Le collège unique

 

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LE COLLEGE UNIQUE, POUR QUOI FAIRE ?

Les élèves en difficulté au cœur de la question

 

Jean-Paul DELAHAYE aux Editions RETZ

 

  Note de lecture suivie d'un entretien avec l'auteur
J.P. Delahaye nous invite à « faire exister le collège pour ce qu’il est, un élément fondamental de la scolarité obligatoire pour tous les enfants. Ensuite, et seulement ensuite, peut venir le temps des différentiations d’égale dignité. »

En associant, dès le titre et tout au long de cet essai, la question du collège unique et celle des élèves en difficulté, Jean-Paul Delahaye,  situe d’emblée son questionnement à partir d’un double constat. Si le collège unique a globalement atteint les objectifs que la Nation lui avait confiés il y a trente ans, il n’en va pas de même pour la prise en charge des élèves en difficulté, élèves, nous précise l’auteur, le plus souvent issu des milieux les plus défavorisés.

 

Jean-Paul Delahaye connaît bien le système éducatif pour y avoir assumé de nombreuses responsabilités qui le conduisent aujourd’hui à l’Inspection générale. Cependant c’est l’historien, professeur associé à Paris V, qui signe cet ouvrage d’une grande clarté politique et pédagogique.

 

Son engagement pour une « école moyenne vraiment commune à tous » va à l’encontre d’un collège unique qui a trop été pensé, dès son origine, comme une propédeutique du lycée. Pas surprenant constate-t-il alors que 15 à 20 % des élèves restent chaque année sur le bord du chemin éducatif. Choquant lorsque l’on sait pertinemment que ces élèves ne sont pas des « pauvres enfants » mais bien des enfants de pauvres. Une fois de plus le constat est frappant : massification ne signifie définitivement pas démocratisation !

 

D’où vient l’incapacité du système éducatif en compte,  depuis 30 ans, ces élèves ?

 

Une telle question renvoie tout d’abord à la notion même de difficulté. En effet, de quelles difficultés parle-t-on et qu’est-ce qu’un élève en difficulté ? L’auteur, à travers une étude méthodique de trente années de circulaires de rentrée, montre que cette approche de la difficulté (ou des difficultés) a évolué sans pour autant donner lieu à des réponses toujours pertinentes. Ainsi s’interroge-t-il sur le fait de parler d’élèves en difficulté, plutôt que d’élèves à risque comme le font certains pays en Europe. C’est plus qu’une nuance, c’est un changement complet de paradigme ! D’un côté on est dans une démarche préventive, de l’autre curative. C’est alors l’Ecole, elle même, qui est interrogée dans ses réponses.  L’existence des « élèves en difficulté », nous dit l’auteur, ne peut en effet qu’entraîner une mise en cause de l’école elle même et des modalités qu’elle met, ou non, en œuvre pour prendre en compte ces difficultés et tenter de le résoudre.

 

Même si les moyens ne sont pas toujours en cause, le constat est cependant amer lorsque l’on aborde ceux dégagés pour aider ces élèves. Certes, la politique des ZEP à l’initiative d’Alain Savary – à qui JP Delahaye rend un vibrant hommage – a constitué, sans nul doute, un progrès. Cependant, un rapport de la Cour des comptes publié en 2003, précise que l’on est loin de l’ambition affichée pour les ZEP qui ne reçoivent que 10 % de moyens supplémentaires comparé aux établissement hors ZEP. « Il est difficile, dans ces conditions, de venir en aide à un nombre important d’élèves en difficulté. »

 

Il y a aussi le  déficit de formation des enseignants et le manque d’accompagnement des équipes pédagogiques confrontées à un véritable désarroi face à « des adolescents qui cumulent déficits sociaux, désert culturel, défaillance familiale et absence d’estime de soi. » (rapport de l’inspection générale…en 1997 !)

