Tribune 10

Nouveau site : http://www.educationetdevenir.fr/

 

L’EDUCATION EN FINLANDE :

les secrets d’une étonnante réussite 

 

«  Chaque élève est important »

 

.

Paul ROBERT

Principal du collège Nelson Mandela

de Clarensac (Gard)

Auréolée du prestige de ses résultats aux évaluations internationales PISA (Program for International Student Assessment) de 2000 et de 2003, la Finlande était pour moi depuis bientôt 6 ans le sujet d’interrogations persistantes auxquelles n’étaient pas parvenues à répondre les informations que j’avais pu glaner au fil des conversations ou des lectures. L’opportunité d’une visite d’étude du programme européen Arion, m’a permis de me rendre sur place en avril 2006.

Organisée par M. Esa Räty, proviseur du lycée de Niinivaara de Joensuu, cette visite regroupait 18 responsables éducatifs venant de 14 pays, de la Norvège à la Turquie. Tous étaient motivés par le désir de comprendre les raisons de l’étonnant succès des élèves finlandais.

Le programme préparé par M. Räty nous a permis de visiter des établissements scolaires de tous niveaux : un jardin d’enfant, deux écoles primaires, deux collèges, deux lycées, un lycée professionnel, une université et un centre de formation continue. Nous avons également rencontré différents responsables locaux de l’éducation : Mme Janna Puumalainen, directrice des Affaires internationales de la municipalité de Joensuu, Mme Tuula Vihonen, directrice de l’éducation de Joenssu, Mme Johanna Kurki, responsable des projets européens Arion et Comenius au Bureau d’Etat de la Province orientale de Finlande. Nous avons pu aussi discuter librement avec de nombreux professeurs et élèves ainsi qu’avec des chefs d’établissements.

Découvrant peu à peu la profonde originalité du système finlandais, nous en avons tous conçu une véritable admiration et l’envie d’en importer  quelques uns de ses secrets dans nos pays respectifs.

 

  Tribune suivie d'une note de Franck Ramus (ENS)
 

 

Faut-il parler de miracle finlandais ?

La première enquête PISA (2000) fut pour les finlandais une divine surprise : sur les 43 pays étudiés, la Finlande se classait 1ère en lecture, 3e en sciences et 4e en mathématiques. En 2003, elle fit mieux encore : 1ère dans ces trois domaines et 2e pour la résolution de problèmes.

Mais le plus remarquable est que l’écart garçons-filles est le plus réduit et qu’avec l’Islande c’est le pays où l’impact de l’origine sociale est le plus faible. Les différences entre établissements scolaires, toujours avec l’Islande, sont aussi les plus faibles. Corrélativement, les élèves finlandais ont un sentiment d’eux-mêmes très positif par rapport aux apprentissages.

La Finlande a sur résoudre le faux débat sur ce qu’il faut mettre au centre du système : l’élève ou les savoirs. L’idée qu’un élève heureux, épanoui, libre de se développer à son rythme, acquerra plus aisément les savoirs fondamentaux n’a rien là-bas d’une utopie de pédagogue illuminé. La Finlande respecte profondément les savoirs, mais elle respecte encore plus les individus à qui elle veut les faire acquérir.

Car c’est bien cela au fond que semble viser le système éducatif finlandais : aider chaque élève à accéder au statut de personne humaine pleinement responsable, et capable de prendre part en toute conscience à la société sans jamais cesser d’être soi-même. Contrairement aux idéaux républicains, qui, aussi généreux soient-ils restent largement extérieurs à la personne, les valeurs morales que les finlandais promeuvent sont tissées au plus intime de l’être.

La Finlande a également fait la démonstration qu’un haut degré de décentralisation n’était nullement incompatible avec une très forte réduction des écarts entre territoires et que l’autonomie très grande accordée aux municipalités et aux établissements eux-mêmes était tout à fait profitable à l’amélioration générale du système.

 

La Finlande et PISA

 
 

Les résultats de la première étude PISA menée en 2000  furent accueillis en Finlande avec satisfaction mais aussi surprise. Certes, les finlandais avaient engagé depuis plus de 30 ans de profondes réformes de leur système éducatif. Mais ils n’avaient pas encore eu l’occasion d’en constater les effets positifs de façon aussi indiscutable dans le cadre d’une étude comparative aussi vaste. Dès cette première campagne PISA, la Finlande arrivait en tête pour les performances en lecture de ses élèves parmi les 43 pays participants (les 30 pays de l’OCDE plus 13 pays associés). Elle arrivait à la  4ème place en maths et  à la  3ème place en sciences. Figurant déjà parmi les tout premiers pays au monde pour l’efficacité de son éducation, la Finlande améliora encore sa position en  2003,  et obtint la première place, parmi les 41 pays participants, dans les 3 matières déjà évaluées en 2000 et la seconde pour la résolution de problèmes, introduite dans cette nouvelle session.

La Finlande se pencha alors plus attentivement sur la question et publia un rapport analysant ses résultats à PISA en 2003 (ce qu’elle n’avait pas fait en 2000). Ce rapport met en évidence des caractéristiques dont l’intérêt va bien au-delà des scores bruts. En effet les différences entre garçons et filles y sont beaucoup moins fortes que dans n’importe lequel des autres pays participants. Les garçons y réussissent certes moins bien que les filles en lecture mais la différence est nettement moins marquée qu’ailleurs. Et en maths, contrairement à tous les autres pays les filles réussissent presque aussi bien que les garçons. Autre trait remarquable : la Finlande est le pays, après l’Islande, où  l’impact des disparités sociales sur les performances des élèves est le plus faible. Très significativement, le quart le plus défavorisé, selon des critères socio-économiques, de la population d’élèves testés en Finlande se situe en mathématiques nettement au-dessus de la moyenne des pays de l’OCDE, toutes populations confondues. De la même manière, les différences entre établissements sont, là encore après l’Islande, les plus faibles de tous les pays évalués..

Autre enseignement remarquable de l’étude: la proportion d’élèves obtenant des résultats faibles (« low-achievers ») en mathématiques est nettement moins élevée en Finlande qu’ailleurs (6% contre 21% dans la moyenne des pays de l’OCDE). Donnée qui n’est sans doute pas sans rapport avec le fait que les élèves finlandais affichent une forte confiance en eux, en leurs propres compétences et en leur potentiel d’apprentissage. Enfin leur niveau d’anxiété par rapport à l’apprentissage des mathématiques apparaît nettement plus faible que dans les autres pays.

Ainsi il ressort de cette étude que la Finlande est un des pays au monde où  les inégalités sont les mieux corrigées par l’éducation, où les différences de compétences entre garçons et filles sont les plus faibles et où les élèves ont un sentiment d’eux-mêmes très positif par rapport aux apprentissages.

 

Il vaut donc la peine de chercher à comprendre comment ce pays a su apporter des réponses aussi pertinentes à des problèmes dont la France n’a, après 30 ans de collège unique, pas réussi à venir à bout.

 

Les clés du succès

A. « Chaque élève est important »

 

On se souvient que lors du « Grand Débat sur l’avenir de l’école » organisé à la fin de l’année 2003 pour préparer la nouvelle loi d’orientation, la formule figurant dans le rapport annexé à la loi de 1989, avait concentré une grande part de la polémique : que fallait-il mettre au centre du système, l’élève ou les savoirs ?

 

La Finlande a sans conteste choisi la première solution. Il semble même que ce soit une fine et profonde analyse des besoins réels de chaque élève qui soit à la base de l’étonnant succès du système patiemment élaboré en 30 ans de réforme dans ce pays. L’idée qu’un élève heureux, épanoui, libre de se développer à son rythme, acquerra plus aisément les savoirs fondamentaux n’a rien là-bas d’une utopie de pédagogue illuminé : c’est tout simplement ce qui oriente l’action de tous : état, municipalités, chefs d’établissement, professeurs… La Finlande respecte profondément les savoirs, mais elle respecte encore plus les individus à qui elle veut les faire acquérir. Et cela ne passe pas là-bas pour un idéalisme débridé, mais pour le plus élémentaire pragmatisme. M. Esa Räty, proviseur du lycée Niinivaara de Joensuu, a fait sa devise de la formule qui résume cette philosophie: « chaque élève est important ».

 

a) Un environnement chaleureux et accueillant

 

L’élève doit se sentir à l’école « comme chez lui ». Tout hiatus entre l’école et la maison doit être autant que possible gommé. Le cadre de vie est conçu  pour favoriser cette continuité : l’école est un lieu de vie où les espaces de travail sont vastes (65m² par classe dans le nouveau collège en construction à Joensuu) et où de confortables endroits sont prévus pour le repos. Les élèves vaquent dans des couloirs aux couleurs chaudes et souvent décorés de travaux d’élèves, sans hâte et sans bousculades. Pas de dégradations : les locaux sont propres et respectés comme un deuxième chez soi. Il semble qu’il ne viendrait même pas à l’esprit des élèves de taguer, de souiller, de détruire.

