Lecture en débat (2)

Nouveau site : http://www.educationetdevenir.fr/  

 

 

 

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Brochure ministérielle "Apprendre à lire"
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La chronique d'Emmanuel Davidenkoff sur France Info le 26 juin 2006

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Sens, faux sens et bon sens (à propos de la brochure) Pierre Frackowiak

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La brochure commentée Eveline Charmeux

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"Apprendre à lire à l'école" Roland Goigoux et Sylvie Cébe

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En réponse aux propos ministériels du 28/08/06 deux brefs "éclairages" de R. Goigoux et J. E. Gombert

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Brochure de 8 associations et 5 syndicats : Apprendre à lire, pas si simple

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Un appel à la grève du zéle de Jean-Emile GOMBERT (11/10/06)

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Rémi Brissiaud et André Ouzoulias : Apprentissage de la lecture : halte à la charlatanerie !

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Dilemme au ministère Fable

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Enseignants ! Obéissez... Oui, mais à qui au ministre ou à la loi ?

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22 Chercheurs affirment : Il n'y a pas lieu d'imposer une unique méthode d'enseignement de la lecture

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Dix vérités incontournables dans le débat sur la lecture Sylvain Grandserre Maïtre d'école

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Globale ou B. A. - BA ? Note de lecture sur le livre de Laure Dumont

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Mise au point de Franck Ramus sur une "contre-expertise"

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Pas de sanctions pour Pierre Frackowiak, mais les problèmes restent

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ACELF : L'éveil à l'écrit

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Alain était-il "globaliste"

 

 

 

Diffusion de la brochure …apprendre à lire… (téléchargeable)

Communiqué de presse 22/06/06

 

La rénovation de l'enseignement de la lecture entrera en application à la rentrée prochaine : dès septembre 2006, tous les maîtres et tous les formateurs concernés, mettront en œuvre la circulaire apprendre à lire* ainsi que la modification des programmes prévus à l'arrêté du 24 mars 2006.

Gilles de Robien, ministre de l'Education nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, a souhaité que les nouveaux textes officiels sur l'enseignement de la lecture ainsi que les références scientifiques et pédagogiques qui les fondent, soient rassemblés dans un document unique.

La brochure … apprendre à lire…** sera l'outil commun des maîtres et des responsables pédagogiques chargés de l'enseignement de la lecture.

Imprimée à 350 000 exemplaires, elle est actuellement diffusée dans toutes les écoles primaires.

Les rectorats, les inspections académiques ainsi que les instituts universitaires de formation des maîtres ont également été destinataires de ce guide thématique.

 

* Il faut éviter de confondre la circulaire avec le texte – loi ou décret – qu’elle présente en laissant entendre que telle décision sera prise en application de celle-ci et non de celui-là.

Une circulaire peut être déférée au juge administratif, y compris lorsqu’elle se borne à interpréter la législation ou la réglementation, dès lors que les dispositions qu’elle comporte présentent un caractère impératif, ce qui est le plus fréquemment le cas. Le juge censure alors – c’est le motif le plus fréquent de censure - celles de ces dispositions que le ministre n’était pas compétent pour prendre. On rappellera en effet que les ministres ne disposent pas du pouvoir réglementaire. Ils ne peuvent prendre de texte à caractère réglementaire qu’en application d’habilitations législatives ou réglementaires expresses dans des domaines déterminés ou, en application de la jurisprudence pour l’organisation de leurs services.

Extraits du Guide pour l’élaboration des textes législatifs et réglementaires Légifrance 1.3.7

http://www.legifrance.org/html/Guide_legistique/guide_leg.pdf

 

** Bien que tiré à 350000 exemplaires, cette brochure n’est pas consultable en ligne sur le site ministériel, c’est pourquoi elle a été scannée pour que chacun puisse juger sur pièces.

 

À écouter

La chronique d'Emmanuel DAVIDENKOFF* sur FRANCE-INFO du 26 juin 2006.

Elle porte sur "un point de vue scientifique sur l'enseignement de la lecture"  (texte intégral dans ce dossier) dont la rochure done des extraits.

* Mise en ligne avec l'aimable autorisation de son auteur.

Le bon sens n'est pas la chose la mieux partagée du monde de l'éducation

 

La brochure "Apprendre à lire" diffusée à 350 000 exemplaires dans toutes les écoles de France fait la preuve que le ministre de ROBIEN entend flatter une opinion publique sous informée, manipulée par les grands médias, en arguant du bon sens, voire du bon sens populaire, celui qui appelle le témoignage de grand ou d'arrière grand papa. Les affirmations ne résistent pourtant pas vraiment aux analyses objectives et … au véritable bon sens. Y aurait-il donc deux bons sens, celui du ministre et un autre? Y aurait-il un bon bon sens et un mauvais bon sens?  Quel est alors le véritable bon sens?

 

Essayons de passer quelques affirmations de cette brochure à l'épreuve du bon sens pour vérifier si elles sont bonnes. Pour cette épreuve délicate, il faut un raisonnement rigoureux et une bonne conscience des réalités, du bon sens en somme et au détail.

 

A la page 5, on lit que "Le but de la lecture est d'accéder au sens précis des mots, puis des phrases et non pas seulement au bruit des mots". Cette affirmation manque incontestablement de bon sens. Un mot n'a pas de sens, il ne peut avoir qu'une définition, or la somme des définitions des mots d'une phrase et d'un texte ne permet pas de percevoir le sens. On peut connaître les définitions de tous les mots d'une phrase, on n'en souffrira pas moins de tous les maux de la terre pour comprendre l'idée, le message, l'information, ou percevoir l'émotion, la beauté, la force… et pour avoir envie de lire. Le mot ne prend du sens que dans une phrase ou un texte. Travailler d'abord sur des mots n'a pas de sens, sauf pour les enfants dont les parents ont fait tout le travail de découverte de la fonction de l'écrit, des typologies des supports, de l'intérêt et du plaisir de lire, en amont et en parallèle.  

 

Le bon sens est absent également de la présentation implicite de l'idée de progression, de la syllabe, au mot et à la phrase, apparemment du "simple au complexe". Or, on sait que les apprentissages ne sont pas linéaires et que le "simple" est loin de l'être quand il est une abstraction fabriquée par l'adulte intelligent pour l'enfant qui apprend. "Lait" n'est pas simple, "Je veux du lait"  ou "Je hais le lait" est plus simple. D'ailleurs "Je hais le lait" ne manque pas d'intérêt pour apprendre intelligemment le "ai". D'une manière générale, les progressions rigides qui imposent toujours d'apprendre avant de faire au lieu d'apprendre en faisant, échouent. On le sait depuis longtemps, au moins depuis la fin des années 60 quand on s'est rendu compte que trop d'enfants étaient capables de lire à haute voix un texte sans rien y comprendre, étaient incapables de l'expliquer malgré leur connaissance des définitions des mots contrôlée par les "questions de lecture" au bout des pages de manuels. On a oublié que les efforts soutenus de rénovation pédagogique engagés à la fin des 60 et poursuivis jusqu'en 2002 n'étaient pas fondés sur des fantaisies, des modes passagères ou des lubies ministérielles, mais sur le constat d'échec des méthodes dites traditionnelles.

 

A la page 7, en réponse à une question effectivement fondamentale ("Le déchiffrage empêche-t-il l'accès au sens"), on invoque le bons sens de BENTOLILA: "Contrairement à ce que l'on a seriné aux instituteurs pendant trente ans, ce n'est pas le fait de déchiffrer qui est responsable d'une lecture dépourvue de sens, mais c'est le déficit du vocabulaire oral qui empêche l'enfant d'y accéder". Cette citation, sortie de son contexte, est utilisée à contre sens, et donc sans bon sens. L'apprentissage du b-a ba qui permet d'oraliser un mot ne permet pas d'en donner une définition ni de le comprendre. BENTOLILA veut insister à juste titre sur l'apprentissage de la langue orale à l'école maternelle, sur la connaissance des mots et sur l'apprentissage des structures syntaxiques qui permettent de s'exprimer et de dialoguer. A ce propos, notons que le bon sens populaire indique bien que lorsqu'un bébé dit "lolo", il ne dit pas un mot, il dit "Maman, je veux du lait" et sa maman comprend bien la phrase implicite et non le mot. La maîtrise de la langue orale est sans doute un élément important favorable à l'apprentissage de la lecture, mais elle ne se situe pas sur le même plan. La citation de BENTOLILA serait-elle un peu détournée comme le sont, plusieurs commentateurs l'ont souligné, les références scientifiques de la page 10?

 

A la page 7 encore, à la question "Y a-t-il contradiction entre la circulaire et le programme de 2002?", on cherche en vain la réponse. Elle semble être positive sans le dire tout en le laissant entendre. On dit simplement qu'il faut mettre un terme "à ce flou" du programme de 2002. Or ce prétendu flou est frappé au sceau du bon sens. Synthèse des analyses des performances des élèves et des pratiques pédagogiques au cours des trente dernières années, le programme de 2002 fait "confiance aux enseignants qui ont à choisir la voie qui conduit le plus efficacement tous les élèves à toutes les compétences fixées par les programmes". Ce programme n'était-il pas du pur bon sens? A contrario, il convient de rappeler que les injonctions ministérielles ont produit des dégâts considérables chez les enseignants interpellés, mis en cause, déstabilisés par les parents qui, victimes de la nostalgie, contestent leurs choix pédagogiques et mettent en cause leur liberté.

 

A la page 8, à la question "Des manuels de lecture seront-ils interdits?", on répond qu'il ne s'agit pas d'interdire… Bribe de bon sens, mais qu'en est-il réellement? La lecture de l'ensemble de la brochure tend à montrer le contraire. On précise que "Cela n'empêchera pas la créativité, l'inventivité, bien au contraire". Là, le bon sens disparaît à nouveau, le b-a ba utilisé depuis des siècles, est totalement stéréotypé. Il n'y pas de différence réelle entre le "u" découvert dans un manuel de 1860 et le "u" de Melle "u" de la "planète des alphas", entre Léo et Léa et la nouvelle méthode Tartempion, si ce n'est dans la figurine, la couleur, l'attractivité commerciale… Etre créatif dans ce domaine n'a guère de sens, nous sommes au niveau des trucs et du talent qui n'a rien à voir avec le professionnalisme et la compétence pédagogique.

 

De la page 11 à la page 13, on lit l'exposé de Martine SAFRA, IGEN, doyenne du groupe de l'enseignement primaire. C'est une belle performance, pleine de bon sens, qui pourrait parfaitement être utilisée… pour justifier le programme de 2002 tel qu'il était avant sa modification. Il est vrai que les Inspecteurs Généraux avaient beaucoup travaillé pour mettre au point ces programmes… avec un remarquable bon sens.

 

Tout ceci étant, "les autorités administratives et les enseignants exercent leur mission de service public en mettant en œuvre les instructions du ministre. C'est leur responsabilité naturelle." (page 8). Ils le feront comme ils l'ont toujours fait, par exemple pour la loi d'orientation de 1989, en sachant que  personne n'a été ni inquiété, ni sanctionné pour ne pas l'avoir appliquée. Et pourtant…

 

 Tout est toujours affaire de mesure, de discernement et de bon sens.

 

 

Pierre FRACKOWIAK

Responsable départemental du SI-EN UNSA Education du Nord

Les Instructions ministérielles sur l’enseignement de la lecture dès la rentrée 2006.

Commentaires d’Eveline Charmeux

 

 

Monsieur de Robien, pour le grand bonheur des collègues de CP a peaufiné sa célèbre circulaire de janvier dernier en l’agrémentant de quelques ajouts qui constituent la nouvelle brochure, cadeau de fin d’année et de rentrée du Ministre aux enseignants.

Voici le sommaire de la nouvelle brochure :

 

 

 

Circulaire de Janvier

Pour mémoire, la circulaire de janvier avait déjà fait, de ma part, l’objet d’une lecture, dont je rappelle ici les contenus.

La circulaire annoncée par Monsieur de Robien vient d’être publiée, accompagnée d’une impressionnante liste de références théoriques : deux pages de circulaire et treize pages de bibliographie. Voilà qui fait sérieux. Il s’agit évidemment d’une réponse se voulant cinglante aux quolibets que n’avaient pas manqué de susciter la faiblesse scientifique des propos ministériels sur le sujet.

Quand on étudie de près cette liste, plusieurs remarques s’imposent :

1)    C’est une bibliographie furieusement « tendance » : les neurosciences y abondent, et,comme on sait, elles constituent le top des top en matière de sciences.

2)    Le moins qu’on puisse en dire, c’est qu’elle n’incite pas au débat démocratique et  qu’elle brille surtout par ses absences. Toutes les recherches citées vont dans le même sens, et l’on se garde bien de faire allusion à celles qui risqueraient de laisser planer un doute sur le caractère évident des conclusions à tirer. En particulier, les recherches menées par des professionnels de l’enseignement primaire, par ceux qui vont dans les classes et qui y travaillent, ne sont même pas évoquées : il est vrai que ce sont des « pédagogues », race honnie et responsable de tous les maux actuels de l’enseignement. L’ennui, c’est qu’ils existent, qu’ils ont des choses à dire, et que le principe démocratique exigerait qu’on leur donne la parole, au moins pour le débat. Mais sommes-nous encore en démocratie ?

3)    Elle présente, comme autant d’arguments définitifs, les conclusions pédagogiques de quelques pays étrangers, oubliant que les démarches d’apprentissage de la lecture dépendent étroitement du fonctionnement de la combinatoire des langues considérées, et qu’il est toujours discutable d’appliquer, pour la lecture, les pratiques d’enseignement d’une langue à une autre.

