E. N. et décentralisation

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Un travail sur la décentralisation réalisé par le groupe de liaison, de réflexion et de propositions de l'Académie de Lyon
   

Education nationale et décentralisation

Les structures de l’Education Nationale sont encore celles mises en place par l’Etat Républicain pour organiser l’Instruction publique. Les établissements scolaires ont pour mission d'accueillir enfants, adolescents, adultes pour former et éduquer selon les directives d'un ministère. Ce dernier impose programmes et méthodes pédagogiques, attribuent des moyens : il contrôle, évalue, labellise les acquis individuels. Les règles initiales de l’Instruction publique sont demeurées celle de l’Education Nationale. Aujourd’hui le fonctionnement de l’Education Nationale est à la fois contesté et défendu. La décentralisation apparaît nécessaire mais on ne sait pas comment la mettre en œuvre sans provoquer blocages et évolutions contestables.

   

1. La naissance de l’instruction publique explique les craintes des enseignants

 
 

Dès l'origine La République s'est naturellement attribué la mission d'éducation qui était jusque là réservée à la toute-puissante Eglise catholique. Les objectifs de l'Eglise visaient avec l'adhésion et le soutien du pouvoir politique de modeler les esprits, guider la conscience des enfants, transmettre la foi, le message révélé, enseigner une morale qui ne pouvait être que religieuse, transmettre des vérités acquises.

La République a investi et occupé l'édifice; elle s'en est servie, lui donnant un autre sens, le destinant à " Faire bien l'homme". L'esprit des lumières a déterminé une action d'éducation, mais il a assumé l'héritage : la construction ancienne est restée en l'état: structures, méthodes, contenus ont été repris. L'objectif est différent; il s'adresse à l'homme rationnel et non plus au croyant; mais la hiérarchie structurée, le vocabulaire utilisé, la morale enseignée, la volonté de promotion des meilleurs, tout rappelle le passé.

Cette occupation de l’édifice éducatif par l’Etat se fait au moment où la République continue l’effort de la Monarchie, de la Révolution jacobine et de l’Empire, pour établir un Etat centralisé « maintenant en un même lieu, dans une même main le pouvoir de décision ». La République a fait de l'école le lieu où s'est institué la Nation unitaire confondue avec l’Etat centralisé. Le citoyen est l'individu socialisé, libre, fraternel doté des meilleures chances de réussite et pouvant participer à la démocratie représentative grâce à une école lui permettant de s'épanouir et d’accéder à la raison. Cette école est un des bras de l’Etat pour assurer l’unité nationale ; ses agents, notamment les « hussards noirs de la République » sont les responsables, les garants de l’unité de la nation.


 

La République a fait de l'école le lieu où s'est institué la Nation unitaire. Le citoyen est l'individu socialisé, libre, fraternel doté des meilleures chances de réussite grâce à une école lui permettant de s'épanouir.

On comprend la vigilance des enseignants, héritiers de la tradition de cette école républicaine, ils craignent que la décentralisation appliquée à la politique républicaine d’éducation conduise à un éclatement territorial qui risquerait de faire passer au second plan l’unité nationale et ses valeurs d’égalité des chances, de laïcité, d’intégration sociale et culturelle. Ils redoutent qu’en voulant privilégier l’objectif de développement régional on privilégie, du même coup ; une politique d’éducation plus professionnalisante que « humanisante ». Rendre souverains des territoires inégaux en matière d’éducation serait pour eux porter atteinte aux principes républicains qui fondent le rôle de l’Education Nationale dans la société française et sa mise en œuvre centralisée. La décentralisation de l’Education Nationale apparaît encore à beaucoup des enseignants et plus généralement des Français un risque d’éclatement de la Nation, de création d’inégalités et de soumission au pouvoir économique. Toucher aux principes du système éducatif apparaît mettre à mal la communauté nationale.


 

Le débat entre centralisation et décentralisation est d’autant plus vif que l'effort financier de la Nation est à la mesure de l'importance du système d'éducation. La répartition des moyens dans un souci égalitaire est assurée par le réseau des recteurs et des directeurs départementaux. Entretien et constructions des établissements appartiennent aux collectivités communales, départementales ou régionales. L'établissement scolaire gère ce qui lui est attribué tout ne bénéficiant d'aucune liberté d'action. Ces moyens quels qu'ils soient sont cependant toujours contestés parce que jugés insuffisants. Les problèmes rencontrés par les acteurs de l'éducation trouvent, sinon des solutions, du moins des réponses dans l'urgence des réformes successives imposées parfois sans préparation. Les pouvoirs politiques ont organisé colloques et rencontres spectaculaires, mais les conclusions qu'ils en tirent sont bien en deçà des demandes formulées.

