Voile, loi, laïcité

Nouveau site : http://www.educationetdevenir.fr/  

 

  

VOILE,  LOI ET LAICÏTÉ

 
 

José FOUQUE,

Président d’Education & Devenir

Jean Michel DUCOMTE,

Président de la ligue de l’enseignement

Georges DUPON-LAHITTE,

Président de la FCPE

 

 

Nous portons et défendons l'héritage des femmes et des hommes qui, par leur combat, ont contribué à faire de la France une République laïque. La laïcité, principe unificateur, condition de la paix civile et sociale, participe à la définition de notre République démocratique, marquée par la séparation entre les églises et l'Etat. Nous pensons que la sphère publique ne doit pas être inféodée aux convictions religieuses. Nous pensons que la société civile ne doit pas être dominée par une croyance, fût-elle la religion majoritaire, mais s'enrichir, s'ouvrir à une véritable pluralité culturelle et politique, à travers les associations, les syndicats, les partis politiques, les autres confessions et tous les regroupements de pensée ou organisations, respectueux du cadre républicain et démocratique.

 

Les récentes prises de position de l'Espagne ou de la Pologne sur la place du christianisme dans la constitution européenne, le rapport singulier avec la religion des Etats-Unis, l'émergence dans les pays en voie de développement d'états non démocratiques puissants nettement marqués par leur caractère religieux, le développement d'un terrorisme international au nom de la foi, l'apparition de revendications de justice sociale s'exprimant dans le langage de la religion montrent l'urgence d'un débat sur la laïcité.

 

On peut cependant s'étonner de le voir surgir à nouveau dans l'Education nationale française et prendre une telle ampleur à propos des jeunes filles qui se sont présentées dans leur établissement avec un «foulard» sur la tête, d'autant que ce phénomène reste très limité. Le problème qui est posé à l'Ecole par les jeunes filles portant un foulard ne saurait se résoudre par une loi. Non seulement toute loi serait impossible d'application, elle conduirait encore à aborder l'un des défis majeurs de notre société par le petit bout de la lorgnette. Par ailleurs, que penser d'une loi qui punirait les victimes ?

 

Le Conseil d'Etat a émis en 1989 un avis sur l'état du droit positif applicable. Echelon suprême de la juridiction administrative, il juge les litiges entre particuliers et l'administration. Il est le juge de cassation des arrêts des cours administratives d'appel et des juridictions administratives spécialisées. Il juge en premier et dernier ressort les recours dirigés contre les décrets, les actes des organismes collégiaux à compétence nationale... Cet avis est clair : «( ...) le port par les élèves de signes par lesquels ils entendent manifester leur appartenance à une religion n'est pas par lui-même incompatible avec le principe de laïcité, (...) il constitue l'exercice de la liberté d'expression et de manifestation de croyances religieuses, mais (...) cette liberté ne saurait permettre aux élèves d'arborer des signes d'appartenance religieuse qui, par leur nature, par les conditions dans lesquelles ils seraient portés individuellement ou collectivement, ou par leur caractère ostentatoire ou revendicatif, constitueraient un acte de pression, de provocation, de prosélytisme ou de propagande, porteraient atteinte à la dignité ou à la liberté de l'élève ou d'autres membres de la communauté éducative, compromettraient leur santé ou leur sécurité, perturberaient le déroulement des activités d'enseignement et le rôle éducatif des enseignants, enfin troubleraient l'ordre dans l'établissement ou le fonctionnement normal du service public.»

 

D'après le Conseil d'Etat, le port du voile est acceptable dans l'Ecole comme toute autre tenue vestimentaire à titre privé ou personnel ; en revanche, il est interdit si son usage est la cause d'un trouble délibéré de l'ordre public... Cet avis aujourd'hui contesté est pourtant cohérent avec les principes qui ont inspiré sa jurisprudence et fondent son autorité. L'ordre public scolaire rencontre sa limite dans le principe même de liberté de manifestation de nos convictions. L'appréciation du franchissement de l'ordre public par la tenue vestimentaire doit être étudiée dans chaque cas particulier. Les tribunaux administratifs, saisis de cas d'espèce, se sont appuyés sur cette position. Une loi ne saurait aller contre la liberté d'expression et de manifestation de croyances religieuses, elle ne saurait non plus exposer de façon exhaustive les conditions et les moyens de mise en évidence des cas de prosélytismes. Le vote d'une loi nouvelle ne console jamais de l'inapplication de celles qui existent.

 

Nous affirmons notre hostilité à l'égard de tous les signes, extérieurs ou non, d'appartenance communautaire qui visent à priver un individu du libre exercice de son corps ou de son esprit. L'Etat laïque a pour devoir d'empêcher que quiconque puisse devenir l'objet d'une telle pression ou oppression ; l'Ecole, institution de l'Etat, en excluant à priori pour se protéger, renoncerait à cette mission. Le droit d'entrer à l'Ecole ne peut dépendre sans paradoxe de ce dont elle est justement censée permettre l'appropriation. Consentir à ne plus agir que par l'interdit de la loi, reviendrait à admettre notre impuissance d'éducateurs, à mettre la démocratie en berne.

 

Ces jeunes filles trouveront vite, autorisées par la loi, les institutions religieuses fondamentalistes dont elles sortiront amputées de leur féminité, privées de l'appareil critique indispensable à la conquête de leur autonomie, renforcées dans un repli identitaire dont le rapport essentiel à l'islam reste à prouver. L'exclusion par la loi conduirait au renforcement des communautarismes et de l'intégrisme.