Quant à la circulaire elle-même, on peut y observer un rapport proportionnel intéressant entre le caractère péremptoire des affirmations et les nombreuses erreurs sur l’apprentissage qui la parsèment.

 D’après M. de Robien, toutes les recherches démontrent l’efficacité incontestable d’un travail immédiat sur les « sons et la relation qui les relie aux lettres ». On aimerait pouvoir voir de près ces démonstrations, quand on sait :

1)    Que ce ne sont pas les sons qui sont associés aux lettres, mais les phonèmes, ce qui n’est point une coquetterie de vocabulaire, mais une différence essentielle de notion. Or, un phonème n’est point ce qu’on entend (lequel varie selon les régions, et les personnes), mais une construction mentale abstraite, fort difficile à comprendre, qu’il est absurde de proposer trop tôt aux enfants. Cela ne veut pas dire qu’on ne doive pas travailler sur la relation phonies-graphies, mais sûrement pas tout de suite, et qu’avant d’aborder ces données si difficiles, il est bon d’asseoir le comportement de lecteur.

2)    Que commencer un apprentissage par les « éléments », c’est confondre le « simple »  avec le « facile ». C’est oublier que le facile, c’est ce que l’enfant connaît dans son expérience. Or, cela ne peut pas être le simple, qui ne s’y trouve jamais : le « simple »  est le résultat d’une analyse, donc une abstraction et donc toujours, pour un jeune enfant, la chose la plus difficile à concevoir.

Monsieur le Ministre nous ramène à l’époque où l’on commençait la géométrie par l’étude du point (quasiment impossible à concevoir) pour accéder à la ligne (toujours aussi impossible à concevoir) et n’arriver qu’après de longs efforts, aux volumes, que tout enfant connaît, puisqu’il vit dedans.

Commencer par les syllabes pour arriver beaucoup plus tard aux textes, c’est commettre la même erreur.

3)    Qu’apprendre, ce n’est pas acquérir quelque chose de nouveau, c’est transformer des savoirs déjà là, et « qu’on ne construit que sur du donné » (Ph. Meirieu). Il est donc absolument nécessaire de commencer toujours par ce que les enfants connaissent de l’écrit… Et précisément, on observe que dès l’entrée à l’école maternelle, tous les petits ont des quantités de savoirs sur l’écrit.

4)    Que savoir lire ce n’est pas reconnaître ou prononcer des mots, mais avoir acquis des stratégies d’observation et de raisonnement qui permettent de construire les significations nécessaires au projet de lecture : toute lecture est définie par un projet et il est impossible d’apprendre en dehors de ce projet, tout comme il est impossible d’apprendre à nager en dehors de l’eau.

5)    Qu’il n’a jamais été question de faire deviner quoi que ce soit aux élèves : comprendre est le résultat d’opérations cognitives complexes, intégrant des moments d’analyse, de raisonnement et d’examen critique, qui n’ont rien à voir, ni avec une mémorisation globale, ni avec des devinettes.

6)    Qu’avant d’être un problème de mots à reconnaître ou de code alphabétique à assimiler, lire, c’est vivre autrement, c’est s’orienter dans un autre type d’univers, fait d’objet bizarres, dont la manipulation est loin d’être évidente, et qui nécessitent une familiarisation corporelle, sensorielle et perceptive, précoce et approfondie. Cela veut dire que c’est par là que doit commencer l’apprentissage, et bien avant le CP (qui ne commence ni ne  termine : le travail par cycles est toujours dans la loi !).

7)    Ajoutons, pour finir, que l’entreprise d’automatisation du déchiffrage, dont il est fait mention en page 2 de la circulaire, est absolument contraire à toute analyse, même simplette de ce qui se passe dans l’acte de lire. Toute lecture, même la plus quotidienne, nécessite un raisonnement, très souvent par inférence, incompatible avec un mécanisme quel qu’il soit. Pour interpréter le mot « avocat », je dois impérativement interpréter l’objet sur lequel il figure, et je ne lui donnerai pas le même sens s’il apparaît sur une plaque dorée au bas d’un immeuble cossu, ou sur une ardoise écrite à la craie.

 Savoir lire, c’est savoir comprendre ce qui n’est pas écrit. C’est être obligatoirement intelligent…  Avec l’automatisation, on propose d’autres habitudes de lecture….

Au fait, ne serait-ce pas là la vraie motivation de cette circulaire ? Il est vrai que si tout le monde sait vraiment lire, avec intelligence et esprit critique, les conséquences peuvent être dérangeantes… La lecture, c’est subversif : on le sait depuis toujours !

 

La modification des programmes

Observons les ajouts qui complètent cette circulaire.

A vrai dire, on n’y trouve pas grand-chose de nouveau, si ce n’est la confirmation que le ministre préfère ignorer les objections plutôt que d’y répondre. Pour être plus précis, on observe qu’il feint d’y répondre, comme on le voit plus loin, mais se contente en réalité de répéter ce qu’il avait affirmé avant.

C’est une pratique politicienne bien connue, mais plus que décevante dans un domaine aussi important que celui de l’Education Nationale

 

L'apprentissage de la lecture passe par le décodage et l'identification des mots et par l'acquisition progressive des démarches, des compétences et connaissances nécessaires à la compréhension.

C’est évident et cela a déjà été dit. Personne ne le conteste, sauf si le verbe « passer » est utilisé comme synonyme de « commencer », ce qui constitue tout de même une grave erreur de vocabulaire, là où, par ailleurs, la maîtrise du vocabulaire est présentée comme si essentielle !

Mille raisons fournies par les travaux sur la psychologie des enfants et celle de l’apprentissage, permettent de dire que commencer par le décodage et l’identification des mots consiste à commencer par ce qui est le plus difficile pour un petit enfant.

Le décodage repose sur des données abstraites impossibles à intégrer directement par eux, et qu’ils ne peuvent gérer que par des « solutions » à eux, conformes à leurs représentations spontanées de l’écrit ainsi confortées, qui feront obstacle longtemps après à tous leurs apprentissages langagiers et notamment à leur maîtrise de la langue écrite.

Commencer par l’apprentissage des lettres et des « sons », cela ne peut être reçu par un tout petit, qu’à condition d’assimiler ces signes à des objets  (comme le fait la célèbre « planète des Alphas », qui aggrave ainsi les choses), en laissant dans l’ombre les profondes différences que les signes de l’écrit entretiennent avec les objets : problèmes d’orientation, de nombre et d’ordre des signes etc.

Une des conséquences désastreuses de ces assimilations est l’apparition de comportements dyslexiques, qui n’ont rien à voir avec une maladie et sont provoqués essentiellement  par ce type d’apprentissage, où la charrue est mise avant les bœufs (et il n’est même pas sûr qu’il y ait des bœufs !).

Les principaux obstacles épistémologiques de la lecture ne seront, en effet, ni surmontés ni même entrevus, et entraîneront de profondes séquelles d’incompréhension et d’ignorance longtemps après le CP.

De plus, c’est donner une image complètement fausse de la langue française qui a la particularité précisément de n’avoir pas de syllabes écrites. En français, les lettres les plus importantes  sont celles qui ne se prononcent point. La langue de l’écrit est une langue pour les yeux et l’orthographe sert essentiellement à comprendre en lecture.

C’est aussi pourquoi il est scandaleux de vouloir enseigner la lecture sans que l’orthographe ne soit présente dès le début, comme indice essentiel de sens.

Au début du cours préparatoire, prenant appui sur le travail engagé à l'école maternelle sur les sonorités de la langue et qui doit être poursuivi aussi longtemps que nécessaire, un entraînement systématique à la relation entre graphèmes et phonèmes doit être assuré afin de permettre à l'élève de déchiffrer, de relier le mot écrit à son image auditive et à sa signification possible.

L’ennui, c’est que l’image auditive ne peut jamais conduire à la signification, non seulement du texte, mais même du mot lui-même : avions, s’il est précédé de « nous » ou de « les » ne sera pas interprété de la même manière. Ajoutons que, même précédé de « les », il peut être encore précédé de « nous » : les avions, nous les avions vus.

Il s’agit donc d’une clé qui n’ouvre rien, et qui ne peut que laisser les enfants en grande difficulté, notamment ceux qui n’ont que l’école pour apprendre à lire.

 

Il est indispensable de développer le plus vite possible l'automatisation de la reconnaissance de l'image orthographique des mots.

Comme cela a déjà été dit par de nombreux chercheurs, rien, jamais, en matière de lecture ne peut être « automatique ». Toute lecture exige raisonnement et réflexion. Toute lecture est intelligente. Il n’y a aucun « mécanisme » de lecture.

Or, raisonner, douter de la première interprétation et chercher à la vérifier (= le doute « méthodique » de Descartes, c’est-à-dire, la base de l’esprit scientifique et de l’honnêteté), tout cela est loin d’être spontané et naturel. C’est donc sur ces opérations qu’il faut mettre l’accent le plus vite possible, et aider les petits à les pratiquer dès leurs premiers contacts avec l’écrit.

 

Cet apprentissage exige de conjuguer lecture et écriture. Savoir reconnaître des mots ne suffit pas pour lire une phrase ou un texte. Les élèves doivent apprendre à traiter l'organisation d'une phrase ou d'un texte écrit.

Ah bon ? Et comment on fait ?

Bizarre de voir que la réponse à cette question est totalement absente de la brochure, comme des travaux des fameuses références scientifiques citées plus loin.

 

Ils doivent aussi acquérir le lexique et les connaissances nécessaires pour comprendre le propos des textes qu'ils sont invités à lire.

Même question : quelles sont ces connaissances et comment fait-on ?

 

Le cours préparatoire est le temps essentiel de cet apprentissage.

Non ! Ce n’est que la seconde année du cycle 2, ni plus importante ni moins que les autres.

 

Celui-ci doit être poursuivi au CE1 pour consolider la maîtrise du code, développer l'automatisation de la reconnaissance des mots et entraîner à la lecture de textes plus longs, plus variés, comportant des phrases syntaxiquement plus complexes. La lecture doit être prolongée et affermie par un travail régulier de production d'écrits.

Ce n’est pas pour affermir la lecture que les enfants doivent vivre des situations de productions d’écrits, c’est pour devenir capables d’en vivre efficacement (c’est-à-dire en obtenant les résultats attendus) dans leur vie scolaire et personnelle !

Ce qui est proposé ici, c’est une conception étriquée, réductrice, de l’école, scolaire au mauvais sens du terme : totalement insupportable !

Ce n’est pas pour cette école-là que nous nous battons depuis quarante ans.

 

Un point de vue scientifique sur l'enseignement de la lecture

 

Les recherches se sont plus précisément attachées à comparer l'efficacité des méthodes en fonction de l'importance accordée au déchiffrage (des lettres en sons, ou plus précisément des graphèmes en phonèmes) : le déchiffrage est-il enseigné ou non, de manière systématique ou pas, précocement ou pas ? Les résultats sont les suivants :

1. l'enseignement systématique du déchiffrage est plus efficace que son enseignement non systématique ou absent ;

2. l'enseignement systématique du déchiffrage est plus efficace lorsqu'il démarre précocement que lorsqu'il démarre après le début de l'apprentissage de la lecture ;

3. les enfants qui suivent un enseignement systématique du déchiffrage obtiennent de meilleurs résultats que les autres, non seulement en lecture de mots, mais également en compréhension de texte (contrairement aux idées reçues sur les méfaits du déchiffrage qui conduirait à ânonner sans comprendre) ;

 4. l'enseignement systématique du déchiffrage est particulièrement supérieur aux autres méthodes pour les enfants à risque de difficultés d'apprentissage de la lecture, soit du fait de faiblesses en langage oral, soit du fait d'un milieu socio-culturel défavorisé ;

5. du moment que le déchiffrage est enseigné systématiquement, il importe peu que l'approche soit plutôt analytique (du mot ou de la syllabe vers le phonème) ou synthétique (du phonème vers la syllabe et le mot).

On ne peut accorder aucune valeur à des affirmations non démontrées ni référencées scientifiquement. Comment peut-on sérieusement utiliser l’adjectif « efficace », sans avoir précisé le sens qu’on lui donne ?

Tout ceci est de la fausse science, une poudre aux yeux politique, insupportable, de la part de personnalités officielles, dans un domaine, l’éducation, qui mérite un peu plus de rigueur et de sérieux.

 

Les recommandations de l’Inspection générale

 

On s'entend aujourd'hui sur le fait qu'il y a dans l'apprentissage des points de passage obligés au fil de la scolarité, des points sur lesquels l'institution se doit d'être particulièrement vigilante :

 

La place de la maîtrise du langage oral et la découverte qu'il existe une langue de l'écrit :

C’est très loin d’être un point de consensus. Tous ceux (dont je fais partie) qui ont travaillé avec des enfants sourd profonds ou des autistes ont acquis la conviction que cela n’a rien d’obligatoire. On a même découvert que c’est souvent la lecture qui démutise ceux qui ne parlent pas.

Ce qui est dit ensuite sur l’importance des lectures à haute voix par les adultes et de la fréquentation de la littérature jeunesse est évident et n’a rien de nouveau.

 

La place faite aux activités qui visent à la prise de conscience des syllabes et des sons (phonèmes),

La critique à la fois linguistique et psychologique de cette affirmation a été faite plus haut

 

La place qui doit être faite dès le début du CP au travail d'apprentissage des relations entre les graphèmes, lettres ou blocs de lettres (ou, eau, in etc.) et les phonèmes c'est-à-dire ces unités abstraites de la langue orale (par exemple château et gâteau ne se différencient que par le phonème initial).

Et alors ?

Ils se différencient surtout par le fait que les lettres sont fort différentes, et qu’on peut retrouver les mêmes au début de  « château » et de « chorale » : elle est là la difficulté, notamment si on fait croire que cette relation est stable et normale.