 

Pour autant l’auteur nous invite à ne pas baisser les bras ! Tout en pointant l’importance de l’autonomie des établissements, il revendique la nécessité d’un « pilotage ministériel dans un contexte de fracture sociale ». Il en va de même, nous dit-il, de la relation avec le premier degré mais aussi du contenu des enseignements qui sont trop morcelés avec comme seul objectif, la poursuite d’étude en lycée, voire à l’université. Il dresse alors un vibrant plaidoyer pour le socle commun des connaissances « trop longtemps attendu » (le ministère en parle, au moins, depuis 1985) qu’il définit, à l’opposé d’un collège unique trop uniforme, comme « une culture commune suffisamment large et solide pour construire une société dans laquelle on puisse vivre ensemble.  […] Cette idée-là reste le chantier du collège car elle permet de concilier justice et efficacité ».

 

Jean-paul Delahaye ne se limite pas, cependant, à cette idée de socle commun. Il montre les dérives organisant, de facto, l’exclusion du collège des élèves les plus modestes, par exemple avec l’apprentissage junior. Réfutant avec pertinence, et un certain courage politique, les « différenciations trop précoces » qui « creusent les écarts entre les établissements et les élèves ».  Il  revendique, aussi, une meilleure formation pour les enseignants, du temps pour la concertation, en insistant sur l’importance du travail en équipe, point nodal de toute évolution des pratiques.

 

Citant, en conclusion, Alain Savary pour qui le Collège unique est « une œuvre de plusieurs générations », J.P. Delahaye nous invite, enfin, à « faire exister le collège pour ce qu’il est, un élément fondamental de la scolarité obligatoire pour tous les enfants. Ensuite, et seulement ensuite, peut venir le temps des différentiations d’égale dignité. »

Un livre et une réflexion d’une actualité brûlante !

 

 

                               André ROUX

 

  Voir aussi du même auteur La place de l'élève dans l'établissement scolaire : une approche historique et institutionnelle http://education.devenir.free.fr/colloque2006.htm#delahaye

 

ENTRETIEN AVEC JEAN-PAUL DELAHAYE

Un entretien réalisé par échanges de courriels (16/02/07), questions d'André Roux, membre du CA d'E&D

 

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Dans votre dernier livre, Le collège unique, pour quoi faire ? vous vous faites l’ardent défenseur d’une certaine conception du collège unique : une école moyenne, vraiment commune à tous. Pourriez-vous nous en préciser les contours ?

Avant d’être la propédeutique du seul lycée d’enseignement général, l’école moyenne, qui doit être commune à tous, est d’abord le prolongement de l’école primaire. Cette conception est sans doute la seule qui permette de mettre en tension positive deux aspects non point opposés mais complémentaires : l’égalité et la diversité.

Une école moyenne commune à tous ne signifie pas une école uniforme. En 1975, quand il est décidé d’aller plus loin que la réforme de 1962 (qui avait rassemblé certes au même endroit  les élèves de collège mais dans des filières homogènes et distinctes) et qu’on regroupe tous les jeunes adolescents dans des classes indifférenciées, on le fait de façon réaliste en mettant en place un tronc commun et non un collège unique uniforme. L’idée de tronc commun suppose une base et donc une culture commune suffisamment large et solide pour construire des scolarités ultérieures diversifiées et, au-delà, une société dans laquelle on puisse vivre ensemble. Cela signifie qu’un tronc commun s’accompagne et est prolongé de branches multiples préparant des parcours d’égale dignité à des élèves différents. C’est ce que veut faire Jean Zay en 1936 quand il porte la scolarité obligatoire à 14 ans, et qu’il tente de transformer la classe de 6ème en classe d’orientation. C’est encore cette idée qui apparaît dans le rapport Langevin-Wallon en 1947 par la définition d’une architecture de l’enseignement en degrés successifs. Avant d’être la propédeutique du seul lycée d’enseignement général, l’école moyenne, qui doit être commune à tous, est d’abord le prolongement de l’école primaire. Cette conception est sans doute la seule qui permette de mettre en tension positive deux aspects non point opposés mais complémentaires : l’égalité et la diversité. J’ajoute que cette idée-là reste le chantier du collège car elle permet aussi de concilier justice et efficacité.

Le problème, c’est qu’on semble s’être évertué à gommer tout ce qui pouvait justement ressembler à la mise en place d’un tronc commun suffisamment généraliste pour porter en germe toutes les diversifications à venir. On a maintenu, coûte que coûte, un enseignement de nombreuses disciplines, dès la classe de sixième, préparant à des études longues. Comme cela a été dit au moment de la consultation de 1999, « chaque matière veut tirer la couverture à soi. On empile, on empile… […] On est entré dans le problème par les disciplines et non par l’enfant ». L’histoire de la disparition de tout enseignement technique et manuel dans le tronc commun du collège, car de fait considéré comme inutile pour les futurs bacheliers de l’enseignement général, est à cet égard exemplaire.

