Valeurs et République

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Le rapport de Jean-Pierre Obin de Juin 2004 sur "Les signes et manifestations d'appartenance religieuse dans les établissements scolaires" est téléchargeable sur le site Laïcité de la Ligue de l'Enseignement*

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Deux articles de Jean-Pierre Obin pour nourrir le débat.
Mis en ligne avec l'aimable autorisation de l'auteur Les valeurs et l'école : Administration et éducation n°100, "De l'école et
des valeurs", décembre 2003

Les valeurs et l'école

 
 

« La crise de l’enseignement n’est pas une crise de l’enseignement ; il n’y a pas de crise de l’enseignement ; (…) quand une société ne peut pas enseigner, c’est qu’elle ne peut pas s’enseigner ; c’est qu’elle a honte, c’est qu’elle a peur de s’enseigner elle-même ; pour toute humanité, enseigner, au fond, c’est s’enseigner ; une société qui n’enseigne pas est une société qui ne s’aime pas, qui ne s’estime pas » écrivait en 1904 Charles Péguy, faisant ainsi peu de crédit à une quelconque  autonomie de l’école vis-à-vis de la société.[1] De nos jours, la tendance est plutôt à opposer les valeurs de la société à celles de l’école pour expliquer les difficultés des enseignants. Mais qu'est-ce qu'une valeur ? C'est une référence qui marque le prix ou le caractère de perfection attribué à un être ou une chose. Dès son origine, dans la Chanson de Roland, le mot valeur prend cette double signification d'intérêt d'un objet et de qualité d'une personne. C'est Taine semble-t-il, au milieu du 19ème siècle, qui l'utilise le premier dans son sens contemporain, plus abstrait, de référence morale ou esthétique. Aujourd'hui, le mot renvoie à une sémantique large et assez ambivalente, qui va de la valeur boursière à la valeur morale, en passant par la « valeur ajoutée » des économistes ou la « valeur numérique » des mathématiciens. On se cantonnera ici au domaine social, dans lequel la valeur désigne un principe permettant à un groupe de se mobiliser ou de justifier son action. Dans ce sens sociologique, tout principe d'action partagé, toute référence commune, peut constituer une valeur. Les sociologues s'interdisent par principe toute réflexion sur la « valeur des valeurs », question qui intéresse en revanche les moralistes. Olivier Reboul par exemple propose un critère pratique de reconnaissance de la « vraie » valeur, politique ou morale : elle nécessite toujours un sacrifice, estime-t-il, et se distingue par là de la recherche du plaisir ou de l'intérêt immédiat[2].

         Le concept abstrait qui émerge donc au 19ème siècle s'épanouit au 20ème sous l'effet des évolutions socioculturelles : la sécularisation et l'individualisation de la société ont en effet pour conséquences l'affaiblissement des systèmes de normes collectives et la crise générale des sources morales et politiques de l'autorité. Pour exercer cette liberté nouvellement conquise il est alors besoin, selon Hannah Arendt, d'opérer une nette distinction entre le but, la finalité d'une action, son utilité, et son sens, sa signification ultime, sa valeur : « Comme si le menuisier, écrit-elle, oubliait que seuls ses actes particuliers lors de la fabrication d'une table sont accomplis dans le mode du "afin que", mais que toute sa vie de menuisier est régie par quelque chose de très différent, à savoir une idée plus vaste, "pour" laquelle, principalement, il est devenu menuisier. »[3]

         Les valeurs, dans ces conditions, constituent pour nous un triple système de référence. Certaines représentent des idéaux, des horizons d'action, mobilisateurs bien qu'inaccessibles dans la réalité : l'égalité par exemple. D'autres sont des principes d’action plus concrets pour mener sa vie : ainsi l'honnêteté, la tolérance ou la loyauté sont loin d’être des idéaux hors d'atteinte. Enfin d'autres, ou les mêmes,  constituent des critères pratiques de jugement d'une action, d'une innovation, d'une réforme : l'utilité (« A quoi ça sert ? ») et l'efficacité (« Quels sont vos résultats ? ») sont évidemment, de nos jours, de celles-là. Les valeurs sont donc au cœur de notre vie personnelle, sociale, professionnelle ou politique ; ce sont les points d'appui permanents de nos jugements éthiques, de nos décisions d'action, les justifications de nos comportements individuels et collectifs, les fondements ultimes de l'exercice de notre liberté. On peut penser avec Nietzsche que leur émergence n'a fait que repousser d'un cran le mécanisme de notre aliénation, et avec certains de ses disciples contemporains qu'il convient de « déconstruire » résolument ce dernier avatar de la transcendance[4] ; on doit pourtant admettre, a minima, leur vigueur, leur puissance et leur efficacité.

         L'école de nos jours, comme les autres institutions, ne peut plus fonctionner sur le mode ancien de l'autorité « naturelle » de ses normes ; elle doit justifier sans relâche ses finalités et ses missions, prouver sans cesse la légitimité de ses méthodes et de ses décisions. Elle est souvent sommée de clarifier sa relation aux valeurs, et ceci au moins de trois façons différentes, ou si l'on veut à travers trois problématiques complémentaires. La première est celle des fondements axiologiques de l'école  d’aujourd'hui : quelles sont les valeurs qui peuvent justifier et légitimer, de nos jours, les choix, les modes d'action et les réformes de l'école ? Ces références proviennent sans doute en partie de son histoire, mais peut-être également des pressions de la société qui l’environne. L'école peut-elle d'ailleurs encore prétendre à une quelconque autonomie par rapport à cette dernière ?  Faire de la résistance sociale en quelque sorte, et apparaître encore légitime ? La seconde problématique découle de la première : en admettant qu’elle soit fondée sur un système de valeurs, l'école peut-elle encore transmettre ces valeurs ? Ne s'oppose-t-elle pas alors à la liberté des familles et des individus ? Comme en France l'enseignement public a pris la forme historique d'une « éducation nationale » contrôlée par le pouvoir politique et non par des communautés de parents, c'est alors le rôle du politique qu'il convient d'interroger : y a-t-il encore la possibilité d'un accord politique sur des valeurs communes à transmettre, près d'un siècle après que Max Weber a proclamé le « polythéisme des valeurs » ? En d'autres termes, l'éducation, et notamment l'éducation morale n'est-elle pas devenue de nos jours une affaire privée, dans laquelle s'imposerait le retrait, la neutralité de l'école publique ? D’autant plus que la société diffuse ses propres valeurs et que la culture de masse a une réelle efficacité dans leur promotion. L’école est-elle vraiment en mesure de leur faire de l’ombre ? D'où une troisième problématique. Comment se transmettent les valeurs, et plus précisément comment l'école peut-elle s'y prendre pour transmettre les siennes aujourd'hui ? La puissance du discours, la vertu de l'exemple sont souvent citées, mais sont-elles encore efficaces ? Ne néglige-t-on pas l'impact de l'organisation scolaire, du fonctionnement même de notre institution dans la construction des références politiques et morales des élèves ? Ce sont ces trois questions, ces trois problématiques, que nous nous proposons d'examiner successivement.

 

Quelles valeurs pour l'école d'aujourd'hui ?