 

II faut que tous les élèves bénéficient d'un entraînement méthodique à la relation entre lettres et sons pour être capables de déchiffrer, de relier l'information visuelle (le mot écrit) à ce qu'ils connaissent déjà, son image auditive et sa signification, (pour le travail de terrain, évoquer la question des frontières syllabiques ex. ananas : a-na-nas ou an-an-as).

Faux problème s’il en est, et sans aucun intérêt : aucun enfant n’a de difficultés là-dessus sauf si on le fait syllaber, ce qui, en français n’a aucun sens.

 

Le travail en classe passe classiquement par l'identification d'un son à l'oral, sa localisation dans différents mots, puis la découverte de sa transcription.

Mais non ! C’est le contraire : il est plus facile pour un petit de voir comment  le mot est écrit, pour découvrir ensuite que la prononciation correspond ou non à ce qu’il sait du rôle des lettres

 

Ce qui ne signifie pas qu'il ne faille revenir sur les composantes sonores de la langue. Au CP, le travail sur les composantes syllabiques des mots doit être poursuivi aussi longtemps que nécessaire.

Pas évident quand on sait que les syllabes n’existent pas en français écrit ! Il faudrait peut-être que les IG se renseignent..

 

Le code alphabétique français est particulièrement irrégulier,

Irrégulier en quoi ??

Ceci prouve qu’on peut être IG et ne pas savoir comment fonctionne la langue écrite ni à quoi sert l’orthographe. Il n’y a rien d’irrégulier ici : irrégulier par rapport à quoi ???

 

en particulier pour les mots les plus fréquents de la langue. Si l'on peut souvent passer directement du déchiffrage d'un mot (bateau) à sa prononciation (bateau), la présence de nombreuses lettres non phonétiques (marques grammaticales en particulier), celle du e muet et la divergence entre structure syllabique orale et structure syllabique écrite (sa-la-de versus sa-lad) rend cet exercice difficile pour les enfants qui ne se sont pas entraînés précocement à l'analyse et à la synthèse orale des mots et des syllabes. Cet apprentissage repose donc sur un entraînement. Il doit être assidu.

Et il sert à quoi, dans la vie d’un lecteur ? Qui en a jamais eu besoin ?

Quand cessera-t-on de perdre du temps à des chose qui ne servent à rien, au lieu de travailler là où c’est indispensable : à reconnaître les différents types d’écrits, à découvrir que les lettres les plus importantes des mots, au milieu comme à la fin, sont des lettre qui ne se prononcent pas, à découvrir que le mot oral et le mot écrit ne coïncident pas etc. etc.

  

L'association de la lecture et de l'écriture : l'écriture doit intervenir constamment qu'il s'agisse de copie, de dictée de syllabes

Oh ! Comment peut-on conseiller une activité aussi dangereuse pour l’orthographe, notamment, et aussi stupide intellectuellement ?

Dictée ou copies de syllabes n’ont strictement rien à voir avec l’écriture

ou de situations problèmes où les élèves sont invités à trouver l'écriture plausible de mots sans pièges, bien sûr.

Plausible, par rapport à quoi ?  Il est tout à fait plausible qu’on écrive « sale » ou « salle » ! Il n’empêche que si j’écris : « ma robe et salle », je commets une erreur d’orthographe, aussi répréhensible que si j’écris : « On travaille dans cette sale ». Sauf, que dans ce dernier cas, cela pourrait donner lieu à un joli jeu de mots orthographique, si les techniciens de surface du collège étaient en grève !

Décidément, les rôles de l’orthographe française sont bien ignorés ici.

 

L'entraînement régulier à la lecture et à l'écriture : il conduit à la mémorisation

Non ! Pas mémorisation. Imprégnation, ce qui est fort différent et ne met pas en jeu les mêmes données psychologiques

par les élèves de la forme écrite des mots : cette constitution d'un lexique mental dans lequel on puise en lisant permet d'automatiser l'identification des mots et libère ainsi les capacités d'attention des élèves,

Pas du tout : l’automatisation n’a jamais libéré l’attention au contraire !

leur permet de s'attacher au sens de ce qu'ils lisent.

Les élèves n’ont pas à s’attacher au sens, ils ont à le construire, et la forme écrite des mots, notamment leur orthographe et les marques qu’ils présentent dans ce texte-là sont indispensables à cette construction. Il est donc nécessaire que ce ne soit surtout pas automatisé !!

C'est la rencontre fréquente des mots en lecture et écriture qui aide l'élève à en mémoriser les composantes graphiques. Sans négliger l'appui que peut apporter le travail sur la forme des mots qui permet dans un mot inconnu de reconnaître une partie du mot déjà lue maintes fois dans une autre combinaison.

Sauf que c’est fort imprudent de se fier à cela : j’entends le même début dans « hypothèse » et dans « hippodrome »…

 

Les apprentissages qui visent à développer la compréhension :

On ne développe pas la compréhension, on apprend à la construire en fonction du projet de lecture.

Que tout ceci est donc superficiellement dit !

Les élèves peuvent "buter" sur un texte parce qu'ils ne reconnaissent pas la structure de celui-ci, parce qu'ils manquent de connaissances sur le domaine évoqué, ou de vocabulaire, ou parce qu'ils ne connaissent pas les marques grammaticales que l'on trouve dans ce texte.

L'élargissement des connaissances sur le monde qui se fait au travers de la lecture de textes par le maître comme au travers de tous les enseignements ; pour saisir le sens d'un écrit, comprendre ce dont on parle, il faut que le champ évoqué ne soit pas trop loin des connaissances acquises par les élèves.

Tiens ! On a découvert la zone proximale de développement chère à Vygotsky ! L’ennui, c’est qu’on ne sait pas bien s’en servir..

Comprendre exige que l'on parvienne à mettre en relation ce que l'on découvre et ce que l'on sait déjà. Cela requiert donc des connaissances préalables.

Tiens ! On découvre l’eau chaude, maintenant !

Lire, effectivement, c’est mettre en relation ce qu’on voit, ce qu’on sait et ce qu’on cherche. Ce qui implique qu’ils sachent des choses et que la lecture prenne en compte ces choses. Mais sur un manuel, où peuvent être les savoirs-déjà-là des enfants ?

N’est-ce pas en lisant pour de vrai et depuis fort longtemps, qu’ils ont le plus de chances de trouver ce qu’ils savent et d’en savoir davantage ?

C'est dire l'importance pour la lecture de l'accroissement des connaissances des élèves et le rôle de tous les domaines d'apprentissage de l'école dans l'élargissement de leur univers intellectuel.

— L'élargissement du lexique disponible ;

—La réflexion sur la langue et son fonctionnement : l'organisation d'une phrase et d'un texte, autant que les mots, en porte le sens. Le passage d'une lecture mot par mot à la lecture d'une phrase et d'un texte impose un travail sur l'organisation de la phrase et du texte ainsi que sur les indices linguistiques disponibles, tels que ponctuation, connecteurs, reprises, temps des verbes. L'articulation entre lecture, écriture et observation réfléchie de la langue est ici décisive.

Bon ! Tout cela c’est l’ORL, (mis en danger aussi par le ministre…) C’est ce qu’on dit depuis trente ans

La compréhension de ce qu'est la lecture :

Comment pourraient-ils y réfléchir si l’apprentissage ne se fait pas sur des écrits vrais ?

les élèves doivent apprendre à repérer une difficulté de lecture et à revenir en arrière pour retrouver le fil du texte. C'est à dire qu'ils doivent être au clair sur l'acte de lecture.

Justement pas : ce n’est précisément pas en revenant en arrière qu’on rectifie ce qui a été mal compris, c’est en continuant et en mettant en relation les hypothèses précédentes et ce qui suit. Cela s’appelle la « rétrolecture » = le fait de conserver ses hypothèses, de façon « labile » en quelque sorte, afin de les rectifier sans revenir en arrière, en fonction de ce qui suit dans le texte

 

Penser les temps de l'apprentissage : le CP est évidemment central,

NON ! C’est la seconde année du cycle 2. Point !

mais le travail se prépare à l'école maternelle, se poursuit au CE1 où il faut consolider la maîtrise du code, développer l'automatisation de la reconnaissance des mots et entraîner à la lecture de textes plus longs, plus variés, comportant des phrases syntaxiquement plus complexes. La lecture doit être prolongée et affermie par un travail régulier de production d'écrits. Le cycle 3 ne peut non plus se dispenser de poursuivre ce travail dans des situations plus complexes.

Penser les temps de l'apprentissage, c'est aussi doser les différents apprentissages nécessaires, c'est par exemple consacrer assez de temps, plus sans doute que certains maîtres ne le font, à l'éveil de la conscience phonologique et à l'acquisition du code.

Mais il n’y a pas que ça, même pour la combinatoire, et il reste tout le travail d’apprentissage du fonctionnement de la langue écrite…

Sans pour autant négliger les autres aspects de l'apprentissage.

 

Prendre en compte les différences inter individuelles

C’est évident, et on le dit depuis toujours : mais il y a d’autres exigences  oubliées ici

 

Redire l'importance d'un apprentissage précoce du code ne signifie pas négliger les acquis à l'entrée au CP : le livret CP donne des indications sur l'observation nécessaire des acquis des élèves à l'entrée au CP comme au cours du CP et en début de CE1. Les maîtres doivent y veiller et, lorsqu'un élève ou un groupe d'élèves peine dans l'un des champs indispensables, mettre en place des temps de travail spécifiques pour eux, que ce soit en anticipant les situations collectives ou en étayant leur démarche par exemple, non en faisant disparaître les obstacles à surmonter. Si on ne prend pas appui sur une évaluation des acquis des élèves et si on n'intervient pas pour affermir, par exemple, la conscience phonologique, on risque fort de construire sur du sable.

Doit-on rappeler que lire est une activité visuelle, où la conscience phonologique joue un rôle minime… Même si son importance est réelle dans la construction de la combinatoire, il y a tant d’autres savoirs à construire pour devenir lecteur, et beaucoup plus nécessaires, que cette focalisation sur les phonèmes en devient quasiment ridicule et frôle l’obsession

 

Un travail important de dépistage des troubles du langage

Pas de dépistage surtout, si ce n’est pour les aspects purement physiques. Mais en matière d’apprentissage, c’est par la richesse de contenus et d’expériences qu’on aide les enfants à s’approprier les savoirs.

a été engagé dans nombre de départements. Sa poursuite est évidemment nécessaire. Il nous faut aussi apprendre à accompagner en classe le travail des professionnels qui prennent en charge les élèves concernés.

On ferait mieux de travailler autrement avec eux : c’est ce que disent la plupart des spécialistes, quj préfèrent en général mettre leur spécialité au service de l’enseignant, plutôt que de prétendre « soigner » des enfants qui ne sont pas malades, et que ce soins vont rendre malades (voir « Pygmalion à l’école »)

 

 

Des témoignages d’autres pays

Comme cela a déjà été dit, ils ne prouvent strictement rien dans la mesure où l’enseignement de la lecture dépend totalement du fonctionnement de la langue considérée. De plus, il existe inévitablement d’innombrables variables indépendantes dans ces « résultats » qui ôtent toute crédibilité aux conclusions dégagées.

 

Les  réponses aux quatre questions sur la circulaire.

Comme on va le voir, ces « réponses » n’en sont point : ce sont des répétitions des propos qui ont provoqué les réponses. Encore un problème de vocabulaire ! Décidément…

 

è Le déchiffrage empêche-t-il l'accès au sens ?

Le déchiffrage a un but : la lecture précise des mots, l'accès assuré au sens des mots, la lecture respectueuse des textes. Il ne s'agit pas de s'en tenir à des dictées de syllabes dépourvues de signification, ni à épeler des mots !

N’empêche qu’elles  y sont, dans les méthodes préconisées officiellement !

Un mot amuse ici : l’adjectif « respectueuse ». Comment la lecture pourrait-elle être respectueuse si elle n’aboutit pas à la signification des messages ? Quelle autre forme de respect attend-on d’un lecteur ?

Pour reprendre un exemple cité par F. Smith (persona particulièrement non grata, c’est vrai !), peut-on dire que la lecture parfaitement syllabée et prononcée de la phrase suivante : « La thermoacidophilis et les méthanogènes sont des formes d’archéobactéries » peut être considérée comme « respectueuse » ??

Décidément le vocabulaire pose des problèmes dans cette brochure… !

 

Ce n'est pas ce que dit la circulaire "Apprendre à lire".

Sur ce sujet, Gilles de Robien partage l'avis d'Alain Bentolila, professeur de linguistique à l'université Paris V :

"Contrairement à ce que l'on a seriné aux instituteurs pendant trente ans, ce n'est pas le fait de déchiffrer qui est responsable d'une lecture dépourvue d'accès au sens, mais c'est le déficit du vocabulaire oral qui empêche l'enfant d'y accéder.

Ah bon ? Où monsieur Bentolila a-t-il trouvé la preuve de ce qu’il affirme ici ?

On sait bien pourtant qu’il peut arriver qu’on connaisse tous les mots d’un texte et qu’on ne comprenne rien à ce texte : chacun en a fait l’expérience !

Ceux qui, comme moi, ont travaillé avec des enfants « réels » dans les classes, ont observé, au contraire, que c’est rarement le vocabulaire qui manque aux élèves pour comprendre, mais bien plutôt la syntaxe : c’est la langue qu’ils ne comprennent pas, parce qu’elle n’a que peu de liens avec celle qui est parlée.

