Lecture en débat

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DOSSIER LECTURE

Roland GOIGOUX, Franck RAMUS, Liliane SPRENGER CHAROLLES, Jean-Emile GOMBERT, François CLERC, Jonathan GRAINGER...

Sommaire du Dossier lecture :

 

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Échanges avec Franck Ramus

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Roland Goigoux : Sciences cognitives, neurosciences et enseignement de la lecture

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Réaction de Franck Ramus

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Bref échange avec Liliane Sprenger Charolles

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Réaction de Jean-Émile Gombert
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Les évaluations en lecture dans le cadre de la journée d’appel de préparation à la défense 2005  Note d évaluation 06-03 Téléchargeable au format *.pdf

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Réponse de Roland Goigoux à F. Ramus et L. Sprenger Charolles (avec une analyse de la méthode "Léo et Léa d'Eveline Charmeux)

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Franck Ramus : Invitons le ministre à lire notre débat

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Remarques à R. Goigoux de L. Sprenger Charolles

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Un courrier de Françoise Clerc

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Bref échange avec Jonathan Grainger

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Le rapport de l'Inspection générale en collaboration avec l'Observatoire National de la lecture

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Trois réactions d'internautes

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Une réaction de P. Frackowiak IEN

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Un mot de Claude Pair

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Un mot d'humour

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"Sauvons la lecture" : un appel de chercheurs et formateurs dont P. Meirieu, R. Goigoux, J. Fijalkow...

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"Apprentissage de la lecture : assez de polémiques, des réponses sérieuses" appel de syndicats enseignants, de la FCPE et d'associations.

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Appel AFL, GFEN, ICEM-Freinet

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La pensée unique officielle

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L’erreur orthographique, l’apprentissage implicite et la question des méthodes de lecture - écriture Rémi Brissiaud

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Le recteur de Montpellier fait du zèle

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André Ouzoulias met en doute la pertinence des études anglo-saxonnes appliquées à l’apprentissage du français

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À l'initiative de Franck Ramus, 18 chercheurs donnent "un point de vue scientifique sur l'enseignement de la lecture" en réponse, dans Le café pédagogique, R. Brissiaud invite "les scientifiques à la prudence".

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Courriel et argumentaire de Roland Goigoux

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Nouvelle censure du ministère

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Responsabilité pédagogique et principe de précaution : André Ouzoulias veut éviter que le texte des "18" ne serve une "politique aventureuse"

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Apprendre à lire avant 6 ans propose André Giordan

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La méthode syllabique une méthode élitiste ! À lire dans Le café pédagogique

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La langue française est-elle syllabique ? Eveline Charmeux (voir aussi l'analyse de la méthode Léo et Léa)

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Pratiques pédagogiques et apprentissage de la lecture L. Sprenger Charolles et P. Colé

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Adresse aux 18 chercheurs : votre avis compte, il est encore temps d'agir R. Brissiaud

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Mémoire et lecture : Alain Lieury ; commentaires de F. Ramus, Liliane Sprenger Charolles

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B,A, BA : le retour : Jacques Fijalkow

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Réflexion d'un praticien

 

Brochure ministérielle, sanctions (R. Goigoux, P. Frackowiak), propos de Robien, positions des enseignants-chercheurs  è

 

DOSSIER LECTURE également téléchargeable au format *.pdf

 

Dans le (faux ?) débat sur la lecture - voyant son champ d'action piétiné par le 1er ministre et  le Président de l'UMP,  M. de Robien n'aurait lancé cette polémique que pour rappeler qu'il existe, disent certains - le Ministre de l'éducation nationale a fait appel à des cautions scientifiques. Certaines se sont immédiatement dérobées sous ses pieds puisque le principal syndicat des orthophonistes ainsi que des chercheurs niaient tout lien de causalité entre telle méthode de lecture et la dyslexie.

Cependant Le Figaro du 9 décembre 2005 semblait avoir découvert "le" scientifique qui, partiellement au moins, apportait sa caution aux dires du ministre. Pour en avoir le coeur net, mieux valait demander l'avis de l'intéressé lui-même. Il nous donne son point de vue à la fois ferme et nuancé et qui ne cède pas au manichéisme ambiant.

De la même façon, le point de vue de Madame Liliane Sprenger-Charolles, scientifique citée directement par le Ministre, a été sollicité.

À l'opposé des positions ministérielles, Roland Goigoux nous a offert une "Tribune" qui met les points sur les "i" et permet à chacun de mieux comprendre les enjeux de ce débat.

Il est évident que l'association Education & Devenir n'a pas compétence à trancher dans des débats techniques aussi bien de validation de travaux scientifiques que de pertinence de méthodes de lecture.

Mais on peut être tenté de penser que certains travaux qui insistent sur l'effet maître, autant que sur l'effet méthode, seraient à développer.

N.B. Le questionnement est de la seule responsabilité de son auteur J.-F. Launay ainsi que la titraille.

Avertissement

Le cabinet du ministre, dans un document intitulé "Quelques références scientifiques" a cité des extraits des échanges avec Franck Ramus sur cette page - citation qui commence d'ailleurs juste après celle-ci "Sur le fond, je ne suis pas un partisan de la méthode Boscher."

Il a omis, bien sûr, de citer un tant soit peu Roland Goigoux (que pourtant F. Ramus invoque dans cet échange).

Il évoque J.-E. Gombert à l'appui des propos ministériels, alors que celui-ci a nettement pris position contre.

Il est vrai que ce document fait passer, grâce à

une citation tronquée, le pauvre Alain Bentolilla pour un chaud partisan des pseudo-thèses du ministre.

Inutile donc de dire la condamnation de tels procédés !

Quand, comme le rappelle Jean-Émile Gombert : L'évaluation de la lecture que passent les jeunes entre 17 et 18 ans lors de la Journée d’Appel de Préparation à la Défense (JAPD) et dont je suis responsable révèle en 2004 que si 11% des jeunes français sont en grande difficulté avec l'écrit, c'est le cas de 14,2% des jeunes gens et de 7,8% des jeunes filles”, et que ce qui ressort avec une clarté aveuglante de l’évaluation 6e, c’est que le score moyen des élèves de ZEP en français est de 11 points inférieur à celui des élèves « non ZEP » (et l’écart monte à 13 points en maths où les querelles de méthodes ne se posent pas !), sauf à vouloir faire croire que les filles ne bénéficient pas des mêmes méthodes d’apprentissage de la lecture que les garçons et que les élèves des quartiers « sensibles » sont tous voués à la maléfique "méthode globale pure", on voit bien que la querelle des méthodes est seconde. 

Mais les échanges qui suivent peuvent permettre à chacun de se forger une opinion basée sur des argumentations et non des préjugés.

 

 

 

 

Échanges avec Franck RAMUS

Franck RAMUS chargé de recherches CNRS au Laboratoire de Sciences Cognitives et Psycholinguistique (EHESS/ENS/CNRS) à Paris ; également associé à l'Institute of Cognitive Neuroscience, University College London,

Recherches portant sur l'acquisition du langage, la perception de la parole par le nourrisson et l'adulte, et la dyslexie développementale.

 

NB Échange fait par courriels

 

 

09/12/05

Dans un article du Figaro de ce jour , intitulé "L'apprentissage syllabique permet des progrès rapides, selon les scientifiques", Madame C. Petitnicolas vous fait dire : «A l'heure actuelle, les recherches en neurosciences ne sont pas assez avancées pour valider ou invalider telle ou telle pratique», pour ajouter "L'efficacité de ces différentes méthodes a néanmoins pu être évaluée de manière scientifique, en comparant deux groupes de bambins (sic), les uns ayant appris à lire avec la syllabique, les autres avec la globale. Avec une efficacité supérieure pour la première, selon une centaine d'études nord-américaines et deux ou trois en France. «Plus l'apprentissage des correspondances entre les lettres et les sons démarre tôt, comme dans la méthode syllabique, plus les progrès vont être rapides, poursuit ce chercheur" ; mais pour vous faire conclure un peu plus loin «Dire qu'il est plus efficace d'apprendre à lire grâce à des méthodes syllabiques du fait d'arguments reposant sur de nouvelles découvertes dans le domaine des neurosciences est un peu fallacieux», résume Franck Ramus.

Sans que le principe de non contradiction soit formellement violé, il y a cependant une certaine dissonance entre la 1ère et 3e citations d'une part et la citation centrale que le titre condense, de l'autre, car soit les recherches dans l'état actuel ne permettent pas de conclure à plus d'efficacité des méthodes syllabiques, soit "l'apprentissage syllabique permet des progrès rapides".

Pourriez-vous nous éclairer sur ce point ?

 

 

 

 

13/12/05

Il n'y a pas de contradiction, si ce n'est que le plan de l'article entretient un peu l'ambiguïté. Gilles de Robien avait invoqué les recherches en neurosciences, pour ce qu'elles nous apprennent sur les rôles respectifs des hémisphères gauche et droit, et ce que l'on doit en déduire sur l'enseignement de la lecture. Je maintiens que ces recherches en neurosciences n'ont pour l'instant aucune application aussi directe à l'éducation. Cette partie de l'argument est donc fallacieuse.
En revanche il existe des recherches expérimentales (en psychologie et/ou sciences de l'éducation) qui comparent simplement l'efficacité de différentes méthodes d'enseignement. Celles-ci démontrent clairement une supériorité de la méthode syllabique. Là-dessus de Robien a raison.

 

 

13/12/05

Se pose cependant une question : "il existe des recherches expérimentales" qui "démontrent clairement la supériorité de la méthode syllabique".
La conférence de consensus - qui réunissait des spécialistes de tous ordres - a condamné sans ambages "La seule méthode qu'on doive écarter ... la méthode dite « idéo-visuelle »", mais pour le reste affirme dans son introduction aux "recommandations" : "Savoir qu'un apprentissage suppose nécessairement le montage des correspondances entre phonèmes et graphèmes ne dit rien sur les procédés par lesquels le maître fera parvenir ses élèves à ce résultat" Donc, si la lecture de ce texte est bonne, il semblerait que les recherches avaient démontré cette absolue nécessité du montage des correspondances graphèmes/phonèmes et non la supériorité de la méthode syllabique pure et dure sur des méthodes dites mixtes qui essaient de lier déchiffrage et sens.
C'est pour quoi, il serait intéressant de connaître ces recherches qui, depuis deux ans, auraient tranché sur les méthodes.
 