La taille modeste des établissements (300 à 400 élèves pour un collège; 400 à 500 pour un lycée) crée une atmosphère de proximité et permet au principal ou au proviseur de connaître personnellement tous ses élèves

 

Quant aux relations entre les professeurs et les élèves, elles sont empreintes elles aussi d’une grande familiarité qui n’exclut aucunement le respect mutuel. Du jardin d’enfant au lycée, les professeurs sont accessibles, disponibles, attentifs.  Une jeune élève allemande du lycée de Niinivaara, venue passer une année dans le cadre d’un échange international, raconte qu’elle avait un jour téléphoné à un professeur sur son portable pour obtenir des éclaircissements sur un point du programme. Assez intimidée, elle craignait la réaction de l’enseignant. Mais celui-ci s’était montré, à sa grande surprise, enchanté de pouvoir lui rendre service. « Tout le monde, ajoute-t-elle, est ouvert et positif. Les professeurs cherchent à aider les élèves à apprendre. C’est extrêmement chaleureux et amical ». Aussi tous les élèves avec qui j’ai pu échanger disent-ils aimer leur école, même s’ils sont en délicatesse avec telle ou telle matière.

 

Un des critères que le lycée de Niinivaara fait entrer dans son auto-évaluation est le sentiment qu’ont les élèves de pouvoir être eux-mêmes en toute circonstance!  De fait on est frappé en circulant dans les établissements par la grande décontraction (y compris vestimentaire) et la liberté de mouvement des élèves qui n’exclut d’ailleurs nullement une surprenante auto-discipline. Il semble que les vols soient inconnus: les élèves déposent sans crainte leur vêtement dans un vestiaire en libre accès dans le hall de tout établissement. Les vélos sont également déposés sans anti-vol dans les emplacements prévus. En cours les professeurs ont un seuil de tolérance élevé par rapport à de petits écarts qui entraînent souvent en France des sanctions immédiates:  cours de maths au collège de Juhanala – un portable sonne. C’est tout juste si l’on entend le professeur rappeler l’élève à l’ordre par un petit clappement de langue réprobateur. L’élève regarde discrètement son sms et tout rentre dans l’ordre. Dans le même cours une autre élève tresse tranquillement un scoubidou sans s’attirer la moindre remarque: elle ne dérange personne et peut-être cette occupation lui permet-elle de mieux suivre le cours… Alors pourquoi s’en formaliser ?

 

Certes il existe des sanctions : les élèves perturbateurs peuvent se voir infliger une demi-heure de retenue : ils devront rester tranquilles, sans rien faire, pendant ce temps sous la surveillance d’un professeur. Les chefs d’établissement ont même le droit d’exclure – jusqu’à trois mois – les élèves, mais cette sanction est rarissime et de toute façon assortie de l’obligation d’assurer la continuité de l’enseignement à la maison ! Quant à l’exclusion définitive elle n’est pas envisagée : un père de famille penserait-il à mettre son enfant à la rue ?

Cette atmosphère familiale est encore plus sensible au jardin d’enfant. Les adultes y sont en nombre suffisant pour assurer une relation étroite avec chaque enfant. Trois assistantes maternelles plus une aide ménagère par groupe de 12 enfants entre 1 et 3 ans; 2 professeurs qualifiés, une assistante maternelle et une aide ménagère pour un groupe de 21 enfants entre 3 et 6 ans. Par ailleurs tout est fait dans le choix du mobilier et dans le rythme des activités pour n’imposer aucun stress inutile aux enfants. Aussi ces derniers paraissent-ils étonnamment calmes, détendus et disponibles.

 

b) Des rythmes d’apprentissage adaptés aux enfants

 

Ce n’est qu’à partir de 7 ans les enfants commencent normalement à apprendre à lire. Auparavant le jardin d’enfant (1 à 6 ans) et l’éducation préscolaire (6 à 7 ans) cherchent avant tout à éveiller les aptitudes des enfants, leur curiosité, leur habileté. Chaque jour est consacré à une discipline (musique, sport, activités manuelle ou artistiques, langue maternelle, maths) mais c’est seulement le matin que les enfants s’y initient, de façon toujours très attractive. L’après-midi est réservé au jeu.

Ainsi les apprentissages initiaux se font sans violence, sans stress et sans contrainte excessive avec le souci constant de stimuler, de motiver, d’être à l’écoute. Si un enfant montre des dispositions particulières, on lui donnera l’opportunité d’apprendre à lire plus précocement (6 ans). En revanche, en accord avec les parents, les professeurs peuvent garder un enfant jusqu’à 8 ans au jardin d’enfant s’il apparaît qu’il n’est pas prêt pour la lecture.

Le redoublement est par la suite en principe proscrit par la loi ; il peut, à titre exceptionnel être proposé mais doit toujours être accepté par l’élève et par la famille. En revanche des groupes de soutien sont systématiquement organisés pour les élèves qui éprouvent des difficultés dans telle ou telle matière, et un assistant dépêché dans la classe pour les épauler.

Quant à la journée de travail, elle est organisée avec le souci de respecter les rythmes biologiques de l’enfant et d’éviter toute fatigue inutile : jusqu’à 16 ans – fin de l’école obligatoire – les séquences de cours sont limitées à 45 mn  et entrecoupées de plages de repos de 15 mn pendant lesquelles les élèves peuvent vaquer librement dans les couloirs, discuter tranquillement  dans les salles de repos, jouer ou se connecter sur les ordinateurs mis à leur disposition.

 

c) Une détection précoce des handicaps et des troubles de l’apprentissage et des aides ciblées

 

Afin de pouvoir s’adapter au mieux aux besoins de chaque enfant, les finlandais ont mis en place une détection précoce et systématique des troubles de l’apprentissage et des handicaps divers. Dès le jardin d’enfant, les élèves passent des séries de tests. Les plus handicapés iront dès le début de l’école primaire vers des classes spécialisées où ils seront pris en charge à raison de 5 élèves par classe par des professeurs formés à cette fin. Les classes pour enfants « à besoin spéciaux » sont implantées dans des écoles classiques, ce qui permet d’intégrer ces élèves dans des cours « normaux » dans les disciplines où cela est possible (travaux manuels, musique, sport – quand il ne s’agit pas de handicap physique).

Quand les troubles sont moins profonds, l’intégration totale est privilégiée, avec tous les moyens techniques nécessaires pour la favoriser. C’est ainsi qu’au collège Juhanala un enfant malentendant peut suivre tous les cours grâce à un dispositif de micro émetteur portable dont sont équipés tous les professeurs qui ont cet élève dans leur cours, lui-même étant doté d’un appareil récepteur.

 

Des professeurs spécialisés sont également présents dans tous les établissements secondaires afin d’apporter une aide ciblée aux élèves qui éprouvent des difficultés à un moment de leur cursus dans telle ou telle matière. Les effectifs d’élèves pris en charge pour une durée variable par ces professeurs n’excèdent pas 5. Dès que possible les élèves sont réintégrés dans leurs classe normale. Ces professeurs spécialisés sont aussi présents dans les lycées et les lycées professionnels.

Quant aux élèves ne parlant pas le finnois, tout est fait pour assurer leur intégration le plus rapidement possible. Certes la Finlande a encore un taux d’immigration parmi le plus faibles d’Europe (2%) ; mais depuis la chute de l’URSS, le nombre d’immigrants russes a fortement augmenté et la province limitrophe de Carélie est bien sûr une des premières touchées. Confrontée à ce problème, la municipalité de Joensuu a encouragé la création d’un établissement finno-russe. Les nouveaux arrivants y bénéficient non seulement de cours de finnois intensifs mais aussi d’un assistant parfaitement bilingue qui les suit, par groupe de 5 maximum, dans tous les cours afin de leur donner au fur et à mesure toutes les clés de compréhension nécessaires.

 

d) Un taux d’encadrement élevé

 

J’ai déjà souligné l’importance du nombre d’adultes par enfants dans l’éducation préscolaire. Qu’en est-il du taux d’encadrement par la suite ?

 

Durant les premières années de l’école obligatoire (« basic education » de 7 à 13 ans), les effectifs ne doivent pas dépasser 25 élèves par classe. En fait la norme semble plutôt être autour de 20 élèves mais il peut y avoir, on l’a vu, des exceptions. Au collège de Juhanala  aucune des classes que j’ai visitée ne dépassait 20 élèves. Au lycée, les groupes sont constitués en fonction des inscriptions des élèves : les tailles sont donc très variables mais il n’est pas rare de voir des groupes de TP de 6 ou 7 élèves. Enfin dès l’école primaire et encore au collège, des assistants d’éducation viennent apporter leur concours au professeur dans sa classe-même où il peut prendre en charge des groupes restreints d’élèves ayant besoin d’une aide particulière.