Or, ce qui peut les aider à apprendre cette langue et à la maîtriser, c’est évidemment la fréquentation des écrits vrais, la plus précoce possible et en situation. Pas seulement sous la forme de lectures à haute voix par l’enseignant, même si elles sont indispensables : ce qui importe, c’est l’utilisation des écrits en situation de projets, et la découverte qu’il n’y a pas UNE langue écrite, mais plusieurs, qui dépendent des types d’écrits et de leurs fonctions : la langue écrite des contes n’est pas la même que celle des recette de cuisine, ou des écrits documentaires. Les choix lexicaux, précisément, sont différents

 

Il faut donc apprendre beaucoup de vocabulaire aux enfants dès la grande section de maternelle.

Mais non ! C’est par la lecture que le vocabulaire s’acquiert essentiellement, et non par des apprentissages spécifiques… La charrue est encore avant les bœufs…

Les objectifs des leçons de vocabulaire ne sont pas d’augmenter le nombre de mots, (elles ne le peuvent pas) mais d’enrichir et de préciser leur fonctionnement linguistique et social.

Il ne faut pas se tromper d’objectif, et savoir avec précision où mène la route choisie ! C’est une des clés du métier d’enseignant. Comme disait Mager : « quand on ne sait pas où on va, on risque d’arriver ailleurs… ».

 Mais monsieur de Robien connaît-il le métier d’enseignant ?

 

è Y a-t-il contradiction entre la circulaire et le programme de 2002 ?

Le programme de 2002, bien qu'il ait insisté sur l'apprentissage du code alphabétique, ne tranchait pas la question de manière claire. Le paragraphe sur la "programmation des activités", en particulier, tout en insistant sur les défauts graves des méthodes à départ global, ne les écartait pas résolument.

Il disait en effet que le choix des méthodes globales ou idéo-visuelles "comporte plus d'inconvénients que d'avantages : qu'il ne permet pas d'arriver rapidement à une reconnaissance orthographique directe des mots".

Nous sommes nombreux à être d’accord ! Quelles soient globales ou syllabiques, les méthodes sont tout aussi impuissantes les unes que les autres à enseigner la lecture : ce ne sont que des tabourets pour apprendre à nager.

Il y a d’autres moyens que les méthodes pour enseigner la lecture : apprendre à lire en lisant, par exemple…

 

Il indiquait en outre : "II appartient aux enseignants de choisir la voie qui conduit le plus efficacement tous les élèves à toutes les compétences fixées par les programmes".

C’est exactement ce qu’on attend d’un ministre démocratique dans une république digne de ce nom.

 

Si ces approches ne sont pas efficaces, si elles présentent un danger pour certains enfants, alors il faut les écarter : il faut mettre un terme à ce flou.

Il n’y avait aucun flou dans la proposition des programmes de 2002 : il est difficile d’imaginer une affirmation de plus mauvaise foi !

 

Le ministre de l'éducation nationale a souhaité donner des indications claires aux enseignants, pour qu'ils ne soient pas accusés d'avoir choisi de mauvaises méthodes.

C’est trop gentil !

Monsieur le Ministre a le sens de l’humour noir.

On pourrait lui rappeler que les collègues ne sont ni fous ni débiles, et qu’en tant que professionnels de l’enseignement, ils savent choisir leurs outils.

Monsieur de Robien devrait expliquer également aux chirurgiens quels outils ils doivent utiliser : car si ces derniers les choisissent mal, les risques sont encore beaucoup plus grands que pour la méthode de lecture !

 

è Des manuels de lecture seront-ils interdits ?

Pour le ministre, il ne s'agit pas d'interdire.

C’est encore heureux… Quoique… quand on voit la suite, ce n’est plus si évident.…

 

Mais il est évident que travailler avec un manuel inspiré par la méthode préconisée par la circulaire sera plus efficace que le contraire.

La preuve !

 

Au demeurant, les éditeurs auront à cœur de mettre en pratique les orientations désormais clairement exposées pour une bonne pédagogie de l'apprentissage de la lecture...

Cela n'empêchera nullement la créativité, l'inventivité, bien au contraire.

Tiens ? C’est quoi, la créativité et l’inventivité ?  Le « socle » n’en  parle point. Sur quoi vont-elles pouvoir s’exercer ? Et puis, n’est-ce pas très imprudent ? La créativité, ça peut être dangereux…

 

Dans l'immédiat, pour que chacun puisse mieux se repérer, et évaluer les différents manuels, le ministre de l'éducation nationale a demandé à l'Observatoire national de la lecture (ONL, présidé par Erik Orsenna) de mettre au point une grille comparative des différents manuels existants.

Parce que les enseignants ne sauraient pas le faire eux-mêmes ? Merci pour eux !

Et puis, on peut aussi utiliser d’autres outils, plus sérieux et plus fiables que les méthodes toutes faites, qui sont nécessairement inadaptées aux trois quarts des savoirs-déjà-là des enfants. Comme nous le disions plus haut, comme d’autres le disent aussi, on pourrait apprendre à lire en lisant et en analysant ce qui se passe, tout comme on apprend mieux à nager dans l’eau qu’ailleurs…

 

è Cette circulaire porte-t-elle atteinte à la liberté pédagogique ?

La réponse est clairement non.

Ah ! Tant mieux ! Nous voilà rassurés !

Pas tant que ça d’ailleurs : la démonstration manque de preuves.

 

La liberté pédagogique des enseignants a été reconnue par la loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'École du 23 avril 2005. Cette loi, dans son article 48, dispose que : "La liberté pédagogique de l'enseignant s'exerce dans le respect des programmes et des instructions du ministre chargé de l'éducation nationale [...] avec le conseil et sous le contrôle des membres des corps d'inspection."

Parce que c'est un principe fondamental de notre démocratie, les autorités administratives (recteurs, membres des corps d'inspection, directeurs d'IUFM) et les enseignants exercent leur mission de service public en mettant en œuvre les instructions du ministre chargé de l'éducation nationale.

C'est leur responsabilité naturelle.

Moralité : les enseignants sont libres de faire ce que le ministre exige et comme il l’exige. C’est nouveau : ça vient de sortir.

Une fois de plus, le mot de liberté vient légitimer ce qui ressemble bien à un crime :

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D’une part, saccager le travail de centaines d’enseignants qui, depuis trente ans, œuvrent pour que tous les enfants accèdent à la lecture autonome, critique, intelligente, qui seule assure la dignité et la liberté des citoyens dignes de ce nom.

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Et, en face, écarter de cette lecture-là, les enfants qui ne peuvent apprendre à lire qu’à l’école. 

Beau programme.

 

Eveline Charmeux juin 2006.

"Apprendre à lire à l'école" Roland Goigoux et Sylvie Cèbe

editions RETZ

Soucieux de sortir des polémiques qui ont créé une grande confusion et accru l'inquiétude de tous, les auteurs redonnent confiance dans le travail des enseignants en le rendant plus transparent. (extrait de la 4e de couverture)

Sylvie Cèbe est Maître de conférences et directrice adjointe de l'IUFM de Lyon

   

Sollicités, après les déclarations de Robien sur RTL et un entretien avec le Dr Wettstein Badour dans Le figaro, Roland Goigoux et J. E. Gombert donnent deux éclairages hors de "vaines polémiques".
Roland GOIGOUX

Courriel 28/08/06

 

Pour éviter le piège de La Querelle, Sylvie Cèbe et moi-même avons rédigé un petit ouvrage (Apprendre à lire à l'école, Retz ; 3,90 euros) dont Le Monde de l'éducation vient de publier quelques extraits. Mais, faute de place, il n'a pas conservé celui-ci : "Toutes les questions que nous venons de répertorier obligent à reconsidérer la dichotomie syllabique/globale qui, de toute évidence, occulte la diversité des réponses apportées au quotidien par les milliers d'enseignants chargés d'apprendre à lire aux enfants. Et ce n'est sûrement pas rendre justice à la variété, la complexité et la finesse de leurs pratiques que de chercher à les opposer en noir et blanc : le tableau que nous dressons est un dégradé de nuances de gris.
Sachant qu'en pédagogie on est rarement gagnant sur tous les tableaux, les enseignants sont mis face à des dilemmes. Le temps passé à écrire bénéficie-t-il vraiment à la lecture ? Le travail sur la phonologie ne se fait-il pas au détriment de l'orthographe ? L'analyse n'occupe-t-elle pas trop de place par rapport à la synthèse ? L'importance accordée à la compréhension ne risque-t-elle pas de pénaliser l'apprentissage du code ? Etc..
Tous sont contraints d'apporter des réponses aux questions qu'ils se posent et, partant, de choisir. Ces réponses sont fermes et définitives pour les uns, provisoires et pleines de doutes pour les autres. Certaines sont accompagnées d'un discours clair et explicite, d'autres ne sont repérables que dans l'action quotidienne. Certaines sont construites par des maîtres solitaires, d'autres collectivement, à l'aide d'un manuel ou d'un conseiller pédagogique, d'un maître formateur ; parfois même, dit-on, d'un professeur d'IUFM."

Jean Emile Gombert

Courriel du 30/08/06

 

Je ne sais pas s'il est utile de faire durer de vaines polémiques.
Il y a des faits, scientifiquement étayés :
- L'apprentissage systématique des correspondances entre les lettres et les sons est nécessaire dès le début du Cours Préparatoire.
- Aucune recherche ne montre une supériorité de la démarche synthétique (dite syllabique: B - A - BA) sur la démarche analytique (décomposition du mot) ou sur une démarche mixte.
- Le fait de travailler la combinatoire ne dispense pas de travailler les autres dimensions du langage: vocabulaire, morphologie, syntaxe, texte.
L'automatisation nécessite un temps suffisant chaque jour à lire et à écrire, ce qui suppose que les supports de l'apprentissage de l'écrit soient attrayants, et que les activités proposées soient motivantes.
Telles sont, en substance, les affirmations qui peuvent être faites à la lumière des travaux scientifiques et de l'expérience pédagogique.
Il y aura toujours des idéologues (fussent-ils Docteurs) pour déformer les résultats scientifiques au service d'un discours simpliste prônant le retour aux "bonnes" vieilles méthodes pédagogiques d'antan.
C'est cela aussi la liberté d'expression, à laquelle on tient par ailleurs
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Brochure réalisée par :

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AGEEM (Association Générale des enseignants des Ecoles Maternelles publiques)

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AIRDF (Association Internationale pour la recherche en didactique du français)

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CRAP (Cahiers Pédagogiques)

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ICEM (Institut Coopératif de l'Ecole Moderne)

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FCPE (Fédération des Conseils de Parents d'Elèves)

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GFEN (Groupe Français pour l'Education Nouvelle)

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LIGUE de l' ENSEIGNEMENT

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SNUipp-FSU (Syndicat National Unitaire des Instituteurs et Professeurs des Ecoles)

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SE-UNSA (Syndicat des Enseignants)

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SGEN-CFDT (Syndicat Général de l'Education Nationale)

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AFEF (Association française des enseignants de français)-

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SI-EN-UNSA (Syndicat des inspecteurs de l'Education Nationale)

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SNPIEN-FSU (Syndicat des personnels d’inspection de l'Education Nationale)

 

Brochure téléchargeable (format *.pdf)

Le ministre de l'Education Nationale a jugé bon d'ouvrir une polémique sur l'apprentissage de la lecture à l'école en se situant sur le débat des méthodes. Ce débat est dépassé. C'est ce que montrent les résultats de l'école, les travaux des chercheurs et l'expérience des enseignants.

Méthodes syllabique, globale ou mixte ont laissé place à de nouvelles pratiques forgées progressivement au cours des trente dernières années. Ces approches sont cohérentes avec les résultats des recherches scientifiques récentes.

Elles mettent en œuvre simultanément la maîtrise du code et la compréhension. Elles sont conformes aux programmes de 2002.

Aujourd'hui, en France, les jeunes n'éprouvent pas plus de difficultés que leurs aînés, bien au contraire : si l'INSEE dénombre 4% d'illettrés chez les 18-24 ans (ce qui est encore trop) elle en compte 14% chez les 40-54 ans et jusqu’à 19% chez les 55-65 ans. Les comparaisons internationales montrent que la France obtient des résultats similaires à ceux des pays voisins européens. Il n'y a donc pas de recul ou de baisse du niveau.

Pour autant, chacun s'accorde à considérer qu'il est aujourd'hui insupportable de ne pas maîtriser suffisamment l'écrit pour devenir un adulte, s'intégrer socialement, accéder à un emploi.

L'école doit donc chercher à faire réussir tous les élèves. À partir des programmes, de leur formation professionnelle, de leur expérience, les enseignants s'y emploient.

Les déclarations ministérielles ont pu jeter le trouble dans l'opinion. Or, c’est d'une information et d'un dialogue qui permettent de construire un climat de confiance entre les familles et l'école pour favoriser les apprentissages dont nous avons besoin.

C'est le but de ce document. Bonne lecture.

   

 

 

Appel à la grève du zèle

Les textes, tous les textes, rien que les textes !

Aucun chercheur sérieux ne peut prétendre connaître la bonne méthode de lecture !

 

Les résultats scientifiques conduisent à affirmer la nécessité d’enseigner, dès le début du Cours Préparatoire, les correspondances entre les lettres et les sons, mais ils ne permettent pas de trancher sur la meilleure façon d’y parvenir : par une méthode syllabique (le b-a- ba), par décomposition des mots en unités de plus en plus petites, ou par une démarche qui combine ces 2 approches.

L’arrêté du 24 mars, publié à la suite du débat suscité par le Ministre de l’Education Nationale, laisse ouvertes ces différentes possibilités. De même, il rappelle l’importance du développement du vocabulaire, de la compréhension des phrases et des textes, et l’importance de l’articulation entre la lecture et l’écriture. Il prescrit donc un enseignement riche et ouvert. Ce texte officiel, qui précise celui de 2002, est en accord avec les connaissances scientifiques. Il dit ce qui doit être enseigné mais laisse aux enseignants le choix des modalités pour y parvenir.