         Récemment est parue, dans un quotidien, une courte « opinion » d'un professeur de l'université de Bourgogne, saluant la procédure judiciaire ouverte par l'instituteur, devenu célèbre, du film Etre et avoir, afin de réclamer 250.000 euros au réalisateur[5]. Cette contribution est passée un peu inaperçue, ce qui est dommage car la thèse radicale qu'elle exprime avec un certain aplomb mérite d’être connue. Qu'écrit notre universitaire ? Simplement qu'aujourd'hui « Etre c'est avoir », que « toute valeur humaine se mesure à l'aune des rétributions reçues » et que de ce point de vue « l'école ne doit plus être sanctuarisée » ; mieux, que « le respect de l'autre, le rejet du mercantilisme, le civisme » ne sont jamais que « les principes de l'esprit Camif. » ; quant à Platon, à sa République et au sens de l'intérêt général, « son message paraît obsolète » ; tout bonnement ! On doit rendre hommage à ce cynisme candide, qui a le mérite d’exprimer clairement une position sans doute partagée par quelques-uns : l'école ne doit plus avoir d'autres valeurs que celles qui triomphent dans la société et qui se ramènent, en dernière instance, à une seule : l'argent.

         Soyons sérieux, la centrale d'achat enseignante n'a évidemment rien à voir dans cette affaire ! L'école française est le produit d'une longue histoire, au cours de laquelle se sont forgées les valeurs dont elle hérite aujourd'hui. On peut en tenter un rapide recensement. Du fonds humaniste légué par les universités médiévales nous proviennent l'amour de la raison, le respect de la culture, l'exigence de liberté, un certain penchant pour l'élitisme. Des Compagnons elle a repris le goût du travail bien fait et le sens de l'effort. Du fonds républicain elle reprend les valeurs d'égalité et de fraternité, le sens du service public et de l'intérêt général. Au fonds démocratique elle emprunte la tolérance et le respect de la dignité humaine. Du fonds socialiste et anarcho-syndicaliste provient l'exigence de justice sociale. En tant qu'institution éducative elle a aussi développé l'autorité comme sens de la responsabilité vis-à-vis des enfants et des jeunes. Enfin elle apprivoise aujourd'hui, non sans précaution et avec raison, deux des valeurs phares de la société contemporaine : l'utilité et l'efficacité.

Prenons cette dernière. Un service qui représente près du quart du budget national et près d'un fonctionnaire d'Etat sur deux peut-il ne pas se préoccuper d'être efficace ? Les démarches de projet et de contrat imposées aux établissements s'inscrivent d’évidence dans cette logique. Mais les moyens efficaces pour parvenir aux objectifs légitimes fixés par l'Etat sont-ils « bons » pour autant ? Cette conception stratégique, purement « machiavélienne » du management, dans laquelle l'efficacité prend le pas sur toute autre valeur, conduit inévitablement, ici ou là, à des dérives morales : exclusion des plus faibles, ségrégation sociale ou ethnique, etc. Prenons maintenant l'utilité. « A quoi ça sert ? » demandent sans cesse les élèves ; et certains professeurs recherchent une justification utilitaire, plus ou moins bonne, à leur enseignement : l'introduction d'un développement ultérieur, l'instrument destiné à une autre discipline et, argument suprême, le programme du baccalauréat ! D'autres ont la lucidité, et le courage, de refuser la question et de s'attaquer à l'utilitarisme ambiant : ils osent soutenir que la culture, ça ne « sert » à rien, sinon à être un homme (ce qui n'est évidemment pas rien !) ; ils osent rêver à voix haute que leurs élèves feront dans leur vie beaucoup de choses « inutiles », écrire un poème, chanter, voyager, lire (beaucoup de romans), avoir des amis, tomber amoureux, faire des enfants...

         Les valeurs de l'école proviennent donc pour la plupart d'une tradition. Aurait-on simplement remplacé une transcendance par une autre, l’autorité de Dieu par la force de l’Histoire ? Pour Paul Ricoeur, les valeurs de justice, de liberté, d'égalité, de fraternité par exemple, loin d'être « corrompues par l'idéologie », ont un contenu intellectuel qui peut faire l'objet d'analyses : d'un côté une valeur s'impose à chacun de nous avec une certaine autorité, « comme un élément hérité d'une tradition » et, en ce sens, elle n'est pas dépourvue d'objectivité ; d'un autre, elle n'existe véritablement que si l'on y adhère, et l'exercice d'un libre-arbitre allié à une conviction personnelle, subjective, est la condition de sa vie effective[6]. La tâche est donc délicate pour les éducateurs, puisqu'ils doivent assumer les valeurs comme objectives, transcendantes et universelles, et de l'autre comme subjectives, immanentes et personnelles.

La société considérerait-elle majoritairement ces valeurs léguées par l’histoire comme obsolètes ? Il ne semble pas, car les Français se révèlent sans cesse plus nombreux à faire confiance à l'éducation nationale.[7] Ce n'est sans doute pas parce que les enseignants s'écartent de ces valeurs anciennes, mais bien parce que nos concitoyens reconnaissent que les professeurs cherchent à s'adapter, non sans difficulté, au monde et aux élèves d'aujourd'hui, mais sans rien renier des principes qui fondent leur identité professionnelle. N'en déplaise à notre moraliste bourguignon, l'école fait de la résistance axiologique ! Libre à lui de penser qu'il ne s'agit là que de la réaction boutiquière d'une corporation dépassée. Libre à d'autres d'estimer qu'être ne pourra jamais se réduire à avoir et que réussir dans la vie n'a jamais, pour personne, signifié réussir sa vie.

         Admettons donc que l'école publique est bien fondée sur un système de valeurs ; mais a-t-elle encore les moyens de le transmettre  aux élèves ?

 

L'école peut-elle encore transmettre ses valeurs ?

         Cette question semble comporter deux volets distincts ; le premier est celui de la légitimité éducative d'une école publique, et au-delà de l'Etat ; le second est celui de la possibilité pratique de transmettre des valeurs décalées voire opposées à certaines valeurs sociales, en particulier celles diffusées par la culture de masse comme l’immédiateté, la séduction ou l’avidité.

         Commençons par ce dernier aspect. Dans une série d'enquêtes auprès des lycéens, Robert Ballion cherche notamment à cerner les comportements sociaux construits à l'école. En filigrane se lisent sans difficulté les valeurs transmises à cette occasion : le sens de l'effort arrive en tête, suivi par l'autonomie, la responsabilité, le sens de l'organisation, le respect des règles, avec des scores de 70 à 80 %. En queue de liste apparaît l'honnêteté, avec seulement 42 % de réponses positives.[8] On s'interrogera plus loin sur cette anomalie, mais quelques conclusions apparaissent déjà : l'école transmet des valeurs ; de plus, elle les transmet avec une efficacité inégale ; enfin (le sens de l'effort n'étant pas la référence suprême de la culture de masse !) cette performance inégale est sans doute à imputer à son propre fonctionnement. La question de la possibilité pratique de la transmission des valeurs apparaît également résolue : qu'elle le veuille ou non, qu'elle le programme ou non, l'école transmet bien (le sens de l'effort) ou mal (l'honnêteté) certaines valeurs. Le problème réside justement dans cette indétermination, peut-être cette inconscience institutionnelle qui semble présider au processus éducatif ; comme si, pour parler comme les psychanalystes, la transmission des valeurs se faisait « par-devers » l'institution.

