La décentralisation suscite des peurs multiples : remise en cause de l’unité
nationale, aggravation des disparités régionales, report du budget de l’Etat
vers les collectivités locales, externalisation des services, réduction du
nombre des fonctionnaires, etc. Les défauts apprents de communication et de
pilotage seraient délibérés pour masquer une stratégie libérale dont les
seuls objectifs seraient économiques.
Or la première phase de décentralisation
conduite par la gauche en 1982 avait des visées aux antipodes de ces
craintes : elle se voulait une réponse adaptée aux problèmes posés par
une société complexe- où l’Etat ne peut tout faire- et soucieuse de faire
progresser la démocratie en rapprochant les décisions des citoyens.Elle
se fixait aussi pour objectif de réduire des inégalités régionales patentes.
Un deuxième train de mesures peut aujourd’hui répondre aux mêmes visées, y
compris au service du système éducatif, à condition que les trois
conditions suivantes soient respectées :
1.
La finalité des
mesures de décentralisation doit être clairement affichée : les mesures
prises doivent rendre l’école plus efficace dans la lutte contre l’échec
scolaire qui continue de frapper les populations les plus démunies et de
façon inégale selon les Régions. Par une capacité davantage donnée aux
acteurs locaux de prendre en compte la diversité des situations et
l’hétérogénéité des publics scolaires, les mesures de décentralisation
doivent ainsi aider à la démocratisation du système éducatif.
2.
Le
principe des compétences partagées
entre l’Etat, les collectivités
territoriales et les unités de base (les établissements publics locaux
d’enseignement) doit sans cesse être affirmé. La décentralisation remet
effectivement en question le partage des pouvoirs. Elle peut favoriser le
développement de la démocratie de proximité, si les compétences soient
explicitement partagées entre ces trois lieux de pouvoirs. C’est à cette
condition que l’on évitera la crainte souvent exprimée qu’émergent des
potentats locaux, représentants de l’administration ou élus locaux qui
outrepasseraient leurs prérogatives. La réussite de la décentralisation
passe donc par un Etat fort, soucieux de préserver l’unicité du service
public et de mettre en œuvre les orientations nationales, par des
collectivités locales et des établissements usant chacun à fond de leurs
marges d’initiative.
3.
Or actuellement, les
mesures prises ne font nullement apparaître ces enjeux. Au lieu d’expliquer
d’abord pourquoi on décentralise, on commence par annoncer, en désordre, des
mesures qui concernent la gestion de certains personnels dont on ne sait
trop pourquoi ils sont les premiers ciblés. Personne ne peut adhérer à un
projet si lourd de conséquences pour la démocratie s’il ne sait pas où il
va. L’adhésion nécessaire implique donc une clarification des
intentions politiques qui président aux choix et un grand débat public sur
les modalités de leurs mises en œuvre.