Les établissement secondaires sont également dotés de conseillers, plus ou moins équivalents à nos COP, sauf que ces derniers peuvent avoir en charge jusqu’à 1500 élèves dans plusieurs établissements, alors que leurs homologues finlandais sont présents à temps plein dans un établissement à raison d’un conseiller pour 200 élèves, ce qui leur permet d’être disponibles pour tous les élèves qui peuvent venir les consulter à la demande pour être guidés dans leurs études et bénéficier aussi d’une écoute attentive et experte en cas de besoin. Même si l’élève n’en ressent pas l’urgence, il devra aller voir son conseiller au moins deux fois par an.

 

Une interrogation demeure à laquelle je n’ai pu pour l’instant apporter de réponse certaine : comment expliquer ces taux d’encadrement, alors que d’après les statistiques disponibles la dépense globale d’éducation de la Finlande est à peu près comparable à celle de la France (autour de 7% du PIB) ? L’absence de « vie scolaire » et de corps d’inspection et le poids beaucoup moins lourd de l’administration centrale en raison d’une décentralisation poussée pourraient être des éléments de réponse. En tout cas il est certain que les moyens, s’ils sont réellement identiques, sont distribués de façon beaucoup plus efficiente pour le plus grand bénéfice des élèves.

 

e) Des élèves actifs et impliqués

 

Tout au long de ma visite, je n’ai pas assisté à un seul cours magistral. J’ai toujours vu des élèves en activité, seul ou par groupe, j’ai toujours vu des professeurs sollicitant leur participation et attentifs à leurs demandes. Rien en soi d’extraordinaire à ce constat : on peut trouver en France des cours où les élèves sont ainsi impliqués et actifs. Mais en Finlande c’est la norme. Le professeur est là comme une ressource parmi d’autres; en classe de finlandais les murs sont couverts de livres; il n’y a pas une salle qui n’ait son rétroprojecteur, son ordinateur, son vidéo projecteur, sa TV et son lecteur de DVD. Tous les moyens pour mettre les élèves en contact avec les connaissances sont bons et l’élève est constamment sollicité pour construire du sens à sa mesure à partir de tout cela. Rien de contraint, rien de pesant.  « On ne peut forcer les élèves ; il faut leur donner des possibilités différentes d’apprendre, d’acquérir des compétences. » (M. Hannu Naumanen, principal du collège Pielisjoki). Aussi règne-t-il dans les classes une atmosphère de saine coopération où chacun est à sa place et tient un rôle dans la construction collective du savoir.

 

Quelques exemples :

 

- cours de finlandais  (20 élèves de 14 ans environ ; étude d’un roman du XVIIème siècle, Les Trois Frères):  le professeur rappelle, à l’aide d’un transparent, le plan de l’ouvrage, puis donne la consigne aux élèves : chacun devra lire en classe un passage du livre puis l’exposer à ses camarades. Les élèves se lèvent pour aller prendre un exemplaire de la série qui figure sur les rayonnages abondamment fournis de la bibliothèque de la classe et se plongent silencieusement dans la lecture avant de prendre à tour de rôle la parole devant le reste de la classe.

 

- cours d’anglais (19 élèves de 15 ans environ) : un élève de 14-15ans fait, en bon anglais, un exposé sur le skate (il a apporté sa planche dont il détaille le fonctionnement) puis il passe une vidéo montrant diverses acrobaties périlleuses dans les endroits les plus incongrus avec un commentaire en anglais. A la fin de l’exposé, les élèves applaudissent puis doivent donner leur avis sur le travail de leur camarade en fonction d’une grille d’analyse fournie par le professeur.

 

- cours d’histoire (20 élèves de 14 ans environ) : les élèves sagement assis sur des tapis de sol, assistent au gymnase à une saynète jouée par une troupe amateur ; il s’agit d’un épisode de la seconde guerre mondiale mettant aux prises serbes et croates. Les élèves applaudissent puis après quelques explications et consignes du professeur se répartissent par groupe pour noter sur des feuilles de canson leurs impressions et leurs réflexions, par écrit ou de façon imagée.

 

Certes, on connaît en France, depuis longtemps, les méthodes dites « actives ». Mais on ne peut affirmer encore aujourd’hui qu’elles se soient généralisées. Dans la pratique combien observe-t-on de cours magistraux où l’élève passe le plus clair de son temps à copier la leçon? La Finlande veut que les élèves accèdent au savoir avec enthousiasme et cela n’est possible qu’en les rendant pleinement acteurs de leur apprentissage. « Le professeur n’est pas là pour tout faire, mais il organise, il aide les élèves à apprendre ». (Mme Sirkky Pyy, professeur d’anglais).

Ce rôle de guide, bien plus que de « magister » trônant sur ses connaissances, apparaît dans un document de la faculté d’éducation de Joensuu, intitulé « Ce qui fait un bon professeur ». On y constate que si l’on demande au professeur de maîtriser « la structure des connaissances » dans sa discipline, on attend surtout de lui qu’il favorise les apprentissages de ses élèves dans une atmosphère de tolérance et de respect. On lui demande davantage de créer des situations d’apprentissage variées et stimulantes que d’imposer d’autorité un savoir tout-puissant.

 

f) Une liberté de choix encadrée

 

Un des traits les plus connus du système finlandais est la grande liberté de choix laissée aux élèves pour organiser leur cursus. En réalité cette liberté est très progressive, en relation avec le degré de maturité des élèves. Tout au long de « l’école fondamentale » (entre 7 et 13 ans) le cursus est le même pour tous. Tous les élèves commencent l’anglais à 9 ans. A 11 ans, ils peuvent choisir une deuxième langue parmi l’allemand, le français, le suédois et le russe, l’allemand  étant nettement majoritaire.

A partir du niveau 7 (13 ans) , des matières optionnelles sont introduites, différentes selon les collèges qui définissent leurs propositions en accord avec les municipalités. Chaque collège peut choisir de mettre davantage l’accent sur telle ou telle option dont il tirera sa spécificité. Le choix peut être très varié : éducation physique, dessin, nouvelles technologies, musique,  langues étrangères….  L’effectif minimum pour ouvrir une option est de 16 élèves. Au niveau 7, les élèves peuvent choisir 2 matières optionnelles, 6 au niveau 8, et 5 au dernier niveau de l’école obligatoire, le total des séquences de cours hebdomadaires (cours obligatoires et optionnels confondus) ne devant pas excéder 30 à tous les niveaux du collège. Jusqu’à 16 ans, les élèves peuvent ainsi construire peu à peu leur autonomie et développer un sens de la responsabilité par rapport à leur cursus. Ils peuvent bénéficier pour cela de l’aide des conseillers dont j’ai parlé plus haut.

 

Si au collège le cadre de la classe traditionnelle est maintenu, en revanche à partir du lycée, les élèves vont pouvoir composer entièrement leur programme en s’inscrivant à des cours, dont la liste est disponible sur le réseau informatique de leur établissement et accessible aussi par internet. Sur les 3 ans du lycée, les élèves doivent suivre 75 cours : 45 sont obligatoires, les autres totalement optionnels. La classe n’existe plus. Les élèves vont se retrouver dans des configurations différentes selon les cours auxquels ils se sont inscrits en fonction des disponibilités. Lorsqu’un cours atteint un certain effectif, l’inscription est close et l’élève devra soit s’inscrire dans le même cours mais avec un autre professeur, soit patienter jusqu’à la prochaine session. Certains professeurs qui ont connu le système traditionnel des classes encore en vigueur il y a 20 ans au lycée, regrettent cette notion de groupe constitué bien identifié pour une année. Mais il semble que les élèves se soient parfaitement adaptés au nouveau système et en tirent tout le profit possible. L’avantage pour eux est de pouvoir profiler très fortement leur cursus, en fonction de leurs aptitudes et de leur projet de poursuite d’études. Il permet aussi d’avancer de façon modulée selon ses capacités dans les différentes disciplines, toute notion de redoublement global, impliquant de recommencer y compris les cours des matières où l’on réussit bien, étant exclue. Ce qui implique aussi bien sûr que des élèves d’âges variés peuvent se retrouver dans un même groupe de niveau.

 

Chaque lycée va aussi pouvoir développer des « lignes de programme » particulières, parallèlement au  noyau dur  (« core curriculum ») défini nationalement et qui doit être proposé partout. C’est ainsi qu’au lycée de Niinivaara, les élèves peuvent suivre un programme renforcé de musique  ou  de sciences. Le niveau atteint par les élèves en musique est remarquable et leur permet de réaliser dans le cadre du lycée des spectacles de très bonne tenue, non loin de pouvoir rivaliser avec des professionnels.  Le proviseur lui-même propose également un cours de création d’entreprise qui permet aux élèves de mener un projet en taille réelle dans toutes ses composantes y compris financières – la possibilité de faire du bénéfice n’étant pas écartée.

 

Dans l’enseignement professionnel, il existe aussi une part de libre choix correspondant à environ 8% de l’ensemble des cours évalués. Les élèves y sont incités à composer leur propre programme personnel d’apprentissage; la possibilité existe même de compléter son cursus dans un autre établissement que celui où l’on est inscrit, notamment pour la partie générale pour laquelle on peut suivre des cours en lycée.

