École et service public

Nouveau site : http://www.educationetdevenir.fr/

Pour se procurer les cahiers :

http://www.educationetdevenir.fr/spip.php?rubrique5

 

 

 

SOMMAIRE Les cahiers d'Éducation & Devenir - N° 5 nouvelle série

 

 

L'École et le service public

Colloque de Nevers, 2, 3 et avril 2004

Pour accéder aux extraits cliquer sur le titre de la contribution  

 

Problématique

 
 

Le service public d'éducation et d'enseignement, pour rester au service des publics, a besoin de se renouveler. Dans ce mouvement, est-il condamné à perdre son âme, à s'ouvrir sur la «marchandisation» des compétences et des structures ou à se dissoudre dans l'Europe ?

Il semble intéressant de se demander si le risque de démantèlement du service public que certains redoutent ne se trouve pas au contraire dans le refus de l'ouverture, de la modernisation, de l'évolution des pratiques professionnelles, dans le refus aussi de nouvelles formes de démocratie et d'une d'attention renforcée aux individus ou encore dans l'affadissement de l'engagement déontologique des acteurs de l'éducation.

En tout cas, ne semble-t-il pas indispensable que l'initiative au niveau local soit relayée par un cadrage fort de l'État garant des valeurs de la République et aiguillon de la constante adaptation du service public aux besoins des publics dans un souci permanent d'égalité ?

 

Ouverture du colloque

 
    José Fouque, président d'Éducation & Devenir
    Claire Lovisi, rectrice de l'académie de Dijon
Conférences    
 
bullet

Services publics d'éducation et territoires

Jean-Louis Rollot, inspecteur général

de l'Éducation nationale

 
bullet

Mobilisation positive et service public

Cyril Delhay, directeur adjoint IEP Sciences politiques - Paris

 
bullet

Histoire du service public d'éducation et diversité des publics

Claude Lelièvre, professeur d'université
 
bullet Décentralisation et enjeux républicains en Europe

Jean-Marie Albertini, directeur de recherche honoraire au CNRS

Table ronde    
 

Animée par Jean Kaspar, consultant en stratégies sociales, président de «France qualité publique»

Conférence de conclusion  
 
bullet

L'éducation : une question fondamentale pour l'avenir de l'Europe

Philippe Herzog, député européen, vice-président de la commission économique et monétaire au Parlement européen

     

Conclusion

José Fouque, président d'Éducation & Devenir

 

Ouverture de José Fouque
Extraits

Le premier colloque d'Éducation & Devenir avait pour thème l'enseignement de masse. Maurice Vergnaud, fondateur d’E&D, s'exprimait ainsi :

«On n'a pas compris le fait "massification" car on n'a pas vu que le problème du nombre ne pouvait être résolu en élargissant seulement les structures d'un type d'établissement à d'autres ; on n'a pas pensé que l'éventail d'élèves n'était pas le même ; on n'a pas dégagé les conséquences ; on est passé du sélectif au global sans les changements fondamentaux qui s'imposaient. Aussi a-t-on mal vécu cette évolution.»

Vous mesurez - même si beaucoup de travail a été accompli depuis cette date pour démocratiser  l'enseignement -,   qu'en vingt ans nous n'avons rempli qu'une toute petite partie du programme alors fixé à l'école :

bullet

l'objectif de la démocratisation n'a pas été réalisé et l'accès aux études supérieures demeure très inégal en fonction du contexte socioculturel dans lequel vivent les élèves ;

bullet

les phénomènes de ghettoïsation n'ont pas épargné l'école. Celle-ci les a même amplifiés en entretenant des établissements ghettos et parfois, à l'intérieur même des établissements, des classes de privilégiés et des classes d'exclus.

Les résistances aux changements prennent souvent l'allure de la défense du service public à la française et, sur les remparts de la fonction publique, on prédit son démantèlement. Pourtant, pour réellement atteindre ses objectifs, le service public d'éducation et d'enseignement a besoin de se renouveler. Dans ce mouvement, est-il vraiment condamné à perdre son âme, à s'ouvrir sur la «marchandisation» des compétences et des structures ou à se dissoudre dans l'Europe ?

 

 

Services publics d'éducation et territoires
Extraits

On parle souvent du service public à la française, comme si, aujourd'hui, tous les services publics se ressemblaient. Entre le service public d'État, qui organise l'Éducation nationale, et le service public de santé, qui repose sur une véritable décentralisation au niveau des établissements, il y a bien évidemment de grandes différences institutionnelles. Aujourd'hui naissent de nouveaux services publics. Certes, ils ne sont pas forcément nationaux mais, au niveau local, on voit par exemple se développer tel service pour les personnes âgées, tel type d'activités pour le public jeune et, de fait, il s'agit bien de services publics, que la gestion en soit municipale ou associative.