 

2 La conception initiale de l’Education Nationale contestée

 
 

Peu à peu la conception française d’une Education Nationale fortement marquée par la centralisation et son rôle dans la construction d’une Nation unitaire affirmant sa souveraineté a du évoluer. L’Etat National a cédé une partie de ses fonctions soit à des instances européennes soit, pour mieux coller au terrain, à des collectivités locales. L’Etat National apparaît aujourd’hui à beaucoup trop petit pour les grands problèmes, et trop grand pour ceux qui intéressent la quotidienneté des citoyens. Cette mise en cause de la centralisation est d’autant plus forte qu’elle s’est avérée de moins en moins capable d’assurer l’égalité des chances.

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21 Par la mise en question de la centralisation jacobine

 
 

La Nation républicaine n'est plus souveraine, elle est contrainte à des ententes, des partages de pouvoir, des regroupements. Le progrès technologique, la concurrence internationale et la pression de l'économie dominante sont à l'origine de cet effacement des repères anciens identifiés par les citoyens. Le concept traditionnel de l’Etat-Nation est fragilisé, au moins en Europe occidentale où s’amorce un regroupement de nations fédérales ou centralisées. C’est une révolution difficile pour la France que d’envisager simultanément sa participation à l’Union européenne et une dévolution interne des pouvoirs politiques à des territoires autonomes, parties de la Nation : communes, départements, régions ou autres.

Peu à peu l’Etat National perd ses chasses gardées au plus grand profit de l’Europe et des collectivités locales et notamment des Régions. Ainsi en France, on assiste conjointement à l’accroissement des compétences de l’Union européenne et à celles des Régions dans les domaines de la formation et de l’Education.
 

L’Union Européenne prend pied dans l’éducation
 

Au départ, l’Union européenne n’obtint que de s’intéresser à la formation professionnelle et permanente. De leur côté les Régions françaises bénéficièrent de ce transfert de compétence qu’à partir de 1993. L’étroite liaison entre le développement et la compétitivité économique justifiait le rôle de l’Union Européenne. La nécessité de mieux organiser la formation professionnelle en articulation avec l’aménagement du territoire et avec l’évolution de l’économie et des compétences a été la principale justification du transfert de cette compétence aux Régions. Dans la formation initiale l’affirmation de l’autonomie des Universités permettait cependant une autre extension des compétences des Régions. Elles pouvaient au travers des programmes pluriannuels faciliter ou non le développement de certaines filières. Depuis 1986, les Régions ont aussi en charge de l’entretien et de la construction des Lycées en liaisons avec les services des Rectorats. Toutefois, les personnels des établissements publics, l’organisation et le contenu de l’enseignement continuaient à dépendre uniquement du Ministère de l’Education Nationale. De son côté, longtemps l’Union Européenne ne se mêlait pas de la politique éducative des Etats Nationaux, elle demeurait leur chasse gardée. Tout au plus était-elle autorisée à soutenir des programmes de recherches. Certaines régions ont aussi profité de cette possibilité mais beaucoup plus timidement que l’Union Européenne.

Aujourd’hui, « l’apprendre tout au long de la vie » (en anglais Long Life Learnirg) (1) met plus directement en causse cette chasse gardée des Etats Nationaux

Elle a d’abord été introduite dès 1996 par la rencontre des ministres de l’éducation nationale des pays membre de l’OCDE qui a reconnu la nécessité de favoriser pour tous « l’apprendre tout au long de la vie ». Les sommets européens de Lisbonne en 2000 et celui de Stockholm en 2001 en on fait un des principaux objectifs stratégiques de l’Union Européenne pour la décennie à venir. Elle doit permettre à l’Europe, tout en mieux garantissant à chaque individu un emploi, de « devenir l’économie de la connaissance la plus compétitive du monde ». Cette irruption des instances européennes n’est pour l’instant qu’une incitation à modifier dans chaque Etat le système éducatif. En effet l’éducation de base demeure de la compétence des pays membres qui peuvent l’organiser comme bon leur semble. Toutefois, l’Union les appelle à modifier, au niveau des lycées professionnels, les contenus et les méthodes d’enseignement afin de mettre en œuvre l’apprendre tout au long de la vie. Une harmonisation des politiques éducatives commence ainsi à se mettre en œuvre, il est probable qu’elle s’étendra bien au-delà des lycées professionnels.

Introduit pour des raisons économiques et sociales, « l’apprendre » tout au long de la vie exige en fait un bouleversement des systèmes éducatifs.

