à laquelle peuvent aider les recherches sur les rythmes scolaires, sur l'aide personnalisée, sur la pédagogie de contrat (15)».

 

Cela n'empêche certes pas le parti pris politique. Et, après le départ forcé de Francine Best (janvier 1988) dévidé par René Monory, les nominations et les cessations de fonctions des Directeurs successifs de l'INRP (16) ont obéi à des critères de préférence politique. De plus, dans l'éditorial que nous citons, Francine Dugast précise que l'INRP collabore étroitement avec les directions ministérielles. En revanche, cela révèle une relative désidéologisation de la réforme des institutions scolaires et de sa pratique pédagogique. Seul Philippe Meirieu, nommé Directeur à grands sons de trompe (1998) et parti à grand fracas (2000) après deux années d'un mandat tumultueux, lourd d'initiatives et de conflits avec le personnel a, ces dix-sept dernières années, ravivé les enjeux idéologiques et militants de la recherche pédagogique à l'INRP. Les chercheurs de l'INRP sont reconnus comme des spécialistes à même d'éclairer les pouvoirs publics. Mme Dugast affirme la primauté de la recherche au sein de l'établissement, conformément à la dénomination de celui-ci et insiste sur l'importance du développement des partenariats de l'INRP avec les autres organismes où l'on se consacre aux sciences de l'éducation (IUFM, universités), les Directions ministérielles et les administrations (17). Et, ce sont des critères d'organisation propres à la recherche scientifique de type universitaire qui président, en 1990, au regroupement des 17 unités de l'Institut en 5 départements (18), puis en 5 unités mixtes de recherche, 5 équipes de recherche techno-éducatives, auxquelles il faut ajouter trois équipes en projet et des chargés de mission. Et c'est dans cet esprit que le décret (n°93-288) du 5 mars 1988 a redéfini les missions, l'organisation, la gestion et le régime financier de l'établissement, lequel a été transféré à Lyon pour l'essentiel (décret du 14 janvier 2000 et du 4 avril 2000), quoique certains services demeurent à Paris (au 29, rue d'Ulm) et le Musée National de l'Education à Rouen.

 

En conclusion, il semble que depuis sa fondation comme établissement public à part entière (1976), l'INRP, après avoir constitué la cible des enjeux idéologiques et politiques les plus divers et les plus opposés, semble devenu enfin un organisme voué à la recherche de haut niveau et à la collaboration réfléchie avec les pouvoirs publics en matière d'éducation.

 

2) La modernisation et la spécialisation technique du CNDP

 

a)   La perte par le CNDP de ses actions de formation des enseignants et documentalistes.

Privé du domaine de la recherche en éducation, le CNDP perd également, au fil des ans, ses missions de recrutement, de formation, d'affectation et d'encadrement des documentalistes, et sa contribution à la formation des maîtres du secondaire.

Les premières lui sont graduellement ôtées par l'évolution du métier de documentaliste. En effet, les documentalistes de CDI sont placés sous l'autorité directe du chef d'établissement (circulaire du 12 mars 1975), intégrés pleinement  à la communauté éducative de leur lycée ou collège (circulaire du 17 février 1977), voient définis avec précision la nature et les attributs de leur fonction (1989) fait d'eux des professeurs à part entière formés, comme leurs collègues de disciplines, en IUFM à partir de la rentrée 1991.

La seconde devient caduque par l'institution des MAFPEN (1981) qui enlèvent aux CRDP leur rôle traditionnel en ce domaine, bien que, toutefois elles soient hébergées par ces derniers, puis celle des IUFM (1990) qui assureront seuls la formation initiale et continue de tous les enseignants.

 

b) L'ingénierie documentaire et éducative : la nouvelle vocation du CNDP ?

Ainsi ramené à ses missions originelles de prestation documentaire et d'assistance technique aux enseignants, le CNDP saisit l'occasion de la révolution informatique des années 80 pour accéder à un haut degré de spécialisation dans les domaines que l'on appellera bientôt l'ingénierie documentaire et l'ingénierie éducative.

Dès 1981-1982, les CRDP se lancent dans l'équipement informatique de leurs propres services. Et, le 12 décembre 1986, Jean-Claude Luc, Directeur de l'information et de la Communication au Ministère invite expressément les Directeur de CRDP réunis à Paris à réfléchir à l'intégration de l'informatique et de la télématique (on parlera bientôt de TICE) à l'enseignement et la documentation. A la suite de la création, par le Ministre, du journal télématique EDUTEL, les CRDP informatisent leurs fonds documentaires, se dotent du terminal TELETEL  les reliant mutuellement et au CNDP, apportent une assistance technique à l'informatisation des CDI réalisent progressivement l'intercommunication des fichiers de ceux-ci aux leurs, constituent avec eux et entre eux des réseaux académiques pour l'équipement des établissements et le développement des TICE (TELEMEDIATHEQUE à Bordeaux, SIDERAL, et ARDEMI en Rhône-Alpes), mettent au point divers thesauri (THELYCE, créé par les centres lyonnais et grenoblois, MEMOBASE, lancé par celui de Poitiers, puis MOTBIS réalisé à partir de 1987 sur les bases des précédents). Il s'agit de créer des pôles lourds de développement dans quelques CRDP avec l'implantation de serveurs académiques s'intégrant dans un réseau développé autour d'une mémoire collective implantée sur un serveur universitaire nationale pour l'enseignement scientifique et technique (SUNIST) et assurant la capitalisation des savoirs-faire ainsi que la possibilité d'une diffusion structurée de références documentaires.