13/12/05 (2e message)

Après quelques recherches - sur votre site personnel d'abord, puis sur un des liens qui renvoie à une de vos interventions sur  « Les troubles de l‘apprentissage de la lecture » (travaux de l'ONL) - on découvre ce passage : "En effet, la méthode globale est censée avoir disparu depuis 30 ans, mais la méthode mixte qui l’a remplacée est très souvent appliquée suivant des principes d’inspiration « globale », accordant peu ou pas d’importance à l’apprentissage systématique des correspondances graphèmes-phonèmes. Or il a été démontré à maintes reprises de façon empirique que cet apprentissage systématique,  dès le premier cours, facilite grandement l’accès du plus grand nombre à la lecture (Goigoux, 2000; National Institute of Child Health and Human Development, 2000). Ce domaine d’action particulier pourrait avoir un impact sur un des facteurs responsables de l’illettrisme." Surprise de trouver à l'appui de la démonstration empirique le nom de Goigoux qui, dans Le Monde de l'éducation avait affronté Le Bris, chantre de la méthode Boscher et qui affirmait lors de la conférence de consensus : "aucune étude comparative des méthodes de lecture n’a permis d’établir la supériorité de l’une par rapport à l’autre" (voir http://www.bienlire.education.fr/01-actualite/document/goigoux.pdf ) et il ajoutait : "la plupart des chercheurs s’entendent désormais sur des conceptions interactives qui font intervenir simultanément l’analyse perceptive des stimuli visuels et les multiples connaissances du lecteur (connaissances sémantiques, syntaxiques, orthographiques, alphabétiques, phonologiques) pour faciliter la reconnaissance des mots."  et s'il condamne - de façon nuancée - la méthode idéo visuelle, ce n'est certainement pas pour adhérer à l'ânonnante méthode Boscher.

[Il serait donc intéressant de] savoir quelles recherches - qui d'empiriques sont devenues expérimentales - démontrent clairement la supériorité de la méthode syllabique (en veuillant bien préciser ce qu'est "la" méthode syllabique, Goigoux que vous citiez en énumère au moins trois).

 

 

 

Les meilleures méthodes "phoniques" enseignent, en parallèle des correspondances grapho-phonologiques la morphologie, la syntaxe, le sens, le texte, la littérature...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les scientifiques français ont à informer le public, les professionnels et les décideurs du réel état de la science.

14/12/05

En ce qui concerne la conférence de consensus*, celle-ci est pour moi un exercice politique sans légitimité scientifique, qui aboutit au même type de résultats qu'une conférence type G8 ou conseil européen. On réunit des gens avec des points de vue et des intérêts divergents, et on les somme de produire un consensus. Il ne faut pas s'étonner si le texte qui en résulte est vide de sens et ne peut refléter au mieux qu'un socle commun minimal, et le plus souvent les rapports de force au sein du comité.
En ce qui concerne Goigoux, il a effectué une des rares études francophones comparant rigoureusement l'efficacité d'une méthode idéovisuelle et d'une méthode phonique, et il a démontré la supériorité de la méthode phonique (appelée généralement syllabique en France). Les méthodes comparées n'étaient ni une méthode mixte, ni la méthode Boscher, ce qui souligne, je suis bien d'accord avec vous, la confusion qu'il y a à parler de méthodes globale et syllabique, chaque terme recouvrant des méthodes très variées. Malheureusement il ne m'a pas été possible de faire sortir la journaliste du Figaro de cette dichotomie, d'où certains raccourcis.

Sur le fond, je ne suis pas un partisan de la méthode Boscher. Je pense que c'est une méthode qui marche bien avec beaucoup d'enfants (ceux qui  ont déjà acquis tous les fondamentaux langagiers nécessaires), mais qui est insuffisante pour beaucoup d'autres, qui manquent de vocabulaire, de contact avec les livres, etc. Mais bien sûr une méthode phonique n'est pas obligée d'enseigner uniquement les correspondances grapho-phonologiques. Les meilleures sont bien évidemment celles qui les enseignent en parallèle avec la morphologie, la syntaxe, le sens, le texte, la littérature, ... Il me semble qu'il y a un large consensus là-dessus.

Par ailleurs il y a un aussi un large consensus parmi les scientifiques sur le fait que l'apprentissage des correspondances grapho-phonologiques doit démarrer dès le premier jour du CP. L'idée selon laquelle il serait nuisible à l'enfant de commencer immédiatement à les apprendre n'a aucune base scientifique. Il s'agit simplement d'une croyance, basée sur une certaine philosophie de l'apprentissage, qui reste assez répandue en France il me semble, mais qui n'a pas démontré de validité empirique. En fait les données empiriques montrent plutôt le contraire: l'efficacité de l'enseignement grapho-phonémique est d'autant plus grande qu'elle démarre tôt.
L'étude de Goigoux, bien sûr, ne permet pas de répondre à cette question car elle n'a pas comparé différents moments de l'introduction des correspondances. Mais c'est possible, soit au sein d'un même étude, soit à travers différentes études. La littérature scientifique internationale en comporte de nombreuses. Le National Reading Panel que je cite en a fait une revue exhaustive. Ils ont en particulier effectué une méta-analyse de 38 études expérimentales remplissant des critères méthologiques précis permettant de quantifier l'efficacité des différentes méthodes. Après des analyses statistiques sur l'ensemble de ces études ils ont notamment conclu:

1) l'enseignement phonique  systématique est plus efficace que l'enseignement phonique non systématique ou absent;

2) l'enseignement phonique est plus efficace lorsqu'il démarre tôt (GSM ou CP) que lorsqu'il démarre après l'apprentissage de la lecture (CE1);

3) l'enseignement phonique systématique est également supérieur à l'enseignement non phonique sur des mesures de compréhension en lecture;

4) l'enseignement phonique systématique est d'autant plus efficace que l'enfant est à risque de difficultés d'apprentissage de la lecture, soit du fait de faiblesses en langage oral, soit du fait d'un milieu socio-culturel défavorisé.


Dans ses recommandations le NRP conclue aussi que si la phonique doit être présente dès le début de l'enseignement de la lecture, elle ne doit pas être seule; ce n'est qu'une composante parmi bien d'autres qui sont tout aussi nécessaires. Simplement il n'y a pas lieu de la retarder par rapport aux autres composantes.
Evidemment il s'agit là d'études étrangères, et si la science ne s'arrête pas à nos frontières, elle a du mal à franchir celles de l'éducation nationale. Bien sûr les scientifiques français ont là un rôle à jouer, qui est d'informer le public, les professionnels et les décideurs français du réel état de la science (c'est-à-dire de la science internationale, car il n'y a pas de science franco-française).
C'est ce que nous nous efforçons de faire, avec un succès plutôt mitigé jusque là.
Notez par exemple que les conclusions du NRP ont été largement reprises en France par l'ONL, qui bien qu'il soit un organe un peu politique possède un conseil scientifique assez indépendant qui parvient à s'exprimer relativement librement. Néanmoins les recommandations de l'ONL peinent à toutes être répercutées dans les programmes.

 

 

 

* On peut se faire une idée de la "conférence de consensus" sur L'enseignement de la lecture à l'école primaire (4-5 décembre 2003) sur le site de "Bien Lire" (avec des documents téléchargeables et, notamment, une contribution de Roland Goigoux).

 

Sciences cognitives, neurosciences et enseignement de la lecture

 

Roland Goigoux,

professeur des universités,

directeur du laboratoire de recherche sur l’enseignement (JE 2432) de l’université Blaise Pascal à Clermont-Ferrand,

l’un des responsables de l’association internationale des chercheurs en didactique du français (AiRDF).

 

 

Voir aussi

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Échanges avec Franck Ramus

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Les enseignants construisent leur propre démarche  Françoise Clerc

 

Franck Ramus réagit à cette tribune

 

1. Comment repenser les rapports entre neurosciences et pédagogie ?

 

Aucune étude de neurosciences n’a porté, à ma connaissance, sur le rapport entre les pratiques pédagogiques des maîtres de cours préparatoire et le fonctionnement du cerveau. Il y a, entre ces deux questions, un nombre considérable de niveaux d’analyse qui sont loin d’être maîtrisés et encore moins d’être modélisés simultanément ! Comment un ministre a-t-il pu affirmer à la tribune de l’Assemblée nationale – sans provoquer plus de réaction de la part de la communauté scientifique – que « les spécialistes de neurosciences expliquent que le cerveau est ainsi fait que c'est par la méthode syllabique que l'on apprend le mieux à lire » !

 

Selon mes lectures, les principaux résultats des recherches en neurosciences portent sur l’importance des traitements phonologiques durant la lecture, en particulier dans les langues écrites qui, comme le français, reposent sur une forte ossature alphabétique (cf. les travaux de sciences du langage de l’équipe de Nina Catach). Concernant l’apprentissage de la lecture, un résultat a été établi empiriquement à plusieurs reprises et sous diverses formes par les sciences cognitives : les compétences phonologiques des jeunes enfants influencent positivement la réussite de leur apprentissage de la lecture. Et ces compétences peuvent être stimulées par l’enseignement. Liliane Sprenger-Charolles, entre autres, développe ce point de vue depuis des années en insistant sur le fait que la conscience phonologique est à la fois une cause et une conséquence de l’apprentissage de la lecture, l’étude des correspondances grapho-phonologiques produisant un effet en retour sur les compétences phonologiques des élèves (cf. les travaux anciens de Morais et Alégria sur ce sujet).

 

Il existe sur ce point un véritable consensus que nous avons tenté de formuler dans un ouvrage collectif que j’ai coordonné (Enseigner la lecture au cycle 2, Nathan, 2000) et qui réunissait les contributions de psychologues cognitivistes réputés : Gombert, Fayol, Valdois, Colé et Mousty. Cette synthèse « pédagogique » est une référence pour la plupart des IUFM, des formateurs et des enseignant/e/s : les découvertes récentes du ministre ne sont donc évidemment pas des découvertes pour l’ensemble des professionnels ! Personnellement, j’ai conçu avec ma collègue Cèbe un instrument didactique visant le développement des compétences phonologiques des élèves de grande section et de début du cours préparatoire (Phono, publié chez Hatier en 2004) : cet outil connaît un très grand succès auprès des maîtres/ses/ d’école maternelle, démunis dans ce domaine[1].                                  

(cf. http://www.bienlire.education.fr/04-media/a-reperes.asp).

 

Est-ce que pour autant les résultats des sciences cognitives permettent de conclure à la supériorité de telle ou telle méthode ? Non, bien sûr, et je partage sur ce point l’avis de Franck Ramus lorsqu’il affirme dans Le Figaro : « À l’heure actuelle, les recherches en neurosciences ne sont pas assez avancées pour valider ou invalider telle ou telle pratique ». Tout au plus, me semble-t-il, permettent-elles d’indiquer les composantes de la lecture que la pédagogie n’a pas le droit de négliger si elle ne veut pas prendre le risque de pénaliser les élèves. C’est plus modeste mais plus rigoureux.