         Reste la question de la légitimité de cette transmission, que l'on n'a abordée qu'en partie en affirmant plus haut l'historicité des valeurs qui fondent l'école publique. On ne peut éviter d'examiner aussi la question, traditionnelle pour la philosophie politique depuis Aristote, de la légitimité du politique et de ses institutions (l'école en France en est une) par rapport à la société. Elle oppose pour l'essentiel de nos jours les « républicains » défenseurs d'une morale publique, et donc d'une éducation morale à l'école, aux « démocrates » partisans d'un désengagement moral de l'Etat. Dans ce camp, c'est John Rawls, par les conceptions développées dans sa fameuse Théorie de la justice, qui a sans doute le plus contribué à cristalliser le débat en ces termes.[9] Faisant le constat de sociétés démocratiques évoluées au sein desquelles ne peut plus régner aucun consensus moral (le « polythéisme des valeurs » annoncé par Max Weber), il propose d'organiser leur cohésion interne sur un accord juridique pragmatique minimal sauvegardant la coexistence égalitaire de toutes les conceptions morales présentes. Encore faut-il discuter la validité du paradigme wébérien du disensus axiologique, qui fonde cette théorie et plus largement les conceptions démocrates. Or ce paradigme est aujourd'hui remis en question, tant par certains travaux de la sociologie que par des réflexions de la philosophie politique.

         Certains philosophes pointent en effet, non sans pertinence, l'unité idéologique retrouvée par l'Occident autour des Droits de l'homme, sans précédent depuis la Réforme semble-t-il[10]. Un très large accord se développe en effet aujourd'hui, dans les sociétés démocratiques, autour des grandes valeurs politiques qui fondent la Déclaration de 1948 : la liberté individuelle, l'égalité des droits, l'égale dignité des êtres humains, la solidarité envers les plus démunis. De nos jours, les conflits politiques seraient donc moins le résultat, comme hier, d'indépassables conflits de valeurs entre systèmes idéologiques inconciliables, que l'expression de différends, normaux en démocratie, recouvrant, sur des problèmes toujours particuliers, des actualisations ou des hiérarchisations différentes du même système de valeurs. Tel par exemple, privilégiant l'égalité sera un farouche partisan des programmes scolaires nationaux ; tel autre, mettant en avant la solidarité, sera favorable au développement des ZEP ; tel autre enfin invoquera la liberté pour supprimer les contraintes de la « carte scolaire ». Mais aucun ne récusera les valeurs justifiant le choix des autres ; le débat, la discussion, la délibération démocratiques restent donc possibles.

         Mais ce sont des études sociologiques récentes sur les valeurs qui apportent sans doute le plus d'eau au moulin de la thèse du consensus. Hier, observent-elles, les deux grandes valeurs symétriques de liberté et d'autorité divisaient les Français, opposant traditionnellement les jeunes aux anciens, ainsi que la Gauche à la Droite. Or ces valeurs n'apparaissent plus aujourd'hui antagonistes, mais complémentaires, dans un « curieux cocktail » associant une forte montée du principe d'autorité dans le domaine public, surtout chez les jeunes, à la poursuite du mouvement d'individualisation et de libéralisation des modes de vie dans la sphère privée. Les divergences politiques s'estompent, et l'opposition entre une jeunesse éprise de liberté et des « anciens » plus attachés à l'autorité des traditions, a complètement disparue : « l'ensemble des 18-60 ans montre une homogénéité remarquable et sans précédent. »[11] La liberté appliquée au domaine privé et l'autorité administrée au domaine public sont donc devenues, dans la société française et sous nos yeux, des valeurs consensuelles.

         La tâche de l'école publique, si elle s'en trouve sans doute allégée, n'en demeure pas moins compliquée. Car les familles - et comment leur donner tort ? - considèrent l'école comme un lieu intermédiaire entre le foyer et la vie sociale, à la fois comme un espace public et du domaine privé. C'est pourquoi elles réclament toujours plus d'individualisation, d'options, de possibilité de choix de contenus et d'orientation ; et en même temps toujours plus de sécurité, de règles, d'autorité, d'apprentissage du civisme et de la vie sociale, voire une éducation morale par laquelle elles sont souvent désemparées.

         On peut donc admettre que l'école doit et peut encore participer à la transmission des valeurs morales et politiques nécessaires à la vie d'une société moderne et démocratique. Se pose alors la question du « Comment faire ? »

 

Comment transmettre des valeurs ?

         Deux voies s'ouvrent traditionnellement aux éducateurs, parents et enseignants, soucieux de transmettre un système de valeurs : le geste et la parole, c’est-à-dire l'exemplarité et le discours.

Commençons par ce dernier. Il ne fait guère de doute que les contenus disciplinaires définis par les programmes scolaires sont porteurs de valeurs. L'histoire est à cet égard le plus souvent citée, soit pour en louer les vertus axiologiques, soit, à l'inverse, pour dénoncer une historiographie édifiante, nationaliste, moralement douteuse et scientifiquement contestable. « Nos ancêtres les Gaulois ! » : la formule, caricaturale, a souvent été raillée ; prise au sens ethnique ou même culturel, elle est en effet très contestable ; entendue comme symbolique, elle peut en revanche étayer une belle leçon de morale : la résistance gauloise nous parle alors du refus de l'esclavage, de la lutte pour la liberté ; et en même temps la Gaule a été particulièrement accueillante à la civilisation gréco-romaine. Il n’est pas indifférent que cette lecture soit celle d’un écrivain congolais, Henri Lopès : « C'est la leçon que je tire, écrit-il dans un bel ouvrage, de mes ancêtres les Gaulois. Il ne faut pas chasser les Blancs : ce sont les racistes, les exploiteurs et les tyrans dont il faut se débarrasser. »[12]

Mais que vaut le cours le plus brillant s'il est infirmé par les actes du professeur ? C'est pourquoi on prétend souvent que l'éducateur, le maître ou plus généralement l'adulte, transmet d'abord des valeurs à travers ses attitudes et ses comportements. L'égalité est-elle une valeur ? Il n'est pas inutile de faire sur cette question un cours d'éducation civique ou de philosophie ; mais surtout, si l’on veut que l'égalité soit effectivement une valeur pour les jeunes, on ne tolère aucune manifestation d'exclusion, de xénophobie, d'ostracisme quelconque sur les bancs de la classe, ou dans la cour de l'école. La fraternité est-elle une valeur ? Alors on organise concrètement des occasions d'exprimer une solidarité active avec ceux qui en ont le plus besoin, dans l'école, dans la cité, ou à l'autre bout de l'humanité. Le respect de la personne, la dignité humaine sont-elles des valeurs ? Alors on condamne sans appel et l’on interdit en pratique toute manifestation de bizutage, et l’on punit ceux qui s'y adonnent. On pourrait multiplier les exemples : la transmission des valeurs s'effectue principalement par imprégnation culturelle, notamment à travers les relations que les adultes nouent avec les enfants et les jeunes, et dans l'école, les professeurs avec leurs élèves.