Accordant une importance certaine au développement de la presse à l'école, le Ministère fonde en 1983, le Centre de Liaison de l'Education et des Moyens d'Information (CLEMI) lié dès le début du CNDP et qui deviendra par un décret (n°93-178) du 25 mars 1993 un "centre associé au CNDP dont il constitue une direction à gestion spécifique". Très vite, chaque académie comprend une équipe du CLEMI associée au CRDP et visant à l'initiation des enseignants et des élèves à l'utilisation pédagogique de l'information.

 

c) Une nouvelle politique éditoriale :

En avril 1987, Jean-François de Martel, Directeur général du CNDP prend des mesures destinées à améliorer les services éditoriaux de l'établissement : contrôle effectif de l'IGEN et des Directions pédagogiques du Ministère sur la qualité des produits destinés aux enseignants, similitude des critères d'examen des productions internes et des productions externes, analyse rigoureuse des besoins des divers maîtres. Il s'efforce également de stimuler la force de proposition éditoriale et l'adaptabilité des CRDP.

 

d) Le CNDP donne aussi une nouvelle vigueur à des organismes déjà anciens, tels le Centre de documentation des migrants, fondé en 1973, intégré au Service Central de Ressources Documentaires (SCRD) de l'établissement, et qui rassemble toute documentation relative à la scolarisation des enfants d'immigrés, à la formation générale et professionnelle des adultes et des jeunes d'origine étrangère et aux divers aspects de leurs conditions de vie de travail.

 

D'autre part, certains CRDP, tels que celui de Lyon, ont à coeur de développer, avec la collaboration des municipalités et des collectivités locales certains secteurs comme celui de la télévision scolaire.

 

En résumé, à partir de 1976 et tout au long des années 80, le CNDP cesse d'être le réceptacle des activités les plus disparates pour devenir un organisme spécialisé dans le développement des techniques documentaires et pédagogiques les plus modernes au moment où ces dernières s'imposent toujours plus aux enseignants, les contraignant à une difficile adaptation et une remise en cause de leur pratique professionnelle. De ce point de vue, le CNDP semble tenir la promesse de Louis Cros qui l'avait conçu comme initiateur privilégié et incontournable des techniques nouvelles d'éducation.

 

IV) Le croissant dégagement administratif et financier de l'état.

 

 

1)   Restrictions budgétaires et resserrement ambigu des structures du CNDP (1984-1991)

 

Ce recentrage du CNDP sur ses missions de documentation et d'aide pédagogiques se déroule dans un contexte de diminution des subventions de l'état au moment où les CRDP, confrontés à leur modernisation, voient croître leurs dépenses de fonctionnement. Cette situation procède de la volonté gouvernementale de réduire les dépenses publiques en raison des contraintes de la concurrence internationale qu'impose une politique anti-inflationniste et monétariste, et du Ministère de l'Education Nationale, lequel compte sur ses services déconcentrés (les rectorats) et les collectivités territoriales et locales pour pallier l'insuffisance des ressources financières allouées au CNDP (et donc aux CRDP). L'heure a sonné de l'austérité budgétaire et de la rigueur dans les orientations de l'activité du CNDP. Celui-ci doit, à partir de 1986, prendre à sa charge 15% de la masse salariale de ses agents titulaires.

 

Face à ces difficultés, l'établissement opte pour l'économie et la sélection de ses activités. Le 12 décembre 1986, Jean-Guy de Chalvron Directeur général depuis 1984, réunit les Directeur du CRDP, leur signifie l'interdiction de tout prélèvement sur les fonds de réserves de leurs centres, leur demande de porter leurs efforts financiers sur l'informatisation de leurs services et sur les TICE, et de compter autant que possible sur leurs ressources propres. Quatre mois plus tard, son successeur, Jean-François de Martel, confirme cette option et la complète par l'affirmation d'une volonté de reprise en main du CNDP et des CRDP. Il entend, face à la diminution des subventions nationales, renforcer l'autorité du siège parisien et restimuler la solidarité des CRDP autour des règles communes propres à assurer leur crédibilité vis-à-vis du Ministère, et d'axes généraux d'activité. Ces axes concernant :

-         la politique documentaire au niveau du réseau CNDP-CRDP-CDDP-CDI (et BCD) : il importe d'acquérir de nouveaux documents et de développer la formation des enseignants et des élèves aux techniques documentaires.

