Le Monde n'est pas un jouet

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L’enfant, en jouant, découvre le monde. L’adulte, en jouant, détruit le monde.

Comment en sommes-nous arrivés là ? À oublier qu’un enfant a le droit de casser un château de cubes, pour pouvoir justement s’exercer à le reconstruire, alors que nous n’avons pas le droit de saccager le bien commun des hommes ni de compromettre l’existence de la “ terre patrie ”… Qu’un enfant peut passer ses caprices en s’acharnant sur son doudou ou sa poupée, alors que nous n’avons pas le droit de faire du corps des autres l’instrument exclusif de notre jouissance… Qu’un enfant a le droit de se mesurer à ses amis et à ses proches en des jeux qui ne portent pas à conséquence, alors que nous n’avons pas le droit de jouer avec ceux qui nous entourent en monnayant notre affection contre des cadeaux ou des faveurs… Qu’un enfant a le droit de tuer un soldat de plomb ou l’image virtuelle d’un combattant d’une autre galaxie, alors que nous n’avons pas le droit de briser la vie de nos frères de chair et sang…

Car on a le droit de jouer. Le devoir même. Mais pas tout le temps, pas avec n’importe qui ni n’importe quoi. Enfants, il nous faut apprendre le monde en nous exerçant sur des réalités possibles, avec des règles acceptables, dans des cadres limités. Adultes, il nous faut apprivoiser nos fantasmes de toute-puissance en les exprimant dans un registre symbolique, hors de toute hiérarchie et sans perspective de domination psychologique ou matérielle. Le jeu n’est possible que s’il est borné.

Or, partout autour de nous, sous l’apparence de la dérision ou avec un terrible esprit de sérieux, on joue : on joue “ à la bourse ” ou “ à la ferme ”, “ à la guerre ” ou “ à l’école ”, “ à l’amour ” ou “ à l’aventure ”… Mais en laissant, sur le terrain, de vrais cadavres et de fausses stars, des être humiliés ou aigris, des enfants-rois de sept à soixante-dix sept ans, tous brisés sous le joug du jouet.

Quel est donc l’enjeu pour nous aujourd’hui ? Accompagner nos enfants dans la découverte du plaisir du jeu, sans rien leur cacher, pour autant, des nécessaires limites du jeu. Les aider à assumer les frustrations inévitables dès lors qu’ils découvrent que le monde n’est ni leur propriété ni leur jouet. Les amener à découvrir la fragilité des êtres et du monde et à résister progressivement à leurs velléités narcissiques. Les préparer à lutter contre l’hégémonie du jouet qui est aussi celle du mépris et de la violence.

Un éducateur s’interroge et nous interroge. Il nous présente une réflexion philosophique et politique et s’appuie, en même temps, sur l’analyse de multiples événements de la vie familiale, sociale, scolaire : de l’éducation du tout petit enfant à la formation du citoyen, de la mode à la télé-surveillance, des jeux vidéo à l’éducation à l’environnement, des débats sur l’autorité à ceux sur la télé-réalité, il balaye la plupart des préoccupations éducatives d’aujourd’hui. Avec, toujours une question centrale : comment comprendre un phénomène aussi préoccupant que la transformation du monde en gigantesque ludothèque ? Comment réagir au quotidien, de la naissance à l’adolescence et au-delà devant les triomphes du caprice et l’instrumentalisation du monde au service de nos fantasmes de toute-puissance ? Comment agir pour préparer un autre monde, un monde où le jeu redevienne une occupation sans danger ? Un monde qui dure plus que nous et soit plus accueillant et solidaire ?