Fillon, une loi démagogique

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Rebonds
   
Fillon, une loi démagogique
Les réformes de l'éducation annoncées en un mois nous montrent combien le changement de cap peut dissimuler une politique réactionnaire et dangereuse.
 

par Georges Dupon-Lahitte (président de la FCPE),

José Fouque (président d'Education & Devenir),

André Legrand (ancien recteur, ancien directeur au ministère de l'Education nationale, ancien président de l'université Paris-X)
et Philippe Meirieu (professeur des universités).

   
 
quatre-vingts pour cent des jeunes d'une classe d'âge au niveau du bac, cent pour cent de jeunes sortis du système éducatif avec une qualification de niveau V, la nouvelle loi d'orientation semble devoir faire siens les objectifs de la loi de 1989 qui n'ont été qu'en partie réalisés. Elle reprend même à son compte l'objectif annoncé sous le ministère de Jack Lang que cinquante pour cent d'une génération soit titulaire d'un diplôme d'enseignement supérieur.

Derrière un affichage identique, se cachent pourtant des stratégies, une politique, une conception de l'école, voire de l'enfant, différentes et probablement opposées. En 1989, le pari de la démocratisation de l'école reposait sur le double postulat que, en développant d'une part les voies technologiques et professionnelles, en centrant d'autre part l'organisation des établissements sur l'activité des élèves (c'était le sens de la formule «l'élève au centre»), on conduirait au niveau du bac ceux qui, à cause de leur âge, de leur sexe ou de leur origine sociale, n'y parvenaient pas précédemment. Le bilan des raisons pour lesquelles cette stratégie n'a pas produit tous ses effets n'a jamais été réalisé. La nouvelle loi semble devoir s'appuyer sur des postulats différents : l'acquisition par les élèves d'un socle commun de connaissances (encore à définir), la multiplication des contrôles, tout au long de la scolarité, pour vérifier que ces connaissances sont bien acquises, et l'instauration d'un climat de travail dans les établissements grâce à la restauration de l'autorité du maître permettraient de retrouver un élan nouveau, par rapport à une situation qui ne progresse plus depuis 1995.

Trois réformes annoncées en un mois nous montrent combien ce changement de cap, apparemment tout à fait consensuel, peut dissimuler une politique réactionnaire, dangereuse, en recul par rapport à toutes les réformes initiées aussi bien par la gauche que par la droite depuis Langevin Wallon, les ministres Haby, Fontanet et tous ceux qui leur ont succédé jusqu'à maintenant.

Les TPE (travaux personnels encadrés) sont certainement une innovation majeure pour faire réussir le plus grand nombre : chez les élèves, ils permettent le développement de compétences transversales qui peuvent aussi faciliter les apprentissages disciplinaires (recherche et traitement de l'information, utilisation des nouvelles technologies, travail en équipes...). Par leur caractère pluridisciplinaire, ils contribuent à donner du sens aux savoirs scolaires. Projets à long terme, ils placent les élèves dans des situations qu'ils vivront régulièrement dans l'enseignement supérieur et donc les y préparent. Ils permettent aussi aux enseignants de travailler en équipe, de dépasser les traditionnels clivages disciplinaires. Surtout, ils remettent en cause l'idée que les situations d'apprentissage doivent être nécessairement passives, que tout est fondé sur celui qui sait et dispense la «bonne parole» face à des élèves consommateurs. Or notre société a besoin de professionnels et de citoyens capables de réfléchir par eux-mêmes, autonomes et susceptibles d'initiatives. Pendant les TPE, les élèves apprennent à penser par eux-mêmes, à se poser des questions et à essayer, par eux-mêmes, d'y répondre. Ce n'est pas en une seule année que l'on pourra leur donner ces habitudes d'autonomie. Les supprimer en terminale et les limiter à la classe de première, c'est supprimer leur évaluation, les déconsidérer aux yeux des élèves et des enseignants, ne pas reconnaître l'importance de leurs apports, peut-être même refuser les valeurs qu'ils incarnent. C'est ne pas reconnaître que l'intelligence préside à l'acquisition des connaissances. C'est enfin stopper une démarche à laquelle avaient adhéré de nombreux enseignants et les décourager de s'embarquer plus tard dans d'autres innovations.

