Actes du Sénat 2006

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N° hors série des Cahiers d'Education & Devenir

Journée d'études du 9 janvier 2006
Quelle légitimité de l'école dans une société en crise ? Journée organisée par Education & Devenir, les CEMEA, la FCPE, la PEEP, le CRAP cahiers pédagogiques, la Ligue de l'enseignement

 

Ouverture  
  Avant-Propos José Fouque, Président d'Éducation & Devenir
   
Conférence    
  La légitimité de l'école du point de vue historique Vincent TROGER Maître de conférences à l'IUFM de Versailles

 

 

Eclairages théoriques  
 
bulletUn indice de la crise de l'institution scolaire : les interrogations des acteurs de l'école
Pierre MERLE , professeur de sociologie, IUFM de Bretagne
 
bulletLa ségrégation ethnique au collège
Georges FELOUZIS, sociologue, professeur à l'IUFM de Bordeaux 2
 
bulletLégitimité et légalité
Jean-Marie FAYOL-NOIRETERRE, magistrat honoraire
 
bulletQuelle légitimité pour une école en crise ?
Béatrice MABILON-BONFILS, professeure à l'IEP d'Aix-en-Provence et à l'Université d'Avignon
     
Réponses du terrain  
 
bullet

A travers la crise des banlieues

Bruno DESCROIX, professeur de mathématiques au Lycée Louise Michel Bobigny

 
bulletLes régles du jeu
Peggy Colcanap, CPE au collège Fontaine-au-Roi, Paris
 
bulletLa réussite de l'enfant, de l'adolescent
Jean-Claude FORTIER, Président de l'université de Bourgogne, ancien Président de la Conférence des recteurs français
 
bulletMettre en œuvre les valeurs de la République
Claude REBAUD, Proviseur de la cité scolaire d'Andrézieux-Bouthéon
 
bulletEcole et modèle républicain
Eric FERRAND, Maire-adjoint de Paris, chargé de la vie scolaire
     
Conférence  
  Ecole et légitimité Philippe MEIRIEU, professeur des universités
     
Synthèse  
  Remettre sur les rails le service public Bernard TOUTLEMONDE, IGEN honoraire
     
À commander au Secrétariat Général d'Éducation & Devenir, Collège du Val d’Auge 76560 DOUDEVILLE  _ 15 €
  Document complémentaire et reportage photos Ü

 

Avant-propos

par José Fouque, Président d'Éducation & Devenir

 

En mai 2005, nous étions déçus par le manque d'audace de la loi Fillon; nous restions confondus par le mouvement des lycéens qui refusaient le changement des modalités de délivrance du baccalauréat; nous étonnaient encore l'évolution du comportement de certains groupes de lycéens et les affrontements entre cultures différentes.

Nous avions alors décidé de consacrer l'année 2006 à deux thèmes: la connaissance de nos élèves - qui serait celui de notre colloque de Rouen - et la légitimité de l'école dans une société en crise, pour notre journée d'étude au Sénat, le lundi 9 janvier.

Entre-temps, et bien malgré nous, d'autres événements ont donné une couleur particulière à ces interrogations: certaines conduites d'une partie désespérée de la jeunesse déshéritée se sont radicalisées; des courants de pensée dont les acteurs ont largement contribué aux évolutions déterminantes des dernières décennies se sont vus violemment attaqués - courants et acteurs aujourd'hui victimes, si l'on peut dire, d'une « lecture globale »... Quelquefois, ces attaques sont assorties de propositions qui mettent en danger les objectifs mêmes d'une école de la réussite pour tous, et qui tournent le dos à l'idéal d'une plus grande justice de l'accès à la formation et à la qualification. D'autres fois, elles prêtent à rire, comme quand il s'agit de lancer dans la profession un remède miracle pour réduire le nombre d'illettrés en sixième... Au milieu de ce concert dissonant, la question de la légitimité de l'école dans une société en crise prend un relief cru, tant du point de vue du droit, de la justice et de l'équité que de la raison.