Il impose une double rupture. Tout d’abord, il y a inversion des perspectives, on passe de l’enseignement à l’apprentissage et de l’enseignant à l’apprenant. Cette inversion qui confère un statut d’acteur à l’apprenant entraîne une transformation radicale des rôles et des responsabilités des formateurs, des enseignants et des institutions éducatives qui encadrent leur action. La demande devenant prioritaire, il sera de plus en plus difficile de déterminer d’un ministère comme organiser la formation initiale. Ensuite, cette notion d’apprentissage tout au long de la vie englobe les anciens concepts de formation initiale et continue, tout en les dépassant. On ne peut plus penser la formation initiale professionnelle ou non indépendamment de la formation continue. Les compétences de la Région dans la formation professionnelle ou continue permettent son intrusion dans la formation initiale.

 

Les collectivités locales aussi
 

Cela va bien au-delà de la loi de 1982 qui a admis que l’existence « d’intérêts spéciaux à certaines parties de la Nation » conduisait à une certaine autonomie politique et encore plus loin que la création déjà ancienne d’écoles professionnelles et commerciales sous l’égide des chambres consulaires qui ont un statut de collectivité locale. En tout cas depuis la loi de 1983, dans l’éducation des territoires identifiés sont responsables des implantations, constructions et entretien des établissements scolaires : pour les écoles primaires la commune, le département pour les collèges et la région pour les lycées. Le système est cependant resté aux mains de l’Etat régalien gestionnaire d’un ensemble cohérent répondant à l’avenir de la Nation. Il apparaissait souhaitable d’aller vers un pouvoir central qui impulse, régule et contrôle mais abandonne la gestion des équipements confiés aux pouvoirs politiques territoriaux et partage avec eux des actions péries ou post scolaires : initiations sportives ou culturelles, s’engageant dans la participation à une politique éducative au niveau de l’établissement. Allant plus loin la dernière réforme constitutionnelle introduite même la décentralisation dans la constitution

 

Et l’enseignement privé est maintenant reconnu

 

Pour faire face à la croissance rapide des populations à scolarisée et pour tenir compte du désir de bon nombre de parents L’Etat a accepté de conventionner des établissements privés. Par le mécanisme du conventionnement mais aussi par le développement d’établissements ou d’associations spécialisées ou préparant aux concours, une éducation privée est rentrée dans le paysage du système éducatif. Le mouvement s’est en partie installé dans le consumérisme qui motive biens des familles, plus préoccupées d’offrir à leurs enfants la meilleure école possible que par la défense d’une école républicaine…ou confessionnelle. Si l’Education Nationale garde un contrôle, elle perd un peu, dans l’esprit des citoyens, la nécessité d’un monopole. D’autant plus que lorsque des enseignants du public et du privé se rencontrent, ils parlent plus des problèmes qu’ils rencontrent dans leurs relations aux enseignés, de leurs pratiques, que des rapports entre l’école privée et une école républicaine ; ils se sentent tous également chargés d’une éducation citoyenne.

 

1) nous traduisons « long life learning » par « apprendre tout au long de la vie » de préférence à « l’éducation et la formation tout au long de la vie » qui maintien la coupure entre la formation et l’éducation et à « l’apprentissage tout au long de la vie » le terme d’apprentissage évoquant en France un dispositif et non « l’apprentissage » au sens de Piaget.

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22 Par les défaillances du système centralisé pour assurer l’égalité

 
 

Dans sa conception initiale, l’Education Nationale avait pour but non seulement d’assurer la cohérence nationale mais aussi de permettre la promotion de tous en fonction du mérite. L’espoir donné à tout enfant qui le mérite d’accéder aux fonctions dirigeantes était aussi une garantie de la cohésion nationale.
 

Or dés son origine cette mission ne pouvait être qu’imparfaitement réalisée et les défauts originels se sont peu à peu aggravés et ont trop souvent accentué les inégalités. Le rapport de Condorcet d’Avril 1792, l’acte fondateur du système éducatif français, destine l’enseignement secondaire à trouver des élites parmi les enfants de la bourgeoisie, classe dont les familles n’avait pas besoin du travail de leurs enfants. Pour les autres familles l’enseignement primaire devait seulement donner une instruction de base. Ce rapport mena à l’instauration du baccalauréat et à la création des Grandes Écoles ( La Convention ferma les Universités qui ne furent réouverte sous l’empire qu’en ce qui concerne le Droit et la Médecine). Les élites de l’Ancien Régime fuyaient à l’étranger, des armées étrangères tentaient d’envahir la France. Il fallait d’urgence former des généraux, des administrateurs et des ingénieurs. La sélection de futures élites à 18 ans permit de le faire. Le résultat fut à la hauteur des espérances, la Révolution et l’Empire bénéficiaires de cadres que les autres pays ne possédaient pas.