On a trouvé une première réponse pour tenter d'apporter un plus aux élèves et de maintenir une présence scolaire en milieu rural : ce sont les regroupements pédagogiques intercommunaux (RPI). Ces RPI témoignent de la contradiction qui, en permanence, nous assaille, et qui oppose une volonté d'aménagement du territoire (ou plus exactement de préservation du territoire) et une volonté de prendre en considération les besoins de l'enfant. À travers ces regroupements, on peut élaborer un projet, on peut bien évidemment envisager des échanges d'enseignants pour certaines disciplines, on peut, parfois, dégager certains moyens pour l'enseignement des langues. Mais aujourd'hui, en milieu rural, on s'aperçoit que les RPI sont devenus fragiles.

Alors, peut-être faut-il aller plus loin, vers l'école de secteur. Nous aurions des bourgs «centres» qui pourraient servir de point d'appui, participer à une régulation démographique et permettre de moins fragiliser le dispositif. Les effectifs seraient plus stables. Les coopérations entre enseignants seraient à développer, à travers un véritable projet de secteur, à travers une volonté d'ouverture de l'école, à travers des partenariats possibles avec d'autres ministères et le secteur associatif.

En ce qui concerne les collèges, quel territoire pour eux ? La communauté de communes n'est pas forcément suffisante et le pays trop vaste. A-t-on découvert le territoire imaginaire satisfaisant pour tous nos besoins collectifs ? Et à l'heure actuelle, le territoire dans lequel doit s'organiser la répartition des collèges, c'est toujours le département et sans doute encore pour longtemps.

Aujourd'hui des pratiques nouvelles se sont développées en prenant appui sur des pratiques de remédiation et sur le développement de l'accompagnement scolaire à partir d'activités de réseaux de parents et d'associations. On y retrouve toujours plusieurs acteurs : collectivités locales, associations, établissements scolaires mais aussi jeunesse et sports, culture, justice, police et, dans un certain nombre de cas, la caisse d'allocations familiales.

 

 

Mobilisation positive et service public

Extraits

À Sciences-Po, l'étude a été faite de façon exhaustive à bac zéro en 98. 82 % des enfants admis étaient originaires des catégories professionnelles favorisées et 2 % ou 3 % simplement étaient enfants des catégories professionnelles défavorisées.

Partant de ce constat, on se pose quelques questions et on se dit soit qu'il n'y a pas d'étudiants talentueux parmi les enfants des catégories professionnelles défavorisées, soit qu'on ne sait pas les recruter. Intuitivement, on a plutôt privilégié la deuxième hypothèse.

Il y a quatre problèmes majeurs :

bullet

un handicap financier,

bullet

un manque d'information (pas l'information sur papier glacé, pas l'information sur le web), mais un manque d'information de la part de parents, d'amis de la famille, de cousins, d'oncles ou de tantes qui ont fait des études supérieures et qui peuvent en parler très concrètement ;

bullet

la nature des épreuves de sélection ou même les épreuves de sélection elles-mêmes ;

bullet

le quatrième problème dépend des précédents, c'est le phénomène d'autocensure que l'on connaît bien.

 

 

Histoire du service public d'éducation et diversité des publics

Extraits

L'expression même de «service public d'enseignement» naît dans un moment tout à fait paradoxal, en 1832, alors même que les libéraux viennent de l'emporter. Elle apparaît pour la première fois dans un long article -non signé- du Journal de l'instruction élémentaire (l'organe officieux du ministère de l'Instruction publique, alors dirigé par Guizot), au début de l'année 1832.

L'auteur considère que la société et l'École peuvent être organisées, ou bien selon «un principe commercial», ou bien selon un «principe patriotique». Au lieu de «principe commercial», on dirait «consumérisme scolaire» ou «marchandisation » ; et au lieu de « principe patriotique », « Éducation nationale », mais cela revient sensiblement au même. Le «principe commercial», précise l'auteur de l'article, «tend à tout individualiser dans l'État, à arracher chaque jour au pouvoir central, qui est regardé comme en dehors du peuple, quelque partie de son action, pour la mettre entre les mains des individus». Le «principe patriotique», en revanche, dit-il, « tend à construire le pouvoir central même sur une base vraiment populaire ».

L'auteur rejette le « libéralisme scolaire» et demande la «mise en place d'un service public d'enseignement».