-         la politique d'édition et de commercialisation : il convient d'en approfondir les techniques, de renforcer et diversifier le partenariat et de susciter les productions pédagogiques d'auteurs.

-         le rapport d'activité à mettre au service de l'évaluation du projet

-         la politique des personnels : il faut réfléchir à l'évolution des carrières et àç la gestion des ressources humaines.

 

Jean-François de Martel préconise la création de «groupes de développement» chargés de définir la possibilité pour le CNDP et le CRDP de s'engager dans ces voies. A son esprit en ces temps de restriction et de révolution télématiques, les CRDP doivent serrer les rangs et s'unir autour du siège central pour définir une politique d'ensemble rigoureuse et cohérente. Ainsi, c'est une politique de centralisation renforcée qui devrait prévaloir.

Mais du point de vue du Ministère, resserrement ne signifie pas accroissement de la centralisation. Et d'ailleurs, en ces années 80, la décentralisation est à l'ordre du jour. La loi Defferre du 2 mars 1982 octroie aux conseils régionaux et départementaux un pouvoir politique réel, et leur transfère un certain nombre de compétences jusqu'alors reconnues à l'Etat. Et les lois du 7 janvier 1983 et du 25 janvier 1985 attribuent aux régions la responsabilité de la construction et de l'équipement des lycées, et aux départements celles des collèges.

Aussi, les mesures prises par la Direction générales du CNDP pour s'adapter à ces évolutions préparent de fait la décentralisation de l'établissement lors même qu'elle n'y est intimement guère favorable. En 1986, Jean-Guy de Chalvron redéfinit les responsabilités en collaboration étroite avec les Recteurs et se consacreront prioritairement à l'animation, à la formation initiale des documentalistes de CDI, à la formation continue des enseignants, à l'animation pédagogique, à l'aide aux établissements en matière de projet éducatifs et d'informatique et à l'élaboration de produits pédagogiques d'intérêt régional après concertation avec les inspecteurs. Le siège du 29, rue d'Ulm, lui, comprend deux grandes divisions :

-         le service central des ressources documentaires, qui impulse la modernisation des activités documentaires et noue des relations d'échange avec les centre étrangers de documentation pédagogique.

-         Les services généraux, qui soutiennent et conseillent la Direction générale et les CRDP.

 

Dans une note relative au «cadre d'orientation» du «projet de budget primitif du CNDP pour 1987», les services généraux reçoivent pour la première fois l'appellation «d'organes de coordination» et voient leur rôle défini comme relevant d'une action de conseil et de soutien aux CRDP. Jean-Guy de Chalvron puis Jean-François de Martel procèdent à une redistribution graduelle des personnels vers et entre les CRDP selon la population scolaire des académies.

Enfin, en octobre 1987, René Monory, Ministre de l'Education Nationale depuis mai 1986, envisage sérieusement une réforme de l'établissement qui placerait les CRDP sous l'autorité des recteurs et réduirait le siège parisien au rôle de pourvoyeur du budget et de coordination.

 

Incontestablement, à partir de 1987, le CNDP prépare implicitement sa décentralisation sous l'influence des lois de 1982, 1983, 1985, génératrices de nécessaires adaptations des administrations, et de la contrainte des restrictions budgétaires, lesquelles induisent une répartition des tâches entre CRDP entre eux et le siège parisien, et donc l'accroissement des responsabilités de ceux-là. La diminution des subventions  de l'Etat a été tacitement utilisée comme un moyen d'enclencher la décentralisation progressive du CNDP, certes pas à l'esprit de Jean-Pierre Chevènement, Ministre de juin 1984 à mai 1986, mais assurément à celui de son successeur, René Monory, moderniste, favorable à l'autonomie et à la concurrence des établissements scolaires, et décidé à «faire réfléchir la bureaucratie». (19)

Autrement dit, le CNDP a évolué vers la décentralisation selon un processus «à la française», soit par une redéfinition des responsabilités et un renforcement des liens de solidarité entre les CRDP et ceux-ci et leur siège central, deux mesures classiquement jacobines impulsées par l'état lui-même.

 

2)   La décentralisation effective du CNDP (1992)

 

Aussi, Lionel Jospin, successeur de René Monory, rue de Grenelle (mai 1988) juge-t-il tout naturel d'achever ce processus de décentralisation. Mais Jean-François de Martel, Directeur général du CNDP depuis janvier 1987, ne l'entend pas de cette oreille. Lui, n'avait accepté un redéploiement des moyens et des responsabilités du siège parisien en direction des CRDP que pour rendre le CNDP plus soudé, plus cohérent et plus apte à remplir ses missions nationales toujours définies par les décrets du 9 septembre 1970 et du 3 août 1976. Aussi donne t-il sa démission (juin 1989). Lionel Jospin le remplace par Pierre Trincal, administrateur civil lui aussi, auquel il confie la mission d'élaborer un nouveau projet de statut et de fonctionnement du CNDP.