 

Une sélection qui contredit souvent l’égalité des chances

 

Une sélection à un âge où un jeune ne peut encore faire la preuve concrète de leur valeur par son apport à la connaissance, n’est pas aisée. On doit essentiellement évaluer sa capacité de raisonnement et d’abstraction. Le latin et surtout les mathématiques devinrent en France les disciplines phares. La forme d’intelligence privilégiée défavorise les enfants des milieux modestes et dévalorise l’enseignement professionnel. La situation est bien différente en Allemagne où la sélection des élites se fait à la fin des études supérieures ; à cet âge l’étudiant peut faire la preuve de son apport à la connaissance. La formation par la recherche y compris appliquée est la voie royale des élites allemandes. En France c’est en passant des concours à la fin l’adolescence qu’on entre dans la voie royale.

On ne peut nier l’efficacité du système français pour sélectionner des élites. Malheureusement cette sélection commence trop tôt et provoque l’exclusion. Dès la fin du primaire, on peut dire qui pourra faire des études supérieures, dès la quatrième qui pourra préparer une grande école. Les modalités de la sélection exclue tous les enfants qui n’ont pas une intelligence correspondante aux critères de la sélection. Quand ce système ne s’appliquait qu’à peu de jeunes, ses conséquences négatives étaient faibles. Aujourd’hui l’essentiel d’une génération arrive au Bac. La priorité à l’intelligence abstraite multiplie les “laisser pour compte”. En s’engouffrant dans l’enseignement général, les jeunes ne comprennent pas que bien peu d’entre eux parviendront à intégrer la filière des grandes écoles. Pour tenter de réduire leur handicap, certains prolongent démesurément leurs études. Elles ne leur ouvrent pas pour autant l’accès à “l’élite” dirigeantes des entreprises (les 3000 number one) qui est monopolisé à 85% par les anciens élèves de 5 grandes écoles. Ceux issus de l’Université sont même moins nombreux que les d’autodidactes. Notre sélection des élites se traduit par un déchet énorme et s’éloigne de plus en plus de l’idéal de la méritocratie républicaine. Il y a de plus en plus dans les grandes écoles « d’enfants d’archevêques » et l’enseignement professionnel demeure dévalorisé. En dépit de l’instauration d’un bac professionnel et des BTS il continue à galérer en marge de la voie royale et des routes universitaires secondaire. Le système jacobin centralisé et la sélection les élites dès le plus jeune âge a abouti à d’immenses inégalités.

 

Des réformes souvent illisibles et qui n’arrangent rien

 

Depuis quelques décennies, des réformes se sont ajoutées aux réformes. Les résultats des mesures prises sont décevants. Ainsi le collège unique en voulant traiter tous les enfants de la même manière a favorisé les enfants dont les familles peuvent assurer le suivie. Par exemple la mise à la disposition pour l’année scolaire en cours des livres scolaires a avantagé les enfants dont les parents peuvent acheter les livres de l’année précédentes et possèdent une bibliothèque. De toute manière par la combinaison d’un subtil choix des options et des critères qui gouvernent la promotion des enseignants les « bons élèves » se retrouvent avec les « bons professeurs ». Comme l’ont bien montré les études d’Antoine Prost les tentatives de démocratisation dans le cadre d’un système éducatif centralisé ont coïncidé avec un arrêt, voire un recul, de la démocratisation. Le choix d’un collège transmettant prioritairement des connaissances disciplinaires renforce la production d’inégalités.
 

Un poids de plus en plus lourd de l’environnement inégalitaire.

Emerge de fait plusieurs systèmes éducatifs et plusieurs métiers d’enseignants. Enseigner dans bien des zones ou quartiers difficiles ou encore dans certains collèges ou lycées professionnels voir technique, obligent les enseignants à affronter des problèmes sur lesquels ils n’ont pas de prise et dont ils se sortent parfois de façon admirable. Cette situation n’a plus grand chose de commun avec la filière des bons lycées de centre ville avec leurs classes préparatoires destinées à la production des élites.

 

3 La recherche d’une nouvelle organisation de l’Education Nationale

 
 

Le système éducatif français est désormais sommé de se transformer, le statu quo n’est plus possible mais la réforme du système est difficile. Son rôle dans la constitution de la Nation fait craindre une réforme qui aboutirait à éclatement non seulement de l’Education Nationale mais aussi de la Nation. On est aujourd’hui à la recherche de la solution qui permettrait à l’Education Nationale de continuer à remplir ses missions traditionnelles tout en s’adaptant aux nouveaux objectifs des systèmes éducatifs. En comprenant les craintes des enseignants, voire en s’appuyant sur elles, sans les réduire à des revendications corporatistes, on peut dégager quelques lignes de réflexion.