L'histoire de la centralisation de l'École en France est une histoire longue, qui remonte au Premier Empire.

Elle commence à la création de «l'Université» par Napoléon Ier, en 1806. Le terme «Université» ne désigne pas alors une institution de l'enseignement supérieur mais l'encadrement de l'École tout entière.

On ne peut comprendre le sens et la singularité de la centralisation de l'École française si on ne saisit pas qu'il s'agissait de mettre en place non seulement une administration publique mais une corporation publique. La reprise même du terme « Université » (universitas signifie corporation au Moyen Âge) situe bien ce qui est en jeu : créer un corps dont l'esprit serait au service de l'État en place.

L'Université impériale est plus qu'une administration : elle est une corporation laïque. Elle s'administre elle-même.

En définitive, la spécificité de l'École centralisée française instituée par Napoléon Ier, Guizot et Ferry, c'est d'inscrire l'École de manière singulière dans l'espace politique : l'éducation scolaire est mise au cœur même d'un projet politique du lien social (par l'édification d'un espace public, national).

L'originalité de l'apport de Jules Ferry - la laïcité - est, elle aussi, à situer sur cet axe fondamental. Contrairement à la plupart des pays de l'Europe communautaire où la laïcité est confondue avec la reconnaissance du pluralisme religieux (y compris à l'école), la laïcité française a été fondée sur la séparation entre l'espace public et les confessions religieuses.

Mais cette laïcité «à la française» ne s'est pas réduite à la simple protection –négative - d'un espace public scolaire face aux diverses confessions ; elle a été aussi l'affirmation – positive - d'un espace public, d'une république une et indivisible, d'une morale commune dans un cadre national. On se souvient de la célèbre lettre de Jules Ferry aux instituteurs, qui a pour objet de montrer la nécessité et la possibilité d'une morale commune par-delà les différenciations théologiques ou philosophiques.

L'École est pensée comme devant être le véhicule majeur de l'institution en profondeur de la République une et indivisible. Elle doit faire, avant tout, des républicains et des nationaux. Et le ministre de l'Instruction publique Paul Bert proclame qu'il faut «une pensée unique, une foi commune pour un peuple, sans quoi il ne serait qu'une agrégation d'hommes juxtaposés [...] ; c'est ce que fera l'Instruction civique».

In fine, l'École centralisée française relève de l'État républicain et de sa logique, non de la société civile et de la prise en considération des intérêts particuliers, des particularismes de tous ordres (aussi légitimes puissent-ils paraître par ailleurs). La République française - dans sa définition explicite, constitutionnelle - est une république indivisible et laïque. Cette définition est sans doute exceptionnelle, mais elle constitue justement «l'exception française» : ce qui unit doit l'emporter sur ce qui divise ; la logique civique et nationale doit l'emporter sur les logiques de la société civile (sur le «privé» des communautés religieuses, culturelles ou ethniques, le «privé» des entreprises).

En présentant son projet de loi à l'Assemblée nationale le 23 décembre 1959, Michel Debré déclare que « l'enseignement privé représente une forme de collaboration à la mission d'Éducation nationale, qui le fait participer   à   un   service   public l'enseignement privé participe à une tâche d'utilité générale».

Or le «service public» est en principe un service qui doit satisfaire un besoin d'intérêt général par des moyens mis en œuvre par une «personne publique». Cela reste la situation la plus commune…

 

 

Décentralisation et enjeux républicains en Europe

 

L’intervention de J.-M. Albertini se situait par certains côtés dans le prolongement de la Journée du Sénat (La formation tout au long de la vie : faux consensus, vrais défis). Il envisage d’abord les facteurs de changement qui incitent à transformer les systèmes éducatifs dans beaucoup de pays de l’Europe :

bullet

Vivre dans des sociétés et des économies de plus en plus complexes

bullet

Répondre aux exigences de l’économie de la connaissance et de la compétence

bullet

Éviter les fractures sociales

bullet

Mettre l’apprenant au centre du système éducatif

bullet

Promouvoir la formation tout au long de la vie et donc dépasser la dichotomie entre formation initiale et formation continue et prendre en compte les acquis de l’expérience

Puis il s’interroge sur la façon de faire évoluer notre système éducatif sans perdre son caractère de service public :

bullet

Les difficultés de sa mise en cause sont liées aux circonstances historiques de son instauration

bullet

Le statu quo impossible

bullet

Eviter la marchandisation et les risques d’éclatement

bullet

Promouvoir une décentralisation favorisant l’apparition de véritables « régions apprenantes »

 

 

 