 

L’autonomie très large dont bénéficient les lycéens constitue assurément une excellente préparation aux études supérieures et permet d’éviter l’énorme hiatus qui, en France, est une des principales cause d’échec et d’abandon pour les étudiants de première année.

 

g) Une évaluation motivante

 

Qu’en est-il des notes en Finlande ? Comment ce pays évalue-t-il les élèves ? A-t-il trouvé un moyen de réconcilier évaluation et motivation ?

Jusqu’à 9 ans les élèves ne sont  absolument pas notés. Ce n’est qu’à cet âge qu’ils sont évalués pour la première fois, de façon non chiffrée. Puis plus rien de nouveau jusqu’à 11 ans. C’est dire qu’au cours de l’équivalent de toute notre scolarité primaire les élèves ne subissent qu’une seule évaluation. L’acquisition des savoir fondamentaux peut ainsi se faire sans le stress des notes et des contrôles et sans la stigmatisation des élèves plus lents. Chacun va pouvoir progresser à son rythme sans intérioriser, s’il ne suit pas au rythme voulu par la norme académique, ce sentiment de déficience voire de « nullité » qui produira tant d’échecs ultérieurs, cette image de soi si dégradée qui fait, pour beaucoup d’élèves, que les premiers pas sur les chemins de la connaissance sont si souvent générateurs d’angoisse et de souffrance. La Finlande a fait le choix de faire confiance à la curiosité et à la soif naturelle d’apprendre des enfants. Les notes à ce stade ne seraient qu’un obstacle. Cela, bien sûr, n’exclut pas d’informer les familles régulièrement des progrès de leurs enfants : à l’école de Kanenvala des bulletins sont envoyés deux fois (à Noël et en mai) ; mais les notes chiffrées n’apparaissent que la 6ème année quand les enfants atteignent l’âge de 13 ans.

Après 13 ans, le même rythme d’évaluation est conservé au collège avec des notes chiffrées pouvant aller de 4 à 10. Cette échelle de notes, assez surprenante pour nous français qui avons la religion de la note sur 20, est symptomatique de la volonté de valoriser l’élève: il sait ou ne sait pas ; s’il ne sait pas il obtient 4, note qui implique de devoir recommencer l’apprentissage non accompli. On a proscrit le 0 infamant et les notes très basses : quel intérêt de construire une échelle de l’ignorance? En revanche on peut distinguer des niveaux de perfectibilité: une connaissance a pu être acquise sans être poussée à sa perfection: c’est ce que signifient les notes entre 5 et 9.

Au lycée la même échelle est conservée. En revanche le rythme des évaluations est beaucoup plus soutenu: chaque session de 6 semaines se conclut par une semaine pendant laquelle les élèves subissent des tests chaque jour de 9h à 12h. En compensation de ce stress, ils sont libérés cette semaine-là tous les après-midi.

Les élèves doivent valider les deux tiers des cours dans chaque discipline suivie. Ils peuvent donc continuer leur progression malgré un ou deux échecs. Ils sont néanmoins encouragés à redoubler un cours non validé. Autre alternative : passer un examen de repêchage (« resist exam ») le deuxième mercredi suivant la fin d’une période.

A ce stade, le poids de la note chiffrée devient plus déterminant et les nuances d’acquisition entre 5 et 10 peuvent jouer un rôle dans l’orientation future : il semble même qu’une sorte de « moyenne » (au sens où nous l’entendons du 10/20) se soit reconstituée autour de 7. Cela explique aussi que les réclamations des familles auprès du bureau d’Etat de la province (équivalent – très allégé de notre rectorat) aient tendance à se multiplier – occupant une grande partie des fonctionnaires de ce service, qui se font un devoir de les instruire.

 

 

Dans l’examen final (« matriculation examination »), il existe une échelle de notation de 0 à 7 (le 1 étant sauté), associée à d’anciens grades aux dénominations latines. Bien que l’échelle soit différente et que le zéro fasse ici sa réapparition, le nombre de « grades » est identique à celui que l’on trouve dans l’échelle de 4 à 10 en vigueur dans la scolarité secondaire. Par ailleurs les candidats peuvent repasser jusqu’à deux fois et sur un laps de temps d’un an maximum (il y a deux sessions d’examen par an) les épreuves auxquelles ils ont échoué.

 

Dans l’enseignement professionnel l’évaluation est basée sur l’encouragement et le dialogue. L’élève y est pleinement associé notamment par le biais de l’auto-évaluation. L’échelle de notes y est de 1 à 5.

 

La pratique de l’évaluation semble donc guidée en Finlande par le souci de ne pénaliser personne et de toujours laisser sa chance à l’élève, en valorisant plutôt ce qui est su que ce qui n’est pas su. « Ce qui est important, c’est que les élèves aient le sentiment d’être bons dans quelque chose. » (M. Hannu Naumanen, principal du collège Pielisjoki). Guidée par ce principe, l’évaluation des élèves perd son caractère compétitif et angoissant et peut devenir au contraire pour eux un moyen stimulant et motivant de se situer dans une progression souple et adaptée à leur rythme.

 

B. Des professeurs experts

 

a) Une profession valorisée

 

La profession d’enseignant jouit encore en Finlande d’un réel prestige dans la société. Cela ne tient pas tant à la rémunération – qui se situe dans la moyenne des pays de l’OCDE – qu’à l’importance qu’attache le pays à son éducation et au sentiment largement partagé que les enseignants sont des experts dans leur domaine et qu’ils se consacrent avec tout leur cœur à leur tâche. A la question :  « Pourquoi avez-vous choisi ce métier ? », la réponse qui revient en effet le plus souvent dans les enquêtes de motivation menées auprès des jeunes aspirants à la fonction enseignante est : « Parce que j’aime les enfants ».  A des enquêtes similaires menées en France, l’accent est plus souvent mis sur l’intérêt pour la discipline enseignée. Ainsi, les enseignants finlandais sont-ils dès l’origine davantage tournés vers la compréhension de l’enfant, de ses besoins et se sentent-ils plus à son service qu’au service d’une matière. Cette différence de motivation initiale est déterminante pour l’orientation future d’une carrière où l’enseignant se considèrera davantage au service de ses élèves que d’un enseignement théorique.

 

b) Un recrutement exigeant

 

Le recrutement des enseignants contribue de toute façon à sélectionner dès le début des études les candidats non seulement sur des compétences disciplinaires et théoriques mais aussi sur l’idée qu’ils se font de leur métier et sur leur conception et leur connaissance de l’enfant.

 

Les « class teachers », correspondant à nos professeurs d’école, sont appelés à enseigner des niveaux 1 à 6 de l’éducation fondamentale. Les candidats doivent posséder le « matriculation examination » et avoir acquis déjà une expérience auprès des enfants comme « assistants » dans une école ou un collège pendant trois ans. C’est seulement alors qu’ils peuvent présenter un dossier d’admission auprès de la faculté d’éducation de leur choix (en général ils postulent dans trois universités différentes). A la faculté d’éducation de Joensuu, sur 1200 dossiers - comprenant lettre de motivation et CV -  300 sont retenus chaque année. Les candidats doivent ensuite passer, pendant deux jours entiers, des séries de tests et d’entretiens. L’un de ces tests est un « test de groupe » durant lequel les candidats, par groupe de 6, doivent discuter devant des observateurs d’un sujet donné concernant l’éducation. Un entretien personnel est également exigé. Au terme de ces tests, seuls 80 candidats pourront entamer leurs études à la faculté d’éducation.

 

Quant aux « subject teachers », ou professeurs spécialisés dans une discipline, qui seront aptes à enseigner aux niveaux 7 à 9 de l’éducation fondamentale et dans les lycées, ils doivent avoir d’abord obtenu un master dans leur discipline, après quoi ils devront étudier la pédagogie pendant un ou deux an à la faculté d’éducation. Pour y entrer, ils devront subir à peu près les mêmes tests que les « class teachers ».

 

Une fois passé leur diplôme, les enseignants doivent chercher un poste. Il n’y a pas en Finlande de « mouvement national », ni même régional ou départemental. Ce sont les municipalités, dotées de très larges compétences en matière d’enseignement, qui ont la responsabilité du recrutement. Elles la partagent avec les établissements, dont les directeurs participent aux commissions et peuvent influer sur les décisions en fonction de leurs besoins et de leurs attentes. Les enseignants sont ensuite payés directement par les établissements, dont les budgets, abondés par les municipalités, comprennent les salaires du personnel.