D’une certaine manière, il est déjà quasi miraculeux que l’éducation nationale et ses enseignants soient parvenus à intégrer dans ce « petit lycée » une proportion aussi importante de collégiens. Mais, pour encore 15 à 20 % des élèves, le système a atteint ses limites.

 

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L’étude des diverses circulaires du ministère montre, dites-vous,  une évolution de la notion « d’élèves en difficulté ». Cette notion de difficulté se décline, en termes cognitifs  pour certains, en terme de comportement, voire  en terme de travail et de capacité de concentration, avec toujours en arrière plan, une double généralisation : « avant c’était mieux » et  « le niveau des élèves baisse ». Que pensez-vous de cette vision tournée vers le passé ? N’est-elle pas le signe tangible d’une incapacité, pour le Politique, de penser l’école de demain, voire d’avoir une ambition pour cette école de la République ?

Tout le monde sait que le collège unique n’a pas fonctionné pour une partie des enfants du peuple. Cette situation n’est plus tolérable.

Les fondateurs du collège unique en 1975, comme tous ceux qui ont réfléchi ensuite sur le collège, Louis Legrand en 1982-1983, Alain Bouchez en 1994, François Dubet en 1999 ou encore Philippe Joutard en 2002, n’ont pas une vision passéiste, au contraire. Il s’agit pour tous de se projeter en avant et de parvenir à intégrer un nouveau public, celui des classes populaires.

Il est absurde de dire qu’avec la création du collège unique le niveau a baissé puisque, précisément, on y a fait entrer des élèves qui n’avaient pas accès jusqu’à présent à ce type de scolarité. D’ailleurs, en 1978, le ministère évalue à environ 30 % la proportion d’élèves qui va rencontrer des difficultés dans les sixièmes indifférenciées que l’on vient de créer. Ces élèves existaient bien sûr avant la création du collège unique mais n’étaient pas visibles car scolarisés dans des filières précocement distinctes. D’une certaine manière, l’apparition de l’élève en difficulté au collège est le signe que le système éducatif reçoit une mission nouvelle, difficile mais essentielle de la part de la Nation : faire franchir une nouvelle étape à l’école dans la voie de la démocratisation.

Tout le monde sait que le collège unique n’a pas fonctionné pour une partie des enfants du peuple. Cette situation n’est plus tolérable. La difficulté scolaire, on le sait, se construit très tôt dans la scolarité et elle est socialement très marquée. Mais peut-on aider l’élève en difficulté si on se contente de parler de la difficulté scolaire en général ? Car, finalement, de qui et de quoi parle-t-on aujourd’hui quand on parle des élèves en difficulté ? Parle-t-on des élèves qui ont des difficultés d’apprentissage ? En particulier dans la maîtrise de la langue ? Si oui, n’a-t-on pas tendance à regrouper sous cette appellation, d’une part des élèves dont les difficultés pourraient se résoudre au moyen d’approches pédagogiques différenciées et, d’autre part des élèves qui sont en refus d’école? Parle-t-on d’élèves qui ont des difficultés d’adaptation à la structure scolaire, difficultés qui se traduisent par des problèmes de comportement ? Parle-t-on des élèves qui vivent dans les ghettos de pauvres qui sont dans les périphéries de nos villes ? Parle-t-on des élèves nouvellement arrivés sur le territoire et qui ont des difficultés d’insertion ?

Et puis, quelle est la part de responsabilité de l’élève lui-même et de sa famille dans les difficultés rencontrées à l’école, mais aussi quelle est la part des politiques scolaires à l’école primaire, au collège, au lycée. Quelle est la part, par exemple, d’une formation insuffisante des enseignants… ?