 

Ma position personnelle pourrait être résumée ainsi. La lecture est une activité qui requiert simultanément une pluralité de connaissances et d’habiletés intellectuelles. Celles-ci doivent être toutes enseignées et exercées à l’école si l’on ne veut pas se résoudre à un échec précoce et cumulatif des élèves les moins sollicités et les moins instruits hors l’école. En d’autres termes, les recommandations adressées aux enseignants devraient insister sur « ce qu’ils n’ont pas le droit de ne pas enseigner ». Par exemple, ne pas exclure l’enseignement explicite des correspondances grapho-phonologiques, ne pas négliger les tâches d’écriture dès le début de l’apprentissage, ne pas remettre le travail d’enseignement de la compréhension à plus tard, ne pas réserver l’accès au livre aux seuls élèves capables de lire de manière autonome ou qui auraient fini leur travail avant les autres, etc..

À cette pluralité de compétences à construire doit correspondre une pluralité de modalités d’enseignement : les maîtres doivent tour à tour délivrer des connaissances, donner des explications, montrer aux élèves les procédures pertinentes, les aider à prendre conscience de ces procédures, proposer des activités de résolution de problème, guider le transfert de connaissances, organiser de multiples situations d’entraînements, d’exercices et de jeux, multiplier les occasions de lire et d’écrire…

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[i] Seul l’outil de Zorman était disponible jusque-là mais il avait souvent du mal à s’implanter dans l’école en raison de quelques-unes de ses particularités ergonomiques (par exemple le fait que ce soit un outil pour le travail en petit groupe et qu’il n’inclut pas de dimension réflexive).

 

 

2. Comment échapper aux pièges médiatiques ?

 

À mon avis, Jonathan Grainger s’est fait piéger[2]  en déclarant que « le ministre avait raison » (après avoir signalé cependant que ce n’était pas son domaine de recherche) et Johannes Ziegler aussi en affirmant que la méthode analytique ou syllabique se révèle « plus efficace » dans la mesure où elle permet à l’enfant d’acquérir une « mémoire phonologique » donnant « accès à des milliers de mots ». (Source AEF).

 

L’enseignement des correspondances graphophonologiques est bien sûr indispensable et il facilite le travail de la mémoire phonologique : mais rien ne permet d’affirmer que seules les approches analytiques le prennent en charge ou qu’elles le font mieux que d’autres. C’est méconnaître la réalité des pratiques pédagogiques.

 

Ainsi, par exemple, la méthode « Crocolivre », qui n’a rien d’une méthode syllabique, organise un enseignement explicite et progressif, dès le début de l’année, des correspondances grapho-phonologiques. Il est aisé d’en débattre avec ses auteurs : ce sont nos collègues psychologues Gombert et Valdois ! Voici, à titre d’exemple, les 13 phonèmes qu’ils proposent d’étudier au cours du premier trimestre de CP : A, R, I, L, T, U, O, M, E, OU, P, N, É (er, ez, es)[3].

 

Bref, par ignorance ou malveillance, il y a une véritable campagne d’intox[4] sur les réalités pédagogiques : le phonème et la syllabe ne sont pas l’apanage des seules méthodes syllabiques !

 

On peut qualifier Crocolivre de méthode « intégrative » à dominante phonémique car elle associe décodage, compréhension et acculturation. Terme étrange et peu médiatique je vous l’accorde. Mais que voulez-vous, le monde réel est ainsi fait : ni blanc, ni noir, tout en nuances… dont le langage se doit de rendre compte. Même si les médias nous pressent en permanence de choisir notre camp : blanc ou noir !

 

Cet exemple n’est pas isolé : la plupart des méthodes prennent appui sur une planification voisine. Ces méthodes ne se réduisent pas, contrairement aux méthodes analytiques archaïques remises au goût du jour, au seul enseignement du déchiffrage. Elles visent également, ainsi que l’exigent les programmes de l’école élémentaire, toutes les autres compétences requises pour lire et écrire :

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manipuler les composants sonores du langage parlé (syllabes, rimes, phonèmes…) ce qui facilite leur mise en relation avec les composants du langage écrit ;

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identifier et produire des mots écrits (déchiffrage et mémorisation de l’orthographe) ;

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comprendre les textes, habileté basée sur une maîtrise de la syntaxe et du vocabulaire ;

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produire des textes, même très courts et avec l’aide de l’enseignant, dès le début de l’apprentissage ;

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entrer dans la culture de l’écrit : ses œuvres, ses codes linguistiques et ses pratiques sociales.

 

L’école ne peut pas sous-traiter aux familles une part de l’enseignement si elle ne veut pas contribuer à reproduire les inégalités sociales. Ceci ne signifie pas, bien sûr, qu’elle ne va pas rechercher les complémentarités et les collaborations de toutes sortes avec les familles mais qu’elle doit se refuser à abandonner des pans entiers de l’apprentissage au hasard des conditions éducatives familiales. Or c’est ce que fait la méthode syllabique stricte, façon méthode Boscher, en se limitant au seul B,A-BA.

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[2] Je dis que nos collègues se sont fait « piéger » car l’entreprise est concertée. Il suffit pour s’en convaincre d’examiner le travail réalisé auprès des médias par le collectif « Sauver les Lettres » (cf. l’enquête du Monde de l’éducation de décembre), ou, plus instructif encore, le réseau des scientifiques dirigé par le mathématicien Laurent Lafforgue. Cf. par exemple :

http://www.ihes.fr/~lafforgue/textes/SavoirsFondamentaux.pdf

http://www.ihes.fr/~lafforgue/textes/Courriel.pdf

Voir aussi les textes diffusés par la fondation politique de l’UMP, Fondapol :  http://www.fondapol.org/projet-enseignement.jsp

Lire à ce propos ma réponse (polémique) dans le Café pédagogique :

http://www.cafepedagogique.net/dossiers/contribs/goigoux.php 

[3] J’ai noté ici les archigraphèmes.

 [4] Le Bris et Boutonnet ne connaissent guère d’autres classes que les leurs, tout en se permettant de parler des pratiques des enseignant/e/s … décrites sur le blog de Sauver les Lettres ! Mais ce sont des pamphlétaires, pas des scientifiques, ils sont excusables. Ce n’est pas le cas en revanche de la part de chercheurs ou de responsables politiques.

 

 

3. De quoi parle-t-on lorsqu’on oppose syllabique à globale (et assimilée) ?

 

Les méthodes syllabiques sont des méthodes exclusivement synthétiques qui procèdent du simple au complexe, des parties au tout. Elles considèrent l’accès au sens comme le produit du travail de déchiffrage. En début d’année, le travail sur la compréhension des textes est donc impossible en raison des piètres performances de décodage des élèves. Plusieurs mois sont consacrés à l’étude de phrases simplement juxtaposées, loin des récits de la littérature pour la jeunesse (tous les verbes sont au présent, on ne trouve pas de connecteurs, peu de substituts nominaux, etc.). Tous les efforts des élèves sont orientés vers l’identification des mots. Comme ils ne peuvent, seuls, éprouver le plaisir du texte ou du récit, leur motivation est entretenue de manière extrinsèque : la promesse d’un plaisir futur, la gratification des adultes, l’habillage iconographique du manuel, l’accroche affective d’un personnage assurant la liaison entre les exercices, etc.

 

Les méthodes globales privilégient l’entrée par le sens et fondent leur démarche sur l’intérêt porté par les élèves au contenu des textes écrits qui leur sont proposés et lus, dans un premier temps, par les enseignants. Elles postulent également que ce sont les messages écrits complets et contextualisés qui sont simples à comprendre, pas les unités linguistiques abstraites. Une partie d’entre elles sont dérivées de la méthode mise au point par Decroly au début du siècle.

Cette méthode qui était basée sur la mémorisation de mots écrits provenant d’énoncés proposés par les enfants, a rapidement évolué en France vers la méthode « naturelle » de Célestin Freinet qui a fait du texte l’unité élémentaire d’étude et qui a accordé à l’écriture (au sens de production de mots et de textes) une importance capitale dès le début de l’apprentissage, tout en insistant sur la dimension sociale de la communication écrite.

Pour ce qui est de l’identification des mots et de la construction du système de correspondances grapho-phonologiques, ces méthodes, analytiques, procèdent donc à l’inverse des méthodes syllabiques : elles vont du tout aux parties, c’est-à-dire de la phrase (ou du texte) aux mots, puis aux syllabes et enfin aux lettres et à leurs correspondances avec les sons.

(dominante dans les approches syllabiques)

 

(dominante dans les approches globales)

 

 

4. Que dit la loi ?

 

Les programmes 2002 reprochent à la méthode globale (au sens ici de « naturelle ») de laisser les connaissances relatives aux correspondances grapho-phonologiques se constituer au hasard des rencontres et des réactions des élèves. Et ils demandent explicitement aux enseignants de guider les deux procédures de synthèse et d’analyse (représentées sur le schéma ci-dessus) simultanément et en interaction. En ce sens, on peut soutenir que les méthodes « hors la loi » sont celles qui excluent totalement l’une ou l’autre.

 

Il est important de noter également qu’aucun impact négatif de la méthode « naturelle » n’a été empiriquement établi tant les performances des élèves semblent dépendre de l’expérience et l’habileté des maîtres à solliciter et organiser la démarche analytique. « L’effet-maître » prend le pas sur « l’effet-méthode » ! C’est peut-être pourquoi aujourd’hui le collectif « Sauver les Lettres », qui s’est battu pour la réhabilitation de la méthode syllabique, déplore à son tour l’interdiction de la « globale » !

 

C’est aussi pourquoi il est absurde, sur le plan politique, de rédiger dans la précipitation une nouvelle directive nécessairement en contradiction avec les programmes en vigueur : celle-ci ne peut que démobiliser les enseignants suspectés d’être des crétins ou des lâches. L’effet magique d’une circulaire capable à elle seule d’inverser les chiffres de l’illettrisme (selon les propos mêmes du ministre) stigmatise leur médiocrité antérieure, leur aveuglement, leur manque de bon sens et leur absence d’autonomie dans le travail.

 

 

5. Que dit la science (cognitive) ?

 

La seule étude conduite à ce jour dans le champ des sciences cognitives sur l’impact de la méthode globale l’a été par nos collègues du laboratoire de psychologie cognitive de Bruxelles. Content et Leybaert, que l’on ne peut pas suspecter de sympathie a priori pour la globale, ont en effet étudié les processus d’identification des mots en comparant l’impact des méthodes « phoniques » et « globales ». Ils avaient fait l’hypothèse que les premières devaient faciliter les mécanismes grapho-phonologiques de traitement des mots et avantager les élèves qui en profitaient. Les résultats obtenus ont été contraires à leur hypothèse[5] : les deux auteurs ont avoué avoir eu du mal à expliquer leurs propres résultats et à interpréter la « surprenante supériorité » des élèves soumis aux méthodes globales. Supériorité qui allait croissante au cours du cycle 2 après un départ plus lent que celui des élèves bénéficiant des approches phoniques strictes (méthodes synthétiques).