 

c) Une formation initiale poussée

 

Tous les professeurs doivent être titulaires d’un master: master de sciences de l’éducation pour les « class teachers », master obtenu dans leur discipline pour les « subject teachers » qui sera complété, nous l’avons vu, par des études de pédagogie. Ainsi, du jardin d’enfant au lycée les élèves auront devant eux des professeurs extrêmement qualifiés. Les « conseillers » et les « professeurs spécialisés » suivent un enseignement particulier: la faculté d’éducation de Joensuu est divisé en trois départements. Le premier est destiné aux professeurs du primaire et du secondaire; le second aux professeurs spécialisés qui seront amenés à intervenir auprès des enfants qui rencontrent des difficultés particulières. Le dernier enfin concerne ceux qui se destinent à la carrière de conseillers.

Tous auront à passer, au cours de leurs études, un temps plus ou moins long dans des situations d’enseignement réelles. Sur le campus de l’université de Joensuu, se trouve une école, un collège et un lycée d’application, où les professeurs doivent réaliser des stages d’une durée allant de 2 à 6 semaines par an. La liaison entre l’établissement d’application et l’université est extrêmement étroite.

 

d) Un temps de travail modéré mais une définition de service élargie

 

Nous l’avons vu les professeurs finlandais ne sont pas plus payés que la plupart de leurs collègues des pays de l’OCDE. En milieu de carrière, le salaire est d’environ 2000 euros pour une charge de travail de 20 séquences de cours (20 fois 45 mn), à quoi s’ajoutent des obligations diverses telles que la surveillance des couloirs ou de la cour (1 à deux fois par jour aux interclasses ), les conseils de classe  et la participation à des groupes de travail disciplinaires ou transdisciplinaires. Cet horaire peut être allégé (18 séquences pour les professeurs de finnois et de langues étrangères) ou alourdi (23 séquences pour les professeurs de sport ou d’arts plastiques). Les professeurs considèrent également comme faisant partie naturellement de leur travail le fait d’avoir des relations avec les familles en dehors du cadre scolaire : il n’est pas rare qu’un professeur se rende au domicile de ses élèves afin de se rendre compte de ses conditions de vie, tâche que l’on considère en France comme incombant à l’assistante sociale.

Les cloisonnements étanches qui sont chez nous jalousement défendus par les professeurs n’existent pas en Finlande. Il est vrai que « la vie scolaire » n’étant pas là-bas connue, les tâches dévolues au CPE ou aux surveillants (ou maintenant aux assistants d’éducation) reviennent naturellement aux professeurs qui, de ce fait, ont une relation beaucoup plus proche avec leurs élèves ne se limitant pas à la simple transmission de connaissance.

 

e) Des conditions matérielles optimales

 

Les professeurs finlandais jouissent de conditions de travail matérielles particulièrement favorables. Les effectifs des classes, je l’ai déjà évoqué, dépassent rarement 25 élèves. Les classes sont spacieuses et équipées de tout le matériel le plus moderne. Dans le lycée d’application de l’université de Joensuu, toutes les salles possèdent un vrai petit poste de commandement pour le professeur qui lui permet de passer aisément et en toute liberté d’un média à un autre. Chaque département bénéficie également d’une salle de travail avec bibliothèque spécialisée . Les professeurs y ont chacun leur  bureau.

 

f) Une liberté pédagogique totale

 

Le degré de satisfaction par rapport à leur travail des professeurs avec lequel j’ai pu échanger est impressionnant. Pas de professeurs amers, déçus, désabusés là-bas, mais au contraire des enseignants heureux et fier de leur système éducatif qu’ils considèrent particulièrement bien organisé (et à juste titre !). Une fois passé le cap de la formation et du recrutement, les professeurs jouissent d’une liberté pédagogique totale et d’une grande marge d’autonomie et d’initiative et c’est assurément là une composante essentielle de leur motivation comme le déclare un professeur de l’école de Kanenvala : « J’aime mon métier, parce que je peux faire les choses comme je veux, à ma façon ». Et la directrice de l’éducation de Joensuu va tout à fait dans ce sens en affirmant :  « Nous avons confiance en nos professeurs : ils sont très qualifiés ».

Aussi le système finlandais fait-il l’économie des inspections (et des inspecteurs…) !

 

g) Des professeurs experts associés à l’Université

 

Après leurs études les professeurs gardent un contact étroit avec l’université. Leur niveau de formation et leur expertise en pédagogie en fait de droit des membres associés. Ils participent à la formation de leurs collègues en les accueillant dans leurs classes et peuvent intervenir dans des sessions de cours à la faculté. Ils sont également régulièrement consultés sur le contenu des programmes auxquels ils peuvent apporter localement les aménagements qui leurs semblent pertinents, en accord avec leur chef d’établissement et avec les responsables locaux de l’éducation.

 

h) Une formation continue ciblée

 

Très soucieux d’être en phase avec les évolutions de la société et de leur métier, ils participent régulièrement à des actions de formation continue. Les chefs d’établissement peuvent les inciter à le faire sur tel ou tel point quand le besoin s’en fait sentir; cela ne se fait pas sur le mode de la contrainte mais au contraire par la négociation et le dialogue.

 

Le rôle des professeurs dans la réussite du système finlandais apparaît ainsi de tout premier plan. Dotés d’une formation initiale de haut niveau où la pédagogie tient une place fondamentale, ils jouissent d’une grande confiance et d’une grande considération de la part de leur institution mais aussi de la société toute entière. Ils s’investissent profondément dans un métier qu’ils aiment et qui les motive parce qu’ils s’y sentent très libres de développer leur propre manière d’enseigner.

 

C. L’évaluation comme levier de changement

 

a) Un système en constante évolution

 

Comment les finlandais en sont-ils arrivés là ? Leur système est-il le résultat d’une évolution progressive ou bien d’une réforme globale ?

 

Ce qui est sûr c’est que les choses n’ont pas toujours été telles qu’elles se présentent actuellement. Les professeurs qui ont de l’ancienneté se souviennent d’un climat général beaucoup moins satisfaisant : « Il y a 30 ans c’était beaucoup plus dur. Les élèves étaient plus indisciplinés, moins motivés. Nous avons changé graduellement, par étapes. Maintenant nous avons à cœur de responsabiliser nos élèves. » Tel est le regard rétrospectif que porte Mme Sirkky Pyy, professeur d’anglais dans un collège de Joensuu,. Il est remarquable que les finlandais aient réussi à faire évoluer leur système de façon progressive et cohérente, sans à coups, sans retour en arrière, mais en suivant une ligne de progrès cohérente et concertée, indépendamment des changements de majorité politique.

 

La première étape remonte au milieu des années 70. La Finlande avait auparavant un système sélectif, divisé dès la fin de l’école primaire en trois filières (classique, technologique et pré-professionnelle), assez comparable à ce qui existait en France à la même époque. La décision d’unifier les filières et de construire un bloc unique d’éducation fondamentale obligatoire entre 7 et 16 ans  pour tous les élèves a été prise au même moment que la création du collège unique en France mais de façon beaucoup plus radicale: nous tentons encore aujourd’hui de sortir du modèle du « petit lycée » avec la mise en place d’un « socle commun ». La Finlande a construit dès cette époque un continuum école-collège, en faisant en sorte de vraiment s’adresser à tous les élèves dans ce segment commun du cursus, évitant par là même les contradictions du  collège unique. C’est également à cette époque que la Finlande réalise une décentralisation poussée qui délègue aux municipalités des pouvoirs étendus en matière d’éducation.

Les programmes sont en revanche toujours de la responsabilité de l’Etat.

 

En 1985, les groupes de niveau sont supprimés au profit d’une hétérogénéité totale. La possibilité de poursuivre des études après le cycle de l’éducation fondamentale est garantie pour tous. Une deuxième étape dans le processus de décentralisation est franchie en donnant aux municipalités la possibilité de définir des orientations locales qui viennent compléter le programme national. Dix ans plus tard, l’autonomie des municipalités sera encore accrue ainsi que celle des établissements : désormais les autorités municipales ont toute latitude pour distribuer les fonds qu’elles reçoivent de l’Etat, qui continue de subventionner l’éducation à hauteur de 57%. Les professeurs dépendent directement des municipalités et des établissements pour leur recrutement et leur salaire.

 

En 1998 le « Basic Education Act », équivalent de nos lois d’orientation, fixe les principes et les règles régissant l’éducation fondamentale. Ce texte essentiel est toujours en vigueur aujourd’hui.

 

b) L’évaluation : une obligation légale

 

Un des points importants de ce document législatif est l’obligation faite à tout établissement scolaire de procéder à des évaluations régulières de son fonctionnement et de ses résultats et de les rendre publiques. Ces évaluations doivent être organisées par l’établissement lui-même. Mais des évaluations externes sont aussi exigées. Elles sont réalisées le plus souvent par les municipalités.

Les lycées sont soumis à la même obligation. Chaque établissement doit se doter d’un plan d’évaluation soumis à l’autorité locale. Au lycée de Niniivaara les domaines pris en compte par l’évaluation sont très vastes : outre les résultats aux examens, tous les aspects pédagogiques,  relationnels et matériels de la vie du lycée sont passés en revue dans des questionnaires qui sont accessibles sur le réseau de l’établissement. Chaque élève peut se connecter soit sur place, soit de chez lui par internet, sur le réseau et répondre librement aux questions. Le taux de participation est de 70%.