Ce que j’essaye de faire dans cet ouvrage c’est d’apporter un éclairage susceptible de mettre en lumière quelques éléments de réponses en reprenant, presque année après année, le fil de la construction du collège unique. Il s’agit d’identifier, dans les politiques scolaires mises en œuvre, à la fois les mesures destinées en principe à réduire le nombre des élèves en difficulté, et il s’est fait de bonnes choses, mais aussi de mettre en relief ce qui a manqué dans le pilotage des réformes pour que ces mesures soient pleinement efficaces.

Non pas pour renoncer, car renoncer alors même que tout n’aurait pas été tenté serait une profonde injustice pour toute une partie de la population, encore moins pour regarder dans le rétroviseur car ce n’était pas mieux avant. Mais pour aller de l’avant en prenant appui sur les leçons du passé.

 

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Vous abordez finalement assez peu la place des parents dans votre livre. Certes, l’Ecole doit d’abord être son propre recours, c’est une question d’équité. Pour autant, il y a aussi la nécessité de permettre à ces familles, notamment celles des milieux les plus modestes, de mieux connaître « les codes » du système. N’y a-t-il pas là un enjeu majeur d’une nouvelle forme d’éducation populaire ?

L’élève qui échoue au collège est surtout un enfant du peuple qui a la malchance d’avoir des parents qui ne sont pas allés avant lui dans l’enseignement secondaire.

Je rappelle que mon étude consiste à rendre compte des politiques scolaires conduites au collège à travers les instructions ministérielles. Le fait que les textes parlent assez peu des parents n’est pas étonnant car ce sont des textes qui s’adressent avant tout aux responsables du système. Cela dit, la question des parents est abordée, en particulier quand il s’agit d’expliquer le fait qu’il existe des élèves en difficulté au collège. Le ministère évoque alors rapidement le milieu familial comme une des explications. On en trouve une première mention dès 1978 quand il est fait état « des élèves spécialement démunis ou défavorisés » et en 1987 quand sont évoqués « les élèves dont l’environnement éducatif ne réunit pas les conditions les plus favorables. » La même formule est utilisée, mot pour mot, en 1995. En 2001, on manie le même euphémisme en évoquant les élèves qui « ne bénéficient pas des conditions optimales de réussite scolaire ». En 1989 déjà, on reconnaissait que les difficultés scolaires concernent les élèves « issus de familles qui n’ont pas encore de tradition de l’enseignement secondaire ». Le ministère de l’éducation nationale le reconnaît donc depuis l’origine : l’élève qui échoue au collège est surtout un enfant du peuple qui a la malchance d’avoir des parents qui ne sont pas allés avant lui dans l’enseignement secondaire et qui ne peuvent donc pas lui apporter l’aide nécessaire.

La circulaire de 1994 qui consacre un chapitre à « l’aide méthodologique pour tous » indique bien que « le collège doit offrir une aide particulière aux élèves dépourvus de suivi et de soutien familial et, plus généralement, de cet accompagnement parascolaire qui constitue un important facteur d’égalisation des chances ». Tout cela est juste, mais, comme je le montre, jamais les collèges n’auront réellement les moyens d’offrir cette aide aux élèves des familles pauvres.

 

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 Un manque de pilotage, au niveau ministériel, risque, affirmez-vous, fort de votre connaissance du système, de conduire à des dérives, si ce n’est à accentuer la disparité entre les établissements. Quid, alors, de l’expérimentation et de « l’autonomie des établissements » ? Le pilotage par les résultats, dont on parle beaucoup aujourd’hui, ne risque-t-il pas d’accentuer ces disparités ?

Il y aurait danger si on ne pilotait plus par les résultats mais pour les résultats.

L’autonomie n’est pas l’indépendance, comme cela vient d’être rappelé dans un récent rapport des inspections générales consacré à « l’EPLE et ses missions », et l’expérimentation fait nécessairement l’objet d’un contrat d’objectifs avec les autorités académiques. Il n’y a donc pas d’autonomie ou d’expérimentation sans un pilotage qui n’est rien d’autre de la part du ministère et des services déconcentrés que l’accompagnement des établissements dans leur prise responsabilité, accompagnement qui suppose conseil, aide, confiance réciproque et acceptation d’être évalué et de rendre des comptes. C’est là qu’interviennent les indicateurs, notamment dans le cadre de la LOLF. Il n’y a là rien d’inquiétant tant que le système est piloté. Cela pourrait le devenir si on ne pilotait plus par les résultats mais pour les résultats, c’est-à-dire si on concentrait tous les efforts de l’établissement uniquement pour ne faire progresser que quelques indicateurs et donner ainsi une image flatteuse, mais artificielle ou incomplète, de l’établissement.