Il est erroné d’affirmer que la recherche scientifique impose l’utilisation de la « méthode syllabique », et qu’elle serait la mieux adaptée au fonctionnement du cerveau. Il est insensé de rendre cette méthode obligatoire, de sanctionner les Inspecteurs* qui en dénoncent le simplisme, et d’interdire aux formateurs** d’expliquer, en accord avec les textes officiels, la complexité de l’enseignement de la lecture.

Face à des instructions contraires aux textes, il convient d’initier un large mouvement de grève du zèle, de refuser d’enfermer l’enseignement de la lecture dans le b-a- ba ; en d’autres termes, il convient d’appliquer les textes, donc de désobéir au Ministre qui les caricature.

Jean Emile Gombert
Caution récalcitrante

   

* P. Frackowiak, IEN du Nord, délégué du Syndicat des IEN-UNSA, est menacé de sanction, pour avoir osé affirmer que l'apprentissage de la lecture "ce n'est pas si simple" que l'affirme de Robien.

** Roland Goigoux, qui a largement contribué à ce dossier, a été évincé par le Directeur de l'ESEN, des interventions devant les IEN en formation.

  La sagesse de Jean Emile Gombert liée à ses qualités de chercheur que j'ai
pu dans le passé apprécier me parait devoir être suivie pour calmer un
ministre dont la compétence me parait bien médiocre mais dont le désir de
faire parler de lui est, lui, immense.

Claude Raisky  Chercheur en didactique  .
 

 

Goigoux est probablement l'un des profs d'IUFM qui connaît le mieux le sujet, y compris sur le plan scientifique. Il a bien eu quelques propos que je trouve excessifs et il entretient quelques ambiguïtés qui m'étonnent. Mais l'essentiel de ce qu'il dit (et de ce qu'il enseigne, je suppose) est tout à fait compatible avec les programmes, y compris avec la modification de l'arrêté de mars 2006. Donc son éviction ne peut raisonnablement être ni une question de compétence, ni de loyauté par rapport aux textes de loi. Voilà tout ce que je peux en dire.

Franck RAMUS

 

Apprentissage de la lecture : halte à la charlatanerie 

 

Rémi Brissiaud

MC de Psychologie Cognitive à l’IUFM de Versailles

Equipe : "Compréhension Raisonnement et Acquisition de Connaissances"

Laboratoire Paragraphe http://paragraphe.univ-paris8.fr/crac/

 

André Ouzoulias

Professeur à l’IUFM de Versailles
 

Le ministre prétend que le B-A, BA est recommandé par les scientifiques du monde entier. L'examen des recommandations de scientifiques états-uniens montre que c'est un complet faux-sens.

Robien, tel un charlatan, présente comme un remède miracle une méthode préconisée par quelques activistes dont il partage les idées. (voir le Forum)

   
La "vraie" méthode recommandée par les chercheurs états-uniens
 

En cette rentrée 2006, Gilles de Robien est omniprésent dans les journaux, sur les radios et à la télévision. Il y répète à l’envi qu’après plus de 30 années d’errance de la pédagogie de l’apprentissage de la lecture en France, l’état impose enfin la « bonne méthode », la « syllabique », et  interdit les « mauvaises méthodes », la « globale », la « semi-globale » et les méthodes assimilées.

Rappelons que la méthode syllabique consiste à faire d’abord « sonner » séparément les lettres, puis à associer ces sons pour produire des syllabes qui n’ont généralement pas de sens (ap, pa, ip, pi, up, pu…[1]) et, après ces « gammes », à procéder de même avec des mots comportant les lettres déjà étudiées ; l’enfant accède alors aux syllabes (pa, pi) puis aux mots eux-mêmes (papi). Il est important de noter, comme le fait du reste le ministre, que l’enseignant s’interdit toute lecture « globale » de mots qui n’ont pas été décodés à l’aide du B-A, BA. Le ministre affirme que cette méthode est aujourd’hui recommandée par les scientifiques du monde entier parce que sa supériorité a été prouvée.  Est-ce le cas ?

Il est facile de répondre à cette question. En effet, en 1997, s’inscrivant dans une demande exprimée par le congrès des USA, le directeur de l’Institut National de la Santé de l’enfant et du développement humain (National Institute of Child Health and Human Development : NICHHD) a donné mission à un groupe d’experts d’étudier l’incidence des méthodes d’enseignement sur l’apprentissage de la lecture. Les experts ont examiné plus de 100 000 articles scientifiques publiés depuis 1966 ! Trois de ces experts ont ensuite rédigé un fascicule destiné aux parents, fascicule dont le titre est : « A child becomes a reader » et le sous-titre : « Exposé des idées validées par la recherche »[2]. Des conseils y sont prodigués pour que les parents puissent aider l’apprenti lecteur depuis l’équivalent de la Grande Section de maternelle jusqu’au grade 3 (CE2). Dans les pages 31 à 40 de ce fascicule, les auteurs décrivent ce que les parents devraient pouvoir observer dans les classes « efficientes » de grade 1 (CP), celles dont les enseignants se conforment aux résultats des recherches scientifiques. Utilisent-ils la « méthode syllabique » française ? Pour y répondre, on peut se reporter en bas de la page 33, où se trouvent décrites les activités qui permettent aux maîtres de CP de travailler la correspondance lettres-sons.

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[1] Ces exemples sont pris dans la leçon n°6 de la méthode syllabique Lire avec Léo et Léa éditée par Belin (2004). 

 

Extrait de : « A Child Becomes a Reader » ouvrage publié sous l’égide du National Institute for Literacy, du NICHHD, du U.S. Department of Education et du U.S. Department of Health and Human Services

 

 

De toute évidence, ce n’est pas la méthode syllabique « à la française » qui est décrite dans ce document. Il y est dit en effet (colonne de gauche) qu’il convient d’enseigner globalement la lecture des mots irréguliers fréquents comme « said, is, was, are ». Or il faut savoir qu’en anglo-américain, les mots de cette sorte sont très nombreux du fait de l’irrégularité du système grapho-phonologique : 1100 conversions graphèmes-phonèmes en anglais contre 130 environ en français (à comparer avec les 32 de l’italien). La méthode décrite correspond donc plus à ce qu’en France, certains appellent une méthode « semi-globale ».

Par  ailleurs (colonne de droite), quand les enfants combinent les sons correspondant aux lettres, ils accèdent directement à des mots, dont on nous dit qu’il s’agit d’abord de mots monosyllabiques. Il est important de souligner que ce sont bien des mots que les enfants apprennent ainsi à lire en début d’année. Ce ne sont pas, comme dans la méthode syllabique « à la française » des non-mots sans signification (ip, pi, up, pu, ap, pa…). La pratique pédagogique décrite dans A Child Becomes a Reader est facilitée du fait qu’en anglais les mots monosyllabiques sont extrêmement fréquents, beaucoup plus qu’en français. Cela a une conséquence très importante : en anglais, il est possible de travailler dès le début du CP à combiner la sonorité des lettres pour former des mots monosyllabiques qui ont une signification alors qu’en français c’est beaucoup moins souvent le cas. L’aspect « technique » de la lecture et son aspect « signification » sont beaucoup plus liés dans la méthode recommandée par les chercheurs états-uniens que dans la méthode syllabique « à la française ».

Passons sur les autres différences : l’utilisation de la morphologie des mots (lire background presque globalement parce qu’on sait lire back et ground) est recommandée ainsi que l’écriture par l’enfant de ses propres histoires comme dans la méthode naturelle d’écriture-lecture de Freinet… Ainsi, la méthode correspondant aux « idées validées par la recherche » est bien éloignée de la méthode syllabique « à la française » ! En fait, le ministre serait bien en peine de trouver un seul chercheur au sens universitaire du terme, qui recommande sa méthode syllabique.

Ce qu’il faut bien appeler une charlatanerie*

 

Une question se pose : comment expliquer cet étrange scénario « La syllabique : le retour » ? Cette méthode est en effet celle qui était utilisée dans l’école française il y a encore 40 ans, c’est-à-dire du temps où un tiers environ des élèves de CP redoublaient cette classe. Un ouvrage récent de Laure Dumont[1] nous éclaire sur ce point. Selon elle, ce retour de la syllabique est porté par ce qu’elle appelle la « nébuleuse des Tout-fout-le-camp », nébuleuse qui rassemble aussi bien de vieux militants d’extrême gauche (Le Bris, Brighelli…) que des champions « illuminés » de l’ultralibéralisme (SOS Education) ou encore les catholiques intégristes de « Lire-Ecrire.org ».

Lorsqu’il fait croire aux français que c’est la recherche scientifique qui l’a conduit à imposer aux maîtres de CP la méthode syllabique, Gilles de Robien commet donc une charlatanerie : il présente comme un remède miracle la méthode préconisée par quelques activistes dont il partage les idées pédagogiques, une méthode très différente de celles que recommandent les chercheurs. Il y a tromperie ! Et comme beaucoup de charlatans, son discours allie simplisme et grandiloquence. Ainsi, le 2 octobre dernier, il intervenait en conclusion d'un séminaire consacré à la lecture pour proclamer que : « le déchiffrage, c'est la clé de la liberté de lire et de penser »[2]. Aucun des chercheurs en psychologie cognitive expérimentale, aucun des neuropsychologues invités à la tribune n’avait évidemment rapporté une conception aussi grossière et réductrice du progrès en lecture. Le ministre invite des chercheurs, il les laisse dire que l’apprentissage de la lecture est une affaire complexe mais, avec une incroyable assurance, il conclut le séminaire en vantant sa méthode miracle.


 

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[1] Dumont, Laure (2006), Globale ou B.A.-BA ? Que cache la guerre des méthodes d’apprentissage de la lecture ?Des m Paris : Robert Laffont

Des mobiles politiciens et des conséquences graves

 

Gilles de Robien veut apparaître comme le ministre qui a rendu obligatoire la méthode syllabique à l’école. Cette campagne fait les délices de nombreux médias. Hélas, elle est efficace : qui peut s’opposer à un ministre qui défend la « bonne méthode », celle qui est recommandée par la science ? Quel contradicteur peut être entendu s’il est rangé dans les défenseurs de la méthode globale aussitôt qu’il ose signifier que « les choses ne sont pas si simples » ? Et pour bien montrer sa détermination, le ministre n’hésite pas à faire preuve d’autoritarisme : menaces de sanctions, enquêtes disciplinaires, évictions… Tous les procédés sont bons pour se forger l’image du « ministre de l’éducation nationale qui, enfin, ose réformer l’école ».

Mais l’opinion doit savoir que la méthode qu’il présente comme un remède miracle, par le passé, a prouvé sa nocivité. Elle doit savoir de plus qu’un climat détestable s’est installé dans de nombreuses écoles, où certains parents d’élèves, se sentant encouragés par le ministre, jettent le soupçon sur les maîtres de CP et cherchent à exercer un contrôle pédagogique tatillon. Cela ne peut que nuire à la réussite des élèves dans l’apprentissage de la lecture.  Celui-ci, en effet, exige la coopération de l’école et des familles, dans le cadre d’un dialogue authentique mais confiant.

Quel média alertera l’opinion sur le fait que l’école et ses usagers, dans les années qui viennent, vont malheureusement payer bien cher la belle image qu’essaye de se construire aujourd’hui ce triste politicien ?

 

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* D’après Le Robert, un charlatan est « un guérisseur qui prétend posséder des remèdes merveilleux ».

NB Le "chapô" a été ajouté au texte original

Un peu de poésie souriante

 

Dilemme au Ministère

 

(Fable pour enseignants et parents)

 

Un ministre vivait au Monomotapa,

Pays démocratique autant que beaucoup d’autres.

Les ministres de ce pays là

Valent bien, dit-on, ceux des nôtres.

 

Il y vivait heureux, quand certains lui soufflèrent

Qu’il lui faudrait laisser pour la prospérité

Une loi, un décret, voire une circulaire

Qui porterait son nom : c’est du meilleur effet !

Il se laissa convaincre. Comme son ministère

Était « l’éducation », ce serait donc scolaire.

Mais alors que choisir ? Beaucoup d’autres avant lui,

Pour se rendre célèbres, avaient déjà écrit.

Soudain il se souvint qu’une étrange rumeur

Courait au ministère et sans nul doute ailleurs :

« On ne savait plus lire ! » Mais devait-il le croire ?

On le lui confirma et il fit son devoir :

De nouvelles directives furent bientôt publiées.

Au Mo-no-mo-ta-pa, la méthode syllabique,

Qui pouvait souhaiter mieux ? Pensa notre ministre.

Et sans plus se soucier de quelques réticences ;

Dans le monde enseignant, il imposa silence.

Ni maîtres, ni élèves ne furent satisfaits.

Quelle est cette lecture, se disaient les enfants

Qui ne raconte rien de tout ce qu’on aimait ?

« Lulu a vu la lune », ce n’est guère passionnant.

Pourquoi interdit-on Poucet et Chaperon,

Le roi et les princesses, Blanche-neige, Cendrillon

Et son prince charmant ? Que t’en semble, lecteur ?

Cette difficulté vaut bien qu’on la propose.

Je te laisse seul juge, à toi de prendre cause.

Allons, n’hésite pas. De quoi aurais-tu peur ?

               Il est si loin là-bas.

               Le Monomotapa !

 

 

Jeannette Bretogne

 

(Avec l’aimable complicité de Jean de La Fontaine pour quelques lignes.)

 

 

Enseignants ! Obéissez….

Oui mais à qui au ministre ou à la loi ?

Cette question nous pouvons légitimement nous la poser tant le décalage entre le discours politique et le cadre institutionnel est de plus en plus grand voire même contradictoire !