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31 Eviter risques d’éclatement

 
 

Pour beaucoup, la « capitis diminutio » de l’Etat Nation et les impasses actuelles de notre système éducatif aboutissent à faire de la décentralisation une possibilité de progrès. En effet la décentralisation ne débouche pas forcément sur l’inégalité et peut permettre d’introduire plus de souplesses et d’ajustement aux situations particulières. La régionalisation de la construction des Lycées a plutôt aboutit à une diminution des inégalités dans ce domaine. Les arguments avancés pour dénoncer le risque de main mise patronale sur l’éducation et l’orientation font parfois penser à ce qu’on disait à propos de l’apprentissage et de l’alternance dans les années 1980.

 

Aujourd’hui l’alternance n’est pas encore généralisée mais son principe est acquis et s’étend au niveau Universitaire. Une nouvelle liaison entre les entreprises et le système éducatif, entre l’emploi et la formation, s’instaure sans qu’il y ait pour autant une inféodation aux pouvoirs économiques. Des innovations ont lieu et changent de l’époque où un élève d’Ecole de Commerce ne mettait pas les pieds dans une entreprise durant toute la durée de ses études. Avant de crier au loup il faut tenir compte du résultat des expérimentations en cours et en vraie grandeur. Reste à savoir ce qu’il adviendrait si l’Etat perdait son contrôle d’ensemble sur le système éducatif.

 

Par ailleurs la coupure entre l’enseignement public et l’enseignement privé a été aménagée sans provoquer des inégalités supplémentaires. Les établissements privés sous contrat d’association ont été officiellement intégrés dans le système éducatif français, de plus en plus de leurs enseignants sont issus des concours de recrutement de l’Education Nationale et sont de fait des agents de l’Etat Républicain. Même si la manière dont sont actuellement réglés les rapports entre l’enseignement public et l’enseignement public est loin d’être entièrement satisfaisante on ne peut affirmer qu’elle aggrave les inégalités. Cette évolution a même permis à des jeunes issus de milieux populaires d’intégrer des établissements privés plus adaptés à leurs problèmes tout en les soumettant aux règles édictées par l’Etat. Là encore reste à savoir ce qu’il adviendrait si l’Etat transférer son contrôle aux Régions.

 

Cependant la façon dont le gouvernement Raffarin a engagé la décentralisation de l’Education Nationale à propos des personnels Atos et de l’orientation a mené à une impasse. On a voulu décentraliser sans négocier ni même véritablement préciser les objectifs. Des personnels, pourtant tout acquis au bon fonctionnement du service public, n’y ont vu que de sordides raisons budgétaires. Il a semblé que la délocalisation des charges était la principale explication de la hâte gouvernementale. Rien n’est pire que de laisser penser que se sont des préoccupations à court terme qui gouvernent la réforme de l’école. Même les Régions ont été prises de cours. Si l’erreur de méthode n’est pas rattrapée, elle sera encore plus grave que celle qui entache la nécessaire réforme des retraites.

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32 . La décentralisation doit d’abord promouvoir une démocratie de proximité

 
 

Une décentralisation mal engagée serait d’autant plus dommageable qu’elle risquerait de compromettre à terme une véritable décentralisation et le ré-enracinement de l’engagement citoyen dans la proximité. Seul ce dernier peut faciliter des coopérations provisoires et concrètes ou encore l’écoute de l'autre sans laquelle les liens sociaux se délitent et le débat démocratique tombe dans la polémique stérile. Il ne suffit pas de redonner un peu de clarté dans l’organisation de la subsidiarité. Il faut aussi, à tous les niveaux, réapprendre à débattre. Il faut passer de la consultation informative et descendante à la consultation participative et remontante, avec un véritable droit d’initiative obligeant les pouvoirs politiques au moins à en débattre. Cela peut inclure des formes nouvelles de négociation tout en conservant au pouvoir politique la responsabilité de la décision finale.

 

La décentralisation devrait faciliter cette « consultation participative » à condition qu’on ne multiplie pas les petits Paris et de ne pas promouvoir un jacobinisme de proximité. Ce serait sans aucun profit pour la démocratie et aller vers un dangereux éclatement du système éducatif français. La gestion de personnels et de crédits ne doit pas être l’essentiel des objectifs de la décentralisation. La délocalisation des charges n’est pas l’essentiel. Il est par exemple plus important de faire en sorte que les politiques régionales et locales viennent en appui d’une réelle autonomie des établissements scolaires que de leur transférer des charges sans modifier le fonctionnement de l’institution scolaire publique.


 

Par ailleurs, l’autonomie nécessaire de l’établissement ne doit pas faire croire que ce dernier peut être géré comme une entreprise cherchant à répondre aux exigences de son marché. Partir de l’élève ne doit pas faire oublier les objectifs sociaux et politiques de l’école.

