Tribune

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Qui a peur de la jeunesse ?

  
 
Il est temps que la société française se regarde dans le miroir et voie l’avenir qu’elle prépare : une société de vieillards (par l’âge ou par l’esprit), frileusement retranchés derrière des mesures « sécuritaires » (sécurité pour qui ?), incapables d’assumer leurs tâches éducatives, envahis par la morosité et la peur.

Dépister les futurs délinquants dès 3 ans, porter la responsabilité pénale à 12 ans, mesure considérée comme « de bon sens » par la Garde des Sceaux[1], créer des centres fermés pour délinquants dont les pratiques éducatives sont souvent contestables, faire saisir des enfants de migrants au sortir de l’école ou au sein des familles, séparer les familles pour expulser les personnes qui ne parviennent pas à être régularisées, enfermer des mineurs avec des majeurs au mépris de la loi, confondre l’information avec la répression, fouiller à corps des collégiens au prétexte de « créer de la bonne insécurité, satisfaisante à terme en matière de prévention »[2], alors que de l’aveu même des magistrats la délinquance des mineurs est stable quantitativement. En revanche, jamais on n’a été aussi loin dans la dénégation de la sexualité infantile, dans la revendication « au droit d’avoir un enfant » comme si l’enfant était un bien, dans le compassionnel à l’égard de tous les exclus. La société française marche sur la tête.

 

Depuis les élections présidentielles et la formation de la nouvelle Assemblée, les textes de lois et les pratiques répressives s’accumulent contre la jeunesse tandis que l’éducation et la formation deviennent des variables d’ajustement économique. Mais il est honnête de reconnaître que cette accélération s’inscrit dans un mouvement plus profond, déjà commencé sous les précédentes législatures. L’opinion, morose, tarde à s’indigner ou plutôt s’indigne au coup par coup, au gré des révélations de la presse. Éducateurs, enseignants, militants d’éducation populaire sont écœurés de voir se réduire comme peau de chagrin les moyens destinés à l’éducation et plus particulièrement à l’éducation populaire. Les associations, les groupes professionnels en sont réduits à manifester ponctuellement, à lancer des pétitions avec pour seul espoir de faire reculer la répression au cas par cas ou d’obtenir de vagues regrets. Fondamentalement, rien n’est changé. Insidieusement, s’installe l’idée que la jeunesse est dangereuse, d’autant plus dangereuse qu’elle fait partie des classes pauvres.

 

Il est temps que la société française se regarde dans le miroir et voie l’avenir qu’elle prépare : une société de vieillards (par l’âge ou par l’esprit), frileusement retranchés derrière des mesures « sécuritaires » (sécurité pour qui ?), incapables d’assumer leurs tâches éducatives, envahis par la morosité et la peur. En 2002, je m’interrogeais sur « le retour de Laïos »[3], père d’Œdipe, qui n’avait pas hésité à faire suspendre son fils par les pieds jusqu’à ce que mort s’ensuive, de peur qu’il lui dérobe son trône. Comme nous le savons, l’histoire a mal fini pour tout le monde. Prenons garde de nous laisser anesthésier par des politiques irresponsables et démagogiques qui obèrent gravement l’avenir. Il nous revient non seulement de les dénoncer mais aussi d’agir au quotidien des pratiques conformément à notre éthique, celle qui respecte en l’enfant la promesse d’avenir.

 

Françoise Clerc

Professeur émérite

Université Lyon 2


 

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[1] Propos enregistrés et diffusés aux journaux télévisés du mercredi 3 décembre.

[2] Propos qui auraient été tenus, selon Libération du jeudi 4 décembre 2008 (p. 16) par la procureure de la République du Gers à propos de la fouille des élèves du collège de Marciac*.

[3] Pédagogie et éducation : le retour de Laïos ? in PICQUENOT, A., (coord.), (2002), Il fait moins noir quand quelqu’un parle, Dijon, CRDP de Bourgogne.

  

* On peut noter que ce type d'opération avait déjà eu lieu à L'école des métiers (CFA) d'Auch et n'avait eu d'échos que dans la presse locale, Le café pédagogique et dans l'émission de D. Mermet sur France-inter (témoignage d'un prof. sur le répondeur)

Sur la délinquance des jeunes voir l'étude de Laurent Mucchielli : Note statistique de (re) cadrage sur la délinquance des mineurs  http://www.rue89.com/files/20081125Statistique.pdf