Table Ronde
 

Jean Kaspar, ancien secrétaire général de la CFDT, consultant en stratégies sociales, président de «France qualité public», animait la table ronde à laquelle participaient :

bullet

Gérard Aschieri, secrétaire général du Syndicat national des enseignements de second degré (SNES),

bullet

Richard Béraud, de la Confédération générale du travail

bullet

(CGT),

bullet

Patrick Gonthier, secrétaire général de ï'Union syndicale des syndicats autonomes-éducation (UNSA Éducation),

bullet

René Grégoire, du Syndicat général de l'Éducation natio-nale-Confédération française démocratique du travail (sgen-CFDT),

bullet

Anne-Marie Houillon, de la Ligue de l'Enseignement,

bullet

Jean Yves Langanay, de l'association Éducation & Devenir.

 

 

L'éducation : une question fondamentale pour l'avenir de l'Europe

Extraits

Est-ce que l'Europe, en tant que civilisation, est perçue comme un objet pertinent dans le système éducatif ? Je ne pense pas.

Je pense que pour appréhender cet héritage, nous avons énormément de travail à faire, dans ce double aspect « lumière et faillite». Mais je suis convaincu qu'on ne peut pas fabriquer de jeunes citoyens, qui se sentiront bien demain, sans l'appropriation de cet héritage.

Le dialogue des civilisations dont on parle ne peut exister que si nous apprenons à connaître la nôtre, avec toutes ses difficultés, et que nous travaillons sur les questions importantes que sont l'héritage judéo-chrétien et la relation entre spiritualité et politique.

La communauté européenne d'après-guerre doit être vue positivement, sous cet angle. C'est un sursaut de civilisation. On ne peut pas négliger l'effort de paix et de réconciliation fait par des gens qui ne cessaient de se faire la guerre. Et dans l'enseignement, il faut cultiver la fierté de cet effort de ressaisissement. Cet effort est important, y compris, par sa contribution à la mise en place d'un modèle social positif.

 

Il ne faut pas accuser la concurrence et l'Europe d'emblée, mais voir que c'est d'abord les besoins des sociétés et les nouvelles opportunités ouvertes par les technologies qui doivent nous conduire à réfléchir, à reconcevoir nos conceptions en matière de services publics et d'intérêt général. Si on prend comme exemple le cas de la SNCF, il est impressionnant de constater que l'on n'a pas redéfini ses missions depuis 50 ans.

Est-ce que le fret marchandise est un service public ? Tous les Français vous répondraient probablement que le fret, c'est la SNCF, donc, c'est le service public. Et c'est faux. Le fret n'est absolument pas l'objet de missions du service public. La question se pose d'ailleurs, en interne, de savoir s'il doit le devenir. En tant que premier opérateur routier de France, la SNCF est un opérateur commercial et non un opérateur de service public. La poste, dont le courrier aux particuliers représente 10  du chiffre d'affaires, est plongée jusqu'au cou dans la concurrence.

La qualité du service public, dont les missions ont été définies dans une France qui était rurale à 50 % alors qu'elle est aujourd'hui urbanisée à 95 %, impose une redéfinition de ses missions, ce à quoi on n'a pas consenti. Ce sont les besoins de la société qui obligent à redéfinir les missions et non la concurrence qui nous pousse à quitter une sorte de paradis.

Lorsque je commence un rapport au Parlement européen sur l'avenir des services d'intérêt général, mes amis trotskistes me disent : «On votera contre parce qu'on ne parle pas services publics et que services d'intérêt général ça veut dire qu'on liquide les services publics.» Vous voyez les problèmes de sémantique.

Pour moi, en amont de tout, il y a le service essentiel pour la personne humaine et la vie en collectivité.

Services essentiels, cela veut dire qu'à partir de là, les autorités publiques ont des devoirs et définissent, en France les services publics, en Allemagne Dasein Vorsorge, en Angleterre les public utilities. Il y a des actes différents de définition de projet et d'organisation des autorités publiques car les cultures elles-mêmes sont  différentes.   Et  ces  autorités publiques définissent des obligations de services publics, avec égalité d'accès, etc.

L'Europe a commencé à s'occuper des services d'intérêt général marchands, voire non marchands, avec la stratégie de Lisbonne. La stratégie de Lisbonne (sommet de mars 2000) représente le premier effort européen pour définir un concept de développement économique et social. Si on ne considère pas le positif, on est constamment dans la morosité, sur la défensive et dans le négatif. Alors, bien que je n'ignore pas le volet compétition, je considère que Lisbonne 2000 a raison de nous dire qu'il faut bâtir une économie basée sur la connaissance.