 

Je leur suggère une explication, nourrie de mes connaissances sur l’activité enseignante. (Après tout, c’est la spécialité de mon laboratoire de recherche !)

Nos collègues chercheurs en sciences cognitives sont étonnés par leurs propres résultats parce qu’ils ignorent que les méthodes globales, basées il est vrai «  sur la mémorisation de formes écrites de mots provenant de textes ou de phrases proposées par les enfants »[6], incluent également une étude des relations graphophonologiques, basée sur des recherches d’analogies entre ces formes écrites. Dans ces méthodes, le travail phonique s’exerce régulièrement, parfois même intensément ; seuls le moment d’introduction de cette analyse et la nature des matériaux utilisés varient, comme en attestent les travaux des historiens de l’éducation. Mes propres travaux révèlent que les maîtres qui ont recours à cette démarche analytique font jouer un rôle capital à la syllabe comme base des processus de comparaison (cf. par exemple le travail sur les syllabogrammes d’André Ouzoulias). Décidément, la méthode syllabique n’a pas le monopole de la syllabe !

 

Les résultats de Content et Leybaert, au bénéfice de l’approche globale, doivent inciter les chercheurs à la prudence[7] afin de ne pas se laisser instrumenter par le pouvoir politique, quel qu’il soit. Ils mettent aussi en lumière la nécessité de développer le dialogue entre chercheurs de différentes disciplines.

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[5] Content, A. et Leybaert J. (1992). L’acquisition de la lecture : influence des méthodes d’apprentissage. In P. Lecocq (Ed.), La lecture. Processus, apprentissage, troubles (pp. 181-211). Lille : Presses Universitaires de Lille.

Leybaert, J. et Content, A. (1995). Reading and spelling acquisition in two different teaching methods : a test of the independence hypothesis. Reading and writing, 7, 65-88.

[6] Content et Leybaert, 1992, p. 186

[7] Cela ne nous empêche pas d’avoir la conviction qu’un enseignement explicite des correspondances graphèmes phonèmes doit être entrepris dès le début de cours préparatoire, en combinant très tôt également les activités d’encodage et de décodage, autrement dit d’écriture et de lecture, ainsi que l’exigent les programmes depuis 2002.

 

 

6. Que dit la science (didactique) ?

 

L’erreur de Content et Leybaert, comme celle de l’entourage mal informé du ministre de l’Éducation nationale, provient d’une confusion entre deux méthodologies très différentes, malheureusement qualifiées toutes les deux de « globales » : l’approche « naturelle » de Freinet (qui étudie les correspondances lettres/sons) et l’approche « idéovisuelle » de Foucambert (qui s’y refuse).

 

Une de mes propres recherches, citée par Franck Ramus[8], est complémentaire à celle de nos collègues belges. Réalisée en France, elle comparait l’impact des pratiques effectives d’enseignement (c’est-à-dire les pratiques observées de visu et non les pratiques déclarées en réponse à un questionnaire) sur les apprentissages des élèves en opposant méthodes idéovisuelles et méthodes phonémiques. Au terme d’une étude longitudinale de 28 mois (de la fin de grande section de maternelle au début du cours élémentaire 2ème année), il apparaissait que les élèves bénéficiant d’une approche idéovisuelle obtenaient des scores nettement inférieurs à ceux des autres élèves lors des évaluations nationales CE2 malgré des performances initiales équivalentes en fin de scolarité maternelle. Leurs vitesses d’identification des mots écrits étaient plus lentes que celles des élèves bénéficiant d’une didactique phonique rénovée. L’absence d’enseignement du code graphophonologique apparaissait nettement comme un obstacle à l’apprentissage de la lecture et elle pénalisait les élèves quelle que soit leur appartenance sociale.

 

Cette étude indiquait les faiblesses de l’approche « idéovisuelle » mais pas celle de l’approche « globale » (ou « naturelle », la seule véritable méthode globale qui ait été enseignée sur le territoire français ; cf. les travaux des historiens Chartier et Hébrard sur ce point).

 

Pour un chercheur en neurosciences la différence peut sembler minime mais sur le plan pratique (en pédagogie) les différences sont considérables.

En effet dans les classes que j’ai observées, les maîtres respectaient scrupuleusement les préconisations de Foucambert et s’interdisaient toute étude des correspondances graphophonologiques. Prenant appui sur une description – elle-même contestable – des procédures expertes de la lecture, cette méthode idéovisuelle, importée des États-Unis[9] dans les années 70 (cf. Ziegler) bannissait tout enseignement du déchiffrage qu’elle considérait comme un frein au développement d’une lecture authentique. Elle systématisait en revanche les entraînements à la mémorisation et à la discrimination visuelle : les élèves devaient retenir les mots écrits un à un, en prenant appui sur leur structure orthographique et morphologique.

 

L’approche idéo-visuelle (même si Foucambert préfère parler d’enseignement exclusif de la « voie directe ») a aujourd’hui totalement disparu des classes de cours préparatoire.

Elle est aussi la seule qui soit véritablement proscrite par les programmes qui font dorénavant obligation aux maîtres d’étudier les correspondances graphophonologiques.

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[8] Goigoux, R. (2000). Apprendre à lire à l’école : les limites d’une approche idéovisuelle. Psychologie Française, 45-3, 235-245.

[9] En psycholinguistique, les travaux de Smith (1973, 1979) et de Goodman (1965, 1967) ont clairement influencé les réflexions de Foucambert et de Charmeux. Ils ont renforcé leur conviction que le déchiffrage était antagoniste avec la compréhension des textes écrits, le lecteur ne pouvant simultanément porter son attention sur le sens des mots (ou du texte) et sur leur forme phonologique.

 

 

7. Comment conclure ?

 

Probablement en reconnaissant tout d’abord les erreurs commises par les chercheurs en éducation. L’absence de rigueur de certains de leurs travaux durant les années 80 a laissé libre cours à des thèses qui se sont avérées fausses. Foucambert et Charmeux ont dominé le paysage pédagogique français parce que leurs intentions étaient généreuses et leur discours séduisant : l’idéologie a masqué la faiblesse des données empiriques.

 

Les cadres de l’éducation nationale (inspecteurs et formateurs) ont également survalorisé une pratique lettrée et précoce de la lecture ; ils ont surtout sous-estimé l’importance de l’enseignement des procédures de déchiffrage des mots. Ces erreurs sont aujourd’hui en passe d’être rectifiées : ce n’est pas le moment de déstabiliser une nouvelle fois les enseignants et de faire table rase des innovations très positives conduites durant les vingt dernières années.

 

Ce qui est agaçant c’est de savoir que le débat sur l’enseignement du déchiffrage, pertinent il y a 15 ans, est aujourd’hui totalement dépassé dans les écoles élémentaires. D’où l’incompréhension et l’agacement des instituteurs devant ce tapage médiatique.

 

Les erreurs du passé nous rattrapent en raison d’un contexte qui ne doit rien aux avancées de la science mais qui relève plutôt d’un opportunisme politique contestable. L’école n’a rien à gagner, pour relever les défis du futur, à ce retour nostalgique vers le passé[10]. Les « bonnes vieilles méthodes » n’ont jamais fait leurs preuves !

  

Roland Goigoux,

professeur des universités

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[10] Les mathématiciens regroupés autour de Lafforgue adressent aux responsables politiques des propositions qui remettent gravement en cause les services publics : par exemple exiger que les programmes nationaux ne s’imposent plus à tous les élèves, revendiquer des établissements d’excellence bénéficiant de statuts dérogatoires et faciliter une sélection précoce et généralisée.

 

Post-scriptum : quelques précisions complémentaires sur les méthodes de lecture

 

Un des critères qui permet de distinguer les méthodes d’enseignement de la lecture est celui de la nature des unités linguistiques étudiées.

 

Les méthodes les plus anciennes partaient des lettres et les associaient à leur valeur sonore de référence (on considère que la lettre O fait le son /o/ sans se soucier du OU et du ON) puis combinaient voyelles et consonnes pour former toutes les syllabes possibles que les enfants devaient mémoriser avant de les combiner à leur tour en des unités plus large, les mots (cf. méthode Boscher). Ces méthodes syllabiques, basées sur la combinatoire, ont ensuite évolué vers des méthodes mixtes (95% des manuels en 1960) qui reposaient sur les mêmes principes à ceci près que la découverte d’une lettre était précédée par une mise en scène des mots dans une phrase illustrée (exemple : papa fume sa pipe) très rapidement découpée en mots et en syllabes.

Ces méthodes procédaient à un amalgame entre lettres et sons qui a cessé dans les années 1970 avec l’introduction de la distinction entre phonèmes et graphèmes (le phonème /o/ peut être retranscrit par trois graphèmes : O, AU, EAU). Depuis lors, toutes les méthodes synthétiques, c’est-à-dire celles qui partent des petites unités pour les combiner progressivement en unités plus grandes, partent d’une étude des phonèmes puis cherchent à établir leurs correspondances avec les graphèmes. Le leader du marché des méthodes de lecture, Alain Bentolila (Gafi, éditions Nathan) se réfère par exemple à ce type de progressions phonémiques. On parle de méthodes phonémiques (ou phoniques selon les auteurs). Le déroulement canonique d’une leçon d’étude du code consiste à identifier auditivement un phonème, puis à le localiser dans un mot oral pour, enfin, en découvrir la transcription écrite.

 

Il existe de très nombreuses variantes de ces méthodes phoniques qui sont aujourd’hui largement majoritaires dans le paysage pédagogique français. Pour les distinguer, il faut examiner plusieurs sous-critères : l’ordre et le rythme d’introduction des différents phonèmes, la place accordée aux activités portant sur la combinatoire, l’introduction simultanée ou différée des différentes graphies d’un phonème en fonction de leur fréquence d’usage, le recours ou non à l’alphabet phonétique international, etc.

 

C’est pourquoi j’apportais la réponse indiquée ci-dessous[11] à la question qui m’était posée en 2003 par le PIREF : que sait-on de l’efficacité des différentes méthodes ?

« Peu de choses.