Le rapport présenté par l'institut Montaigne apporte, par exemple, des réponses inacceptables. L'objectif qu'il désigne à l'école est la recherche de talents et la promesse pour ceux-ci d'ascension sociale. Pour cela il faut, selon ce rapport, donner à l'établissement une autonomie quasi totale proche de l’indépendance, donner à celui qui le dirige des pouvoirs de chef d'entreprise lui permettant d'embaucher les professeurs fonctionnaires ou non. Dans les propositions de ce rapport, le conseil d'administration qu'il préside à des missions étendues en matière" humaines et financières". Le chef d'établissement recueille les avis d'un " conseil stratégique" de membres désignés par le recteur et émanant pour majorité du monde économique, social et culturel. Son avis est déterminant pour l'orientation du projet d'établissement et le budget.

 

Vouloir mieux insérer l’école dans l’économie n’est pas la soumettre aux dictats du marché. Les propositions de l’institut Montaigne sont très politiques et sous-tendent une vision de l'école et de l'éducation différente des objectifs initiaux, ceux qui ont fait d'elle un lieu de formation du citoyen responsable ouvert à tous et conduisant chaque élève au plus haut niveau possible d'instruction et d'éducation: une école visant à la promotion de tous.

Ce projet de l'institut Montaigne à une différence fondamentale avec un projet républicain. Il s'inscrit dans un environnement social et économique et sera fatalement inégalitaire. L'esprit de libre concurrence entre les établissements est à sa base. La liberté de choix des enfants et des parents n'est qu'apparente, c'est la discrimination sociale qui guidera de manière inéluctable les conditions de chacun : "les meilleurs enseignants" seront réservés aux "meilleurs élèves" et feront les " meilleurs établissements ". Nous sommes tout près d'une école livrée au marché, une école utilitariste.

L'école n’est pas un lieu de consommation répondant aux désirs et aux besoins de clients potentiels. Elle n’est pas un simple vivier d'apprentis offerts à l'entreprise. Elle doit demeurer un lieu d'éducation, de formation humaine préparant au libre choix, à l'esprit critique, à la confrontation, au débat citoyen. Pour réaliser cet objectif, même si on doit repenser le système éducatif pour mettre en œuvre « l’apprendre tout au long de la vie », on est bien obligé de se poser un certain nombre de questions. L'école obligatoire jusqu'à 16 ans répond-elle aux même finalités que celles du lycée, des universités, de la formation continue ? Une formation commune à tous les enseignants est-elle pertinente ?

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33. Autonomie, déconcentration et contractualisation

 
 

Il faut d’abord constater que le rôle de l’école est toujours plus important, on lui demande davantage dans tous les domaines. Elle doit en tout cas indiquer les directions à suivre en éclairant les esprits dans le maquis des connaissances accumulées, l'ouverture aux valeurs, valeurs portées par des civilisations différentes qui s'interpénètrent. Les objectifs d'une école pour tous, qui rassemble et permet des rencontres; demeurent la maîtrise du langage, les apprentissages de communication, l'acquisition de méthode de travail, l'organisation des savoirs, la formation de l'esprit critique. Elle est guide pour l'orientation et devient nécessaire à cette formation "tout au long de la vie".

 

Une exigence d’innovation permanente

 

L'école ne peut assumer sa mission qu'en innovant librement, sans directives trop contraignantes et sans attendre des réformes venues d'oracles souverains. L'établissement scolaire peut être ce lieu d'expression, d'action, d'innovation s'il devient une entité dont la maîtrise est confiée à ses acteurs.

Il faut tenir compte de la spécificité des apprenants et de chaque établissement. Les termes génériques, école ou établissement scolaire, recouvrent aujourd'hui des réalités différentes et reconnues, on parle de discrimination positive les concernant. Les différences sont également la conséquence de réalités objectives : école primaire - collège- lycées - enseignements supérieurs, les élèves sont répartis selon l'âge ; l'enseignement obligatoire jusqu'à 16 ans dispensé à tous répond à des objectifs qui ne sont pas ceux des autres établissements.

 

Malheureusement, l'établissement scolaire d’aujourd’hui est encore dépendant d'un système qui peut apparaître inopérant au 21ème siècle. La réforme qui s'impose passe par la responsabilisation des acteurs et des institutions là où ils remplissent leur mission : l'établissement identifié comme personne morale qui doit agir en toute autonomie.