 

Cette pratique est révélatrice de la conception finlandaise du service public d’éducation : tous les acteurs se considèrent au service des usagers que sont les familles et les élèves. Ce que nous jugerions peut-être en France comme un encouragement au consumérisme scolaire apparaît là-bas comme une manière saine et efficace de faire progresser le système en fonction des besoins et des ressentis réels des principaux intéressés.

 
 

 

L’école n’est obligatoire en Finlande qu’à partir de 7 ans.

 

Les enfants peuvent néanmoins être accueillis dès un an au jardin d’enfant. La loi prescrit que toute famille doit pouvoir bénéficier d’une place pour son enfant dans un délai maximum de 4 mois si les deux parents sont à la maison . S’ils travaillent ou étudient, ce délai est rapporté à 2 semaines maximum. Si l’effectif d’un jardin d’enfant est complet il revient au directeur de trouver pour les parents qui s’adressent à lui  une place ailleurs dans un rayon raisonnable.

Les frais à acquitter sont plafonnés à 200 euros par mois (cantine comprise) et dépendent du nombre de jours choisis mais peuvent être réduit jusqu’à 0 pour les familles en difficulté. Les prix sont également dégressifs pour les fratries. Certains jardins d’enfant  sont ouverts 24h sur 24h afin de permettre à des parents qui travaillent la nuit de faire garder leurs enfants.

Il existe depuis peu un programme national pour les jardins d’enfants, basé essentiellement sur des activités d’éveil.

 

A 6 ans, les enfants entrent dans une année d’éducation pré-scolaire formant une transition entre le jardin d’enfant et l’école. 96% des enfants finlandais de cette tranche d’âge sont scolarisés. L’apprentissage systématique de la lecture est exceptionnel à ce stade. En revanche, les enseignants se fixent pour objectif essentiel de repérer les aptitudes des enfants et le moment le plus propice pour les faire entrer dans les apprentissages fondamentaux. L’éducation préscolaire est gratuite.

 

Il en est de même de la scolarité obligatoire entre 7 ans à 16 ans cantine et transport compris. Les finlandais sont très soucieux d’égalité territoriale  dans les régions d’habitat très dispersé comme la Laponie, bus ou taxis sont mis à la disposition des familles pour acheminer leurs enfants à l’école. Pour des questions de sécurité dans les régions où la  faune sauvage peut constituer un danger et où l’hiver est long et rude, des services de transport gratuit pour les élèves existent même pour de courtes distances.

 

La période d’éducation fondamentale (« basic education ») regroupe dans un même continuum l’équivalent de notre école primaire pour les enfants de 7 ans à 12 ans avec des professeurs polyvalents (« class-teachers ») et de notre collège (« comprehensive school ») pour les élèves de 13 à 16 ans, avec des professeurs spécialisés dans une ou deux matières (« subject teachers »). Il n’y a aucune sélection tout au long de la période d’éducation fondamentale, et les classes sont hétérogènes, sauf pour les élèves à besoin éducatifs spéciaux qui sont regroupés dans des classes à effectifs très allégés (10 maximum).

 

Les écoles rurales  peuvent avoir des effectifs très faibles. Celle de Koli, par exemple, compte  25 élèves regroupés en deux classes : la première pour les élèves en année pré-scolaire et les niveaux 1 et 2. La seconde pour les niveaux 3 à 6. Deux professeurs, un assistant et un cuisinier font tourner cette petite école qui forme une communauté très soudée au sein d’un territoire assez vaste, peuplé seulement de 200 habitants. L’anglais y est enseigné comme ailleurs à partir du niveau 3 (9 ans) dans une classe unique comportant deux groupes de 5 et 4 élèves. Les nouvelles technologies, très développées dans cette petite école, permettent de rompre l’isolement  et de nouer des liens avec d’autres écoles du pays notamment de Laponie. L’enseignement à distance est utilisé pour certaines matières comme la religion.

 

 

Les écoles urbaines peuvent atteindre des tailles importantes, comme celle de Kanenvala à Joensuu, qui compte 250 élèves. 9 élèves présentant des difficultés d’apprentissage y sont pris en charge par deux professeurs spécialisés. Les classes ont un effectif de  25 élèves maximum. Les 13 enseignants (10 femmes et 3 hommes) sont épaulés par 7 assistants d’éducation. L’anglais y est enseigné non seulement dans le cadre du cours traditionnel mais aussi en géographie où des ressortissants de divers pays européens viennent présenter en anglais leur culture et leur tradition, tout en introduisant quelques rudiments de leur propre langue par le biais de chansons par exemple. Les élèves peuvent choisir une seconde langue vivante à partir du niveau 5 (12 ans). C’est l’allemand qui est le plus fréquemment choisi.  Des projets transversaux sont menés à bien dans le cadre de l’école, tels que la construction d’igloo ou la course de luge. Les élèves ont du travail à faire à la maison chaque jour  mais dans des proportions très raisonnables. 

 

A partir de 13 ans tous les élèves accèdent à la « comprehensive school », équivalent de notre collège mais qui s’étend sur trois années seulement. Les élèves y suivent 30 séquences de cours par semaine à raison de 6 par jour.  Le tronc commun est composé de 28 séquences la première année, de 24 la seconde et de 25 les deux dernières années. Il comprend des enseignements de langue maternelle (finnois, suédois ou lapon), de seconde langue nationale (par exemple suédois pour ceux dont le finnois est la langue maternelle), d’anglais, de seconde langue vivante, de mathématiques, de physique, de biologie, de géographie, d’histoire, de musique, d’art plastiques, de religion, de sport et d’éducation à la santé. Les deux premières années, l’économie familiale fait également partie du tronc commun. Les enseignements optionnels peuvent varier selon les écoles. Ils sont proposés généralement par les professeurs en fonction de leurs intérêts et des demandes des élèves. L’effectif minimum requis pour ouvrir un cours optionnel est de 16 élèves. Les élèves en choisissent deux la première année, 6 la seconde et 5 la dernières de façon à ce que le nombre global de séquences hebdomadaires soit toujours égal à 30. La journée de cours peut ainsi se terminer à 14h ou 15h  au plus tard en commençant à 8h. Le temps de travail à la maison hebdomadaire à ce stade du cursus est estimé à 5 heures, soit un des plus bas des pays de l’OCDE.

Des thèmes transversaux définis nationalement doivent également être intégrés dans les matières du programmes et traités de façon pluridisciplinaire. Ils sont au nombre de 7 :

bullet

-         devenir une personne

bullet

-         identité culturelle et dimension internationale

bullet

-         médias et communication

bullet

-         citoyenneté participative et monde de l’entreprise

bullet

-         responsabilité vis-à-vis de l’environnement, bien-être, développement durable

bullet

-         sécurité routière

bullet

-         technologie et individu

Une grande importance est accordée à l’ouverture sur l’extérieur et  les démarches de projets sont valorisées. La coopération avec les entreprises est notamment développée dans le cadre d’une initiation à la vie professionnelle qui peut faire partie des matières optionnelles. Les conseillers ont pour but d’aider les élèves à avoir une vue plus générale de leurs études en relation avec leur projet professionnel futur. La dimension éducative et la création d’une atmosphère de travail positive et coopérative est privilégiée. Aider les élèves à se construire en tant qu’adultes en leur inculquant des notions d’honnêteté et de respect de l’autre est une des missions assignée à l’école.

 

Aucun examen ne vient sanctionner la fin de l’éducation fondamentale. Les élèves s’orientent ensuite soit vers une école professionnelle, soit vers une école secondaire supérieure (équivalent de notre lycée général). Le ratio entre les deux voies d’orientation  est à peu près similaire à celui qui existe en France (60% vers des études générales et 40% vers des études professionnelles). L’orientation n’est pas imposée mais résulte d’un dialogue entre les familles, l’élève et l’établissement.

 

La formation professionnelle secondaire se déroule sur 3 ans dont 6 mois de stage en entreprise. Le diplôme est délivré aux étudiants qui ont cumulé 120 unités de valeur, dont 90 pour la formation professionnelle (les stages comptant pour 20 UV), 20 pour les études générales (langue maternelle, seconde langue nationale, langue étrangère, mathématiques, physique, chimie, sciences politiques, économie et emploi, éducation physique et santé, arts et culture) et 10 pour des matières optionnelles au libre choix de l’élève. Des thèmes transversaux ont été également introduits dans les études professionnelles ; leur but est de donner les connaissances nécessaires à l’exercice de sa profession et d’une citoyenneté responsable. L’accent est mis sur le développement durable et sur l’esprit d’initiative. Tout est fait pour inciter les élèves à créer plus tard leur propre entreprise.

 

Il existe 52 diplômes professionnels et 189 qualifications complémentaires.