 

Un éclairage historique nous permettra d'apprendre si les évolutions successives de l'école n'ont pu être vécues par certains, à différentes époques, comme des crises de légitimité. Un juriste, des sociologues et une politologue nous proposeront également des regards croisés pour une approche sociale. De fait, l'apparition dans l'école, à la place de mesures d'ordre internes, du monde du droit, de la justice et de la police, n'entraîne-t-elle pas une certaine désacralisation, du moins un certain désaveu de l'ordre scolaire? L'intervention de ces institutions peut être perçue comme une forme d'externalisation du traitement des dysfonctionnements.

D'un point de vue social, l'époque est révolue où l'école délivrait un bagage pour la vie ; malgré les tentations récurrentes de l'encyclopédisme, on voit bien aujourd'hui qu'il s'agit avant tout d'apprendre à accéder aux ressources pour les utiliser dans des contextes variés. Sans parler des technologies de l'information et de la communication dans l'enseignement (TICE), ce changement de la relation entre le savoir, le maître et l'élève, déplace le problème de l'autorité de celui qui sait ou est censé apporter le savoir.

Avec l'instauration de la laïcité, l'institution scolaire aura permis, par l'accès au savoir, l'émancipation du plus grand nombre et la conquête de l'autonomie pour chaque citoyen. Elle s'est proposé d'offrir à chaque enfant la possibilité d'occuper dans la société une meilleure place que ses parents. On peut constater une nette élévation du niveau général, grâce à la généralisation de l'accès à l'école et l'allongement de la scolarisation ; l'école a engendré une élite de mieux en mieux formée ; mais le bilan ne laisse pas d'être contradictoire : l'écart ne s'est-il pas creusé entre le « peloton de tête » et un grand nombre d'enfants déshérités, désorientés, mal formés? Malgré les mesures prises, les inégalités sociales ne se sont-elles pas confirmées, voire aggravées? L'hiatus entre démocratisation quantitative et démocratisation qualitative n'est-il pas apparent?

La charge symbolique ne semble plus suffire pour asseoir l'autorité des institutions. Fait social majeur, on demande des comptes à l'école sur son projet, ses modes de fonctionnement, ses procédures, ses dispositifs et ses résultats. N'est-ce pas le signe d'un glissement d'une légitimité institutionnelle à une légitimité fonctionnelle? Quelles en seraient les conséquences, notamment pour les acteurs, leur rôle et leur place? Cette transformation ne se produit-elle pas sur le fond d'une altération des identités professionnelles?

L'évolution des pratiques professionnelles présente un paradoxe. Ce sont les innovations elles-mêmes qui, pourtant nécessaires, sont dénoncées par certains comme responsables de l'échec. Par ailleurs, les meilleures idées, les propositions les plus justes ont presque toujours été abâtardies par des concessions et des demi-mesures. Ou alors, elles ont été l'occasion d'affrontements pantagruéliques, politiques, syndicaux, philosophiques, dont les acteurs de terrain sont malheureusement absents. En invitant ceux-ci à cette journée d'étude, nous souhaitions montrer qu'il s'agit peut-être moins de mettre en doute la légitimité de l'école, qui en elle-même n'est pas contestable pour un démocrate, que de construire, au contraire, cette légitimité au jour le jour. Peut-être n'existe-t-il aucun concept transcendant de légitimité, pas plus que d'autorité. Peut-être celles-ci trouvent-elles leur fondement ultime non pas dans la soumission à l'ordre, mais dans le labeur quotidien pour obtenir la reconnaissance. Aussi, peut-être n'y a-t-il d'autre espace que celui de l'établissement pour édifier la légitimité de l'institution.

 

Dans un tel contexte de désacralisation parfois inquiétante, apparaît bien sûr l'urgence de la question des valeurs et de l'affirmation des missions. Mais il est tout aussi urgent de poser la question du courage politique nécessaire à la mise en œuvre de solutions fermes et audacieuses. C'est pourquoi nous avons tenu à la présence d'un élu parmi les acteurs de terrain.

Longtemps, les classes dominantes ont accaparé le système éducatif et l'ont même utilisé pour asseoir leur pouvoir Mais depuis que les classes populaires investissent en masse l'école n'assiste-t-on pas à une résistance des couches moyennes pour conserver leurs avantages? L'enseignement privé ne risque-t-il pas de prendre un essor inattendu ? À terme, l'école publique n'encourt-elle pas un affaiblissement considérable?

Pour le responsable politique, la question est simplement-que faire, et comment ?