 

a) L'analyse des dysfonctionnements du CNDP par Pierre Trincal

Le nouveau Directeur général rédige alors «une note sur la réforme des statuts du CNDP» datée du 18 juin 1990.

Afin d'étayer la décentralisation sur les arguments juridiques indiscutables et exempt de parti pris politique, Pierre Trincal attribue les difficultés du CNDP aux seules contradictions des décrets du 9 septembre 1970 et du 3 août 1976. Loyal et discipliné à l'égard du ministère, il impute les restrictions budgétaires aux carences du statut et du fonctionnement du Centre. Il distingue trois causes de dysfonctionnement du CNDP :

·        L'ambiguïté des textes statuaires :

Monsieur Trincal relève l'absence de définition des missions du CNDP dans le décret (n°76745) du 3 août 1976 et attribue aux trois arrêtés du 3 mars 1977 (relatifs au partage, au transfert et à l'organisation des services de l'établissement) et à celui du 8 février 1978 (portant sur l'organisation administrative et financière des CRDP et CDDP), la rigidité des structures internes du centre et l'inadaptabilité de ce dernier à l'évolution de ses missions. Cela ne manque pas de pertinence mais peut se discuter.

De plus, selon Monsieur Trincal, ces textes rendent ambigus les rapports entre les CRDP et les recteurs, chargés d'orienter l'action du CNDP au niveau académique.

Le décret du 3 août 1976 subordonne les CRDP aux rectorats d'académie, ce qui confère à l'Etat, au niveau régional l'autorité dont le prive pourtant le statut d'établissement public national du Centre. Et, comble de la contradiction, il le met dans l'impossibilité d'exercer son rôle d'orientation et de coordination des activités des CRDP puisque les recteurs n'ont ni droit de regard, ni influence sur les politiques budgétaires et documentaires du CNDP.

L'arrêté du 8 février 1978, lui, dévolue au Directeurs de CRDP, la qualité d'ordonnateur secondaire du budget du CNDP (disposition d'ailleurs contraire à celles du décret du 9 septembre 1990 toujours en vigueur en 1990), leur permettant ainsi d'échapper au contrôle financier de ce dernier, en plus de celui des recteurs.

Dans ces conditions, affirme Pierre Trincal, la tentation des autorités budgétaires de se désengager vis-à-vis des CRDP paraît bien compréhensible. Les services centraux du CNDP comptent sur de dotations rectorales pour combler les manques de moyens, les recteurs, de leur côté, se montrent rétifs à pallier les insuffisances d'une politique sur laquelle ils n'ont pas prise, d'un établissement public national à l'égard duquel leur tutelle ne s'exerce pas.

 

·        le partage contestable de certaines tâches entre le CNDP et d'autres établissements publics sous tutelle du ministère :

Pierre Trincal relève l'interférence de certaines tâches du CNDP avec celles d'autres établissements publics nationaux (INRP, CNED, CIEP), surtout, il importe, selon lui d'organiser l'articulation des CRDP, et des IUFM.

Et à cette fin, dans chaque académie, le recteur doit présider à la fois le conseil d'administration de l'IUFM et celui du CRDP.

 

·         L'absence d'un organe de pilotage :

Monsieur Trincal juge indispensable de doter le CNDP d'une instance incluant des représentants des Directions du ministère, et don le rôle consisterait à conseiller le Directeur général afin d'orienter les productions de l'établissement conformément aux orientations de l'état en matière d'éducation.

 

b) Le statut du 17 janvier 1992

Fort de son diagnostic, Monsieur Trincal jette les bases d'une redéfinition des statuts et missions du CNDP (avant-projet du 17 septembre 1990) que le Ministère rend officiel par le décret du 17 janvier 1992.

Désormais, le CNDP répartit les emplois et les crédits de fonctionnement et d'équipement entre les CRDP dont il oriente et coordonne les activités et qu'il représente dans leur ensemble les réunions internationales d'organismes aux missions et fonctions analogues (article 4). Son Directeur général rend compte de son activité et de sa gestion à un conseil d'administration composé de 18 membres.

Les CRDP deviennent des établissements nationaux publics nationaux dotés chacun de la personnalité civile et agissent suivant les décisions prises par leur conseil d'administration présidé par le Recteur d'académie, composé de 21 membres nommés par ce dernier, et qui définit les orientations de l'activité du centre, menées à bien sous l'autorité du Directeur.