Les diplômes permettent d’entrer directement dans la vie active. Mais l’élève peut aussi poursuivre ses études dans un Institut Universitaire Professionnalisé où il est possible de préparer un master professionnel en 4 ans.

 

Dans les lycées généraux (« écoles secondaires supérieures ») le cursus est également de 3 ans. Les élèves doivent durant cette période suivre 75 cours dont 45 sont obligatoires. L’année est divisée en 6 périodes de 6 semaines séparées par une semaine d’évaluation. Chaque cours représente 36 leçons réparties sur les 6 semaines d’une période. Les élèves doivent valider par des tests les cours qu’ils ont suivis durant la période. Les matières obligatoires fixées par le programme national sont la langue maternelle, la seconde langue nationale, l’anglais, une deuxième langue étrangère, les mathématiques, l’histoire, la religion (luthérienne et orthodoxe), les sciences sociales, le sport. Chaque matière comprend un nombre minimum de cours à valider au cours des trois ans.  Mais les élèves peuvent choisir d’approfondir leurs connaissances dans une matière donnée : dans ce cas ils auront davantage de cours à valider. En mathématiques par exemple le nombre minimum de cours à valider est de 10. Mais il est possible d’aller jusqu’à 13. Les matières optionnelles peuvent varier d’un lycée à l’autre : chaque lycée ayant la faculté de développer telle ou telle « ligne ». Au lycée de Niinivaara, par exemplen des cours approfondis de musique et de sciences sont  proposés ainsi qu’un certain nombre d’autres matières : psychologie, philosophie, géographie, éducation à la santé, arts, économie domestique. Ces matières comportent généralement un cours d’initiation obligatoire pour tous et de 1 à 7 cours d’approfondissement facultatifs. Il n’existe donc pas à proprement parler de filières comme en France mais l’élève en composant son menu de cours va donner tel ou tel profil à ses études.

 

La fin du cursus secondaire est sanctionnée par un examen final, dit « matriculation examination », dont l’obtention est nécessaire pour accéder à l’université. L’examen comprend quatre épreuves : l’épreuve de langue maternelle (finnois, suédois ou lapon) est obligatoire pour tout le monde. Pour les trois autres tests, le  candidat doit choisir parmi les 4 matières suivantes : deuxième langue nationale (ex. lapon ou suédois si la langue maternelle du candidat est le finnois ), langue étrangère, mathématiques et « études générales » qui regroupent des questions de religion, de morale, de psychologie, de philosophie, d’histoire, de sciences sociales, de physique, de chimie, de biologie et de géographie – le candidat devant répondre à au moins huit questions de son choix. En maths, langue étrangère et seconde langue nationale, le candidat peut choisir entre deux niveaux de difficulté, mais devra passer au moins un test de niveau avancé. Les sessions d’examen se tiennent deux fois par an (au printemps et à l’automne). Les candidats peuvent étaler leurs tests sur un maximum de 3 sessions. Ils peuvent également repasser jusqu’à deux fois un test auquel ils ont échoué et ce au cours des trois sessions d’examen suivantes. Ils peuvent même changer de niveau de test, à condition de conserver au moins un test de niveau avancé. Le diplôme final fera apparaître la liste des sujets qui ont été choisis par le candidat (avec le détail des questions pour l’épreuve « d’études générales »), le niveau de difficulté et le grade obtenu. Curieusement ces grades ont conservé l’intitulé latin, vestige du temps où cette langue était obligatoire pour entrer à l’université.

 

 

 

Le modèle finlandais peut-il s’exporter ?

 

Devant la remarquable réussite du système éducatif finlandais,  on est bien sûr tenté de se demander si ce modèle pourrait être transposé ailleurs.

 

Force est alors de constater que ce système en constante évolution est enraciné dans une culture marquée par le prix attaché à chaque personne, dans un pays vaste et peu peuplé, où l’habitat est très dispersé et où chacun doit apprendre à tracer sa propre voie dans un environnement hostile et à s’adapter à toutes sortes de conditions.

La langue finnoise elle-même, d’une grande complexité, est caractérisée par des déclinaisons à 14 cas! Et  lorsqu’on demande la traduction d’expressions très simples on obtient souvent la réponse :  « ça dépend »!

Il semble que les finlandais aient puisé dans ce terreau culturel profond leur étonnante et paradoxale capacité  à élaborer un système caractérisé  par un très haut degré d’organisation et par une flexibilité et une souplesse difficilement imaginable pour nous français.

Autre paradoxe finlandais : la revendication de valeurs morales et religieuses fortes, et affichées dans les discours, dans les programmes et jusque dans les salles de classes (où il n’est pas rares de voir des icônes), et parallèlement une très grande tolérance. Rien d’étouffant ni de contraint dans l’éthique finlandaise, mais au contraire le sentiment que l’affirmation de ces valeurs a essentiellement pour but de favoriser l’épanouissement de la personne.

 

Car c’est bien cela au fond que semble viser le système éducatif finlandais : aider chaque élève à accéder au statut de personne humaine pleinement responsable, et capable de prendre part en toute conscience à la société sans jamais cesser d’être soi-même. Contrairement aux idéaux républicains, qui, aussi généreux soient-ils restent largement extérieurs à la personne, les valeurs morales que les finlandais promeuvent sont tissées au plus intime de l’être : l’honnêteté, la loyauté, la confiance très souvent affirmées comme essentielles par nos interlocuteurs sont des valeurs qui fondent une éthique personnelle et permettent d’envisager une société d’individus qui peuvent être pleinement eux-mêmes en respectant profondément autrui.

 

L’étonnante réussite de l’éducation finlandaise n’est donc pas seulement due à la prouesse d’une savante construction technocratique : elle a partie liée avec une langue, une culture, un peuple qui a fait du développement de la personne humaine dans toutes ses composantes le but de l’éducation. C’est ce qui fait que chaque élève a le sentiment d’avoir sa place, de pouvoir être lui-même et se développer librement. A ce compte, chacun peut donner la pleine mesure de ses capacités !

 

Malgré cette très forte « idiosyncrasie », il est cependant de nombreux aspects du système finlandais dont on aimerait pouvoir s’inspirer en France.

 

bullet

Il me semble qu’en premier lieu, il conviendrait de desserrer l’étau de l’évaluation autour des élèves. Le stress produit par l’accumulation des contrôles, des notes, des bulletins, des médailles ou des blâmes décernés par les conseils de classe, est considérable et contre-productif. On pourrait aisément alléger cette charge, surtout au collège. Il est faux de penser que les élèves n’apprennent que pour la note. Certes, cela obligerait dans la foulée à envisager des modes d’apprentissage qui tordent définitivement le cou au cours magistral. Si les élèves étaient mis beaucoup plus souvent en activité, on peut gager que leur motivation en serait accrue, sans un recours aussi systématique aux notes.

bullet

En second lieu, il ne serait pas très compliqué d’introduire plus de souplesse dans nos cursus et des possibilités de choix plus importantes pour nos élèves. Cela a été tenté avec les Itinéraires de Découvertes au collège et avec les TPE au lycée. Ces deux dernières années ont marqué dans ce domaine un retour en arrière, alors qu’il y a là une voie de progrès dont toutes les richesses n’ont pas été exploitées du fait d’un manque d’adhésion de beaucoup de professeurs. On pourrait certainement aller encore plus loin dans les possibilités laissées aux élèves de construire leur cursus en leur accordant progressivement une autonomie de plus en plus grande par rapport à l’acquisition des savoirs.

bullet

En troisième lieu, il est de la responsabilité de chacun de favoriser des modes relationnels moins distants et cloisonnés et de créer une atmosphère plus chaleureuse et confiante. Le professeur n’y perdrait pas en autorité pour autant. Il aurait peut-être plus de facilité à considérer l’élève dans sa globalité, et du coup à mieux cerner les facteurs qui peuvent freiner les apprentissages.

Sur le plan des moyens, les résistances au changement seront certainement beaucoup plus fortes. Dire que l’on peut réussir beaucoup mieux avec les mêmes moyens, n’est pas un discours généralement bien accueilli par les syndicats. La Finlande nous démontre pourtant que c’est possible. Elle a fait le choix de concentrer les dépenses d’éducation sur ce qui est vraiment au service des élèves - des taux d’encadrement élevés, des conditions matérielles optimales - et de faires des économies sur des postes qui nous paraissent incontournables : vie scolaire, inspection, administration (y compris centrale).

La Finlande a également fait la démonstration qu’un haut degré de décentralisation n’était nullement incompatible avec une très forte réduction des écarts entre territoires et que l’autonomie très grande accordée aux municipalités et aux établissements eux-mêmes était tout à fait profitable à l’amélioration générale du système.

Pour mettre en œuvre de tels changements, il faudrait assurément adopter en France une autre conception de la réforme : si l’éducation était vraiment une priorité nationale, reconnue et partagée, pourquoi un consensus, transcendant les oppositions politiques, ne pourrait-il pas se dégager qui permettrait enfin d’avancer dans une direction mûrement réfléchie, sans à-coups et sans retours en arrière ?