Entre la dénonciation anonyme prônée par des associations et le mensonge d’état, ce véritable retour en arrière rappelle plus les périodes sombres de notre histoire que les grands moments d’avancée sociale…

Mensonge, bouc émissaire, chasse aux sorcières, stigmatisation, détournement et manipulation de théories scientifiques, simplification et analyses simplistes, le tout relayé par une presse indigente, sans esprit critique et peu curieuse, nous assistons à un véritable délitement de notre Ecole.

La dernière surenchère étant cet appel lancé par l’association  « SOS Education » à travers la presse régionale qui incite les parents à dénoncer (même anonymement) l’enseignant qui utilise la globale dans la classe de CP de leur enfant, l’association se chargeant de transmettre le nom du coupable au ministre !

Cela marque une nouvelle étape dans le travail de destruction déclenché par le ministre de l’éducation nationale il y a déjà 1 an…

Dès la rentrée Monsieur de Robien avait ouvert la voie en annonçant sur tous les médias qu’il avait pris les dispositions nécessaires à travers une modification des programmes pour interdire les méthodes globales et semi-globales en CP ! Dès le premier jour, dixit le ministre, on commence par la méthode syllabique (B et A font BA) et ensuite on passe à des phrases qui ont un sens…

 

Entre la dénonciation anonyme prônée par des associations et le mensonge d’état, ce véritable retour en arrière rappelle plus les périodes sombres de notre histoire que les grands moments d’avancée sociale…

 

En tant que fonctionnaire de l’Etat, nous devons obéir aux textes de l’Etat et non aux différents discours politiques car une démocratie se construit par l’application des lois républicaines, leurs arrêtés et non en obéissant aux injonctions médiatiques.

Au niveau de l’éducation nationale, les arrêtés sont celui du 25 janvier 2002 (Horaires et programmes d’enseignement de l’école primaire) et celui du 24 mars 2006 qui le modifie légèrement (modification dont le ministre se gargarise depuis des mois dans ses différentes interventions médiatiques).

Cette modification touche le chapitre sur la lecture au cycle 2 et comporte 3 articles. Ils suppriment 2 phrases et remplacent un paragraphe de 274 mots par un de 227…

Sur la totalité de ce chapitre qui s’intitule « Lecture », cette modification représente 5% de la totalité… Voilà pour la forme, au niveau du fond, il n’y a aucun changement, les programmes restent inchangés et ils spécifient avec précision et intelligence que pour apprendre à lire il faut travailler 4 entrées de manière simultanée et quotidiennement tout le long du cycle 2 :

ð     identifier des mots de manière directe (reconnaissance orthographique des mots, ce que certains appellent la globale) et  indirecte (déchiffrage, le fameux B-A BA)

ð     comprendre des textes

ð     produire des textes

ð     se familiariser avec le monde de l’écrit, du livre (l’acculturation)

Les trois premières entrées, nous les retrouvons dans les évaluations institutionnelles CE1, ce qui démontre la cohérence actuelle des programmes et des outils d’évaluation.

La place de l’école maternelle est réaffirmée (travail sur les réalités sonores) et l’articulation entre le CP et le CE1 est précisée.

 

Il me semble que le ministre de l’éducation nationale doit, en tant que premier fonctionnaire de notre administration, respecter et faire appliquer la loi. Hélas ses propos rapportés par les différents médias nationaux prouvent soit sa méconnaissance de ses propres textes institutionnels, soit une obstination inquiétante qui marque un mépris de l’ensemble des fonctionnaires appartenant à ce grand et noble ministère, dans les deux cas c’est inadmissible !              

 

Patrice GOURDET,

conseiller pédagogique, agent de l’état respectueux des textes…

 

Il n'y a pas lieu d'imposer une unique méthode d'enseignement de la lecture

 

Les récents débats sur les méthodes d'enseignement de la lecture ont conduit un certain nombre de chercheurs en psychologie cognitive, neuropsychologie et sciences de l'éducation à rappeler les résultats des études d'évaluation de l'efficacité des différentes méthodes, et à formuler notamment les recommandations suivantes:

1. Il faut enseigner les relations graphèmes-phonèmes (entre les lettres et les sons) de manière systématique et explicite, dès le début du cours préparatoire.

2. Il existe de nombreuses manières d'enseigner les relations graphèmes-phonèmes: des approches synthétiques, combinant les phonèmes pour construire les syllabes et les mots; des approches analytiques, décomposant les mots en syllabes et en phonèmes; et des approches combinant à divers degrés les deux précédentes. Les études d'évaluation ne font pas ressortir de différences significatives d'efficacité entre ces différentes approches.

 Les résultats scientifiques actuels suggèrent donc d'écarter les méthodes qui n'enseignent pas les relations graphèmes-phonèmes, ou qui ne les enseignent pas de manière explicite et systématique, ou qui ne les enseignent pas suffisamment tôt (souvent appelées "méthodes globales", ou selon les acceptions, correspondant à une partie des méthodes globales). Toutes les autres méthodes semblent acceptables.

 

L'arrêté de mars 2006 modifiant les programmes d’enseignement de l’école primaire a précisé les programmes de 2002, en restreignant l'éventail des méthodes d'enseignement de la lecture recommandées précisément à celles suggérées par les travaux scientifiques. Il s'agit donc là d'une évolution positive.

 

Conformément aux résultats scientifiques, les nouveaux programmes laissent aux enseignants le choix entre les nombreuses méthodes utilisant des approches synthétiques, analytiques, ou une combinaison des deux, dans la mesure où, quelle que soit la méthode choisie, l'enseignant prend soin d'enseigner les correspondances graphèmes-phonèmes, afin de développer l'automatisation de la reconnaissance des mots et la compréhension.

 

Compte tenu des textes de loi définissant les programmes, et compte tenu des travaux scientifiques qui les inspirent, il n'y a donc pas lieu d'exiger des enseignants le recours à une méthode unique. Il n'y a notamment pas lieu de leur imposer l'usage d'une méthode exclusivement synthétique (parfois appelée "la méthode syllabique").

 

Franck Ramus, Chargé de Recherches au CNRS, et

Rémi Brissiaud, Maître de Conférences à l'IUFM de Versailles

 

Co-signataires:

Mireille Bastien-Toniazzo, Maître de Conférences à l'Université de Provence

Séverine Casalis, Maître de Conférences à l'Université Lille 3

Sylvie Cèbe, Professeur à l'Université de Genève

Pascale Colé, Professeur à l’Université de Savoie

Marcel Crahay, Professeur à l'Université de Genève

Jean-François Démonet, Directeur de Recherches à l’INSERM

Jean Ecalle, Maître de Conférences à l’Université Lyon 2

Michel Fayol, Professeur à l'Université Clermont-Ferrand II

Jacques Fijalkow, Professeur à l'Université Toulouse II

Daniel Gaonac'h, Professeur à l'Université de Poitiers

Roland Goigoux, Professeur à l'IUFM d'Auvergne

Jean-Emile Gombert, Professeur à l’Université Rennes 2

Jacqueline Leybaert, Chargée de Cours à l’Université Libre de Bruxelles

Annie Magnan, Professeur à l’Université Lyon 2

José Morais, Professeur à l'Université Libre de Bruxelles

Laurence Rieben, Professeur à l'Université de Genève

Liliane Sprenger-Charolles, Directrice de Recherches au CNRS

Annick Weil-Barais, Professeur à l'Université d'Angers

Pascal Zesiger, Professeur à l'Université de Genève

Johannes Ziegler, Directeur de Recherches au CNRS

 

Voir notamment:

Ramus, F., Casalis, S., Colé, P., Content, A., Démonet, J. F., Demont, E., et al. (2006). Un point de vue scientifique sur l'enseignement de la lecture. Le Monde de l'Education, Mars 2006.

Et:

Sprenger-Charolles, L., & Colé, P. (2006). Pratiques pédagogiques et apprentissage de la lecture. Cahiers Pédagogiques, Mars 2006.

   

Pour compléter :

Polémiques autour de la lecture : des chercheurs répondent aux Cahiers Pédagogiques :
Les points de vue d’Alain Bentolila, de Jean-Émile Gombert et de Liliane Sprenger-Charolles

http://www.cahiers-pedagogiques.com/article.php3?id_article=2640

 

Dix vérités incontournables dans le débat sur la lecture

 

Sylvain Grandserre

Maître d'école

 

"Ce n'est pas au nom du gouvernement, même républicain, ni même au nom du

Peuple français que l'instituteur confère son enseignement :

c'est au nom de la vérité".

Manifeste des instituteurs syndicalistes – 1905

 

1 - La vérité sur les chiffres de l'illettrisme : la proportion d’illettrés augmente en même temps que l’âge. Les enquêtes confirment toutes que si un adolescent sur 15 ou 20 est en échec, c’est le cas d’un sexagénaire sur 5.

Retenons la conclusion de l’INSEE : « Les personnes âgées de 18 à 29 ans ont de meilleurs résultats que les générations plus âgées, que ce soit en lecture, en calcul ou en compréhension orale. »

 

2 - La vérité sur la situation de l'école : il faut réfuter les thèses du "tout fout le camp" : 63 % d'une classe d'âge obtient le bac, il y a deux fois moins de jeunes sans diplômes qu'il y a 20 ans. Dans le passé, jamais une majorité d’élèves n'a obtenu son certificat d'étude, plus de 50 % n’entraient pas au collège au début des années 60 !

 

3 - La vérité sur le travail accompli en classe : les collègues, et ce dès la maternelle, travaillent déjà largement sur la liaison entre graphèmes et phonèmes. Mais ce n'est qu'une compétence, pas une méthode de lecture (autrement, comment lire OISEAUX dont on n'entend aucune des 7 lettres OI-

S-E-A-U-X ?)

 

4 - La vérité sur la difficulté de notre langue : B et A, ça ne fait pas toujours BA : baie, Bayrou, baudruche, banquier, bain, etc. De plus, si la liaison entre lettres et sons n'est pas régulière, que dire du lien entre sons et lettres ! Comment écrire le son [o] : o, os, oh, ho, ot, ots, op, ops, od, au, aus, aux, eau, eaux, aud, auds, aut, auts, aud, auds, ault, haut, hauts ?

D'autres langues ne présentent pas ces obstacles, leur lecture en est facilitée.

 

5 - La vérité sur la méthode syllabique : elle a été abandonnée en raison de son inefficacité ! Plus de 30 % des CP redoublaient dans les années 60 ! Les maîtres désespéraient de tous ces élèves ânonnant. Les critères pour juger de la capacité à lire étaient moins fins qu’aujourd’hui, notamment pour ce qui relève de la compréhension.

 

6 - La vérité sur les méthodes ministérielles employées : mensonge ("épidémie de dyslexie", toutes les méthodes utilisées « assimilées globales »), pressions, convocation et mise au pas de l'appareil (maires, éditeurs, inspecteurs d'Académie, IEN, formateurs), censure et insulte (R. Goigoux), manipulations (brochures et DVD), double discours (circulaire différente des propos médiatiques) menaces (P. Frackowiak, les signataires de l'appel du MONDE*, les enseignants de CP). On peut toujours dire ensuite que le débat n’est pas idéologique, ça dépend pour qui !

 

7 - La vérité sur les seuls soutiens du ministre : des extrémistes archaïques, dogmatiques, au fort relent intégriste comme « SOS éducation » et son appel à la délation de 93 % d'instits de CP ; de faux opposants, zélés collaborateurs du pouvoir, pour lesquels les maîtres n'apprennent plus rien aux élèves, ne pensant qu'à les amuser bêtement, les distraire pour leur seule béatitude. Mais où ? Quand ? Des preuves pour une fois !

 

8 - La vérité sur notre statut d'enseignant : ne serions-nous plus que de simples exécutants, fonctionnaires fonctionnant ? Ou bien notre métier contiendrait-il une dimension artisanale, critique, faite de réflexions, de recherches, d’essais et d’ajustements ? A l'obligation de réserve, on peut aussi opposer la légitime défense. Nous ne faisons que répondre à une attaque inadmissible : qui dénigre, falsifie, jette le doute et l’opprobre ? Et qui défendra l'école publique si nous, enseignants, ne le faisons pas ? Qui est sur le terrain chaque jour, au contact de parents désorientés, rendus méfiants ? Notre fidélité est liée à notre mission, pas à des personnages de circonstance.

 

9 - La vérité sur la situation de l'éducation : de moins en moins de pouvoir et d'ambition pour davantage de résultats ! Ce n'est pas le niveau qui baisse, mais les exigences qui augmentent comme jamais, sans que l'on s'en donne les moyens ! L'effort ne pourra pas être proportionnel pour s'attaquer au noyau dur d'élèves en difficulté, surtout si les problèmes sociaux, cachés sous le tapis médiatique, perdurent (moins de chômage... mais plus de RMIstes !).

 

10 - La vérité sur les risques : aujourd'hui, c’est un appel à la délation dans la presse. Et demain ? D'autres projets attendent, réduisant les maths au seul calcul, l'histoire à la chronologie, l'ORL à la grammaire, l'apprentissage au "par cœur", l’orientation à l’éviction. Face à une opinion manipulée, habituée à entendre toujours le même son de cloche, toutes les organisations progressistes, qu’elles soient syndicales, associatives, culturelles, pédagogiques ou politiques, ont un travail d'information et d’action à poursuivre, encore et toujours.

Plus que jamais.

