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Difficile, dans notre pays, de parler d'école sans querelles et humeurs. La France, pourtant, s'est récemment dotée d'instruments scientifiques d'observation. Elle participe aux grandes études internationales. Mais ces travaux ne sortent guère du cercle des initiés. Entre 2000 et 2005, le Haut Conseil de l'évaluation de l'école, organisme à la fois officiel et indépendant, a passé au crible nos outils d'appréciation, commandé maints rapports sur les sujets «sensibles», et formulé, en dernière instance, une série d'avis éclairants. Ses conclusions sont ici rassemblées et commentées dans une langue accessible à tous les professionnels et à tous les usagers de l'école. Que penser de l'actuel niveau des élèves? Combien de jeunes gens sont en grande difficulté scolaire? Quelles sont les forces et les faiblesses de notre système? Pourquoi est-il injuste et sexiste ? Comment la France se situe-t-elle par rapport aux pays comparables? Qu'est-ce qu'un «bon» lycée? Le redoublement est-il profitable ou dommageable? Les professeurs sont-ils convenablement évalués? Autant d'interrogations qui trouvent enfin réponses. Loin des invectives, des modes, des idées reçues, voici des faits. Pour que le débat ait lieu. Enfin.
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Entretien* avec Christian Forestier | |
1°) Christian Forestier vous sortez, avec Jean-Claude Emin, aux éditions Stock, "Que vaut l'enseignement en France" ; un livre de plus sur l'école serait-on tenté de dire : en quoi tranche-t-il sur une littérature surabondante ? |
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Loin du café du commerce et du populisme des « fous d’école » |
L’intérêt essentiel de cet ouvrage c’est de rassembler l’ensemble de la production du HCéé de 2000 à 2005, c’est à dire l’anti « fabrique du crétin ». Il faut rappeler que le HCéé a travaillé en toute indépendance, qu’il a pour la première fois fait appel à l’expertise internationale (ce qui fût salué par la presse étrangère) et que les avis qui ont été rendus engagent la totalité de ses membres. Ce livre n’est pas la vision de trois experts mais d’abord la vision partagée de notre école par ses principaux acteurs internes et externes sur la base d’expertises scientifiques incontestables. Ce n’est pas pour autant une présentation angélique des choses, bien au contraire, des dysfonctionnements forts sont mis en évidence, des recommandations fortes sont faites mais on reste loin du café du commerce et du populisme des « fous d’école ». |
2°) Dans un éditorial de « Ouest-France » (16/02/07) Hervé Hamon estimait comme vous que « notre système d’enseignement est un des meilleurs du monde pour la moitié des élèves », mais pour l’autre moitié il était plus nuancé, non pas tous laissés pour compte, mais les 3/5e qui s’en sortiraient plus ou moins et les 2/5e restant en très grande difficulté. Que pensez-vous de cette estimation de l’auteur de « Tant qu’il y aura des élèves » ? |
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Notre système est parfaitement adapté pour la moitié de nos élèves, pour les autres nous ne sommes pas capables de les aider correctement. |
Hervé Hamon était membre du HCéé, particulièrement actif. Il reprend ici une formule qui est dans le livre « nous avons un des meilleurs systèmes du monde…….pour la moitié des élèves ». Ce constat découle d’une analyse fine des évaluations internationales et notamment de PISA. Il faut savoir que PISA compare le niveau des compétences acquises par les élèves de 15 ans de l’ensemble des pays concernés (une soixantaine) ; on trouvera dans le livre une description des résultats mais on découvrira surtout, au delà de l’inévitable palmarès, les très fortes différences entre les élèves français selon qu’ils ont ou non redoublé. Car c’est bien la différence essentielle entre les systèmes d’Europe du nord qui globalement obtiennent les meilleurs résultats et nous. En Finlande tous les élèves avancent pratiquement au même rythme et à 15 ans ils sont tous dans la même classe alors que chez nous, suivant le nombre de redoublements qu’ils ont connus, ils sont dans des classes différentes. La