Les CDDP deviennent clairement des sections de leur CRDP de rattachement. Leur Directeur peut recevoir la qualité d'ordonnateur secondaire du budget de celui-ci et est assisté d'un comité consultatif, présidé par le Recteur ou le plus souvent, l'Inspecteur d'académie en résidence dans le département (article 22).

Effectivement, cette réforme fait disparaître les ambiguïtés juridiques des décrets du 9 septembre 1970, et du 3 août 1976. Elle donne au Recteur plein droit de regard et d'orientation sur la politique budgétaire et les activités du CRDP de son académie. Elle assure la cohérence des activités des CRDP au niveau de la politique générale de 'Education Nationale grâce au rôle de coordination et de fédérateur du CNDP.

Enfin, elle adapte les statuts du CNDP et des CRDP au mouvement de décentralisation qui affecte les institutions éducatives depuis, les lois de 1983 et 1985.

Mais résout-elle le grave problème des moyens financiers ? Pierre Trincal justifiait «sa» réforme par le souci d'inciter l'état à mettre un terme à son désengagement grâce à un meilleur fonctionnement du CNDP. Or, l'application du décret du 17 janvier 1992 n'a aucunement produit cet effet. La subvention des personnels ne couvrerait plus depuis 1986, que 85 % des traitements des titulaires, et cette couverture n'a pas augmenté depuis 1992. Et, pour leur fonctionnement, les CRDP ont dû compter toujours d'avantage sur leurs ressources propres. Pis : la somme des deux subventions de l'état (personnels et fonctionnement) ne couvre plus, depuis une douzaine d'années, les seules charges de rémunération des titulaires.

En fait, contrairement aux affirmations de Monsieur Trincal, le désengagement de l'Etat depuis 1984 ne procédait pas seulement (et d'ailleurs qui le croirait sérieusement?) des blocages engendrés par l'ambiguïté des décrets de 1970 et 1976 et des arrêtés de 1977 et 1978, mais d'un souci d'économie en partie légitime. L'imputation à cette ambiguïté des textes et à la structure monolithique du CNDP des difficultés de celui-ci tenait lieu de prétexte destiné à dissimuler les choix délibérés d'économie de l'Etat et à justifier une décentralisation certes commode, peut être souhaitable, mais sans incidence sur cette volonté bien arrêtée de restrictions budgétaires. Et d'ailleurs, la décentralisation impliquant un transfert des compétences de l'Etat sur les collectivités territoriales et locales, exclut par la même, le retour à une plus grande participation financière de l'autorité centrale.

 3) De la contractualisation à la constitution du réseau SCEREN : l'illusion d'une renaissance du CNDP.

 

a) L'étoffement du réseau CNDP

 

Le décret du 17 janvier 1992 affirme la nécessité de développer au CNDP et dans les CRDP les activités de documentation, d'édition multimédia et d'ingénierie éducative dans un esprit d'initiative.

Le Ministère prône entre les CRDP eux-mêmes et ceux-ci et leurs partenaires institutionnels une démarche de contractualisation précisée et rendue publique par une lettre de cadrage du 26 novembre 1999, afin de rendre complémentaires et efficaces les actions des Centres conformément aux missions que leur assigne le décret 1992. Il s'agit d'«un engagement commun sur des orientations stratégiques claires ainsi que sur les moyens déterminés pour les atteindre». Quatre groupes de réflexion et de propositions (groupes des services offerts par le réseau de l'édition, de l'organisation du réseau et des moyens) sont institués, chacun présidé par un directeur de CRDP. Dès lors, le CNDP devient bel et bien un réseau d'établissements publics autonomes, mais coordonnés. Cette situation devient officielle avec le décret (n°2000-548) du 19 avril 2002 (titre III) qui définit la nature et les missions de ce réseau (article 35), en précise la gestion des services communs (article 37), et institue un comité de coordination composé de Directeurs de CRDP, des deux Directeurs-adjoints et du Secrétaire général du CNDP (article 38).

 

b) Un renouveau discuté des missions du CNDP : le Plan Arts et Culture et la constitution du SCEREN (2000) :

Ministre de l'Education Nationale en avril 2000, Jack Lang annonce l'élaboration d'un plan pour le développement de l'enseignement artistique au cours des cinq années à venir : le Plan Arts et Culture Ecole. Ce faisant, il achève un long processus de promotion de l'art dans les établissements scolaires (institution des missions d'action culturelle [MAC] auprès des Rectorats [1977], lancement des classes culturelles et des ateliers de pratique artistique [1981], création des Directions Générales des Affaires Culturelles [DRAC, 1992] mesures diverses rapprochant milieux éducatifs et culturels [1993, puis 1997-2000]).