 

Le meilleur moyen d'amener ces jeunes filles à refuser cette coutume, symbole d'un effacement social de la féminité, reste l'action éducative et pédagogique. Pour que l'Ecole participe à l'intégration de tous les citoyens dans une culture commune laïque respectueuse des convictions de chacun, les enseignants doivent être convaincus de l'importance de leur rôle comme transmetteurs des valeurs fondatrices de la laïcité. La formation des personnels de l'éducation est la condition pour affronter ces turbulences sociétales avec détermination et sérénité.

 

Ne craignons pas la diversité, le débat, voire le conflit ! Sachons faire confiance aux jeunes et redonnons confiance aux adultes qui les encadrent. C'est dans le dialogue, parfois dans la confrontation, que se met en oeuvre la fonction libératrice de l'Ecole.

Dans le même temps, l'Etat et l'ensemble de ses services doivent soutenir les personnels et les cadres, les aider à affronter les tentatives de déstabilisation de l'institution par des individus ou des groupes déterminés. Des définitions de procédures et des précisions réglementaires sont indispensables pour leur permettre d'agir avec plus de clarté, dans le respect du droit. Laïcité ne saurait signifier laxisme ou faiblesse.

 

D'un côté, l'Etat doit pouvoir assurer à chacun le libre exercice de son culte mais aussi éviter que, dans un monde sécularisé, les citoyens n'aient plus que le recours des religions pour trouver les valeurs essentielles au lien social. Il revient à l'Etat, en tout cas à son modèle français, de défendre ici et maintenant une visée qui fonde son universalité dans les efforts pour construire, dans la paix et la pluralité, les valeurs qui permettent de vivre ensemble.

 

Le «voile islamique», signe d'un repli communautaire, négation inacceptable de la féminité, mais aussi prévention des agressions sexuelles dans certains quartiers, est un phénomène complexe. En lui se conjuguent l'expression du rejet d'une société dont les valeurs s'effritent, la solidarité avec la lutte de certains peuples, la recherche d'une identité et la revendication d'une spiritualité où certains jeunes viennent nourrir la crise de leur adolescence. Il s'agit, dans le même temps, d'un combat politique conduit contre les démocraties des pays développés par des franges déterminées du terrorisme international qui a lui-même partie liée avec certains états et qui utilise les fragilités intrinsèques de la démocratie.

 

Expression d'une dérive, le port du foulard se cherche parfois une légitimité paradoxale dans les principes mêmes de l'individualisme démocratique et de la laïcité. Peut-on, par ailleurs, ignorer que ces affaires de voile dissimulent l'intolérance et la xénophobie d'une partie de la population ? Il serait regrettable de découvrir trop tard que cet affairement était l'occasion de grimer avec un discours politiquement correct des relents d'intolérance.

 

Certains voient la laïcité en danger. Certes, l'Etat peine à faire face à ses responsabilités. Il manque la politique audacieuse qu'attendent les populations des ghettos où germe la violence ; il est pusillanime quand il conviendrait de faire valoir avec conviction les principes laïques et démocratiques dans l'ensemble de la société. Les forces de la haine et du racisme mènent le jeu électoral ; le piège se referme sur les partis démocratiques qui, sans agir sur les causes, singent aujourd'hui la rigueur.

 

Toutefois, quand l'Ecole accueille, sans gommer les différences, les enfants de la République et leur apporte les outils de la réflexion critique, elle ne met pas la laïcité en danger. Espace pour un véritable dialogue social inspiré par la raison, elle montre sa force et l'exemple d'une laïcité en acte, libératrice.

 

Pour examiner avec justice leurs intérêts, leurs affections, leurs forces, leurs rapports avec leurs semblables et construire les conditions du vivre ensemble, les femmes et les hommes n'ont besoin que d'eux-mêmes. L'Ecole n'est-elle pas pour beaucoup d'enfants ou d'adolescents l'unique lieu où l'apprendre ?

 

--- Original Message -----

From: "Claude Pair" <Claude.Pair@loria.fr>

To: "E&D" <education.devenir@free.fr>

Sent: Monday, December 15, 2003 8:12 AM

Subject: Re: Voile, loi, laïcité (envoi en Cci)

 

 Chers Amis,
 
 Merci de votre envoi, et surtout de cette démarche. La commission Stasi,
 dont le rapport contient par ailleurs d'excellentes choses, s'est
 visiblement laissée impressionner par des témoignages, pour certains
 certainement fondés sur une incertitude ou une détresse, mais confondant
 tout.
 
 Pour aller vers l'égalité des femmes et des hommes, on se dirige vers
 une loi qui exclura des filles, soit parce qu'elles font usage de leur
 liberté soit parce qu'elles sont des victimes, des filles qui, en
 moyenne, montrent la réussite de l'école pour l'intégration, et on
 stigmatisera des familles, en évitant de s'attaquer à ce qui ici ou là
 empêche réellement l'école de remplir sa mission (et qui n'a pas besoin
 de nouvelle loi pour être réprimé). Les droits de l'Homme sont
 indivisibles, on paie un jour ou l'autre les entraves à la liberté.
 
 Merci d'avoir montré qu'il y a à l'école et autour d'elle des
 organisations qui ne hurlent pas avec les loups et qui ne cherchent pas
 d'abord le confort des personnels et des responsables au prix de
 l'exclusion.
 
 Amicalement,
 
 Claude Pair