Il est vrai qu’il existe aujourd’hui des écarts entre collèges. Mais il peut y avoir plusieurs explications. Quand on constate, par exemple, des différences significatives dans les résultats obtenus entre deux collèges, alors même que le contexte et les moyens sont les mêmes, cela signifie qu’il n’y a pas de fatalité, qu’il y a ce qu’on appelle un « effet établissement » et que les choix pédagogiques effectués par les personnels ont un réel impact, en bien ou en moins bien. Les élèves ne sont pas toujours les seuls à être en difficulté…L’autonomie est-elle en cause ? Je crois vraiment qu’actuellement les écarts ne sont pas dus à un excès d’autonomie des établissements : soit parce que les marges de manœuvre accordées sont insuffisantes et sont de fait un frein à l’autonomie soit, il faut aussi le dire aussi, parce que les acteurs des établissements eux-mêmes peuvent hésiter à se saisir de ces marges de manœuvre et estimer plus confortable ou plus sûr d’appliquer des instructions. En réalité, les écarts entre établissements sont le plus souvent liés à la question sociale. C’est la société qui dérive, pas les établissements. Et il y aurait moins d’établissements en grande difficulté s’il y avait moins de quartiers ghettoïsés.

 

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Quel regard porte l’historien que vous êtes, sur la formation des enseignants depuis ces trente dernières années ? Si l’on considère qu’il y a là un levier essentiel de l’évolution du système pour la prise en charge des élèves les plus fragiles, comment pourrait évoluer cette formation ?

La mise en place du collège unique est accompagnée de très peu d’efforts de formation initiale et continue ou même simplement d’information  des personnels.

Le ministère a immédiatement conscience que l’arrivée dans un tronc commun qui s’aligne de fait sur la scolarisation de type 1 (enseignement long du lycée) d’élèves qui étaient auparavant accueillis dans les filières de type 2 (enseignement court) ou 3 (vers le marché du travail) peut créer des problèmes d’adaptation aux professeurs. C’est pourquoi le texte de 1977 insiste sur le fait que la mise en œuvre de la réforme nécessite « quelques précautions en ce qui concerne la répartition et l’organisation du service des enseignants ». Car, précise joliment cette circulaire, il faut à présent accueillir « des classes de composition variée ». Il est donc recommandé de faire appel à la fois à des professeurs certifiés spécialisés et à des P.E.G.C. bivalents, et de constituer des « équipes de professeurs appartenant à diverses catégories d’enseignants ». On peut tirer deux enseignements au moins de ces prescriptions ministérielles originelles. Tout d’abord, puisque aucune formation n’a été prévue en direction des professeurs certifiés pour préparer ces derniers à l’accueil des nouveaux élèves on compte, semble-t-il, sur les P.E.G.C. pour assurer le succès de la réforme. On constate ensuite que, pour la prise en charge des élèves de l’ex-voie 3, le ministère s’en remet aux « volontaires ». Dans les faits, la mise en place du collège unique est accompagnée de très peu d’efforts de formation initiale et continue ou même simplement d’information  des personnels. C’est sans doute pour cela que les circulaires renvoient systématiquement la prise en charge des élèves en difficulté à des « maîtres volontaires ». Cet appel au volontariat pour enseigner au collège aux élèves en difficulté est une constante comme je le montre dans mon étude.

Et puis, en 1987 il est décidé, et il est mis en œuvre en 1988, une unification du corps enseignant en collège et un alignement sur les compétences de type lycée avec des enseignants qu’on ne prépare pas assez, tant en formation initiale qu’en formation continue à la difficile mission d’enseigner aux collégiens en grande difficulté.

Il faut absolument que dans la formation des professeurs certifiés une solide préparation à l’enseignement en collège soit prévue, en particulier pour l’enseignement devant des élèves qui rencontrent des difficultés. S’il faut un haut niveau d’exigence scientifique pour tous les professeurs, tout le monde peut comprendre que ce n’est pas la même chose d’enseigner les mathématiques en terminale S et dans une classe de 6ème qui accueille quelques élèves ayant des difficultés lourdes en lecture.