Les nombreuses recherches de psychologie sur l’apprentissage initial de la lecture conduites au cours des deux dernières décennies se sont attachées à étudier un élève générique, hors de tout contexte social et pédagogique. À de rares exceptions près, l’intervention des maîtres a été ignorée car jugée sans grande influence sur la dynamique de cet apprentissage (Bru, 1991 ; Goigoux, 2001-a). Lorsqu’il a été pris en compte, l’enseignement a été décrit de manière très sommaire, en opposant le plus souvent les méthodes dites globales et celles qualifiées de phoniques (Content et Leybaert, 1992). De surcroît, cette opposition a été abordée à partir des seules affirmations des maîtres se réclamant de telle ou telle méthode. En conséquence, la dimension idéologique y tenait toujours une place dominante.

La mise en évidence de « l’effet - maître » dans le champ des sciences de l’éducation n’a pas fondamentalement modifié cet état de faits. Elle a contribué à faire ressortir l’impact du rôle des enseignants (on sait qu’il en est de plus « efficaces » que d’autres) sans toutefois élucider quelle composante de leur activité influait sur les performances des élèves (Audouin et Duru-Bellat, 1990 ; Bressoux, 1990, 1994 ; Bressoux et al., 1999 ; Mingat, 1991, 1996 ; Suchaut, 1996).

Les didacticiens du français, quant à eux, ont élaboré de nombreuses propositions d’ingénierie didactique, assorties d’études descriptives, mais ils n’ont pas cherché à en évaluer la portée (voire la pertinence) à travers une mesure de leur impact sur les apprentissages des élèves (Brigaudiot et Goigoux, 1999).

 

Si aucune étude comparative des méthodes de lecture n’a permis d’établir la supériorité de l’une par rapport à l’autre, ce n’est pas parce que toutes les pratiques se valent mais parce que la variable « méthode », trop grossière et mal définie, n’est pas une variable pertinente pour une telle recherche. Pour comprendre ce qui différencie véritablement les choix pédagogiques opérés par les maîtres et leur effet sur les apprentissages des élèves, il est nécessaire de substituer à cette approche en termes de « méthode » une analyse reposant sur l’examen simultané de nombreux indicateurs et de dépasser les déclarations de principes pour entrer dans le détail des pratiques concrètes (Goigoux, 1994, 2004-b). Des recherches en cours s’efforcent de le faire, mais elles sont encore trop balbutiantes pour que l’on puisse en tirer des conclusions catégoriques.

 

Répondre à la question posée est donc une gageure sur le plan scientifique tant nous manquons de recherches fiables qui mettraient en relation les pratiques effectives d’enseignement de la lecture avec les performances des élèves. Ce qui est possible, et nous nous y emploierons, c’est d’inférer les caractéristiques des pratiques efficaces à partir de ce que nous savons des processus d’apprentissage des élèves et des études quasi expérimentales qui ont cherché à évaluer l’impact de telle ou telle dimension de l’acte de lire. Mais, dans les deux cas, le risque d’erreur n’est pas négligeable car si l’apprentissage de la lecture permet de nombreuses compensations (ainsi, au début de l’apprentissage, une insuffisante automatisation des processus d’automatisation des mots peut être compensée par des traitements contextuels reposant sur de bonnes connaissances linguistiques et culturelles), son enseignement en autorise également beaucoup. Tel enseignant, par exemple, qui accorde peu de place au décodage grapho-phonologique parvient à d’excellents résultats avec ses élèves en leur proposant de nombreuses tâches d’écriture qui les obligent à une intense activité d’encodage phono-graphique. Une observation exclusivement centrée sur les procédures d’identification des mots pourrait passer à côté d’une interprétation pertinente des performances constatées.

Pour les mêmes raisons, des chercheurs comparant les effets des méthodes phoniques et globales ont eu bien du mal à expliquer et à interpréter la supériorité des élèves soumis aux méthodes globales, supériorité qui allait croissante au cours du cycle 2 après un départ plus lent que celui des élèves bénéficiant des approches phoniques strictes (Leybaert et Content, 1995). Ils avaient négligé le fait que les méthodes globales (contrairement aux méthodes idéo-visuelles qui s’y refusent ; Foucambert, 1976) organisent une substantielle étude des relations graphophonologiques fondée sur la recherche d’analogies entre les mots étudiés.

 

La confusion règne, au point que les enseignants eux-mêmes demandent une clarification sur les méthodes d’enseignement de la lecture. C’est d’autant plus utile que chacune de ces méthodes répond, explicitement ou non, à la question des choix (donc des renoncements) entre les multiples activités d’enseignement possibles (Giasson, 1995). »

 

Je ne pensais pas avoir été aussi bien entendu !

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[11] (Conférence de consensus sur la lecture organisée par le ministère de la Recherche)

Consultable sur http://www.bienlire.education.fr/01-actualite/document/goigoux.pdf

 

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La guerre des méthodes est finie Libé 02/09/05

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Les difficultés dans l’accès au code écrit à la fin de l’école élémentaire (notes prises durant une conférence de Roland Goigoux) 26/05/05

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Roland Goigoux analyse les effets de la réduction des effectifs SNUIPP 04/02/04

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«Il faut inciter les lecteurs faibles à être plus actifs» Le Courrier 04/01/05

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L’évolution de la prescription adressée aux instituteurs : l’exemple de l’enseignement de la lecture entre 1972 et 2002 (2002)

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Apprentissage et enseignement de la lecture auprès d’élèves en grande difficulté (2000) 

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Qu'est-ce que comprendre un texte ?   Conférence Nantes 1997

 

 

une intéressante mise au point de Bruno Germain sur les Méthodes de lecture

une tribune de Jacques BERNARDIN (GFEN) dans Le Café Pédagogique (n° 68) : Lecture : le discours de la méthode…

 

une “Lettre ouverte au Ministre de l'Education Nationale” Bernard Devanne, professeur à l'IUFM de Basse-Normandie dans Le Café Pédagogique

un dossier des cahiers pédagogiques avec notamment un point sur les méthodes et des textes de Gaston Mialaret et Evelyne Charmeux

La méthode globale cette galeuse Célestin Freinet (sur le site de P. Meirieu)

 

Le dossier du Café Pédagogique

http://www.cafepedagogique.net/disci/pedago/69.php

 

 

22 décembre 2005 (courriel adressé à 4 collègues dont Roland GOIGOUX)

Ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain

Les programmes de 2002 peuvent être lus de différentes manières

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ils ne choisissent pas entre "méthode naturelle" et méthodes plus structurées

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

On ne peut pas, au nom de la liberté pédagogique laisser les enseignants faire n'importe quoi

 

Il me semble que les discussions autour de l'initiative de de Robien tendent tout de même à jeter le bébé avec l'eau du bain. Sous prétexte que de Robien était mal informé (en invoquant les méthodes syllabiques et globales, les neurosciences et la dyslexie), on rejette en bloc ses propositions (mal formulées et justifiées, je suis d'accord) et on suggère implicitement que l'enseignement de la lecture en France est déjà optimisé et que les programmes de 2002 ont déjà suffisamment tenu compte des connaissances scientifiques.

Tout d'abord, je pense qu'il faut reconnaître que le ministre, les journalistes et le grand public utilisent probablement les mots "syllabique" et "global" dans un sens informel différent du sens technique rappelé par Goigoux. Dans le langage courant, les méthodes syllabiques sont perçues comme enseignant dès le départ les relations grapho-phonologiques (sans exclusion particulière d'autre chose), les méthodes globales comme ne les enseignant pas, et les méthodes mixtes, semi-globales ou à départ global comme les enseignant plus tard. Les spécialistes ne peuvent pas comprendre ce que veulent dire les non-spécialistes s'ils se cantonnent à leur définition technique. Il faut donc se demander pourquoi tant de gens continuent à croire et à dire que la méthode globale règne en maître à l'école? Il me semble que c'est simplement parce qu'un nombre significatif d'élèves de CP en sont encore à Noël à faire semblant de lire un texte appris par coeur, et à deviner les mots. Alors certains parents paniquent et achètent une méthode Boscher. Aucun chiffre officiel ne révèle la proportion d'enfants concernés, mais il doit être suffisamment élevé pour expliquer la fréquence de telles anecdotes (qui ne connait un cas dans son entourage?). Au-delà de la reconnaissance par les programmes de  l'importance de 'apprentissage du code grapho-phonologique, cet état de fait pose donc la question que tout le monde semble se refuser à aborder, celle du moment et des modalités de l'introduction du code.

A ce propos, j'ai vérifié le contenu des programmes de 2002, et force est de constater qu'ils peuvent être lus de plusieurs manières. Après un long passage explicitant l'apprentissage du déchiffrage, il y ce paragraphe intitulé "Programmation des activités": "Ces apprentissages sont au cœur de la plupart des méthodes d'enseignement de la lecture. La qualité des programmations proposées doit guider le choix des enseignants. Certains laissent se constituer ces connaissances au hasard des rencontres et des réactions des élèves (c'est le cas de la méthode "naturelle" proposée par Célestin Freinet), d'autres (en particulier les livrets proposés par les éditeurs) les organisent selon une progression qui combine complexité croissante des activités mises en jeu tant dans l'analyse que dans la synthèse et complexité croissante des relations entre graphèmes et phonèmes. Dans les deux cas, il importe d'aider les élèves à mémoriser ces informations, donc à leur permettre de les structurer de manière
rigoureuse et de les réviser fréquemment.
Certaines méthodes proposent de faire l'économie de l'apprentissage de la reconnaissance indirecte des mots (méthodes globales, méthodes idéo-visuelles...) de manière à éviter que certains élèves ne s'enferment dans cette phase de déchiffrage réputée peu efficace pour le traitement de la signification des textes. On considère souvent aujourd'hui que ce choix comporte plus d'inconvénients que d'avantages : il ne permet pas d'arriver rapidement à une reconnaissance orthographique directe des mots, trop longtemps appréhendés par leur signification dans le contexte qui est le leur plutôt que lus. On peut toutefois considérer que la plupart de ces méthodes, par le très large usage qu'elles font des activités d'écriture, parviennent aussi à enseigner, de manière moins explicite, les relations entre graphèmes et phonèmes. Il appartient aux enseignants de choisir la voie qui conduit le plus efficacement tous les élèves à toutes les compétences fixées par les programmes (les compétences de déchiffrage de mots inconnus en font partie)."
Pour résumer, les programmes évoquent la méthode naturelle ainsi que les
méthodes plus structurées et explicites, mais sans choisir entre les deux car c'est "la qualité des programmations" (jugée comment?) qui doit guider le choix. Puis ils notent qu'on considère souvent que les méthodes globales et idéovisuelles sont moins efficaces, mais qu'on peut considérer qu'elles parviennent aussi à enseigner les relations graphèmes-phonèmes (qui est ce "on" et sur quelle base considère-t-on?).
Si ça ne s'appelle pas ménager la chèvre et le choux!
Finalement, bien qu'une large place soit consacrée au déchiffrage dans les programmes, toutes les méthodes sont compatibles avec les programmes, mêmes celles qui ne l'enseignent pas, ainsi que celles qui l'enseignent de manière non explicite et non structurée. Il revient donc aux enseignants de choisir entre toutes les méthodes existantes, sans qu'aucune soit exclue.

