Note de Lecture

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Complément au Courrier 9-10 septembre-octobre 2005

 

Alain KERLAN

 

L’art pour éduquer ? La tentation esthétique.

Contribution philosophique à l’étude d’un paradigme.

 

Les Presses de l’Université LAVAL. 2004

 

 

Alain Kerlan est docteur en philosophie. Il dirige aussi le département Sciences de l’éducation dans le cadre de l’Institut des Sciences et des pratiques d’Education et de Formation (Lyon 2) où il enseigne les sciences de l’éducation. Son dernier ouvrage, L’Art pour éduquer ? La tentation esthétique. Contribution philosophique à l’étude d’un paradigme est au croisement de cette double posture : celle du pédagogue et celle du philosophe. Il s’agit bien pour l’auteur, en tenant les deux bouts de cette posture, de passer d’une philosophie de l’éducation à une philosophie pour l’éducation, avec l’objectif revendiqué dès le titre d’un nouveau modèle éducatif : l’art pour éduquer.

Alain Kerlan, avait déjà posé les jalons de cette ambition dans un de ses précédents ouvrages : La science n’éduquera pas. Comte Durkheim, le modèle introuvable[i] où il montrait avec beaucoup de pertinence la limite d’un paradigme éducatif hérité du XIX° siècle : la primauté de la raison comme fondement de toute pensée éducative. Passant, avec ce dernier opus, d’une réflexion sur l’éducation scientifique à celle sur l’éducation artistique il nous invite à redécouvrir Kant « qui conduit à considérer le jugement de goût comme une opération indissolublement intellectuelle et sensible », Bachelard « soleil impérieux de la raison d’un côté et brume envoûtante de l’imaginaire de l’autre «  et surtout  Schiller et ses Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme[ii] (une oeuvre d’une richesse et d’une actualité surprenante !) La posture philosophique n’est jamais très loin de la pensée pédagogique notamment lorsqu’il s’agit d’explorer les fondements philosophiques de ce que Kerlan propose comme « la relève esthétique du modèle éducatif »

Trois lignes de force structure ce nouveau modèle :

-          l’unité éducative. « Pas d’éducation sans visée de l’unité » affirme l’auteur ;

-          la formation du sujet comme réponse à l’individualisme contemporain ;

-          la place de l’art dans une éducation démocratique.

 

Ces lignes de force vont donc « filer » cet exigeant plaidoyer fruit d’un mémoire d’ habilitation à diriger des recherches. L’art y apparaît comme « un ultime recours éducatif face aux difficultés sociales et scolaires ». Cela ne se limite d’ailleurs pas au seul système scolaire, les artistes intervenants dans les quartiers difficiles, les prisons, les hôpitaux . N’est-on pas en quête d’une réponse à l’éclatement du monde moderne ? C’est ce que montre avec beaucoup de justesse Alain Kerlan, notamment pour ce qui est de l’Ecole : l’art comme lieu du sens et de la signifiance. Comment en est-on arrivé là ? L’auteur distingue, pour ce qui concerne les trente dernières années, trois « moments » , trois « directions » qui pourraient donner à comprendre l’évolution du système éducatif en quête de modèle. C’est d’abord, nous dit-il, « les années soixante-dix centrées sur le sujet éduqué et la libération de son expression ». Vient ensuite, au milieu des années 80, « l’âge des savoirs didactisés et du maître ingénieurs » période dans laquelle le directeur du laboratoire des sciences de l’éducation de Lyon 2 voit l’éclatement du modèle éducatif entre l’instrumentalisation des apprentissages d’un côté et la vie réelle du sujet de l’autre. C’est  la remise en cause de l’unité éducative qui reste alors à reconstruire.  La troisième époque émerge au milieu des années 90, « on vit alors le débat éducatif et bientôt les politiques éducatives se préoccuper explicitement de la place et du sort de la culture. » Pour autant, en fin dialecticien, Kerlan ne se laisse pas enfermer dans une opposition stérile entre ces différentes époques, proposant plutôt une lecture qui donne à découvrir une même quête qu’il présente comme « la reprise éducative de la culture moderne ».

 Cette quête, on peut parler avec l’auteur « d’utopie », trouve un début de concrétisation dans Le plan de développement des arts et de la culture à l’école.(en 2000) La reconnaissance d’une « intelligence sensible » permet de passer d’une instrumentalisation de l’art comme démarche pédagogique « vers un modèle esthétique de l’éducation, vers une pensée générale de l’éducation et des apprentissages sous l’angle des valeurs esthétiques ». Ce credo, loin de tendre vers l’individualisme pourfendu par Luc Ferry, fait du Sujet l’alpha et l’oméga de toute démarche éducative. Si l’art pour éduquer est bien le fondement de ce nouveau paradigme il serait dangereux d’enfermer l’école dans un rapport de dépendance à l’art et réciproquement ! Gageons avec l’auteur que ni l’école ni l’art n’aurait à y gagner !

 

Ce nouveau modèle éducatif est à construire sur la durée. La réflexion d’Alain Kerlan (son bouquin rappelons le a été écrit en 2004) est encore portée par l’optimisme du plan Lang Tasca. On sait, changement de gouvernement oblige, ce qu’il en advint ;  l’éducation artistique étant, une fois de plus, sacrifiée sur l’autel des restrictions budgétaires et sur les « fondamentaux ». Pour autant, les lignes de force proposées par le « philosophe pédagogue » offrent une perspective dont il nous faut nous emparer pour contrer ce retour en arrière qui semble caractériser l’actualité des politiques éducatives. Peut être pourrait-on regretter, à la fin de cette lecture,  la non prise en  considération de l’influence considérable des médias sur l’éducation des enfants et aussi si ce n’est d’abord sur leur imaginaire et leur subjectivité. Le modèle proposé par l’auteur, l’art pour éduquer, ne saurait faire l’économie d’une analyse approfondie de cette influence et des enjeux économiques qui la sous-tendent. De même, sans doute faudrait-il s’interroger- Alain Kerlan le revendique d’ailleurs – sur l’évolution des décrets et autres circulaires qui régissent la place de l’éducation artistique à l’école. On y trouverait, loin de l’affirmation d’un idéal démocratique fort justement pointé par l’auteur, la marque d’une opposition stérile entre le ministère de l’éducation nationale et celui de la culture, héritage lointain mais, malheureusement, toujours d’actualité de la pensée de Malraux sur l’art.

Le travail d’Alain Kerlan offre, lui, d’autres perspectives. La rigueur philosophique n’est jamais éloigné de l’engagement du pédagogue, si ce n’est du citoyen. On ressort de cette lecture revigoré et convaincu avec l’auteur que « c’est peut être dans la figure de l’enfant que le monde moderne voit la dernière forme et l’ultime chance de l’unité ».

 

  

                                      A. ROUX


 

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[i] Alain Kerlan ; La science n’éduquera pas. Comte, Durkheim, le modèle introuvable ; Editions Peter Lang, 1998.

[ii] Friedriech von SCHILLER, Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme (1791), Editions Aubier. 1943 1992.