         Mais ce n'est pas tout : reprenons l'exemple de l'honnêteté, valeur à la fois privée et publique, morale et politique, dont l'importance saute aux yeux dans la période actuelle, et si mal transmise selon les lycéens. Y aurait-il des discours officiels complaisants pour la malhonnêteté ? Les professeurs eux-mêmes donneraient-ils le mauvais exemple ? Les chefs d'établissement seraient-ils corrompus ? Evidemment pas le moins du monde ! Une partie de la réponse à cette énigme figure dans l'étude de l'inspection générale des établissements et de la vie scolaire sur l'absentéisme des lycéens[13]. Il est probable, y découvre-t-on, qu'au lycée une majorité de justificatifs d'absence sont des faux (motifs, signatures, certificats...) Les CPE le savent et les lycéens savent qu'ils le savent ! Alors pourquoi ce système malhonnête perdure-t-il ? Sans doute parce qu'il est à la fois utile et efficace. Efficace, car la pression matérielle et morale qu'exerce l'institution pour que les élèves justifient leurs absences par un document écrit, permet de contenir l'absentéisme dans des limites compatibles avec l'organisation scolaire. Utile car l'analyse des causes des absences (sauf pour l'absentéisme chronique qui révèle souvent une pathologie scolaire ou autre) montre que c'est le plus souvent « pour la bonne cause », c'est-à-dire dans une stratégie de réussite, qu'on s'absente : révision, « impasse », préservation d’une note, etc. Les valeurs se transmettent donc aussi par le fonctionnement et l'organisation des institutions scolaires. Professeurs et responsables de ces institutions sont donc placés devant une nouvelle difficulté : transmettre des valeurs fait partie de leur mission, mais ils ne peuvent le faire efficacement que si l'institution qu'ils servent les adopte elle-même dans son fonctionnement interne, fonctionnement sur lequel ils n'ont qu'un pouvoir relatif.

Enfin, la transmission des valeurs est liée à l’exercice même de la démocratie : parce qu'elles sont diverses, hétérogènes, irréductibles l’une à l’autre, en tension les unes avec les autres, les valeurs morales et politiques introduisent des possibilités de choix. D’un côté elles sont dépositaires de nos désirs de perfection et, à ce titre, chacune d'elles alimente notre aspiration à l'unité, notre rêve d’harmonie. Mais d’un autre leur pluralité constitue une source inépuisable et sans doute indépassable de discordance, de débat, et donc de liberté. Comment ne pas voir par exemple que dans la dynamique sociale actuelle, le désir de liberté, la recherche d'égalité et le devoir de solidarité, de fraternité, sont en tension permanente, de la cellule familiale à la vie politique la plus globale, en passant par l'établissement scolaire ? Entre les valeurs de la République, pour ne prendre que ces trois-là, nous sommes donc amenés de manière permanente à choisir ou arbitrer. Pour être plus exact, le choix s'effectue moins entre les valeurs elles-mêmes qu'entre leurs applications toujours singulières. Le ministre, le chef d'établissement, le professeur dans sa classe sont sans relâche - les exemples abondent - confrontés à ces régulations entre « mises en actes » des valeurs de liberté, d'égalité et de fraternité. Ainsi, face au caractère en quelque sorte sacré des valeurs, est réintroduit le libre-arbitre humain : si la résolution des différends peut s'effectuer, et s'effectuer en démocratie sur le mode du respect mutuel et de la compréhension réciproque, c'est parce que des positions différentes se réfèrent néanmoins à des valeurs partagées.

 

 

C’est sans doute parce qu’elle est elle-même transition entre deux âges, entre deux mondes, que l’adolescence est aujourd’hui particulièrement fragilisée par une société qui hésite à assurer la transmission des valeurs politiques et morales. C'est pourquoi l'école publique, l’école de la démocratie, devrait non seulement se consacrer à la transmission de connaissances et à la formation du jugement de connaissance, autrement dit l’esprit critique, ce qu’elle fait somme toute fort bien, mais aussi s’occuper sérieusement de la transmission de valeurs et de la formation du jugement de valeur, autrement dit de la préparation à la pluralité des choix éthiques, c’est-à-dire à l’exercice pratique de la liberté dans une société démocratique. 

 

 

Jean-Pierre Obin

Novembre 2003


 

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[1] C. Péguy, Pour la rentrée, Gallimard, 1904

[2] O. Reboul, Les valeurs de l'éducation, PUF, 1992

[3] H. Arendt, « Le concept d'histoire », in La crise de la culture, Folio-Gallimard, p.106

[4] G. Deleuze, Nietsche, PUF, 1965, p. 22

[5] L. Desmedt, « Avoir pour être », Le Monde, 18-10-2003, p.15

[6] P. Ricoeur, Lectures, Le Seuil, 1991

[7] Selon l'étude de P. Bréchon, Les valeurs des Français, A. Colin, 2000, la confiance dans le système d'enseignement a progressé de 54 à 70 % entre 1981 et 1999

[8] R. Ballion, La démocratie au lycée, ESF, 1998, p.223

[9] J. Rawls, Théorie de la justice, Le Seuil, 1987

[10] Par exemple : P. Thibaud, « A la recherche du civisme », Pouvoirs locaux n°10, 1991

[11] P. Bréchon, Les valeurs des Français, A. Colin, 2000

   O. Galland et B. Roudet, Les valeurs des jeunes, L'Harmattan, 2002

[12] H. Lopès, Ma grand-mère bantoue et mes ancêtres les gaulois, Gallimard, 2003, p.42

[13] B. Toulemonde, L'absentéisme des lycéens, Hachette-Cndp, 1998

 
  Les professeurs et la République : Revue de l'inspection générale n°1, "La
République", décembre 2003

LES PROFESSEURS ET LA RÉPUBLIQUE

 

 
 

De nos jours tous les professeurs sont républicains. En effet, qui songe encore parmi eux à renverser le régime politique en place par la violence révolutionnaire ou contre révolutionnaire ? Qui appelle encore, à droite, comme ce fut encore le cas pendant l’Entre-deux-guerres pour de nombreux intellectuels engagés derrière Charles Maurras, à jeter bas « la Gueuse » pour restaurer la Monarchie ? Et à gauche, qui pense encore sérieusement instaurer en France la dictature du prolétariat ? Le Parti communiste français et les organisations qu’il contrôlait, si influents il y a peu parmi les professeurs du second degré, y ont renoncé ; quant aux mouvements gauchistes (c’est une des leçons des mouvements du printemps 2003 selon Michel Wievorka), ils semblent se convertir sous nos yeux, quelques années plus tard, à un républicanisme jacobin plutôt conservateur[1].

Un premier mouvement pourrait donc être d’écarter la question des relations des professeurs et de la République comme ne présentant plus d’intérêt depuis le triomphe sans partage de l’idée républicaine. On sent bien cependant que le consensus n’est qu’apparent, qu’il dissimule chez les professeurs des clivages, des doutes, des difficultés. Les références de plus en plus appuyées à la République, sans doute en partie ambiguës, les invocations de plus en plus fréquentes au « pacte républicain » apparaissent comme des symptômes d’un malaise plus profond ne sachant ou ne pouvant s’exprimer[2]. C’est pourquoi, dans un second mouvement, si l’on accepte d’examiner les relations des professeurs et de la République, on est porté vers trois problématiques, qui renvoient peut-être à autant de niveaux du malaise enseignant.