Puisque les programmes leur laissent toute latitude, comment les enseignants choisissent-ils? Il me semble qu'ils sont influencés d'une part par leur formation à l'IUFM, et d'autre part par les inspecteurs de l'éducation nationale qui peuvent valoriser ou sanctionner telle ou telle approche. Il n'est pas impossible qu'à ces deux niveaux il y ait (en moyenne) un sérieux biais en faveur des méthodes naturelles et  globales. (je dis ça simplement sur la base de plusieurs témoignages convergents, sans données précises).

Si les enseignants revendiquent très fort leur liberté pédagogique, on peut dire qu'ils sont entendus, puisque les programmes leur laissent une liberté totale. Est-ce pour autant une bonne chose? Je ne crois pas. On ne peut pas, au nom de la liberté pédagogique, laisser les enseignants faire n'importe quoi avec les enfants. Notamment, utiliser des méthodes dont il a été démontré empiriquement qu'elles sont en moyenne moins efficaces que d'autres. Ou bien réinventer la roue pendant plusieurs années. Car si "l'effet maître"* signalé par Goigoux est bien réel (voire trivial, puisque les enseignants ne sont pas des robots), ce n'est pas une raison pour ignorer l'effet méthode qui lui aussi est bien réel (et en l'occurrence bien mieux quantifié que l'effet maître). A ce propos il est très fallacieux d'affirmer qu'il n'y a aucun impact négatif de la méthode "naturelle", et qu'on ne sait rien de l'efficacité comparée des méthodes en vigueur (une fois écartée la méthode idéovisuelle). Goigoux ne peut affirmer cela que parce qu'il se réfère uniquement à la littérature francophone (qui en contient deux), alors qu'il y a des dizaines d'études pertinentes dans la littérature scientifique internationale. Au risque de me répéter, la revue du National Reading Panel en a identifié 38 en 1998 qui remplissaient des critères méthologiques rigoureux et qui livraient suffisamment de données chiffrées pour permettre une méta-analyse. Parmi leurs conclusions (que j'ai déjà citées), le NRP met en avant l'efficacité significativement plus grande des méthodes enseignant systématiquement les relations graphèmes-phonèmes par rapport à celles ne les enseignant pas ou pas de manière systématique (ce qui vise notamment la méthode naturelle) ainsi que l'efficacité plus grande des méthodes enseignant ces relations tôt (y compris en GSM) plutôt que tard (ce qui vise les méthodes à départ global). On ne peut donc pas dire qu'on ne sait pas.

Comment peut-on alors justifier que les programmes autorisent des méthodes qui ne démarrent pas l'enseignement du déchiffrage dès le début de CP, et/ou qui ne l'enseignent pas de manière systématique? Si de Robien pouvait avoir une action concrète à ce niveau, on ne pourrait que s'en réjouir (et je répète bien qu'il ne s'agit pas d'imposer la méthode Boscher mais des méthodes qui enseignent le déchiffrage dès le premier jour en parallèle avec le reste).

Franck Ramus

 

 

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Sur "l'effet maître" : L’effet Pygmalion

Un corollaire à l’effet Pygmalion : l’effet maître

(Jacquot Barivelo et Vladimir Daupiard)

http://www.reunion.iufm.fr/Dep/listeDep/exposes/effet%20pygmalion.pdf

Deux textes d’Alain Léger Université de Caen

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L'effet établissement

http://alain-leger.ifrance.com/alain-leger/textes/effet-etablissement.pdf

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L'école et la réussite de tous

http://alain-leger.ifrance.com/docs/reussite.pdf

citent V. ISAMBERT-JAMATI (voir, par exemple, avec  M.F. GROSPIRON « Type de pédagogie du français et différenciation sociales du résultat ». 1984) et trois chercheurs états-uniens : E. Pederson, T. A. Faucher et W. Eaton)

 

Une étude empirique du pôle pédagogique de l’Académie de Nantes

« Les réussites paradoxales aux évaluations d’entrée en sixième
Synthèse des observations et analyses réalisées sur le terrain 
»

http://www.ac-nantes.fr:8080/peda/pole_peda/reussite/index.html

 

Il faut mentionner aussi l’étude d’Arletta Grisay en 1997 : Evolution des acquis cognitifs et socio-affectifs au cours des années de collège, MEN-DEP, Dossiers Education et Formations, n° 88

 

 

« La méthode globale a été abandonnée en théorie par les nouveaux programmes.
Mais dans la pratique, même si la méthode globale pure a disparu depuis longtemps, il reste des méthodes « à départ global ». Ces méthodes font commencer l'apprentissage de la lecture par une approche globale pendant plusieurs semaines, pour n'en venir qu'ensuite à la découverte des syllabes.

Les neurosciences permettent aujourd'hui de dire que cette approche est mauvaise. 
Je pense en particulier aux travaux de Jonathan GRAINGER, directeur du laboratoire de psychologie cognitive, du CNRS et de l'université d'Aix-Marseille 1, ou bien à ceux de Liliane SPRENGER CHAROLLES, directrice de recherches au laboratoire d'études sur l'acquisition et la pathologie du langage chez l'enfant, de l'université Paris 5.

La méthode « à départ global » rend beaucoup plus difficile l'acquisition du code alphabétique. Certes, elle donne l'illusion de savoir lire très tôt puisque l'enfant sait reconnaître immédiatement une petite collection de mots.

Mais rapidement la mémoire est saturée. Et la lecture se transforme en un exercice de devinettes ! Voyez le film « Etre et avoir », et l'enfant qui voit le mot « ami » et prononce le mot « copain » !

J'ajoute que les méthodes à départ global ont aussi des conséquences sur les compétences en expression écrite.

Un bon départ en lecture et en écriture, comme les chercheurs d'aujourd'hui le préconisent, cela consiste à partir du son et de l'écriture du son, pour aller vers la lecture et l'écriture de la syllabe, puis du mot, puis du texte. »

Extraits du discours de M. de Robien, Ministre de l’Education Nationale 13/12/05

 

Bref échange avec Liliane Sprenger-Charolles

 

Liliane Sprenger-Charolles a intégré le CNRS en 1990. Elle coordonne, en collaboration avec Jean-Pierre Jaffré, le Département "Literacie" du LEAPLE

 

Le journal 20 minutes, du 25/10/04 titrait : « Liliane Sprenger-Charolles La linguiste fait le point sur les méthodes d’apprentissage de la lecture «C’est la méthode du b.a.-ba qui marche le mieux». L’entretien ne démentait pas le titre : « Dans les méthodes analytiques[…les enfants]décodent les lettres et les traduisent en sons : c’est le traditionnel b.a.-ba. Ce qu’a clairement montré la recherche depuis une vingtaine d’années, c’est que les enfants qui décryptent le mieux au départ apprennent plus vite et mieux ensuite. Toutes les études ont prouvé que le décodage est la condition sine qua non de l’apprentissage de la lecture. » « On a désormais des arguments de recherche : on a pu comparer des écoles qui pratiquaient les différentes méthodes, et constater que c’est la méthode du b.a.-ba qui marche le mieux pour tous les élèves. »

Madame Sprenger-Charolles était citée par le Ministre comme caution scientifique, avec un de ses collègues qui a fortement nuancé son supposé soutien.

Contactée par courriel, elle a confirmé ses dires à 20’ et a ajouté qu'on
disposait « de données d'évaluations robustes, surtout anglosaxonnes » et a renvoyé à son ouvrage Lecture et dyslexie, approche cognitive
(Liliane Sprenger-Charolles et Pascale Colé, Dunod, 2003).

Et elle a insisté sur « les travaux de recherche [qui] ont montré que, pour pouvoir bien comprendre des textes (ce qui bien entendu est la finalité de la lecture, sans compter le plaisir), l'enfant doit acquérir un haut niveau d'automaticité dans l'identification des mots écrits. »

En conclusion de l’échange, elle a fait parvenir un article paru dans la revue « médecine et enfance » (avril 2003) : Apprentissage de la lecture et dyslexie (document téléchargeable format *.pdf).

 

Les efforts de simplification de l’orthographe doivent être poursuivis

Un enseignement systématique et précoce du décodage aide plus efficacement les élèves qu'un enseignement global

Dans un discours en date du 13 décembre, le Ministre de l'Education Nationale, de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche a dit que les méthodes sont, pour une part, à l'origine des difficultés de lecture. Les critiques du Ministre portaient sur la méthode globale et il soulignait que, même si dans sa forme pure cette méthode n'existe plus, il reste des méthodes à point de départ global. Il préconisait aussi le recours à des méthodes «phoniques» ce qui, comme il le soulignait, est en adéquation avec les résultats de la recherche.

Je ne peux que confirmer, tout comme Franck Ramus, que ce qu'a dit le Ministre à ce propos est juste. En effet, dans un travail que j'ai publié avec ma collègue Pascale Colé (édité chez Dunod en 2003*, une version anglaise est sous presse) nous présentons, entre autres, les résultats d'une synthèse qui avait pour visée d'éclairer les politiques éducatives. Cette synthèse passe en revue une quarantaine de recherches anglo-saxonnes dans lesquelles les effets d'une méthode «phonique» ont été comparés à ceux d'une méthode «globale». Il ressort de ce travail qu'un enseignement systématique et précoce du décodage aide plus efficacement les élèves qu'un enseignement global. Cette supériorité se manifeste sur toutes les mesures (lecture de mots, compréhension de textes.). De plus, lorsque cette méthode est introduite tardivement, son impact est plus faible. Enfin, la méthode phonique est particulièrement bénéfique pour les enfants de milieux socio-économiques défavorisés, pour ceux à risque pour l'apprentissage de lecture et pour les dyslexiques.

Je pense qu'il serait aussi important de tenir compte des résultats des évaluations internationales sur le niveau de lecture des enfants (OCDE, Association for the Evaluation of Educational Achievement). Dans ces évaluations, la Finlande arrive toujours dans le groupe de tête, ce qui peut s'expliquer par la conjonction de trois principaux facteurs :

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la nature de l'écriture du finnois, très «transparente» par rapport à l'oral, avec en plus des mots très longs, ce qui rend difficile l'apprentissage "global" et favorise l'utilisation de méthodes phoniques ;

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un niveau de formation élevé et adéquat des enseignants et des formateurs d'enseignants ;

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une politique d'incitation à la lecture (développement des bibliothèques dans les écoles, les villages.).