 

 

 
bullet

Les élèves de 15 ans Premiers résultats de l’évaluation internationale PISA 2003 Note d’évaluation 04-12 décembre http://educ-eval.education.fr/pdf/eva0412.pdf

 

bullet

Apprendre aujourd'hui, réussir demain – Premiers résultats de PISA 2003 http://www.oecd.org/document/29/0,2340,en_32252351_32236173_34023965_1_1_1_1,00.html

 

 

 

Note de

Franck Ramus

Laboratoire de Sciences Cognitives et Psycholinguistique
Ecole Normale Supérieure

 

Il faut quand même souligner que le finnois a une orthographe totalement transparente, ce qui fait du décodage un jeu d'enfant totalement régulier, et qui contribue à rendre l'acquisition de la lecture l'affaire de quelques mois, quand cela prend des années en anglais ou en français (cf. la comparaison internationale COST détaillant les mécanismes d'acquisition de la lecture bien plus finement que PISA). Une fois la lecture acquise, c'est autant de temps à consacrer aux autres apprentissages. Cette constatation n'invalide évidemment pas les autres facteurs présumés avantager les finlandais, mais on aimerait des preuves expérimentales, au-delà des simples corrélations. Contrairement aux autres facteurs mentionnés, il existe des preuves scientifiques du lien entre transparence de l'orthographe et facilité de l'apprentissage de la lecture, il ne faut donc pas l'oublier et il y a même tout lieu de placer ce facteur en N°1 de la liste.

Seymour, P. H. K., Aro, M., Erskine, J. M., & Cost Action A8 network.
(2003). Foundation literacy acquisition in European orthographies.
British Journal of Psychology, 94(2), 143-174.
Ziegler, J. C., & Goswami, U. (2006). Becoming literate in different
languages: similar problems, different solutions.
Developmental Science,
9(5), 429-436.

Le déni de la pédagogie

Pierre FRACKOWIAK (extraits)

 

Au-delà de Franck RAMUS qui a su prendre des positions objectives et courageuses par ailleurs*, ce qui me frappe dans les débats sur le b-a ba, sur la grammaire, sur le calcul, sur l'école en général, sur la réussite finlandaise, c'est cette volonté chez un certain nombre de chercheurs, d'universitaires, de savants, de professeurs, de tout faire pour ignorer, mépriser, rejeter la pédagogie. Pour eux, la pédagogie n'existe pas. Lorsque l'on observe et analyse des problèmes éducatifs, que l'on cherche les facteurs de difficulté d'apprentissage des enfants, on se plonge volontiers dans la linguistique ou dans les neurosciences ou dans les contenus stricto sensu des disciplines scolaires classiques. Trop de savants passent trop peu de temps, voire pas du tout, dans les classes à observer la "vraie vie d'élève" dans de "vraies situations de classe". Les dispositifs expérimentaux qu'ils conçoivent s'appliquent souvent à des groupes d'enfants placés dans des conditions qui sont aux antipodes des activités d'apprentissage normales et l'on voudrait en tirer des conclusions pour les pratiques pédagogiques que l'on n'observe pas. La discipline scolaire ou la science s'alimentent de ces recherches qui les justifient mais dans lesquelles le rapport à "l'enfant vrai" est quasiment absent.

 

Ce déni de la pédagogie est bien exploité par les conservateurs de tous bords. Nombre de progressistes se laissent eux-mêmes piégés, ils approuvent les conclusions de ces savants puisqu'ils sont savants et les exhortations à revenir en arrière, aux bonnes vieilles méthodes, puisque la nostalgie n'est pas le privilège des gens mal informés.

 

Il serait quand même assez paradoxal que la science puisse monter des expérimentations qui prouveraient qu'un retour aux pratiques qui avaient été condamnées pour la faiblesse de leurs performances soit la solution. L'école serait bien le seul lieu de la vie d'une société où l'on affirmerait et démontrerait "scientifiquement" que pour résoudre un problème d'aujourd'hui, il faut appliquer les solutions d'avant-hier**. Mais si des savants peuvent démontrer que l'école de Jules FERRY et ses méthodes sont les meilleures, qu'il faut y revenir au premier claquement de doigts du ministre, comment, au nom de quoi, peut-on les contester? Pas au nom de la pédagogie… puisqu'elle n'existe pas.

 

Ce qui finalement choque ou irrite le plus certains lecteurs dans le compte rendu du voyage de Paul ROBERT en FINLANDE, c'est le constat qu'il n'y a plus là-bas de cours magistral et que c'est l'élève qui est au cœur du système. Cela reste, et peut-être pour longtemps encore, inconcevable en FRANCE où l'on n'a pas réussi à se libérer de la certitude qu'il n'existe qu'un seul modèle d'apprentissage, la transmission par le professeur, et où la loi d'orientation historique de 1989, qui remettait en cause ce modèle a pu être balayée d'un revers de main sans avoir été ni évaluée ni défendue, même pas par ses auteurs et leurs amis. Transmission, explication, mémorisation, application, restitution, évaluation, remédiation… et on recommence. Un groupe, une discipline scolaire, une heure, une année… on passe ou on redouble. Ce modèle a fait ses preuves sur une élite, il est celui de l'école de Jules FERRY, celui du petit lycée étendu au collège, celui des universités qui lui donnent sa noblesse. Il nous a tellement marqués qu'il apparaît pour beaucoup d'anciens élèves comme étant universel, éternel, unique comme une certaine pensée.

 

Il est évident que, dans ce contexte, la recherche pédagogique ne se justifie pas, et les recherches actions associant les professionnels concernés encore moins. On peut allègrement multiplier les recherches en neurosciences sur des adultes en essayant d'en transposer les conclusions aux enfants, se gargariser de linguistique, se focaliser sur la logique interne des disciplines scolaires classiques, se mobiliser pour interdire de nouvelles approches des programmes scolaires, voir les problèmes par les petits bouts de lorgnette de chacun des spécialistes pointus et ignorer la richesse de la vie de la classe: les mises en situation de résolution de problèmes, les interactions entre le maître et les élèves qui cherchent, analysent, comparent, raisonnent, les échanges entre les élèves eux-mêmes, l'importance de la métacognition, la découverte des transversalités, le plaisir d'apprendre quand l'activité proposée  a un sens, qu'elle peut être référée à un savoir ou à une pratique sociale, qu'elle peut être réinvestie ailleurs que dans les exercices d'application et ailleurs qu'à l'école. Le climat de classe, la vie de l'établissement, l'importance de la personne/élève et son estime d'elle-même, son rapport au savoir et celui de ses parents, le bonheur d'être à l'école sont à l'évidence négligeables par rapport aux règles de grammaire, aux définitions, aux prérequis des prérequis, au rôle de l'hémisphère droit par rapport au gauche…

 

Ce déni de la pédagogie pèse lourd dans l'histoire de notre système et dans les difficultés à le réformer. On ravale les façades, on sophistique les contenus disciplinaires, on multiplie les évaluations et les dispositifs de soutien et de remédiation qui s'inspirent du même modèle, on justifie le conservatisme pédagogique… On tourne en rond avec une sorte de fatalisme larvé qui ouvre la voie au libéralisme.

 

Même dans les projets éducatifs de gauche, on fuit ces questions. On ne touche pas à la pédagogie, on ne touche pas aux pratiques pédagogiques, on ne touche pas aux sacro saints contenus disciplinaires. On a pu penser que ces sujets étaient tabous pour des raisons électoralistes; ne pas déranger les ordres établis considérant qu'il est plus important de ne pas perdre de voix que d'en gagner. A l'écoute dans de nombreuses réunions, dans des débats divers, on découvre qu'en fait, pour une majorité de citoyens, le problème ne se pose pas. D'ailleurs, comme l'ont dit un ministre ou deux, pour enseigner, il faut du savoir et du talent… La pédagogie n'existe pas.

 

La réalité quotidienne dans nos écoles et nos collèges d'une part, la réussite finlandaise d'autre part prouvent pourtant que le problème de la pédagogie se pose et se posera chaque jour davantage, malgré les retouches, les incantations auxquelles plus personne ne croit, les dépoussiérages et les ravalements de façade.

 

Une autre école est donc possible si l'on tourne nos regards vers la FINLANDE en sachant bien que nos pays sont différents. Sans nier les apports et les éclairages des savants, au moins de ceux qui savent ce qu'est une vie de classe et nous en connaissons beaucoup, elle ne pourra pas se construire sans la pédagogie.

 

 

Pierre FRACKOWIAK

Le 22/12/2006

 

* Voir notamment  la lettre des 18 chercheurs (mars 2006) et celles des 22 chercheurs de novembre 2006

** Le rapport Bentolila en est le bon exemple mais est-il « scientifique » même s’il est signé d’un éminent linguiste ? (Note du responsable du site)