moitié de nos élèves de 15 ans sont en seconde générale et technologique, et ceux ci obtiennent des résultats comparables voire supérieurs aux pays les mieux placés. Mais pour ceux qui ont redoublé soit une fois, ils sont en troisième, soit deux fois, ils sont alors en quatrième ou dans des structures dites adaptées, les résultats sont médiocres voire très médiocres. La pire des informations étant peut être qu’un seul redoublement suffit pour se retrouver très nettement en dessous de la moyenne de l’ensemble des pays, alors qu’à ce niveau il est difficile de parler d’échec lourd. Lorsque l’on aura signalé que nos élèves de 14ans qui sont en troisième obtiennent des résultats tout à fait comparables à ceux de 15ans qui sont en seconde on voit bien que notre système est parfaitement adapté pour la moitié de nos élèves, ceux ci le parcourent sans accident alors que pour les autres il apparaît que nous ne sommes pas capables de les aider correctement, en n’ayant comme unique remède, le plus inefficace de tous, le redoublement. Il semble bien que tout ceci renvoie à ce qui est évalué à l’arrivée au collège. Les 15 à 20% en grandes difficultés de lecture vont constituer l’essentiel de la population qui sortira sans diplôme et le tiers pour lequel les compétences fondamentales ne sont pas consolidées va constituer une population qui va se révéler inadaptée à notre enseignement secondaire tel qu’il est organisé. Pour une analyse plus complète il faut se reporter à l’ouvrage. |
3°) Entre 1985 et 1995 l’Ecole a indubitablement progressé, comment expliquer qu’elle ait ensuite patiné, voire régressé ? |
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On ne sortira pas de cet état de panne sans un pilotage politique fort. |
Il est très difficile d’expliquer en quelques mots pourquoi au début des années quatre vingt dix, au moment de la mise en place de la réforme du lycée, la croissance de notre système a été brutalement interrompue. On peut très rapidement faire observer que le discours tenus sur « l’égale dignité des voies de formation » et sur la nécessaire revalorisation de la voie professionnelle a légitimé des processus d’orientation qui visent à utiliser prioritairement les voies technologiques et professionnelles pour les enfants des milieux les plus modestes, en n’orientant dans la voie générales que les enfants des couches moyennes et supérieures. La panne du système c’est d’abord et surtout, la panne de l’ascenseur social. Je pense que sur ce sujet fondamental, l’apport du HCéé aura été essentiel pour expliquer que la massification n’avait pas conduit à une plus grande démocratisation, voire le contraire. Pour provoquer j’ai envie de dire que dès lors que les plus favorisés sont assurés de conserver une forme de monopole sur les filières les plus porteuses et que l’on peut faire comme si les orientations plus modestes offertes aux autres peuvent laisser croire à une certaine forme de démocratisation toutes les conditions sont réunies pour que plus rien ne bouge. On ne sortira pas de cet état de panne sans un pilotage politique fort.
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4°) L'évaluation est un des thèmes centraux de votre ouvrage - évaluation des acquis des élèves et étudiants, évaluation des enseignants et de leurs pratiques, évaluation des établissements - mais vous n'ignorez pas que la nébuleuse du "tout-fout-le-camp" dénonce un niveau qui baisse (sans jamais atteindre l'étiage) : quels arguments peut-on opposer à ces affirmations souvent péremptoires ? |
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L’élève n’est pas forcément le premier responsable de ses difficultés. |
J’ai déjà dit que notre système fait que la moitié de nos élèves sont dans l’élite mondiale, et bien des pays développés nous envient de ce point de vue là, je pense aussi bien à nos voisins allemands qu’aux Etats Unis. Difficile dans ces conditions de dire comme disent nos « fous d’école » que tout fout le camp. Notre école mérite respect MAIS nous devons, comme cela est dit précédemment remédier à nos principaux travers et surtout comprendre que l’élève n’est pas forcément le premier responsable de ses difficultés.