Il fait alors appel à Claude Mollard, conseiller maître à la Cour des Comptes devenu spécialiste de l'ingénierie culturelle, qui avait fondé et dirigé la Délégation aux Arts Plastiques, rue de Valois (1981) et joué un rôle important dans la conclusion de la convention passée entre le Ministère de la Culture et de l'Education Nationale relative au développement de l'enseignement artistique. Jack Lang et Claude Mollard mettent sur pied une Mission pour l'élaboration du Plan de cinq ans dotée de 263 millions de francs (soit la moitié des nouveaux crédits du budget de l'Education Nationale) en juillet 2000 et décident de faire du CNDP la base logistique et l'instrument de réalisation du Plan. Ce choix s'explique par la vocation du Centre à la dispense de ressources documentaires aux enseignants et aux établissements scolaires à l'ingénierie éducative et à l'action culturelle auprès des maîtres et des élèves. Claude Mollard, qui en devient le Directeur général en janvier 2001, mobilise les ressources et l'activité du réseau au service du Plan. Il voit en lui le promoteur du Plan dans les académies, conjointement avec les Missions d'Action Culturelle (MAC), lesquelles deviennent Délégations Académiques à l'Action Culturelle (DAAC). Les CRDP et les DAAC reçoivent la responsabilité de la mise en œuvre des grands axes du Plan Arts et Culture, à savoir :

-         la généralisation des apprentissages artistiques et culturels à l'école et en lycée et collège en vue d'une rénovation pédagogique.

-         la diversification des pratiques artistiques et culturelles.

-         la garantie d'une continuité pédagogique des enseignements artistiques et culturels, de l'école à la classe de terminale.

 

Claude Mollard envisage également une politique éditoriale et commerciale ambitieuse. Convaincu que la révolution culturelle et pédagogique dont il est l'un des concepteurs portera ses fruits à la condition impérieuse de sa diffusion dans le plus large public, il préconise le développement du secteur «Edition» du réseau CNDP, l'extension des co-éditions avec les éditeurs privés et l'utilisation des grandes librairies comme canaux de promotion et de vente des produits de CRDP.

 

En somme, le CNDP paraît faire littéralement peau neuve et trouver dans le développement de l'éducation à la culture et l'activité éditoriale des bases et des instruments nouveau pour assumer sa vocation d'initiation du monde enseignant et des élèves à une pédagogie novatrice, ouverte et humaniste.

Mais cette orientation suscite nombre d'oppositions de la part des personnels du réseau enclins à y voir le risque d'un sacrifice des autres missions du CNDP (aide aux enseignements professionnels, scientifiques et linguistiques, entre autres) et une menace sérieuse sur son indépendance éditoriale.

Claude Mollard ne dévie cependant pas de sa route et, symboliquement, il érige le CNDP en Service Culture Editons Ressources pour l'Education Nationale (SCEREN). Il inspire, d'autre part, le décret du 19 avril 2002, dont nous avons parlé précédemment, définissent les missions du réseau CNDP. Pour mener à bien sa nouvelle mission culturelle, le CNDP reçoit des crédits spécifiques d'un montant de 93 millions de francs en 2001, et un supplément de 25 millions (3,7 millions d'euros) en 2002.

Aux côtés des DAAC et des DRAC, les CRDP ont été fortement mobilisés lors de la mise en œuvre du Plan Arts et Culture pour la création des pôles d'éducation artistique groupant des réseaux d'établissements scolaires, la mise en place d'ateliers artistiques, d'enseignements optionnels d'art, de classes à projet artistique et culturel, d'ateliers de projets et de pratiques scientifiques (opération la main à la pâte), l'éducation à l'environnement.

Ils ont apporté un concours décisif d'ordre à la fois conceptuel et technique dans la production de documents relatifs aux divers aspects de la culture. Ils ont, pour la plupart, mis au point une «carte des ressources locales» pour chaque département de leur académie d'implantation. Beaucoup ont constitué des pôles de ressources dans le domaine des arts plastiques, du design, de l'environnement.

 

Cette politique novatrice et discutée a été remise en cause par l'alternance politique de mai 2002, les nouvelles réductions de budget décidées depuis, et le non renouvellement du mandat directionnel de Claude Mollard remplacé par Alain Coulon, universitaire spécialiste de sociologie de l'éducation( janvier 2004).

 

4) La délocalisation du CNDP

 

Après le CEREQ (transféré de Paris à Marseille en 1992), l'INRP (fixé par décret à Lyon dès 1993, mais installé à Saint-Fons plus tard seulement) et le CNED (logé sur le site du futuroscope, à Chasseneuil-du-Poitou, près de Poitiers, en 1994), le CNDP connaît sa délocalisation. Celle-ci avait été envisagée en 1992 à l'époque des grandes délocalisations décidées par le gouvernement d'Edith Cresson.