A un premier niveau on doit examiner la place que réserve la République à ses professeurs. N’a-t-elle pas changé profondément avec la massification des années 60 ? Les professeurs sont-ils encore au cœur de la République, et l’école le cœur du projet républicain ? Qu’est devenue la « République des professeurs » des années 20 ? Notre première partie s’attachera donc à cerner l’évolution de la  position sociale et politique occupée, dans la République, par les enseignants du Secondaire.

A un second niveau, on doit s’interroger sur la signification de la référence à la République pour les intellectuels. L’invocation de l’idée républicaine n’a sans doute pas le même sens, et les mêmes effets, pour un professeur du 19ème siècle et un enseignant du 21ème siècle. C’est l’évolution de l’idéologie républicaine, soumise aux critiques marxiste, libérale, démocrate et, depuis peu, communautarienne – et critiquant en retour ces conceptions – qu’il nous faudra donc examiner dans une seconde partie ; tant on peut faire l’hypothèse que l’engagement des professeurs dans leur métier, la conception qu’ils se font de leur mission, leur éthique professionnelle, sont influencés par la vigueur de ces idées et de ces idéaux.

Enfin à un troisième niveau, on doit se tourner vers l’institution républicaine elle-même, vers cet « Etat enseignant », ce ministère de l’éducation nationale, qui recrute, paye, promeut et contrôle les professeurs, et leur fixe leurs missions. Quelles sont aujourd’hui ses attentes, ses exigences ? Sont-elles vraiment en inflation et en décalage, comme le disent beaucoup de professeurs, par rapport à celles d’hier, plus simples et moins nombreuses ? L’Etat place-t-il vraiment ses fonctionnaires devant le scénario d’un mauvais film : Mission impossible ? Dans la troisième et dernière partie de cette réflexion, on s’efforcera donc de confronter les missions confiées aux professeurs à la réalité de leurs conditions sociales d’exercice.

 

Du cœur de la République au centre de la société

Le corps des professeurs de l’enseignement secondaire est marqué d’une sorte de péché originel : sa conception et ses premiers pas ne sont pas le fait de la République, mais du Consulat et de l’Empire. Héritier des congrégations religieuses enseignantes - mais dégagé de la condition cléricale -, inspiré de l’institution militaire - mais affranchi de ses servitudes - le corps universitaire, fortement hiérarchisé, est marqué dès sa naissance par un strict contrôle de l’Etat[3]. Sa mission est de dégager une petite élite (10 000 élèves fréquentent les lycées à la fin de l’Empire) dans laquelle puisent les Grandes écoles et les grands corps civils et militaires. Très vite après la création du lycée, avec son premier statut de 1808, le professorat devient le cœur d’une nouvelle corporation enseignante. Son fonctionnement interne permet la progression « des places les plus modestes vers les plus hautes en passant par des fonctions très différentes – surveillance, enseignement, administration, inspection – parmi lesquelles le professorat des lycées figure en position intermédiaire.» [4] Cependant, loin de s’aligner sur l’idéologie officielle, comme l’y oblige en principe le décret de 1808[5], les idéaux du corps enseignant vont très rapidement reprendre les valeurs morales et l’idéal de culture désintéressée propre aux humanités classiques, et réinvestir la tradition libérale des universités médiévales[6]. Les attaques dont les professeurs sont l’objet tout au long du 19ème siècle, notamment de la part des autorités de l’Etat, ainsi que la naissance du mouvement amicaliste (ferment du syndicalisme enseignant du 20ème siècle) donnent crédit aux analyses portant sur la puissance et la permanence d’une idéologie universitaire autonome. A la fois désintéressée et élitiste, la corporation universitaire ne se soumet à la contrainte de l’Etat que si celle-ci ménage ses intérêts. Condorcet avait prévenu les conventionnels en 1792 des dangers de ce corporatisme[7]. Soixante ans plus tard Fortoul en fera la difficile expérience avec sa tentative inachevée de réforme du recrutement et de la spécialisation des professeurs, rapidement démantelée après sa mort en 1856.

La 3ème République proclamée, ces idéaux vont se trouver confortés par des gouvernants marqués par des conceptions assez élitistes, voire aristocratiques de la République, et les professeurs disposer progressivement des moyens de leur unité interne et de leur rayonnement externe. En 1876, les lycées ne comptent que 2 350 professeurs et 1 600 répétiteurs, les collèges communaux 3 430 régents et maîtres d’études. Les fonctions y sont toujours très hiérarchisées : professeurs et répétiteurs, agrégés et licenciés, normaliens et anciens maîtres d’études, provinciaux et parisiens. Les répétiteurs ont des perspectives de carrière restreintes par le faible développement de l’enseignement secondaire, mais aussi par le système des « recommandations » et la mainmise des normaliens sur les chaires des lycées parisiens, postes dont les revenus font de leurs titulaires des membres à part entière de la bourgeoisie. [8]

Mais progressivement les mérites – attestés par les inspecteurs généraux – vont l’emporter sur les recommandations, les carrières se débloquer et la mobilité, géographique et fonctionnelle, se développer. Lorsque chacun pourra se reconnaître dans une élite devenue moins inaccessible, la fierté méritocratique, la hiérarchie des prestiges et le jacobinisme pourront s’épanouir dans le corps tout entier. La réforme de 1902 représente une étape essentielle vers cette unification et cette modernisation du professorat. A la fois pédagogique et administrative, elle débouche notamment sur une redéfinition de l’univers professionnel des enseignants : les conditions de rémunération, de travail, de carrière des professeurs s’affranchissent des ressources des établissements grâce à une participation financière accrue de l’Etat, et s’attachent désormais aux individus et aux catégories de fonctionnaires[9]. Le nouveau statut des répétiteurs en fait des fonctionnaires enseignants à part entière, alors même que les professeurs sont contraints de surveiller eux aussi les récréations ![10]. Mais surtout, la loi du 7 avril 1908 uniformise la gestion des carrières en instituant l’avancement automatique, au choix et à l’ancienneté ; le décret du 24 juin 1910 unifie et revalorise le régime des traitements, en resserrant fortement la hiérarchie des salaires ; enfin le décret du 6 septembre 1913 améliore le système du classement et du reclassement en le fondant sur l’ancienneté des services.