 

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Une dernière question : pour vous les expressions,  culture commune  (au sens où l’entendait le Plan Langevin Wallon, par exemple)  et  socle commun des connaissances, recouvrent-elles les mêmes enjeux ?

Le socle commun doit être conçu comme un « plafond » mais bien comme un « plancher » garantissant l’acquisition d’une base commune à tous les citoyens à l’issue de la scolarité obligatoire.

Jusque la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école de 2005, la question du socle commun de connaissances, pourtant envisagée dès l’origine et à plusieurs reprises ensuite, n’avait jamais abouti. C’est probablement Le Livre Blanc du collège de 1994 qui pose le mieux cette question des connaissances qu’il faut enseigner au collège, en montrant qu’au lieu d’imaginer, au moins pour le début du collège, des champs disciplinaires larges, on a choisi d’y enseigner les mêmes disciplines qu’au lycée. La mise en cohérence des différents domaines disciplinaires est donc le travail des …élèves eux-mêmes !

A plusieurs reprises, on voit bien que le ministère a conscience du problème et essaye de changer de logique. C’est en 1985 que, pour la première fois après la mise en place du collège unique, le ministère se donne pour objectif de préciser les objectifs du collège et les connaissances que tout collégien doit avoir assimilées de manière et de s’assurer de « l’appropriation par tous les élèves d’un noyau commun de connaissances ».

En 1994, le ministère demande au Conseil national des programmes de s’engager dans « la réécriture des programmes du collège  pour définir un « socle fondamental de connaissances, c’est-à-dire des repères essentiels constituant, pour tout collégien, le bagage nécessaire à l’autonomie ».

L’expression « socle commun » est certes utilisée dans la note de service de 1995 à l’occasion de la mise en place de parcours diversifiés, mais on n’avance toujours pas.

L’inscription dans la loi d’orientation de 2005, à la suite du rapport de la commission nationale du débat sur l’école (dite commission Thélot), du socle commun de connaissances et de compétences est donc une très bonne nouvelle pour le collège unique à condition de ne pas le concevoir comme un « plafond » mais bien comme un « plancher » garantissant l’acquisition d’une base commune à tous les citoyens à l’issue de la scolarité obligatoire.

 

En complément  
 
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Le collège unique, pour quoi faire ?

Entretien avec Jean-Paul Delahaye

http://www.cafepedagogique.net/disci/article/archives/79.php

 

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Le collège unique de 1975 à 2001

http://www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/college-unique/index.shtml

 

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Pour ou contre le collège unique : est-ce bien la question ?

Françoise Clerc Professeur en sciences de l’éducation Université Lyon 2

http://education.devenir.free.fr/colluniq.htm

 

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Le collège pour tous

Nous voulons construire le collège de la réussite de tous :  CRAP-CAHIERS PEDAGOGIQUES - ÉDUCATION  et DEVENIR - FCPE - FIDL-- FOEVEN - –  LIGUE FRANCAISE DE  de l'ENSEIGNEMENT -- OCCE - - SGEN-CFDT -  UNL et UNSA EDUCATION

http://education.devenir.free.fr/collpourtous.htm

 

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La fin du collège unique ?

Vincent Troger, Maître de conférences à I'IUFM de Versailles, chercheur associé au laboratoire Pierre Naville, université d'Évry.

Symbole de la démocratisation de l’enseignement le collège unique est aujourd'hui critiqué. La contradiction entre l'héritage élitiste et la transmission d'un savoir commun à tous n'a jamais été résolue.

Revue SCIENCES HUMAINES, mars 2003

http://assoreveil.org/college_unique_trogger.html

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Histoire du Collège Unique

Claude LELIÈVRE Professeur d’histoire de l’éducation à Paris V

http://assoreveil.org/histoire_coll%E8ge_lelievre.html

 

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Oui le collège unique est possible ! ... à condition de vouloir le mettre en œuvre... et de traduire cette volonté par des choix dans les moyens attribués.

Jacques Hagopian, principal de collège

http://www.cahiers-pedagogiques.com/article.php3?id_article=389