Cette suppression nous a surpris : elle ne peut s'expliquer que par le souci de récupérer quelques moyens pour satisfaire les demandes réitérées de quelques lobbies disciplinaires. Ce motif nous semble bien léger !

Le redoublement est une spécificité du système éducatif français ; tous les experts, toutes les études comparées avec les systèmes éducatifs européens disent son inefficacité quand il est pratiqué massivement. Il conforte souvent l'élève dans son échec et lui permet rarement une poursuite d'études dans la voie qu'il a initialement envisagée. Sa restauration en cours de cycle a pour seul objectif de s'attirer les bonnes grâces d'une partie du corps enseignant qui se plaindrait du pouvoir excessif des parents dans les décisions d'orientation. Il aurait fallu au contraire réaffirmer la nécessité du dialogue avec les familles pour aider les élèves à mieux construire, de façon ambitieuse et raisonnée, leur projet personnel et à diminuer ainsi les risques du déterminisme social ; il aurait fallu au contraire inciter les équipes à chercher d'autres moyens pour pallier les difficultés ponctuelles que peuvent rencontrer les élèves. On aurait pu ainsi employer les importants coûts financiers du redoublement à la mise en place de ces moyens qui auraient pu être gérés dans les établissements à l'initiative des équipes.

La circulaire sur la possibilité de sanctions collectives et de travaux supplémentaires vise à restaurer l'autorité du maître. Elle répond, elle aussi, au seul souci de plaire au corps enseignant. Les punitions collectives sont évidemment contre-productives : il ne faut pas demander à un élève puni à la place d'un autre de respecter un maître qui désormais incarnera l'injustice ; nous pouvons aussi être assurés que les graffitis vont fleurir et les dégradations se multiplier en guise de représailles. L'objectif de pacifier les établissements sera évidemment manqué et l'autorité de l'enseignant contestée ; chacun sait bien, en effet, que celle-ci ne peut s'asseoir que sur des principes simples, justes, clairement exprimés. Tout aussi aberrante est la possibilité de punir par des travaux supplémentaires, dans une institution qui cherche à donner le goût des savoirs ! Allez faire apprécier les mathématiques à un élève qui vient de se coltiner des exercices supplémentaires pour une faute commise qui n'avait rien à voir avec les mathématiques !

Mais le plus grave dans ce texte, c'est qu'il est contraire au droit, dans une institution dont le premier objectif est justement d'apprendre la loi («nul n'est censé ignorer la loi») : les textes de 2000, contestés par cette récente circulaire, avaient pour ambition que le droit à l'école s'inspire des mêmes principes que le droit de la société civile : démarche évidente si l'on considère que l'école est un lieu essentiel de l'apprentissage de la citoyenneté et de l'expérimentation de la vie sociale. Or un des principes fondamentaux du droit français consiste en l'individualisation des peines. Ces textes de 2 000 s'inscrivaient d'ailleurs dans la suite logique de la refonte, en 1994, du code pénal, qui visait justement à une meilleure application de ce principe. Quand on sait que la défense de ce principe a constitué l'essentiel de l'oeuvre de Beccaria au XVIIIe siècle, on mesure l'ampleur du recul que constitue cette circulaire. Sa mise en oeuvre serait contraire au droit...

Une politique ne se construit pas à partir du souci de plaire à une corporation ou à des lobbies ; l'objectif affiché de démocratiser l'accès au diplôme est difficile. Il ne pourra pas être atteint par des mesures démagogiques. Il implique, au contraire, une volonté politique forte et courageuse, capable d'entraîner la mobilisation de tous les acteurs dans les établissements scolaires. La véritable confiance dans les enseignants consiste à les mettre en situation d'exercer un métier ô combien! difficile avec dynamisme et inventivité. Un ministre se doit d'aider les enseignants à faire en sorte que tous leurs élèves, loin d'être pour eux des dangers, soient susceptibles de progrès et que les familles, loin d'exercer contre eux un pouvoir dangereux pour l'école, soient au contraire des partenaires. Une corporation, craintive et repliée sur elle-même ne pourra jamais réussir ce grand pari, dont les enjeux économiques, sociaux et éthiques sont déterminants pour l 'avenir de notre pays.

 http://www.liberation.fr/page.php?Article=257002

 © Libération 26/11/04