Lorsque Albert Thibaudet, agrégé d’histoire, publie en 1927 La République des professeurs, ces derniers, bien que toujours peu nombreux (autour de 20 000), bénéficient tous d’un traitement décent, des garanties d’un statut de fonctionnaire, de conditions de travail enviées et d’une progression de carrière assurée. Leur corps a subi des pertes énormes pendant la Grande Guerre. Leur prestige social et leur poids politique sont au zénith. Ils ont la conscience d’appartenir à une élite nationale et intellectuelle. Leur formation, notamment celle des littéraires, les prédispose à investir les salons, le journalisme et la politique. Comme l’écrit Pierre Albertini : « A la fois doctes et mondains (…), issus des classes moyennes et recrutés sur des qualités aristocratiques de brillant, destinés à l’enseignement mais capables de s’imposer au Quai d’Orsay ou au Palais Bourbon, ils incarnent un des mythes fondateurs de la 3ème République, l’ambiguïté du savoir et du pouvoir. »[11] En 1935, les professeurs de lycée représentent plus de 10 % des députés. C’est aussi l’époque où se développe la figure de l’intellectuel engagé apparue avec l’affaire Dreyfus. Les professeurs se rangent majoritairement à gauche, ce qui n’est pas le moindre des paradoxes si l’on songe à l’élitisme, voire à l’aristocratisme (surtout pour les anciens khâgneux, littéraires et philosophes) qu’ils continuent d’afficher[12].

Paradoxalement, comme le remarque Antoine Prost, c’est une mesure de Pétain, confiant l’enseignement primaire supérieur (dont il se défie) au Secondaire (qu’il souhaite conforter), qui va sonner le glas du règne social des professeurs[13]. En permettant en effet aux élèves des ex-EPS, transformées en collèges modernes, d’accéder au baccalauréat, le régime de Vichy lance le
grand mouvement de démocratisation qui ne fera ensuite que s’accélérer. Pendant les années 50 et 60, on manque donc d’enseignants et s’opère un glissement général du premier vers le second degré avec la création des PEGC et des maîtres des classes pratiques. L’Etat est contraint de créer le CAPES en 1950 puis les IPES, un pré-recrutement à bac+1, en 1957. Les recrutements de masse, qui caractérisent les années 60, fléchissent dans les années 70 pour reprendre de plus belle ensuite. Les professeurs du Secondaire, de 25 000 à la Libération se comptent désormais par centaines de milliers. Parallèlement, les professions intermédiaires et les cadres accroissent leurs effectifs. Les professeurs n’ont plus le monopole de la connaissance et des diplômes universitaires, la profession se banalise avec pour conséquence la perte du prestige social et le déclin politique de la société enseignante. Cette dégradation de l’image et du statut social, à peine atténuée par la revalorisation des statuts et des carrières de 1989, s’accompagne pourtant d’un net embourgeoisement du recrutement (dû en partie à une féminisation croissante) mais aussi d’un certain relâchement des comportements postérieur à 1968 : la tenue vestimentaire et la langue se rapprochent de celles des élèves, un certain discours anti-élitiste  et antiautoritaire fait son apparition.

Lorsque Hervé Hamon et Philippe Rotman font leur enquête en 1984, le corps professoral apparaît comme hypertrophié, hétérogène et travaillé par de vives tensions, tandis qu’il s’est définitivement fondu dans la « grisaille des classes moyennes.»[14] Mais durant la même période, les attentes des Français vis-à-vis de l’institution scolaire n’ont fait que croître. Avec l’urbanisation et la généralisation du salariat, le capital culturel a remplacé le capital économique dans le processus de succession familiale. Plus démocratique (tous, aînés et puînés, filles et garçons, peuvent également y prétendre) le capital culturel des enfants a l’inconvénient majeur - pour des parents qui y investissent de plus en plus de temps, d’énergie et d’argent - d’être certifié par l’institution scolaire ; ce qui scelle une relation faite d’attentes, de dépendance et de frustration du côté des familles, de retrait et de méfiance de la part des professeurs. La « révolution des années 60 » est bel et bien terminée : du cœur de la République les professeurs sont passés au centre des attentes sociales, situation particulièrement exposée et sans doute inconfortable.

Le crève-cœur pour les professeurs est que le triomphe même de l’idéal démocratique auquel ils sont attachés semble être à l’origine des maux dont ils souffrent et se plaignent : hétérogénéité des classes, échec scolaire et violence des élèves. Dans ces conditions, la référence à la République représente sans doute moins un rêve nostalgique de retour vers une « République des professeurs » aujourd’hui oubliée, qu’une attente de sécurité, de protection et d’une action plus forte de l’Etat sur la société : sujet sur lequel, précisément, on semble attendre de nos jours la République.

 

Le rêve républicain

Les professeurs sont donc au cœur des rapports entre l’Etat et la société, ne serait-ce que parce que depuis la Grèce antique l’éducation est un élément central des réflexions de la philosophie politique sur les relations du Politique et du Social. Il est d’ailleurs significatif d’observer comment certains débats contemporains entre « républicains », « marxistes », « démocrates » et « libéraux » puisent dans le fonds de la pensée philosophique grecque pour mieux asseoir leurs conceptions.

Ainsi pour Eric Weil, c’est bien dans les rapports de l’Etat et de la société que l’idée républicaine se distingue de toutes les autres. Pour les républicains, en effet, l’Etat a pour rôle premier, comme chez Platon nous dit-il, d’unifier, de pacifier, de guider le corps social : « L’Etat est l’Etat d’une nation qu’il constitue » ; ce qui de plus, pour la France, seule en Europe, est historiquement vrai. Les « radicaux » (anarchistes et marxistes), les démocrates et les libéraux, à l’inverse, chacun à leur manière, veulent subordonner l’Etat à la société. En ce sens ils s’inspirent plutôt des conceptions d’Aristote, « père de la sociologie politique », qui intègre dans le jeu politique les contingences sociales, contrairement à une république platonicienne où chacun, grâce principalement à l’éducation « place l’intérêt général au-dessus de son intérêt particulier.» [15]

C’est sur cette base aristotélicienne que Rousseau et Locke fondent plus tard leur contrat social : les citoyens placent leurs avantages durables au-dessus de leurs intérêts immédiats et délèguent à l’Etat une part de leur liberté, afin notamment d’assurer leur sécurité. Mais, se demandent les républicains, ces hommes « naturellement égaux, conduits par les mêmes désirs, calculateurs, portés à la recherche de la sécurité »[16] existent-ils vraiment ? Ou bien, à l’inverse, n’est-ce pas l’égoïsme qui prévaut dans la société, et la loi souveraine, omnipotente, médiatrice, n’est-elle pas le seul moyen d’un auto-dépassement moral, le civisme ?[17] Les citoyens n’ont-ils pas besoin d’être éduqués, guidés ? De « frères aînés » selon le mot de Gambetta ? C’est dans cette idée, empiriquement redécouverte dans une République où les républicains sont encore minoritaires, que s’ancre l’élitisme républicain de la 3ème République. Une conception qui entre alors parfaitement en résonance avec la mission initiale confiée aux professeurs par Bonaparte comme avec leur idéologie universitaire. « Il n’y a qu’une certaine partie de la démocratie, proclame Gambetta, qui ait la passion et le souci des choses et des actes des hommes publics. C’est donc à ces hommes plus avisés et plus éclairés qu’il appartient (…) de se faire les instituteurs, les éducateurs, les guides de leurs frères moins avancés du suffrage universel »[18]. Le succès historique des républicains réside sans doute dans l’association de cette conception aristocratique avec le respect des libertés publiques et l’appel à la conscience nationale. Mais ces conditions sont de nos jours dépassées et une double critique, libérale et démocrate, est adressée au républicanisme.