 

 

* Le 11 mars 2006, 10 enseignants de CP dont 4 Val d'Oisiens publiaient une tribune dans Le Monde "D'autres méthodes que le b-a-ba" invitant leur ministre à venir constater fin juin comment lisent leurs élèves. ". Travaillant comme tous les enseignants dans le cadre général des programmes, ils favorisent une démarche d’apprentissage fondé sur le lien écriture-lecture.
 Dans le contexte du moment, après la circulaire du 3 janvier, ils annonçaient: "Si le Ministre maintient son projet (de modification des programmes), nous serons contraints à la désobéissance. Finalement, les modifications de programmes promulguées ont été très en retrait par rapport à la circulaire.
Mais M. de Robien n'a visiblement que peu apprécié et, en octobre 2006, il a fait sommer les IEN des collègues concernés d’organiser l’inspection de 4 maîtres de CP, par des procédures nominatives de "contrôles de conformité" aux programmes 2002, modifiés 2006. Conformité qui a été avérée lors de la totalité des visites effectuées dans le Val-d’Oise. Ces dispositions exceptionnelles ne sont pourtant appliquées qu’en cas de dysfonctionnement grave…
 Après la tentative d’éviction de formateurs réfractaires à la recette magique de de Robien, la caricature des travaux des chercheurs, une menace de sanction contre un inspecteur, ces enseignants ont été "contrôlés" pour avoir osé défendre dans un grand quotidien, une approche différente de celle de leur ministre... Nous constatons toutefois un changement de climat après la mobilisation des organisations syndicales, pédagogiques et les réactions des chercheurs. Cependant le mal est fait : le ministre est responsable du climat de défiance que connaissent certaines écoles.
Mais, dans le même temps, le ministre se refuse toujours à condamner la campagne de délation lancée par l’officine SOS éducation. Il doit mettre fin au dénigrement systématique et organisé des enseignants de l’école publique. L’école, les familles, les élèves -et particulièrement les plus fragiles d’entre eux- ont besoin de confiance et de sérénité.
 Nous appelons les personnels à diffuser cette information et à participer à toutes les actions qui leur seront proposées pour dénoncer ces méthodes d’un autre âge.
Nous appelons tous les collègues à se mobiliser si des enseignants travaillant dans le respect des programmes étaient inquiétés par l'administration (sanction, intimidation, etc.). Plus que jamais, nous considérons légitime et utile l’engagement des enseignants dans les recherches pédagogiques en faveur de la réussite de tous les élèves.  Ensemble, nous continuerons d'agir pour obtenir les moyens (formation initiale et continue, recherche, effectifs, etc.) de cette ambition pour l’école publique.
 
SNUipp FSU, SE-UNSA, Sgen-CFDT, ICEM, GFEN du Val-d’Oise
avec le soutien de la FOL, la FCPE, la FSU

 

Du barnum politico-médiatique

au grand bazar des idées reçues

 

 

Laure Dumont, longtemps journaliste à L'Expansion, est aussi l'auteur de L'école expliquée aux parents (RETZ)

 

 

 

 

Globale ou B.A.-BA ? Robert Laffont 17 €

 

 
 

Si l’on oublie le sous-titre (Que cache la guerre des méthodes d’apprentissage de la lecture ?) on pourrait s’attendre à une plus ou moins savante étude sur les prétendues « méthodes » globale ou syllabique. Il n’en est rien. Non pas que Laure Dumont, sans avoir l’air d’y toucher et en bonne vulgarisatrice, ne nous éclaire sur les différentes approches, plus complémentaires qu’antagonistes, de l’apprentissage de la lecture. Mais son propos est autre. Nous éclairer sur l’arrière-plan idéologique de ce que tous les experts considèrent comme une fausse querelle.

 

Tout commence un 15 novembre – il y a un an – au journal du soir de France 2 où, à propos de la crise des banlieues, le dossier de l’édition présente l’ineffable Rachel Boutonnet (celle qui forte de sa totale inexpérience de stagiaire IUFM avait, telle Jeanne d’Arc, entendu l’appel de la syllabique).  Quelque jour après, la « résistante », soi-disant victime de sa hiérarchie, est contactée par Roger Chudeau, membre du cabinet de Robien.

La connexion entre la nébuleuse du « tout-fout-le-camp » et le cabinet ministériel est faite.

 

Avant d’aborder la question centrale – qu’est-ce qui a pu pousser un assureur picard, devenu un peu par hasard Ministre de l’Education Nationale, après un passage discret mais efficace aux transports, à se lancer dans une guerre sur la lecture où ses compétences n’étaient pas nettement affirmées ? - Laure Dumont fait un bref historique que certains de ses collègues journalistes devraient lire et relire, pour éviter de trop fortes approximations.

 

La crise des banlieues va amener de Villepin à improviser un plan  pour l’égalité des chances, qui dans des mesures contre l’échec scolaire préconise la méthode syllabique. Et c’est alors que de Robien crie « Haro » sur la méthode globale et assène que les neurosciences « expliquent que  le cerveau est constitué de telle façon que c’est avec les méthodes syllabiques que l’on apprend le mieux à lire » !

Face à la catastrophe des banlieues, « l’équation proposée est simple, pour ne pas dire simpliste, voire grossière. Crise des banlieues égale souffrance des jeunes égale échec scolaire égale méthodes globales de lecture en CP ». Moyen aussi, pour ce ministre de retrouver un peu de visibilité. En ne lésinant pas sur les formules démagogiques qui peuvent flatter certains parents ou grands-parents : « La liberté pédagogique s’arrête où commence le danger pour les enfants ».

Son directeur de cabinet, Patrick Gérard, bien qu’avouant ne guère s’y connaître, va faire du zèle, érigeant une femme médecin généraliste du Mans, G. Wettstein-Badour, en caution scientifique du ministre, qui amalgame ses élucubrations avec les recherches de vrais scientifiques tels que F. Ramus, J.E. Gombert, M. Fayol… Un rapport de l’Observatoire National de la Lecture et de l’IGEN qui répète que la querelle globale-syllabique est dépassée est mis sous le coude. Mais P. Gérard va donner toute sa mesure lors d’une réunion à laquelle étaient convoqués les éditeurs, où, dans une diatribe violente, il va s’en prendre à un manuel pris au hasard, après que son ministre ayant lu d’une voix terne une pâle déclaration s’est éclipsé.

 

Le chapitre central du livre décrit « la nébuleuse des « tout-fout-le-camp », des vieux militants de l’extrême-gauche aux illuminés de l’ultralibéralisme ». Elle montre que cette querelle de méthodes fabriquée de toutes pièces est purement idéologique. Elle s’adosse au combat des prétendus « républicains », Finkielkraut, Pena-Ruiz, Kambouchner, etc., qui « déplorent la disparition des savoirs, la baisse du niveau scolaire et de l’autorité des maîtres ». « La nébuleuse anti-pédago s’organise en quatre mouvances » : « Sauvez les lettres » avec l’ex-mao Brighelli et le lambertiste Le Bris, sans oublier l’ineffable Boutonnet ; Fondapol un groupe de réflexion proche de l’UMP, avec notamment la farouche M. C. Bellsta ; l’association « Famille-école-éducation » fondée et animée par un grand-père qui a connu un fiasco complet quand il a voulu embrigader M. Fayol et F. Ramus dans sa croisade ; et enfin « SOS éducation » qui vient  d’acquérir une triste célébrité par ses appels à la délation dans des encarts dans la presse régionale, pour faire la chasse aux manuels qui n’ont pas son imprimatur.

Cette nébuleuse reste connectée avec le cabinet ministériel comme l’avoue assez cyniquement Brighelli sur son blog, à propos d’une émission pipeul dans laquelle il se commettait avec Robien : " Il y avait un jeu assez complice entre moi et De Robien, plus ou moins planifié d'avance. Le fait de nous mettre dans des camps opposés n'était que de la frime "

 

Episode dont ne rend pas compte Laure Dumont, son livre s’arrêtant en juillet 2006.

Elle pouvait donc penser que la publication de l’arrêté du 26 mars 2006 mettait un point final à ce faux débat : «  Tout ça pour ça ? Quatre mois de polémique intense. des enseignants sonnés qui ont le sentiment de porter tous les maux de la société française et d’avoir été dénigrés publiquement par leur ministre de tutelle. Des parents rassurés mais plus que jamais montés contre l’école. » Elle s’interroge ironiquement sur « un magnifique coup de maître sur le plan politique : faire bouger un ministère irréformable en réveillant, presque au feeling, une polémique dépassée, fondée sur des arguments faux ou incertains ».

 

Mais, hélas, la parution de l’arrêté de mars 2006 ne fut qu’une trêve et dès la rentrée, Robien, ignorant le texte qu’il avait signé, reprenait son rôle de propagandiste d’une fantasmatique méthode syllabique ; lançait un interdit professionnel contre Roland Goigoux et une procédure disciplinaire contre un Inspecteur primaire ! Applaudi par la nébuleuse du « tout-fout-le-camp » ! Son acharnement allait-il à l’encontre de la stratégie du maître de l’UMP, comme le subodorait L. Dumont ? Toujours est-il qu’il semble, à nouveau, s’apaiser.

 

Mais, bien qu’il ne rende pas compte, bien sûr, de ces derniers épisodes, le livre de Laure Dumont est indispensable pour comprendre que la fausse question : globale ou B.A.-BA ? n’est qu’un épisode d’un dur combat idéologique.

J. F. Launay

 

Mise au point sur l'efficacité comparée des approches synthétiques et analytiques de l'enseignement du déchiffrage

Franck Ramus

16 novembre 2006

  L'affirmation que des collègues et moi-même avons faite précédemment (ici et ), selon laquelle les études d'évaluation ne montrent pas de différence d'efficacité entre les approches synthétiques et analytiques de l'enseignement de la lecture, repose sur la méta-analyse du National Reading Panel, qui a trouvé entre les deux approches une différence de taille d'effet de 0.11 écart-type, statistiquement non significative. Bien entendu, l'absence de différence statistiquement significative dans cette méta-analyse ne prouve pas l'absence réelle de différence. Il était donc inévitable que cette absence de différence soit contestée. 

C'est ce que fait l'association Enseignement et Liberté*, sur la base d'une contre-expertise commandée à la junior-entreprise de l'ENSAE. Ce rapport m'a été envoyé pour avis par un membre de l'association, auquel j'ai renvoyé un certain nombre de commentaires, déconseillant la publication. Aujourd'hui l'association publie néanmoins le rapport sur son site, suivi de plusieurs analyses et déclarations (la 1ère, la 2ème, la 3ème, la 4ème). Pour permettre à chacun de se faire une idée sur la base de différents points de vue,  je recopie donc ma réponse ci-dessous, augmentée de quelques notes explicatives.

cher Monsieur,
J'ai bien lu le rapport que vous m'avez envoyé.
La première partie me parait être une tentative maladroite de faire passer pour statistiquement significatives des différences qui ne le sont pas. Pour aboutir à ce résultat, l'auteur propose en quelque sorte d'inverser la charge de la preuve et de se satisfaire d'une probabilité de 5% que la différence soit réelle pour accepter cette différence (1). D'un point de vue strictement mathématique ce n'est pas répréhensible, car tout critère statistique de significativité est arbitraire, et fait donc l'objet d'un choix délibéré. En revanche c'est une absurdité épistémologique. Ce n'est tout de même pas un hasard si tous les scientifiques du monde sont d'accord pour maintenir le critère de certitude à 95%. Il y a bien des désaccords, mais typiquement de la part de gens qui voudraient le porter à 99%, c'est-à-dire le rendre encore plus strict, pas le contraire. Il ne viendrait à l'esprit de qui que ce soit de sensé de vouloir le descendre à 5%! Cela reviendrait à prendre pour certain tout et n'importe quoi, et les "certitudes" n'en finiraient pas de se contredire les unes les autres! Si le législateur devait prendre ce critère de certitude pour informer ses décisions, alors il devrait modifier les lois toutes les semaines à la lumière de telle nouvelle étude apportant une "certitude" contredisant les précédentes. Vraiment, cette argumentation est ridicule, si vous l'utilisez vous allez vous mettre dans l'embarras.
Accessoirement je pense qu'il y a une erreur de calcul dans la reconstitution des écart-types du NRP, car à vue de nez ils sont trop faibles d'un ordre de grandeur pour être corrects (2). S'ils étaient ceux indiqués, alors les différences obtenues par le NRP seraient statistiquement significatives selon les critères usuels, or ce n'est pas le cas. Mais peu importe, car le problème est dans la définition du critère, pas dans les chiffres (3).

La deuxième partie est une présentation honnête de l'étude de Johnston & Watson 2004 (4) (dite "du Clackmannanshire"). Remarquez qu'ici l'auteur ne propose pas de changer de critère statistique, puisque le critère usuel suffit à aboutir au résultat espéré... Incontestablement cette étude produit des résultats en faveur de l'approche synthétique. Evidemment il est tentant de mettre en exergue cette étude, mais peut-on ignorer que d'autres études ont donné des résultats différents? C'est bien parce qu'il y a une grande variabilité et des contradictions entre les études, qu'une méta-analyse de plusieurs études est infiniment supérieure aux résultats d'une seule.
Comme l'a observé l'auteur du rapport, la méta-analyse du NRP n'était pas centrée sur la comparaison analytique-synthétique, et a pu exclure quelques études pertinentes, donc n'était pas idéale pour répondre à la question qui vous intéresse. Par ailleurs, publiée en 2000, elle n'inclue pas les études plus récentes, notamment celle de Johnston & Watson.
J'attire donc votre attention sur une nouvelle méta-analyse réalisée cette année à la demande du gouvernement britannique, et ayant parmi ses missions d'évaluer la question analytique-synthétique:
http://www.dfes.gov.uk/research/data/uploadfiles/RR711_.pdf
Les auteurs ne trouvent que 3 études évaluant cette question rigoureusement, dont celle de Johnston & Watson, mais les deux autres aboutissent à des conclusions opposées. Au total la méta-analyse donne un avantage non significatif de 0.2 écart-type en faveur de la méthode synthétique, même conclusion que le NRP. Les auteurs ajoutent qu'avec 3 études seulement, le degré de confiance qu'on peut avoir dans cette conclusion est évidemment faible, et que d'autres études seraient nécessaires pour vraiment savoir s'il y a une différence d'efficacité.