Celui de Jean-Pierre Raffarin en a décidé la réalisation en 2002 et a choisi de transporter le CNDP à Chasseneuil-du-Poitou où il aurait pour voisins le CNED et l'Ecole Supérieure de l'Education Nationale (ESEN) entre autres. Commencé en 2003, le transfert des services de Paris à Chasseneuil se poursuit graduellement, dans des conditions confuses et conflictuelles, la majorité du personnel du Centre et la totalité de leur Syndicat s'opposant à cette initiative présenté par eux comme une opération à double finalité d'électoralisme (la Vienne et la région Poitou Charente étaient jusqu'en 2004 les «fiefs» du Premier Ministre) et de suppression d'un grand nombre de postes et de services du CNDP devant mener à l'extinction pure et simple de ce dernier.

En attendant l'achèvement de son transfert le CNDP est écartelé entre ses traditionnels sites parisiens et ses nouveaux bâtiments poitevins. Les premiers (rue d'Ulm, rue des Irlandais, rue Violette, rue du Four, rue de Vaugirard à Paris même, rue Gabriel Péri à Montrouge, rue Pasteur à Vanves) regroupent la Direction de l'Action Editoriale, l'Observatoire de l'Edition, la Délégation à la Communication, la Librairie Nationale, la Mission aux Relations Internationales, les Services des productions audiovisuelles (SNPAV) et des productions imprimées et numériques (SNPIN) , le CERIMES (20), le CLEMI et le département Ville-éducation. Les seconds hébergent le département des ressources et Technologies. La Direction générale, les divers services du Secrétariat général, la Direction commerciale et le département des enseignements et de l'éducation artistique et de l'action culturelle sont implantés sur les deux villes de Paris et Chasseneuil.

 
Conclusion : Quel avenir pour le CNDP ?
 

La décentralisation tend à imprimer à nos institutions une logique politique et administrative libérale en lieu et place de leur multiséculaire logique politique et administrative centralisatrice («richelieusaine» et «Louis quatorzienne», puis jacobine et napoléonienne), provoquant une véritable révolution culturelle. Et, en ce domaine comme en d'autres, notre système éducatif tient lieu de reflet, de réceptacle et de caisse de résonance de cette mutation fondamentale de notre organisation politique et sociale. Depuis les lois de 1983 et 1985, il a dû s'adapter à la régionalisation voire à la départementalisation de nos institutions, et ce, d'autant plus que le caractère gigantesque de ses effectifs de personnels et d'usagers et de son administration le rendent ingérable sous sa traditionnelle forme monolithique et étatique. A l'instar des régions dont les attributions limitent désormais considérablement les prérogatives de l'Etat, les académies sont appelées à une autonomie d'initiative et de décision à l'égard du Ministère de l'Education Nationale.

Il s'agit cependant d'une décentralisation originale, «à la française», équidistante de la simple déconcentration et du fédéralisme de type américain, suisse ou allemand. Elle procède en effet de la décision souveraine d'un gouvernement central qui conserve son rôle directeur et dispense toujours la manne publique, demeurant ainsi doté d'une fonction essentielle prééminente et d'une autorité considérable.

 

En un tel contexte, la place du réseau SCEREN semble évidente : le CNDP (siège central) continue à jouer ses fonctions de pouvoir des moyens financiers, de représentation collective des centres régionaux, de coordination des activités de ces derniers et d'élaboration sous l'autorité du Ministre, d'une politique d'ensemble ; aux CRDP, incombe leur contribution à la mise en œuvre des choix éducatifs des Rectorats et des Régions et l'aide technique et pédagogique aux projets éducatifs des établissements et des maîtres. Et sans doute, n'y aurait-il aucune raison de s'inquiéter si deux éléments ne mettaient virtuellement en question l'existence du SCEREN et du CNDP, voire des CRDP.

 

Le premier réside dans la tentation d'une dérive libérale à l'anglo-saxonne, de la décentralisation du système éducatif par éclatement, hypertrophie des pouvoirs académiques et réduction massive, voire quasi-disparition de l'autorité ministérielle. En ce cas, le siège central du CNDP n'aurait plus de raison d'exister, non plus d'ailleurs que le réseau SCEREN et chaque CRDP ne deviendraient rien d'autre, nonobstant son statut d'établissement public doté de la personnalité et sous tutelle ministérielle directe, que l'un des rouages de la politique éducative de son académie et de sa région d'implantation.

 

Le second découle de ce qui a été le point faible essentiel du CNDP depuis ses origines, depuis sa naissance, sous forme de Musée Pédagogique : l'absence de définition claire et précise de ses missions. Certes, les décrets de 1992 et 2002 ont remédié à cette carence, mais ont assigné au CNDP une pluralité de missions (prestation documentaires, assistance technique et pédagogique, éditions) sans doute complémentaires mais spécialisées et propres à susciter l'impression de disparité qui a toujours caractérisé l'établissement. Celui-ci avait été conçu par Ferdinand Buisson comme un instrument de réflexion et d'adaptation constante de la pratique pédagogique à l'évolution des connaissances en matière de psychologie de l'enfant et des besoins et structures économiques et culturels de la société. Or, nous l'avons vu, les gouvernements successifs des IIIème et IVème républiques n'ont jamais pu disposer de cet instrument ni entreprendre grande et décisive politique de l'Education Nationale portée par un projet rationnel global.