La critique libérale se développe autour de quelques idées force. Pour elle, l’Etat républicain, en produisant une aristocratie qui s’arroge le monopole de la définition de l’intérêt général, a tendance à vouloir brider l’exercice de la représentation majoritaire. De plus, cette élite tend à produire « une approche moralisante de la sphère politique » et « une conception suprême de la vie bonne » [19], et donc à restreindre la sphère des libertés individuelles. L’école républicaine, avec sa prétention universaliste et son éducation civique, est évidemment l’objet des mêmes critiques. Pour les libéraux l’éducation n’est de toute façon pas l’affaire de l’Etat, et l’école doit rester entre les mains et au service des familles. La conception du courant démocrate, qui reprend l’héritage du libéralisme politique en refusant celui du libéralisme économique, est un peu différente.

Aristote, le premier, définit le principe démocratique que développera plus tard Rousseau : « La multitude, écrit-il, composée d’individus qui, pris séparément, sont des gens sans valeur, est néanmoins susceptible, prise en corps, de se montrer supérieure à l’élite, non pas à titre individuel, mais à titre collectif. »[20] Encore faut-il que ce « corps » social puisse respirer. Pour les démocrates, le centralisme, complément naturel de l’aristocratisme républicain, tend précisément à étouffer la société civile en renvoyant les individus à une existence purement privée. Ainsi pour Alain Touraine, ce « triomphe de l’action politique sur l’organisation sociale » n’est rien d’autre qu’un « remplacement de Dieu par le prince.» Le poids politique que fait peser l’unité de la nation sur les libertés publiques constitue selon lui « l’une des formes les plus dangereuses de répression des acteurs sociaux.» En fait, pour les démocrates, c’est l’inverse du principe républicain d’unité qu’il convient de rechercher : « la démocratie n’existe vraiment que lorsque l’unité idéologique du peuple éclate et est remplacée par la pluralité des intérêts, des opinions et des cultures » [21] ; une boîte de Pandore ouverte, pour les républicains, sur la désunion, le règne des lobbies et des factions et, depuis peu, sur le communautarisme identitaire ou religieux ! La critique de John Rawls est voisine, quoique peut-être moins radicale : le politique, développe-t-il, doit se borner à organiser juridiquement la coexistence entre les différentes conceptions morales présentes dans la société, sans qu’aucune ne puisse prétendre à la supériorité dans l’espace public[22]. Tentative philosophiquement illusoire pour Paul Ricoeur, selon qui le droit ne peut en aucun cas se libérer de la tutelle de principes moraux[23].

La question de la possibilité ou de la nécessité d’une morale publique unificatrice semble donc être une des pierres de touche du débat actuel entre démocrates et républicains. La tentation, bien exprimée par Sylvie Mesure et Alain Renaut, est alors de chercher à concilier idéaux démocratiques et républicains, dans « un républicanisme proprement politique », amoral en quelque sorte, et qui donc « mettrait l’accent bien moins sur la fonction éducative de la loi que sur la création de structures politiques plus participatives et plus démocratiques.» Mais cette conception « non directive », simplement « facilitatrice » de l’Etat ne remet-elle pas en cause le rôle de l’école publique et l’engagement de nombre de ses professeurs ?

Le malaise enseignant se nourrit évidemment de ces débats : l’hétérogénéité des élèves n’est-elle pas le modèle réduit de l’éclatement idéologique que les démocrates appellent de leurs vœux, et de la fragmentation sociale dont ils dressent, sans regret, le constat ? L’école républicaine, égalitaire et universelle, n’a jamais existé, nous disent-ils : son efficacité était fondée sur une sélection sociale féroce et l’existence de trois ordres étanches d’enseignement, le Primaire, le Secondaire et le Privé. Le mythe du temple républicain du perfectionnement intellectuel et moral a donc vécu. « Souhaiter sa pérennité, c’est d’une certaine façon en appeler au maintien d’un mode de sélection et de formation des élites » écrit Michel Wievorka[24]. C’est bien là que le bât blesse les professeurs. Si l’élitisme républicain a vécu, si l’éducation morale, par ailleurs abandonnée par beaucoup de familles désemparées, n’est plus du ressort de l’école publique, alors peuvent-ils encore enseigner ? L’école républicaine n’a jamais été un âge d’or ? Certes, et cela dispense de pleurer sur sa prétendue disparition ! Pour autant peut-on lui contester aussi une vocation à constituer un idéal d’action ? Peut-on enseigner aujourd’hui, en collège ou en lycée, sans un idéal d’unité autour de l’idée d’un service public, d’un engagement social, moral et politique au service de la nation tout entière, d’obligations qui transcendent et justifient les droits, du retrait laïque des conceptions spirituelles sur la vie privée ? Bref, peut-on vraiment être professeur, de nos jours, toute une vie, sans rêver de République ?

 

« Mission impossible » ?

Lorsqu’on interroge aujourd’hui les professeurs un peu anciens dans le métier sur ce qui a surtout changé pour eux depuis leur entrée dans l’enseignement (comme nous avons eu récemment l’occasion de le faire), ils désignent invariablement les élèves[25]. Leur façon d’être et de travailler n’est plus la même, disent-ils, et leur comportement s’est dégradé : plus audacieux et moins travailleurs, ils n’acceptent plus d’emblée les règles et les codes scolaires, leur motivation semble plus faible, ils travaillent plus difficilement à la maison, manquent d’attention et ne savent plus se fixer sur une activité. Certains professeurs dénoncent aussi la dégradation du climat des classes et la nécessité du travail éducatif auquel ils sont contraints. Ceux qui exercent dans certaines banlieues populaires racontent qu’il leur arrive parfois de n’être plus considérés comme des personnes singulières, mais rejetés comme des représentants indifférenciés de l’ordre établi, ou bien des corps étrangers au « territoire », ou encore les porteurs d’un savoir jugé « toxique ». La laïcité semble ici et là bafouée par l’obscurantisme religieux, ainsi que par l’antisémitisme de certains élèves, qui vise leurs condisciples, mais aussi les professeurs et leur enseignement. A ce sentiment de dégradation, s’ajoute l’idée que l’institution leur impose des tâches alourdies et que leur position dans la société ne cesse de se dégrader. Face à cette situation, loin de les défendre et les protéger, l’administration tiendrait sur leur manière d’exercer le métier un discours dénonciateur et culpabilisant (le discours sur les TICE est par exemple fort mal ressenti) qui dessinerait une image déplorable de leur profession.