Il faudrait aussi signaler que les travaux de recherche ont également montré que, dans une écriture alphabétique, la maîtrise du décodage est le sine qua non de l'apprentissage de la lecture. Les bons décodeurs précoces sont en effet ceux qui progressent le mieux, et le plus vite. En outre, la «transparence» de l'orthographe facilite cet apprentissage. En d'autres termes, les enfants apprennent à lire plus vite en espagnol qu'en français et en français qu'en anglais. Etant donné le coût, en particulier pour l'éducation, d'une orthographe relativement peu transparente, comme c'est le cas en français (surtout pour l'écriture: un mot comme "bateau" ne peut en effet se lire que d'une seule façon alors qu'il existe différentes manières de l'orthographier), les efforts de simplification déjà entrepris devraient être poursuivis.

En tant que chercheur, je voudrais enfin souligner qu'il reste beaucoup de travail à faire dans notre pays. Il serait surtout souhaitable de bien diffuser les résultats des recherches. Il faudrait aussi bien former non seulement les enseignants et les formateurs d'enseignants, mais aussi tous les autres personnels qui ont des responsabilités dans l'éducation (les différents corps d'inspection, les directeurs d'établissement..) ainsi que les autres intervenants: médecins et psychologues scolaires.

 

Liliane Sprenger-Charolles (extraits remaniés par l’auteur d'une lettre adressée à Monsieur de Ministre de l'Education Nationale, de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche) 22/12/05

 

* Approche cognitive Liliane Sprenger-Charolles, Pascale Cole _ Dunod

 

 

GOMBERT Jean-Emile
Professeur des universités
Laboratoire de Psychologie du Développement et de l'Éducation

 

 

La prise de position en faveur d'un retour au B-A, BA donne satisfaction à un groupe de pression idéologico-pédagogique aux arguments populistes

Les mots ont une signification. Si, comme le pense Franck Ramus "il ne s'agit pas d'imposer la méthode Boscher mais des méthodes qui enseignent le déchiffrage dès le premier jour en parallèle avec le reste" il suffisait de le dire en ces termes et la plupart des chercheurs, ceux qui prennent en compte les résultats des recherches contrôlées, auraient été d'accord. En fait, les déclarations du ministre opposent de façon simpliste les méthodes globales et syllabiques et rien n'autorise à minimiser le propos en considérant que " le ministre (...) utilise probablement les mots "syllabique" et "global" dans un sens informel".
Cette déclaration n'est pas fondée sur la recherche, elle utilise la recherche pour justifier une prise de position en faveur d'un retour au B-A BA donnant ainsi satisfaction à un groupe de pression idéologico-pédagogique qui, avec des arguments populistes ("c'était bien mieux avant") a pris pied depuis 3 ans au ministère et a su utiliser les médias.
L'évaluation de la lecture que passent les jeunes entre 17 et 18 ans lors de la Journée d’Appel de Préparation à la Défense* (JAPD) et dont je suis responsable révèle en 2004 que 11% des jeunes français sont en grande difficulté avec l'écrit, c'est le cas de 14,2% des jeunes gens et de 7,8% des jeunes filles... auraient-ils appris avec des méthodes différentes?
Je suis très fermement pour que l'apprentissage systématique des correspondances graphèmes-phonèmes débute dès la première semaine du CP, je suis également convaincu de la nécessité de développer le lexique, la morphologie la syntaxe, le texte... Il est également essentiel que les situations didactiques d’apprentissage de l'écrit proposées aux élèves soient suffisamment attractives pour que ceux-ci aient envie de lire et d'écrire et répètent ainsi suffisamment ces activités pour que les automatismes qui signent l'expertise en lecture s'installent.
Enfin, en tant que chercheur je revendique mon ignorance et suis donc convaincu d'avoir au moins partiellement tort.

 Jean-Emile GOMBERT 23/12/05

* Les évaluations en lecture dans le cadre de la journée d’appel de préparation à la défense 2005  Note d évaluation 06-03 Téléchargeable au format *.pdf

   

 

La majorité des méthodes adoptent une démarche intégrative

Roland Goigoux

à

Franck Ramus et Liliane Sprenger Charolles (débat « Éducation et devenir » )

Copie à  Jean-Emile Gombert, Jonathan  Grainger, ......

 

Gilles de Robien a choisi de réhabiliter la méthode syllabique, symbole des « bonnes vieilles valeurs », poussé par un lobby puissant qui faisait campagne sur ce thème depuis des mois 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voir l'analyse de Leo et Léa par Eveline Charmeux (téléchargeable)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La méthode syllabique stricte n'est pas conforme aux programmes de 2002

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La pratique d'enseignement de la lecture ne se réduit pas au choix d'une méthode

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Chers collègues,

Votre participation au débat organisé par « Éducation et devenir » me semble une très bonne chose à un moment où les scientifiques servent de caution aux opérations politiciennes. (cf. les déclarations du docteur Wettstein-Badour, au nom des neurosciences, qui invoque le rôle de l’hémisphère cérébral gauche pour légitimer la méthode syllabique – AEF –)

L’argumentaire de Franck Ramus me semble bien indulgent pour un ministre qui n’a pas commis une maladresse de langage mais qui a délibérément choisi une question très médiatique pour reprendre l’initiative politique. (cf. les analyses de la presse politique)

Gilles de Robien a choisi de réhabiliter la méthode syllabique, symbole des « bonnes vieilles valeurs » ainsi que le lui recommandaient ses conseillers en communication. Un lobby puissant faisait campagne sur ce thème depuis des mois : une visite des sites de SOS-éducation, Lire-écrire, Sauvez-les-Lettres ou Fondapol vous en convaincra aisément (cf. l’article du Monde de l’éducation de décembre).

En donnant raison au ministre, vous semblez méconnaître la réalité des pratiques pédagogiques : vous laissez croire que l’école primaire n’enseigne pas, ou pas assez, ou enseigne trop tard les correspondances entre graphèmes et phonèmes. Et que « la syllabique » est la seule méthode à le faire.

Double erreur. Vous confondez un processus cognitif (celui du déchiffrage) avec une méthode pédagogique (la syllabique) et vous ignorez toutes les méthodes à dominante phonémique – pourtant majoritaires en France – qui font du déchiffrage la cible principale de leur intervention. Puis-je vous rappeler que les manuels les plus utilisés au cours préparatoire, qualifiés à tort de « semi-globaux », organisent un enseignement explicite et progressif des correspondances graphèmes / phonèmes dès le début de l’année scolaire. Ce n’est pas Alain Bentolila, auteur du célèbre Gafi le fantôme et leader du marché des méthodes de lecture, qui me démentira !

Entre douze et dix-huit phonèmes sont généralement étudiés au cours du seul premier trimestre. Treize, par exemple, dans le manuel Crocolivre de Gombert et Valdois (Nathan) : A, R, I, L, T, U, O, M, E, OU, P, N, É (er, ez, es).

Pour justifier sa campagne de restauration de la méthode syllabique, le ministre reproche à toutes les autres méthodes de faire « commencer l'apprentissage de la lecture par une approche globale pendant plusieurs semaines, pour n'en venir qu'ensuite à la découverte des syllabes. » Il suffit de consulter les chiffres des ventes des éditeurs scolaires pour comprendre qu’il se fourvoie dans 80% des cas.

Le survol trop rapide des manuels vous a trompé : certes, sur le papier, l’étude du code prend moins de place que l’étude des textes, mais l’espace graphique n’est pas proportionnel à la durée du travail des élèves ! Sur ce point, l’analyse de l’activité professionnelle des instituteurs de cours préparatoire révèle que, de septembre à mars, ceux-ci consacrent le plus clair de leur temps à apprendre aux élèves à mettre en relation des graphèmes et des phonèmes, en lecture comme en écriture[1].

Mais heureusement ils ne font pas que cela. La majorité d’entre eux adoptent des démarches intégratives (le plus souvent donc à dominante phonémique) qui associent décodage, compréhension, production et acculturation. Ils abordent ces quatre dimensions, véritables points cardinaux de la didactique de l’écrit, tout au long de l’année et en interaction :

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 identifier et produire des mots écrits (décodage et encodage, avec mémorisation de l’orthographe) ;

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comprendre les textes (surtout vocabulaire et syntaxe) ;

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produire des textes (même très courts et avec l’aide de l’enseignant, dès le début de l’apprentissage) ;

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entrer dans la culture de l’écrit (ses œuvres, ses codes linguistiques et ses pratiques sociales).

La conviction de ces instituteurs est que l’école ne doit pas déléguer aux familles des pans entiers de l’enseignement si elle ne veut pas contribuer à accroître les inégalités sociales. Se limiter au B-A, BA est de ce point de vue tout aussi inacceptable que de l’exclure.

L’approche idéo-visuelle (Foucambert) qui prohibait tout enseignement des correspondances graphèmes-phonèmes a été dénoncée par le ministère de l‘Éducation nationale il y a 13 ans : elle a aujourd’hui disparu des classes de cours préparatoire même si elle laisse encore des traces dans la mémoire collective des instituteurs. Sur ce point Franck Ramus a raison : il existe une infime minorité d’instituteurs qui ne prennent pas suffisamment en charge l’enseignement du code. Mais l’institution scolaire en avait conscience et oeuvrait en ce sens (j’ai la responsabilité depuis 9 ans de la formation initiale des IEN sur ce sujet) : pourquoi ignorer à ce point l’histoire d’un métier et de ses évolutions ? Pourquoi provoquer et disqualifier ainsi les instituteurs ? Les dégâts risquent d’être considérables.

 

Léo et léa

Les éditeurs scolaires nous ont fait un compte-rendu de leur entrevue avec le ministre le 14 décembre. Celui-ci veut obliger tous les instituteurs à suivre une méthode syllabique : il prend pour modèle la méthode Léo et Léa[2] dont il a demandé aux éditeurs scolaires de s’inspirer. Connaissez-vous cet instrument que vous êtes en passe de cautionner ?

Dans ce manuel, avatar moderne de la méthode Boscher, les phrases soumises aux élèves sont constituées exclusivement des mots que ceux-ci sont capables de déchiffrer tout seuls. Par exemple : « Le père a pêché une loche. Farro la hume puis il jappe ; la loche ne parle pas ! Il la lèche alors Léo le chasse » (Léo et Léa, p. 31). Le vocabulaire utilisé dans ce « récit » édifiant n’est choisi qu’en fonction des graphèmes étudiés au préalable, en dépit des intérêts ou des connaissances lexicales des élèves. 