La conclusion de tout ça, c'est que les données scientifiques actuelles n'indiquent pas de différence d'efficacité entre les approches analytiques et synthétiques. Mais elles sont en quantité insuffisante, et donc le débat n'est pas clos. Si vous voulez avoir le fin mot de l'histoire, il ne sert à rien de faire des contorsions statistiques pour déformer l'interprétation normale des données, il faut simplement encourager de nouvelles recherches rigoureuses et à grande échelle sur le sujet. Et tout particulièrement en France, en évaluant les méthodes en usage en France. Par exemple, les partisans des méthodes "naturelles" ne manqueront pas de souligner que les méthodes analytiques anglophones qui ont été évaluées n'incorporent pas les activités intensives d'écriture dont ils pensent qu'elles sont le meilleur moyen d'apprendre le code. Je ne sais pas s'ils ont raison, mais on ne pourra le savoir que si ces méthodes particulières sont évaluées, à côté des autres méthodes synthétiques, analytiques et mixtes en usage en France. Si vous avez l'oreille du ministre, ne manquez donc pas de lui souffler de mettre de l'argent de côté pour cela (dans l'Agence Nationale de la Recherche, par exemple).

Bien cordialement,
Franck Ramus

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  1. Pour justifier ce critère, l'auteur utilise la métaphore d'une société pharmaceutique devant décider lequel de deux médicaments elle doit commercialiser. Mais cette question n'est pas comparable à celle qui nous est posée. Une entreprise peut, pour des raisons budgétaires, être contrainte de faire un choix entre deux alternatives, et dans ce cas faire le choix sur la base d'un critère de certitude de 5% n'est pas plus bête que de tirer à pile ou face ou de consulter un astrologue. Mais si l'on prend le point de vue de l'Afssaps qui délivre les autorisations de mise sur le marché, doit-elle refuser l'AMM à l'un des deux médicaments sous prétexte qu'il y a 5% de chances qu'il soit moins efficace qu'un autre (si tant est qu'il reste supérieur au placebo)? L'entreprise le produisant aurait beau jeu de crier au scandale, et à la discrimination injuste en l'absence de preuves scientifiques. Le ministère de l'éducation nationale est dans la même position que l'Afssaps: autoriser une diversité de méthodes qui sont toutes efficaces ne nuit pas. Pour en arriver à en interdire une par voie législative, il paraît légitime d'exiger le niveau de preuve scientifique usuel sur sa moindre efficacité.
  2. A la relecture, la source de l'erreur me paraît être que l'auteur a confondu les intervalles de confiance à 95% de la moyenne de la distribution, avec l'intervalle contenant les 95% de l'effectif de la distribution.
  3. Cette erreur de calcul a tout de même une importance par rapport aux arguments que l'on trouve sur le site d'Enseignement et Liberté, selon qui "il y a trois chances sur quatre que la phonosynthétique soit la meilleure". Cette affirmation est basée sur la probabilité de 26% calculée dans le rapport, or ce calcul repose sur les écart-types erronés. Avec les véritables écart-types il est clair que l'incertitude concernant la différence d'efficacité serait beaucoup plus grande. Elle n'est pas donnée dans le rapport du NRP, mais elle l'est dans le rapport britannique: 87% (de se tromper en affirmant que les deux approches ont une efficacité différente).
  4. Johnston, R. S., & Watson, J. E. (2004). Accelerating the development of reading, spelling and phonemic awareness skills in initial readers. Reading and Writing, 17(4), 327-357.

 

  * Enseignement et Liberté est né en 1983 contre "le grand service public, unifié et laïc de l'éducation nationale" ; dans son Comité d'honneur de l'époque on note Louis Leprince-Ringuet, Jean Foyer, Michel Droit... Il est présidé par Armel Pécheur qui enseigne à l'institut catholique d'enseignement supérieur de La Roche-sur-Yon. Parmi les anciens administrateurs on ne sera pas surpris de trouver la caution scientifique de Robien (médecin généraliste autoproclamée spécialiste de la lecture) le Dr Ghislaine Wettstein-Badour , Présidente de l’Union pour la liberté d’enseignement en Sarthe.

 

Pierre FRACKOWIAK

 

Une page se tourne: pas de sanction.

Les problèmes demeurent.

 

Le Ministre de l'Education Nationale a confirmé, par la voix du recteur de l'académie de LILLE ce jeudi 23 novembre à 18h, que la procédure engagée suite à mes prises de position sur l'apprentissage de la lecture est abandonnée. Il a, sans doute, tenu compte à la fois des jugements unanimement élogieux de ma hiérarchie au fil de ma longue carrière, du fait incontestable que j'applique loyalement et veille à l'application des programmes de 2002 et de l'arrêté de mars 2006 modifiant légèrement le paragraphe initial relatif à la lecture. Dans un communiqué, il avait évoqué ma loyauté et mes regrets. Une certaine ambiguïté des formules m'avait contraint de préciser que, dans le commentaire écrit suite à la consultation de mon dossier au ministère, j'avais réaffirmé la loyauté qui était la mienne depuis le début de ma carrière d'inspecteur et que mes regrets, fréquemment formulés, concernaient non pas "l'affaire" en elle-même qui avait été lancée par le ministre, mais ses conséquences sur le climat des écoles, sur le moral des enseignants, particulièrement ceux de la maternelle et du CP, sur l'image de l'Ecole.

 

La menace de sanction réitérée à plusieurs reprises a fait l'objet d'un traitement médiatique exceptionnel, elle a provoqué une très vive émotion dans les milieux enseignants et chez tous les amis de l'école publique, elle a suscité une mobilisation d'une ampleur qui laisse encore perplexe les observateurs du système éducatif et qui a sans aucun doute déterminé l'évolution positive du dossier.

 

La solidarité exprimée m'a beaucoup touché par son ampleur, par la diversité de ses formes, par le fait qu'elle ait transcendé clivages et divergences.

 

Je tiens à saluer et à remercier

 

Ø mon syndicat, le SI-EN UNSA, et son secrétaire général Patrick ROUMAGNAC, ma fédération, l'UNSA Education, son secrétaire général, Patrick GONTHIER et son spécialiste des questions juridiques, Luc BENTZ, et tous les syndicats d'enseignants qui ont engagé des actions importantes: le SE UNSA, le SNUIPP FSU (qui m'a fait l'honneur de m'inviter à son université d'automne à La Londe des Maures), le SGEN, le SPIEN, le SNIPRIA, le SNPDEN

Ø les mouvements pédagogiques: CRAP, ICEM Freinet, GFEN, OCCE, RERS, AFL

Ø les chercheurs et universitaires: mon ami Philippe MEIRIEU et Roland GOIGOUX, Eveline CHARMEUX, Jacques FIJALKOW, Rémi BRISSIAUD, André OUZOULIAS, HélèneTROCLE FABRE, Francis DANVERS…

Ø les sites Internet pédagogiques et particulièrement "LE CAFE PEDAGOGIQUE", mais aussi REVEIL, PRISME, EDUCATION et DEVENIR, EDUCATION et POLITIQUE…

Ø la FCPE, particulièrement son président Faride HAMANA

Ø les partis politiques par leurs élus ou leurs responsables: le PS (et particulièrement Serge JANQUIN, Martine AUBRY, Yves DURAND, Claude ROIRON, Jean-Michel STIEVENARD),  le PC (particulièrement Ivan RENAR et Daniel ROME), l'UMP (particulièrement Jacques VERNIER, président de l'UMP Nord, et Patrick MASCLET, président de l'association des maires du Nord)

Ø mes amis du "groupe des experts de l'éducation" au PS

Ø mon collègue et "vieux frère" Alcide CARTON qui a lancé une pétition nationale signée par de nombreux collègues, par des personnalités, par des inspecteurs d'académie honoraires, et adressée au Président de la République et au Premier Ministre qui lui ont répondu

Ø un très grand nombre d'enseignants de ma circonscription que j'ai dissuadé de lancer des mouvements allant jusqu'à la grève!

Ø et tant de collègues, d'enseignants de toute la France et des DOM, d'auteurs d'ouvrages sur l'école, de militants, de citoyens à qui il me sera impossible d'écrire individuellement

 

 

Une page se tourne qui aura fait l'objet de commentaires dans l'ensemble des médias (télévision, radios, journaux et magazines) et de débats dans tous les milieux.

 

Reste, et c'est infiniment plus fondamental que l'agitation qui s'est développée autour de cette affaire, la question de l'avenir de l'Ecole, du courage politique nécessaire à la construction d'un système éducatif plus juste, plus démocratique, plus performant, à la hauteur des enjeux du futur, fondé sur des valeurs humanistes qui ne sauraient être édulcorées par la nostalgie d'un âge d'or de l'école qui n'a jamais existé et par la tentation du retour à des méthodes qui avaient la preuve de leurs insuffisances.

 

Reste, comme le constate le remarquable rapport de l'Inspection Générale publié le 8 novembre à propos de l'apprentissage de la lecture,  à réduire le malaise engendré dans les écoles et, en définitive, à reconstruire la confiance de la Nation pour son Ecole. Cette ambition ne saurait s'accommoder d'un dérisoire triomphalisme, elle exige la mobilisation sereine de tous les démocrates.

 

 

Pierre FRACKOWIAK

Le 23 / 11 / 2006.

   

 

ACELF : L’éveil à l’écrit

 

Extraits de la présentation :

L’apprentissage de l’écrit débute bien avant l’entrée en première année scolaire. Nous reconnaissons maintenant que les enfants ont déjà un ensemble de connaissances et d’habiletés desquelles dépendront les progrès futurs en lecture et en écriture. Les dix études de ce numéro thématique visent à mieux comprendre ces apprentissages précoces en abordant les questions suivantes : Quels sont les apprentissages précoces qui favorisent l’alphabétisation? Comment se développent-ils? Quels liens ont-ils avec les apprentissages ultérieurs? Quelles circonstances favorisent leur apprentissage? De même, certaines études vérifient le succès d’interventions cherchant à promouvoir l’éveil à l’écrit chez des enfants à risque de difficultés d’apprentissage. Voilà autant de questions qui sont  abordées dans ce numéro thématique sur l’éveil à l’écrit.

Revue scientifique téléchargeable :

http://www.acelf.ca/c/revue/pdf/ACELF_XXXIV_2.pdf

 

ALAIN  était-il un "globaliste" ?
Il s’agit d’apprendre à lire, et aussi d’apprendre à penser, sans séparer jamais l’un de l’autre.

Quand je suis dans l’autobus, je m’amuse, comme chacun fait, à lire les réclames collées sur le verre et qui se montrent à l’envers ; je suis alors semblable à un illettré ; car je reconnais aisément chaque lettre, mais l’ensemble du mot m’est tout à fait étranger. J’épelle, mais je n’ai jamais cette perception instantanée qui me permet de reconnaître un mot comme on reconnaît un visage. Et si j’avais coutume d’examiner un visage par parties, le menton, le nez, les yeux, jamais je ne reconnaîtrais un visage. Au reste, si la règle de nos pensées était d’aller du détail à l’ensemble, nous ne penserions jamais rien, car tout détail se divise, et cela sans fin. L’esprit d’ensemble, c’est l’esprit. Ainsi, il se peut bien qu’épeler soit un très mauvais départ…

 

Savoir lire, ce n’est pas seulement connaître les lettres et faire sonner les assemblages de lettres. C’est aller vite, c’est explorer d’un coup d’œil la phrase entière ; c’est reconnaître les mots à leur gréement, comme le matelot reconnaît les navires. C’est négliger ce qui va de soi et sauter à la difficulté principale… La lecture qui ânonne ne sert à rien. Tant que l’esprit est occupé à former les mots, il laisse échapper l’idée…

 

Le mot philosophie est comme un récif difficilement abordable quand on s’y accroche en quelque sorte avec les mains ; mais l’ensemble du mot est aussi facile à reconnaître qu’une brouette ou une locomotive…

 

Il existe des méthodes ingénieuses qui ont pour fin de faire reconnaître les lettres ; mais la difficulté n’est point à reconnaître les lettres. Je ne crois pas qu’on ait cherché quelque méthode qui éveille l’esprit d’ensemble et qui délivre d’épeler. Les mieux doués y viennent tout seuls ; il y faudrait amener les autres…

 

Je me demande si les écoliers n’apprennent pas à lire lentement, par l’exercice de lire tout haut… C’est par les yeux qu’il faut penser, non par les oreilles. Il faut donc former l’enfant à cette lecture par les yeux.

 

Nous en sommes restés au temps où l’on se lisait à soi-même, où l’on s’écoutait lisant. Cet orateur qui parle à soi ne sait point lire ; et même s’il lit le journal à haute voix et pour d’autres, je ne suis pas assuré qu’il comprend ce qu’il dit, assez occupé de faire correspondre les sons aux signes. Cette partie oratoire de l’art de lire doit être effacée ; il n’est pas utile que j’imagine des sons quand je lis. C’est temps perdu…

 

Nul ne s’instruit en écoutant ; c’est en lisant qu’on s’instruit... Toute leçon où le bambin ne lit pas ou n’écrit pas est une leçon perdue…  On remarque qu’il y a beaucoup d’illettrés. Mais comment en serait-il autrement ? 

 

Il s’agit d’apprendre à lire, et aussi d’apprendre à penser, sans séparer jamais l’un de l’autre. Or, une syllabe n’a point de sens, et même un mot n’en a guère. C’est la phrase qui explique le mot…

 

Alain Philosophe (1868 -1951)

Citations dues à Laurent Carle