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5°) Le redoublement est dans votre collimateur (un « génocide pédagogique ») : en quoi est-il à ce point catastrophique ? et comment s’en désintoxiquer, alors que dans l’opinion – à commencer par celle de beaucoup d’enseignants, sans oublier un ex-ministre de l'Education Nationale – elle reste populaire ? |
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Derrière l’alibi du traitement de l’échec pointe la « sanction ». |
Le redoublement est une des pratiques pédagogiques qui a donné lieu un très grand nombre de publications scientifiques, et ceci dans tous les pays développés et depuis un demi siècle. Toutes les études concluent à l’inefficacité. En France l’étude qui fait référence est celle de Claude Seibel et de Jacqueline Levasseur, il y a plus de vingt ans, et qui montre que lorsque le redoublement est précoce, c’est à dire dans les toutes premières années de la scolarité obligatoire, il est non seulement inefficace mais dangereux. A niveau de difficultés équivalent en fin de cours préparatoire l’élève redoublant a moins de chance d’obtenir plus tard un diplôme que celui que l’on fait passer dans la classe supérieure. D’ailleurs les initiés ne se trompent pas, les enseignants et les milieux favorisés ne laissent pas redoubler leurs enfants à l’école primaire. J’ai utilisé volontairement une formule excessive, le « génocide pédagogique » pour bien mettre en évidence le caractère dangereux du redoublement précoce. Savez vous qu’un élève qui redouble une fois au primaire n’a plus que 25% de chances d’obtenir un baccalauréat ? Ce n’est pas un hasard si beaucoup de pays ont soit, purement et simplement supprimé cette pratique barbare, ou l’ont considérablement réduite ; ils sont tous devant nous dans les évaluations internationales. Récemment l’OCDE vient de déclarer que nous étions parmi les pays développés celui qui utilisait le plus ce mode de remédiation qui signifie très clairement que nous sommes bien dans l’idée que l’élève est le premier responsable de son échec. Derrière l’alibi du traitement de l’échec pointe la « sanction » avec tous les dégâts que cela peut faire sur de très jeune élève. |
6°) Le problème de la carte scolaire n’avait pas été directement abordée par le HCEE ; quel est votre point de vue sur cette question ô combien « sensible » ? |
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Assouplissement rime forcément avec renforcement des inégalités. |
Je regrette que nous n’ayons pas pensé à traiter de la carte scolaire, mais sans vouloir faire parler tous les membres du Haut Conseil on peut facilement imaginer que nous aurions pointé les injustices crées par la situation actuelle mais je doute que ayons pu conclure que le remède à ces injustices était une liberté de choix laissée aux familles. Il est relativement malhonnête de laisser croire aux familles qu’elles pourraient choisir leur établissement scolaire alors que la seule liberté qui peut être octroyée est la liberté pour les établissements de choisir leurs élèves. Tous les observateurs un peu crédibles peuvent affirmer avec certitude qu’assouplissement rime forcément avec renforcement des inégalités. Faire des regroupements de trois collèges conduira en un temps record à un collège préparant massivement à la voie générale du lycée, un autre à la voie technologique et le troisième à la voie professionnelle. Et si on veut une affectation en sixième sur la base de tests d’évaluation on élargira le marché des marchands de savoir dès l’école primaire. Est ce vraiment la société que l’on veut construire ? Il faut néanmoins repenser complètement, non pas les procédures mais la carte elle même, ce qui n’est pas une mince affaire. Cela coûtera plus cher que toute forme d’assouplissement mais nos idéaux sont à ce prix. |
7°) Au-delà du sempiternel problème de moyens – comme vous le rappelez la France est très honorablement placée pour le niveau de ses dépenses – quelle(s) stratégie(s) mettre en place pour résoudre la question de la grande difficulté scolaire et, plus globalement, pour construire une Ecole plus équitable qui, pour reprendre la formule d’Alain Savary donne vraiment plus à ceux qui ont moins ? |
