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Mars 2001
“ Madame le Proviseur ”, “ Madame la* Proviseur ”, “ Madame la Proviseure* ”, “ Madame la Proviseuse* ”j’ai droit à tous ces titres dans mon courrier. Dernièrement, le député a même envoyé une lettre de recommandation à “ Monsieur le Proviseur ” alors qu’il sait parfaitement qu’à la tête du lycée, il y a une femme ! Les courriers impersonnels sont rarement adressés à “ Madame ou Monsieur le Proviseur ” mais plus souvent à “ Monsieur le Proviseur ”. Qui suis-je en fait ? Que fais-je donc à me mêler d’enseignement professionnel qui plus est, industriel ? J’aurais dû “ rester dans mes casseroles ” comme me l’avait gentiment fait remarquer l’un de mes collègues lorsque j’étais professeure - mais il y a bien longtemps ! - Heureusement pour mes convives, je ne suis jamais restée seule à utiliser ce genre de récipient…
Pour être plus sérieuse, regardons d’un peu plus près où nous en sommes aujourd’hui. Une circulaire de 1986 préconise la féminisation des noms de métier. Les réticences sont encore très fortes, même chez les femmes. Les arguments ne manquent pas :
- ces noms, dit-on, indiquent des fonctions et sont considérés comme neutres. Je croyais pourtant que le neutre n’existait pas dans la langue française ?
- Féminiser les noms de métier revient à les dévaloriser ! …même des femmes le pensent. Sans commentaire.
- Ecrire “ professeure ” n’est pas correct ; devrait-on dire “ docteure ” ou “ doctoresse ” ? Cela écorche les oreilles. Peu importe. Lorsque nos Académiciens se pencheront sur le sujet, ils nous transmettront les règles à appliquer. La langue française est en perpétuelle évolution et nos oreilles s’habitueront. D’ailleurs les québécois l’ont compris depuis longtemps : chaque métier se décline au masculin et au féminin.
Le langage structure la pensée. Dans une revue destinée à promouvoir pour les jeunes filles les métiers traditionnellement masculins, on peut lire, comme dans de nombreuses autres “ plombier, mécanicien, électricien…, se pratiquent aussi au féminin ”. Ne croyez-vous pas qu’écrire “ plombière, mécanicienne, électricienne… beaucoup d’emplois pour les femmes ! ” serait plus cohérent et permettrait à nos jeunes filles de se sentir plus concernées. En classe de troisième, quelle élève s’arrête à la page relative à, par exemple, électronicien. Ce nom de métier n’existe qu’au masculin : ce n’est pas pour elle.
Les mots ont un poids culturel et sociologique. Il n’est pas neutre de constater que, lorsqu’un métier traditionnellement féminin s’ouvre aux hommes (et c’est une excellente chose), on ne met pas longtemps à trouver la “ masculinisation** ” du nom du métier. Un homme occupant des fonctions de sage-femme est un “ maïeuticien ”***. Notez en passant qu’en se masculinisant le nom a pris des lettres de noblesse en cherchant ses racines dans le grec. Il reste “ la sentinelle ”, métier presque toujours masculin. Messieurs, défendez-vous !
Si l’on épluche les offres d’emploi du journal “ Le Monde ”, force est de constater que les propositions d’emploi de cadre moyen sont libellées dans les deux genres, celles de cadre supérieur sont uniquement au masculin. Il est simplement précisé “ H/F ”. Par exemple, on recherche assistante et assistant de direction mais un directeur de marketing (H/F).
Le souhait d’accélérer la féminisation des noms de métier n’est pas simplement pour moi un combat puéril de féministe acharnée. C’est un des moyens qui peut permettre d’avancer de quelques pas dans cette longue marche vers l’égalité des sexes. Il est loin d’être suffisant mais peut être nécessaire. D’autres combats sont indispensables qui sont de plus grande portée, au niveau des droits de la femme et de la citoyenne, dans sa famille, au travail, pour elle-même, dans son éducation. Au delà de la féminisation des noms de métiers, je pense en particulier aux manuels scolaires, voie même à certains programmes, qui n’ont pas beaucoup évolués depuis Jules Ferry qui prônait clairement une éducation différenciée pour les filles et les garçons. Mais ceci est un autre débat…
Et si l’association Education et Devenir, dans les domaines qui sont les siens, participait à cette marche lente ?
Christiane Brossard
Académie de Dijon
* même le correcteur orthographique n’en veut pas et pour poursuivre sans être soulignée de rouge, je dois “ignorer toujours”
** tiens, là aussi j’ai dû “ ignorer toujours ” dans le correcteur orthographique !
*** existe déjà dans le correcteur