 

Il appartient au pouvoir politique, aux collectivités, de les doter de moyens financiers leur permettant de définir eux-mêmes une répartition budgétaire conforme à leur projet. Si l'Etat conduit la politique éducative de la Nation, définit des contenus, veille aux répartitions globales des moyens, contrôle leur utilisation, recrute les enseignants et les chefs d'établissement, c'est l'établissement scolaire doté d'une autonomie qui peut librement définir une action possible et la pédagogie la plus adaptées à ses élèves. C’est encore plus nécessaire pour l’enseignement obligatoire que pour le reste du système éducatif puisque c’est à cet âge que modalités d’être et de penser héritées du milieu familial sont les plus pesantes pour la manière d’apprendre. C’est dans les écoles primaires et dans les collèges que se joue l’avenir des enfants, c’est là que l’autonomie doit le plus permettre une adaptation fine aux élèves et un apprentissage du travail expérimental réhabilitant le travail manuel. C’est aussi dans les écoles primaires et le collège que l’on apprend le débat et que l’on peut prémunir l’élève des dangers du « je parle dont tu suis" du cours magistral.

 

Le profil possible pour un établissement autonome

 

Mais l'établissement scolaire n'est pas une entreprise : il ne fabrique pas un produit, il n'est pas soumis à une recherche de rentabilité économique, à une amélioration de productivité. Pour répondre à des exigences de qualité correspondant à ses missions, il doit permettre à l'individu de s'épanouir intellectuellement, de découvrir et maîtriser ses possibilités, au citoyen d'agir avec les autres, et pour cela "partir de l'élève":

Dans l’autonomie que nous souhaitons les enseignants sont libres, indépendants dans l'exercice de leurs activités, mais ils ne sont pas pour autant dans la situation d’une profession libérale au sens commun du terme. Ils ne doivent pas non plus être des sortes d’artisans organisés par une bureaucratie. Ils dépendent étroitement les uns des autres et ne peuvent aujourd'hui s'engager qu'à partir d'un projet collectif élaboré ensemble. Ce projet d'établissement est l'élément fondamental pour l'autonomie. Il repose sur une élaboration démocratique interne de tous les acteurs et sur une mise en œuvre libre de surveillance tatillonne de l'autorité de tutelle.

 

Le projet collectif adopté va définir des lignes d'activités dans tous les domaines. Il exige que l'établissement devienne une entité responsable sous l'autorité du chef d'établissement, entité habilitée à passer des contrats de coopération avec d'autres établissements scolaires ou étrangers, des associations, des centres culturels ou sportifs, et avec l’ensemble des institutions intéressées par la politique éducative. Des liaisons contractuelles pourraient associer l'établissement à l'IUFM par exemple pour la formation des stagiaires. Cette capacité d'agir pourrait s'étendre à tout partage de compétences et intéresser le recrutement provisoire de personnes associées à l'action éducative pour leur compétence reconnue.

 

Dans l'établissement lui-même, l'organisation des activités appartient au conseil d'administration et à l'ensemble des personnels dans le cadre du projet. Le chef d'établissement est le soutien, l'animateur, voire un des initiateurs d'actions pédagogiques et éducatives. La mise en œuvre d'un réseau interne valorisant les fonctions intermédiaires est indispensable : la place des professeurs principaux, de tuteurs, de coordinateurs de discipline est déterminante au même titre que celle, par exemple, des conseillers d'éducation, des conseillers d’orientation.

Une autre répartition des élèves s'éloignant de la structure classe peut être imaginée et mise en place sans référence à une autorité de tutelle; de même l'organisation des études et des emplois du temps différenciés selon les disciplines. La répartition des horaires peut devenir plus souple avec la liberté de l'imaginer dans le cadre hebdomadaire, trimestriel ou annuel.

L'autonomie reconnue à l'établissement ouvre des perspectives à la démocratie participative dans le domaine jusqu’ici rigide du système éducatif. La relation hiérarchique traditionnelle est en cause : le rôle de conseil de l'inspection se substitue à celui de contrôle. Il faut accorder aux enseignants la liberté d'innovation.

 

Cette autonomie doit bien sûr se situer dans le cadre de la politique décidée par le pouvoir politique national et n’est pas contradictoire avec la gestion des personnels par l’Education Nationale. L’éducation comme la santé et la culture relève d’une politique de l’Etat et de la déconcentration dont la mise en œuvre donne responsabilité et autonomie aux acteurs de terrains. Comment mobiliser des établissements et tous ses personnels si ces derniers dépendent d’employeurs différents (Municipalité, Conseil général, Conseil Régional, Etat) ?

 

La Région doit rester avant tout une administration de mission

La Région doit éviter pour sa part de devenir une administration de gestion, elle doit demeurer essentiellement une administration de mission susceptible de favoriser et d’impulser les initiatives et innovations ou encore de faciliter la participation de tous les acteurs. Il ne faut pas faire des Régions de super Conseils généraux mangés par la culture de la mesure. Il faut se garder de remplacer le jacobinisme national par des jacobinismes régionaux et locaux.