Qu’en est-il en vérité des attentes de l’Etat et des missions confiées aux professeurs ? Il semble bien que l’injonction à « travailler autrement » soit en fait constante depuis la réforme Fortoul de 1852. Une lecture des rapports officiels depuis cette époque fait ressortir trois angles d’attaque récurrents : pédagogique, éducatif et organisationnel[26]. Dans le domaine pédagogique, la réforme de 1902 a eu pour effet sur le long terme de diminuer puis de supprimer le temps d’étude des élèves. Ce désengagement s’est traduit par une pression permanente pour que les professeurs assurent, en classe, à la fois leur mission d’enseignement et une « nouvelle » mission de direction d’étude (« aider les élèves à apprendre »). Pour le domaine éducatif, le rapport Ribot de 1899 note déjà le peu d’attrait des professeurs pour l’éducation des élèves. En fait les enseignants, surtout dans les collèges, assurent presque toujours une fonction éducative sans laquelle ils ne pourraient instaurer dans la classe un climat propice au travail. Le temps qu’ils y consacrent est très variable ; à l’extrême, on observe des classes où une partie minoritaire du temps subsiste pour l’enseignement proprement dit[27]. Mais les professeurs semblent toujours aborder ces activités avec beaucoup de réserve, rarement comme faisant partie de leur mission. Le troisième domaine, celui de la place des enseignants dans l’organisation scolaire, se traduit par des recommandations, présence accrue dans l’établissement et travail plus collectif, qui ont peu évolué depuis au moins un siècle. La réforme Fortoul constitue la première tentative d’imposer une présence plus continue des professeurs dans l’établissement, à laquelle le rapport Ribot, un demi-siècle plus tard, ajoute les idées complémentaires d’autonomie des établissements, de renforcement du rôle pédagogique de leurs chefs et d’une collaboration nécessaire entre professeurs des différentes disciplines. Ces orientations sont désormais classiques. On les retrouve pour la première fois rassemblées dans la circulaire de mission du 23 mai 1997, un texte qui dessine aussi, en filigrane, une éthique professionnelle : autorité, équité, souci des élèves, sens du service public, idéal laïque, respect du droit et loyauté envers l’institution.

Sans cultiver excessivement le goût du paradoxe, on peut donc soutenir que ce qui provoque l’actuel malaise des professeurs serait moins la modification des attentes de l’institution et des missions qu’elle leur confie, que le changement des conditions sociales dans lesquelles ils doivent les remplir. Résumons ses principaux traits : approfondissement du mouvement d’individualisation, crise de l’autorité, délégitimation des institutions, mutation des rôles sociaux et familiaux, explosion des échanges et de la culture de masse. Ces évolutions socioculturelles semblent difficilement réversibles : d’une manière ou d’une autre elles participent ou sont la conséquence d’un mouvement de longue durée qui anime l’Occident depuis la Renaissance (et qui entraîne aujourd’hui, non sans conflits, le reste du monde), que Marcel Gauchet appelle, après Max Weber, le « désenchantement du monde.» La question est donc moins de savoir si l’Etat prépare les professeurs à de nouvelles missions que d'apprécier s’il les prépare convenablement aux conditions sociales actuelles d’exercice de leur métier. On peut en douter lorsqu’on observe, par exemple, la nature de leur formation universitaire, ou bien le type d’exigences des concours de recrutement, inchangés depuis bientôt deux siècles.

 

 

Le prochain renouvellement du corps enseignant peut offrir l’occasion de réfléchir à cet état de fait. Les enjeux du moment ne sont pas seulement quantitatifs, mais aussi pédagogiques, éducatifs et institutionnels. Il faut insister en particulier sur ce dernier aspect : le rajeunissement du corps enseignant peut être l’occasion de tenter de pacifier les relations entre les professeurs et leur employeur. Encore faudrait-il que la référence commune à un « pacte républicain » sans cesse invoqué mais rarement explicité, débouche sur une traduction consensuelle des grands principes de la République aux réalités du monde d’aujourd’hui. Objectif peut-être moins inaccessible qu’il y paraît si l’on veut bien observer combien, peut-être encore davantage qu’hier, le métier d’enseignant reste un métier éthiquement marqué ; et combien le choix de la profession représente, dans l’imaginaire de beaucoup de jeunes, un aspect de résistance à une société marquée par la recherche du profit, le retrait sur la sphère privée, la perte des références morales et des valeurs de l’engagement collectif ; celles, précisément, de la République.

 

Jean-Pierre Obin


 

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[1] M.  WIEVORKA, Chirac et le néogauchisme, Libération du 14 août 2003, p. 6

[2] Cf. par exemple la revue du SNPDEN, n° 111, septembre 2003, « Laïcité et pacte républicain », p. 23

[3] D. JULIA, La naissance du corps professoral, Actes de la recherche en sciences sociales, 39, 1981, pp. 71-86

[4] P. SAVOIE, Les enseignants du Secondaire, tome 1 : 1802-1914, INRP-Economica, 2000, p. 21

[5] Article 38 du décret du 17 mars 1808 : « Toutes les écoles de l’Université impériale prendront pour base de leur enseignement (…) l’obéissance aux statuts du corps enseignant, qui ont pour objet l’uniformité de l’instruction, et qui tendent à former, pour l’Etat, des citoyens attachés à leur religion, à leur prince, à leur patrie et à leur famille »

[6] P. SAVOIE, op. cit., p. 22

[7] « Il faut qu’ils [les professeurs] ne puissent rien gouverner en commun, ni influer sur les places qui vaquent parmi eux (…) ; empêcher que l’instruction, qui est instituée pour les élèves, ne soit réglée d’après ce qui convient aux maîtres » : CONDORCET, Second mémoire sur l’Instruction publique, Edilig, 1989, p. 124

[8] P. ALBERTINI, L’école en France 19e-20e siècles, Hachette Supérieur, 1992, pp. 41-42

[9] P. SAVOIE, op. cit., p. 85

[10] Circulaire du 1er août 1906

[11] P. ALBERTINI, op. cit., p. 122

[12] J-F. SIRINELLI, Génération intellectuelle, khâgneux et normaliens de l’entre-deux-guerres, Fayard, 1989

[13] A. PROST, Histoire de l’enseignement en France, A. Colin, 1979

[14] H. HAMON et P. ROTMAN, Tant qu’il y aura des profs, Le Seuil, 1984

[15] E. WEIL, La philosophie politique, Encyclopédia Universalis, t. 18, p. 550-555

[16] idem

[17] C. NICOLET, L’idée républicaine en France, Gallimard, 1982, pp. 357-385

[18] Discours du 26 septembre 1872, cité par P. ROSANVALLON, Le sacre du citoyen, Gallimard, 1992, p. 372

[19] S. MESURE et A. RENAUT, « La discussion républicaine du libéralisme moderne », in A. RENAUT, Les critiques de la modernité politique, Calmann-Lévy, 1999, p. 356-357

[20] ARISTOTE, Politique, L. III, ch. II, Vrin, 1970, p. 214

[21] A. TOURAINE, Pourrons-nous vivre ensemble ? Fayard, 1997, pp. 391-392

[22] J. RAWLS, Théorie de la justice, Seuil, 1971

[23] P. RICOEUR, Le Juste, Esprit, 1995, p. 73

[24] M. WIEVORKA, Régis Debray ou l’arrière-garde, Le Monde du 31 mars 1998

[25] J-P. OBIN, Enseigner un métier pour demain, La Documentation française, 2003, pp. 30-39

[26] P. SAVOIE, « Eléments d’analyse historique de la littérature officielle sur les enseignants du Secondaire », in J-P. OBIN, op. cit.

[27] A. VAN ZANTEN, L’école de la périphérie, PUF, 2001

 

Créé par Jean-François Launay