 

Louis Cros, ses successeurs et les plus lucides et audacieux des ministres successifs et hauts fonctionnaires de l'Education Nationale lui ont donc fait, puis laissé jouer le rôle d'un laboratoire d'innovations jugées pernicieuses pour la conservation des structures administratives du système éducatif, puis reprise et institué par celui-ci : recherche pédagogique, pédagogie documentaire, enseignement par correspondance, formation initiale et continue des maîtres du secondaire etc (21).

 

Mais ce rôle d'avant-garde permanent a peut-être fait son temps.

 

La recherche pédagogique, l'enseignement par correspondance, la formation des maîtres ont leurs établissements. Quant à la pédagogie moderne au supports les plus variés, elle est institutionnalisée, dispose de CDI convenablement équipés et de tout le réseau dense  des bibliothèques publiques et est pratiqués par des enseignements qui en sont de plus en plus nourris et ont de moins en moins besoin de l'aide de spécialistes en matière de TICE, même si, à l'heure actuelle, cette tendance reste assez loin de son point d'achèvement. Dans ces conditions, en une période de réduction des services publics, pour des raisons d'économie et d'autres d'harmonisation des politiques de pays de l'union européenne, la question de la raison d'être des CRDP est posée, d'autant plus que ceux-ci constituent une spécificité française.

 

Le CNDP connaît aujourd'hui une incertitude largement liée à l'ambiguïté originelle puis constante de sa mission fondamentale, ambiguïté découlant de l'inhibition à l'égard d'une réforme globale de l'enseignement perçue comme nécessaire.

 
 

(1) René Guillemoteau : du Musée Pédagogique à l'Institut Pédagogique National, CNDP, 1979, 134 pages.

(2) c'est avec la constitution du deuxième cabinet Herriot et l'entrée en fonction d'A. de Monzie que le Ministère de l'Instruction Publique devient celui de l'Education Nationale.

(3) le BUS recevra le statut d'établissement public par la loi du 8 avril 1954.

(4) Souligné par nous

5) Il s'agit des fonds constitués par les allocations aux caisses départementales des écoles instituées par la loi Barangé du 28 septembre 1951.

(6) Circulaire ministérielle du 26 octobre 1956

(7) Idem

(8) 216 sont créés entre 1958 et 1962 ; leur nombre s'élève à 600 en 1966

(9) Cette orientation et certaines mesures prises par René Haby (intégration du Centre de recherches sur l'Education Spécialisée et l'Adaptation scolaire [CRESA] au service de la recherche sur les enseignements généraux et la vie scolaire) suscitent l'opposition du personnel de l'INRP, de ses syndicats et des partis politiques de gauche qui accusent le Ministère d'isoler, d'affaiblir et d'asservir à une politique conservatrice la recherche. Cf Le Monde des 6 Août 1976, 30 octobre 1976, 15 mars 1977, puis les interpellations d'Hélène Constans à l'Assemblée Nationale (17 février 1979 et 21 janvier 1980). Et, en janvier 1980, Louis Legrand, l'un des directeurs de recherche de l'INRP, démissionne avec éclat.

(11) l'Education 17 juin 1982

(12) Discours de clôture de Jean Pierre Chevènement, au colloque "Education, formation et société" organisé pour et à l'INRP les 23 et 24 septembre 1985.

(13) Il s'agit de la loi d'orientation du 10 juillet 1989 qui place l'élève "au centre du système éducatif"

14) Italiques : souligné par nous

(15) INRP Etape de la recherche, bulletin d'information de l'INRP n°26, décembre 1990. Editorial de Francine Dugast.

(16) Il s'agit de Pierre Delorme (février – octobre 1988), Francine Dugast (1988-1993), Jean François Botrel (1993-1996), André Hussenet (1996-1998), Philippe Meirieu (1998-2000), Anne-Marie Perrin Naffakh (2000-2003) et Emmanuel Fraisse (depuis 2003)

(17) INRP – étape de la recherche, bulletin de l'information de l'INRP n°26 décembre 1990.

(18) "mémoire de l'éducation", "Ressources et communication", "Dialectique des disciplines", 'Technologies nouvelles", Politique, pratiques et acteurs de l'éducation".

(19) D'après l'expression de G. Bourgeois, son directeur-adjoint de cabinet

(20) Centre d'Etude et de Ressources sur l'Informatique et le Multimédia dans l'Enseignement Supérieur, qui jouit de la même autonomie que le CLEMI

(21) Cf Yves Grellier : "Le CRDP, une mosaïque d'activités " in Bulletin de l'association des Personnels du Rectorat d'Orléans, 1997