 

Il est ainsi flagrant que, dans la Région Rhône-Alpes, le projet des transferts des personnels de la de l’orientation professionnelle risque de compromettre toutes les dynamiques contractuelles initiées par les projets OPRA-PRAO. L’autonomie des établissements dans le cadre de la déconcentration de l’Etat peut au contraire aller de pair avec une responsabilisation des bassins d’emploi devenus des bassins de formation dans lequel collaboreraient tous les établissements d’enseignement, tous les organismes de formation et tous les acteurs socio-politiques, politiques et administratifs. Il ne s’agit pas là encore de délocaliser des charges mais de permettre l’émergence d’un projet collectif. Cela éviterait les parcours d’orientation segmentés, discontinus et désordonnés qui décrédibilisent l’orientation. Pour faire reculer le sentiment de « parcours du combattant », notamment pour les jeunes atypiques, on pourrait ainsi établir un guichet unique coordonnant les systèmes existants. Les acteurs de ces guichets seraient appelés à accompagner la personne en amont et aval de la formation dans le dédale des parcours et des dispositifs. Il ne faut jamais perdre de vue que ce sont les jeunes (ou les moins jeunes) les moins armées pour affronter leur avenir et par conséquents les plus perdus dans l’utilisation des dispositifs existants qui ont recours aux services d’orientation. La plus grande partie des jeunes et des moins jeunes, notamment les plus privilégiés, n’a pas besoin d'y recourir.

 

Hors de tout jacobinisme régional la région pourrait piloter négociation et contractualisation avec l’Etat déconcentré et tous les partenaires sociaux pour un cadrage sur les orientations, les objectifs et l’évaluation. Il nous faut introduire une culture des rapports de forces, de la négociation et de la contractualisation bien éloignée de celle à laquelle a abouti la centralisation. Or deux siècles de « centralisme » ont trop longtemps renforcé les corporatismes et les immobilismes par l’octroi de privilèges souvent bien médiocres.
 

Quels points sur lesquels il faut avancer
 

Pour éviter les blocages il est aussi souhaitable d’agir sur les points estimés sensibles par les enseignants. Nous ne pouvons ici que rapidement les énumérer.

 

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La fonction de direction des établissements. Les directions d’établissements, au-delà d’un seuil d’effectifs et de nombres de filières, sont absorbées par les problèmes administratifs, d’organisations. Il leur est difficile, voire impossible de mener un travail d »’animation. Il faut aussi souligner que le mode de classement des établissements, les critères utilisés, assez obscurs ou stratégiques, contribuent à développer des points de vue consumériste sur l’éducation. La fonction d’animation n’est pas apparente dans le profil de direction.

 

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La formation aux métiers de l’enseignement. On y juxtapose un approfondissement des savoirs à transmettre, quelque peu figés dans le cadre des programmes, et quelques indications sur les méthodes pédagogiques et modes d’apprentissage. Juxtaposer ainsi amène à alimenter le débat théorique entre un enseignement centré sur l’apprenant ou un enseignement centré sur les savoirs. Les enseignants savent, eux, expérimentalement, que les deux partis pris sont liés. Ils s’amusent ou s’énervent d’être les enjeux de querelles d’écoles. De même que la formation du citoyen (et de la citoyenne) raisonnant(e) se fait aussi à travers les apprentissages de savoirs. Peu de place, d’autre part est faite à la participation à un travail d’équipes. Certains enseignants font remarquer que la formation à leur métier dépend de l’enseignement universitaire. Si celui-ci, organisé en savoirs et en domaines de savoirs spécialisés, confiés d’abord à de « remarquables spécialistes », perd l’objectif d’ouvrir à une culture humanisant et situant chaque domaine à sa juste place, il y a peu de chances pour que les enseignants soient d’abord préoccupés d’ouvrir leurs élèves à une culture ; la réussite est limitée à la répétition de programmes.

 

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La gestion des enseignants. Les carrières sont largement à la merci des inspections ; celles-ci privilégient le rapport triangulaire : enseignant, savoir constitué, apprenants. L’autre « note » des enseignants est une note administrative dont les critères ne sont pas clairs.

 

Parallèlement il y a beaucoup de travail à réaliser pour déterminer le rôle de chaque niveau et de chaque acteur. L’expérience syndicale de l’interprofessionnel, avec ses accords cadre se déclinant par branche, territoires et entreprises, peut servir de modèle. Une des conditions est que l’Education Nationale ne se considère plus comme un Etat dans l’Etat, accepte la coordination et l’impulsion du service public et entre dans une logique contractuelle. La réactivation des missions de l’Education Nationale passe par la réforme de l’Etat.