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Il y a plus de consensus qu’on ne le pense sur ce que l’on attend de notre école. |
J’aime bien vous vous en doutez la référence à Alain Savary. En pensant à ce qu’il a fait je dirai que la première priorité pour rendre l’école plus juste est dans une volonté politique. Une volonté politique capable à un moment de notre histoire d’entraîner l’ensemble des acteurs internes et externes à l’école. Les résultats obtenus par le HCéé montrent qu’il y a plus de consensus qu’on ne le pense sur ce que l’on attend de notre école, à condition d’être crédible et d’être capable d’associer le maximum de partenaires. Seule une grande politique, portée par un grand politique peut y parvenir. Notre école est à la croisée des chemins, comme d’ailleurs notre pays : veut-on construire une société de « battants » ? Alors ne changeons rien, on est dans la bonne direction ; mais si on veut un système plus juste et plus solidaire alors il nous faut une mobilisation politique de grande ampleur. |
* "Entretien" réalisé par échanges de courriels (questions et titrailles sont de la seule responsabilité de JF Launay, responsable du site) |
2001 : http://cisad.adc.education.fr/hcee/publications-2001.html
2002 http://cisad.adc.education.fr/hcee/publications-2002.html
2003* http://cisad.adc.education.fr/hcee/publications-2003.html
2004 http://cisad.adc.education.fr/hcee/publications-2004.html
2005 http://cisad.adc.education.fr/hcee/publications-2005.html
* L’année est celle de la publication de l’avis du HCéé correspondant aux rapports (qui peuvent être d’une année antérieure) |
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Liens et compléments | |||||||||||||||
ESEN mini conférences Regards sur deux décennies de notre système éducatif http://www.esen.education.fr/documentation/liste.phtml?idRP=2&idR=454
À travers ces mini-conférences, Christian FORESTIER nous propose une
analyse de notre système
éducatif sur les 20 dernières années, s'appuyant sur les
travaux de la DEPP (Direction de l'évaluation, de la prospective et de
la performance du Ministère de l'éducation nationale), du CEREQ, de
l'OCDE, etc. Il s'appuie également sur une expérience personnelle de
25 années de responsabilités importantes dans notre système éducatif (cf
CV).
Présentation
du plan des interventions
Partie
1 : 1996 - 2006 : un système qui ne progresse plus
Partie
2 : Les besoins
et enjeux du système éducatif
Partie
3 : L'impact du
redoublement dans les comparaisons
internationales
Partie
4 : De la fin
du collège à l'enseignement supérieur
Partie
5 : L'échec
lourd et les sorties sans qualification
En
conclusion : éléments de stratégie à moyen terme |
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On a fait jouer au bac professionnel un rôle de contournement de la voie générale. |
Christian Forestier,
petit fils d'ouvriers agricoles, a fait l'école Michelin et est devenu
ingénieur et, après une brève carrière universitaire (Président de
l'Université de Saint-Etienne), recteur, Directeur des Lycées et
Collègues … puis un des "neuf sages" du Haut Conseil de l'Éducation et
président du CEREQ.
L'Ecole et la
réussite
http://www.udf.org/participer/colloques/education/ecole_reussite.html
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"L'Ecole fonctionne remarquablement bien pour une moitié des élèves"
La galère des non-diplômés continue après sept ans de vie active, selon une étude (cfEnquête « Génération 98 » http://www.cereq.fr/generationquatrevingtdixhuit.htm)
« Le devenir des enfants de familles défavorisées en France » Colloque avril 2004 (documents téléchargeables voir notamment la "discussion")
Une autre politique de discrimination positive : la politique anglaise des Education Action Zones (Education & Formations 61 octobre 2001)
Présentation des outils d'évaluation diagnostique de la DPD
IPES OUTIL DU PILOTAGE ET DE L'EVALUATION (avril 2002)
ICOTEP1, UN DISPOSITIF D’AIDE AU PILOTAGE DES ZONES ET RÉSEAUX D’ÉDUCATION PRIORITAIRE
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