Plusieurs mois sont ainsi consacrés à l’étude de phrases simplement juxtaposées, loin des récits de la littérature pour la jeunesse que les élèves avaient l’habitude de travailler à l’école maternelle (tous les verbes sont au présent, on ne trouve pas de connecteurs, peu de substituts nominaux, etc.). L’enseignement de la compréhension, pourtant exigé par les programmes (lexique, syntaxe, cohésion textuelle, référents culturels), n’est pas assuré.

Dans la mesure où les méthodes syllabiques, dans leur souci de simplification extrême, confondent la lettre et le son, elles sont également amenées à éviter les graphèmes complexes. Ainsi le phonème /o/ est exclusivement associé à la lettre o jusqu’à la 41ème leçon de l’année, obligeant les auteurs à fabriquer des pseudo-textes tels que : « Léa sort le cheval. Faro le mord. Le cheval a mal. Il remue puis il rue. Léa lui parle fort. Faro file. » (idem, p.23). Auto, château et bateau sont prohibés.

Pire encore, de nombreux mots parmi les plus fréquents du français ne sont jamais proposés aux élèves car ils sont irréguliers ou complexes du point de vue graphophonologique. De la même manière, les prénoms de certains enfants sont écartés en raison de leur complexité orthographique. C’est ainsi que le petit Gilles et le petit Dominique devront attendre le troisième trimestre de l’année scolaire pour pouvoir lire et écrire leurs prénoms. Nicolas, plus chanceux, les devancera une fois encore[3].

Sur ce point aussi, les méthodes syllabiques sont en contradiction flagrante avec les programmes en vigueur qui demandent aux enseignants d’introduire des mots fréquents dès le début de l’année, « pour l'essentiel des mots outils » dont « la forme orthographique est mémorisée ». (Programmes 2002, §2.2) Pas un seul « et », « dans » ou « un » dans les dix premières leçons de Léo et Léa ! Pas une seule fois le verbe « être » conjugué au présent. Plus de la moitié des vingt mots les plus fréquents de la langue française[4] ne sera jamais lue au cours du premier trimestre.

Les programmes rappellent pourtant qu’il y a deux manières d'identifier les mots : la voie indirecte (déchiffrage) et la voie directe (lorsque le lecteur dispose déjà, dans sa mémoire, d'une image orthographique du mot, c’est-à-dire lorsqu’il reconnaît la suite ordonnée des lettres). Et ils stipulent que : « L'apprenti lecteur doit apprendre à se servir efficacement de l'une et de l'autre. Elles se consolident mutuellement par leur utilisation fréquente et sont renforcées par toutes les activités d'écriture. » (Idem §2.3)

Ces programmes invitent les maîtres à doter rapidement les élèves d’un petit capital de mots écrits connus sur le plan orthographique (par exemple leurs prénoms, quelques mots outils très fréquents, les mots indispensables à la vie de la classe, etc.) pour faciliter le travail de comparaison entre mots, autrement dit pour initier le processus d’analyse. « Un programme de travail doit être mis en place pour renforcer le répertoire des mots orthographiquement connus permettant de construire l'écriture phonétiquement correcte d’un mot nouveau ; savoir en analyser les composantes sonores (syllabes et, en partie, phonèmes), les écrire et les épeler; pouvoir rapprocher des mots nouveaux de ces mots repères » (Idem, § 2.1). Les théoriciens de la méthode syllabique font fi des programmes et rejettent cette injonction à mémoriser l’orthographe des mots repères car ils refusent toute autre activité que le déchiffrage.

Il est donc incohérent d’affirmer, comme le fait le cabinet du ministre, « qu’il est inutile de réformer les programmes de français de 2002 ».  La méthodologie syllabique stricte, façon Léo et Léa, n’est pas conforme aux programmes en vigueur. Pour toutes les raisons déjà évoquées et pour une autre encore : contrairement à la prescription, la méthode syllabique exclut toutes les activités qui invitent les élèves à procéder à un travail d’analyse, c’est-à-dire de décomposition des mots connus.

Or les programmes demandent - à juste titre -  aux enseignants de guider les deux procédures de synthèse et d’analyse tout au long de l’année. En ce sens, on pourrait soutenir que les seules méthodes aujourd’hui hors-la-loi sont celles qui excluent totalement l’une ou l’autre de ces procédures. La « syllabique » comme la « globale ».

En résumé, s’il apparaît indispensable de guider les mises en relation entre graphèmes et phonèmes, rien ne permet d’affirmer que seules les approches synthétiques le font, ni qu’elles le font mieux que d’autres.

 

Confusion sur les méthodes

Si aucune étude comparative des méthodes de lecture en pays francophones n’a permis d’établir la supériorité de l’une par rapport à l’autre, ce n’est pas parce que toutes les pratiques se valent mais parce que la variable « méthode », trop grossière et mal définie, n’est pas une variable pertinente pour une telle recherche. Pour comprendre ce qui différencie véritablement les choix pédagogiques opérés par les maîtres et pour évaluer leurs effets sur les apprentissages des élèves, il est nécessaire de substituer à cette approche en termes de « méthode » une analyse reposant sur l’examen simultané de nombreux indicateurs. Et de ne pas se contenter des déclarations des enseignants mais d’observer le détail de leurs pratiques effectives. Pourquoi ne proposerions-nous pas ensemble au ministre de conduire une telle recherche ?

Cette exigence permettrait d’éviter les erreurs de ceux qui confondent encore deux méthodologies très différentes, malheureusement qualifiées toutes les deux de « globales » : l’approche « naturelle » de Freinet qui valorise l’étude des correspondances entre l’oral et l’écrit, et l’approche « idéovisuelle » de Foucambert qui s’y refuse totalement.

Pour un ministre, la différence peut sembler minime mais sur le plan pratique, elle est considérable. Les performances des élèves en dépendent comme je l’ai montré dans une recherche longitudinale que vous citez dans vos propres publications[5]. Cette recherche ne peut cependant pas être utilisée sans discernement pour dénigrer toutes les méthodes « globales » : si elle indique les faiblesses de la méthode « idéovisuelle »[6], elle ne dit rien de la méthode « naturelle ».   

Vous citez à juste titre les recherches[7] qui ont obtenu des résultats similaires en langue anglaise : ces études ont comparé elles-aussi des méthodes phonémiques à des méthodes idéovisuelles (par exemple de type « Look and say »), qualifiées outre-atlantique de « globales ».  Aucune de ces études n’a porté sur des méthodes analytiques « à la française » inspirées de Freinet. C’est pourquoi leurs conclusions doivent être considérées avec prudence dans le débat actuel.

Une part du malentendu qui existe entre les pédagogues francophones et les cognitivistes férus de recherches anglo-saxonnes[8] vient de là : ils ne parlent pas des mêmes méthodes « globales ».

A ce propos je vous rappelle un argument important, resté sans réponse à ce jour. La seule recherche francophone conduite sur l’impact de la méthode globale a été réalisée il y a une dizaine d’années par le laboratoire de sciences cognitives de Bruxelles. Vous savez que nos très sérieux collègues Content et Leybaert ont étudié les processus d’identification des mots en comparant l’impact des méthodes « phoniques » et « globales » et qu’ils ont établi la supériorité de la méthode « globale » !

Ils avaient pourtant fait l’hypothèse que les méthodes phoniques allaient faciliter les mécanismes grapho-phonologiques d’identification des mots et avantager les élèves qui en profitaient. Les résultats obtenus ont été contraires à leur hypothèse[9] : les deux auteurs ont avoué avoir eu du mal à expliquer leurs propres résultats et à interpréter la « surprenante supériorité » des élèves soumis aux méthodes globales. Supériorité qui allait croissante au cours du cycle 2 malgré un départ plus lent que celui des élèves bénéficiant des approches phoniques strictes.

Ce résultat n’est pas surprenant pour ceux qui connaissent le métier d’instituteur. La plupart des maîtres qui adoptent la méthode « naturelle » organisent en effet avec soin l’étude des relations graphophonologiques grâce à de nombreuses activités d’écriture et sur la base de recherches d’analogies entre les mots ; ils font ainsi jouer un rôle important à la syllabe dans le processus de comparaisons et d’analyses (cf. les syllabogrammes d’André Ouzoulias). Bref, en France, la « syllabique » n’a pas le monopole de la syllabe !

On peut donc faire l’hypothèse que les performances des élèves dépendent pour beaucoup de la quantité d’activités d’encodage (écriture) et de l’habileté des maîtres à solliciter et à organiser la démarche analytique. En d’autres termes, la pratique d’enseignement de la lecture ne se réduit pas au choix d’une méthode : « l’effet-maître » est plus fort que « l’effet-méthode ».

La revendication d’un enseignement « systématique et précoce du décodage » (Liliane Sprenger-Charolles) devrait vous conduire à soutenir les méthodes intégratives à dominante phonémique que j’ai présentées plus haut. Pas à cautionner l’archaïque méthode syllabique remise au goût du jour par le ministre et dont Michel Fayol nous rappelle qu’elle « n’a jamais été évaluée » (Fayol, AEF, 59433).

 

Très cordialement,

Roland Goigoux

Professeur des Universités à Clermont-Ferrand

 

PS : Comment comprendre que vous passiez sous silence dans votre argumentaire l’importance des compétences phonologiques des jeunes enfants ?  Il faudrait expliquer au ministre le rôle décisif de la grande section de maternelle. Son choix de concentrer toute la responsabilité des difficultés des élèves sur le cours préparatoire (et de surcroît sur la seule question des méthodes) me semble déraisonnable.

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[1] Ministère de l’Éducation Nationale (1999). L’enseignement de la lecture au CP et au CÉ1. Les dossiers Éducation et Formation, 106. Voir aussi  Fijalkow, E. et Fijalkow, J. (1994). Enseigner à lire-écrire au C.P. : état des lieux. Revue Française de Pédagogie, 107, 25-42.

[2] Lire avec Léo et Léa, Belin, 2004. Ses auteurs, T. Cuche et  M. Sommer, deux orthophonistes, développent leur réflexion dans le cadre de Fondapol, la fondation pour l’innovation politique proche de l’UMP.

[3] À condition que l’enseignant écarte les noms de famille !

[4] http://eduscol.education.fr/D0102/liste-mots-frequents.htm

[5] Goigoux, R. (2000). Apprendre à lire à l’école : les limites d’une approche idéovisuelle. Psychologie Française, 45-3, 235-245.

[6] L’approche idéo-visuelle a aujourd’hui disparu des classes de cours préparatoire même si elle laisse encore des traces dans la mémoire collective des instituteurs. Sur ce point Franck Ramus a raison : il existe encore des instituteurs qui ne prennent pas suffisamment en charge l’enseignement du code. Mais l’institution scolaire en avait conscience et oeuvrait en ce sens (IGEN, IEN, IUFM) : pourquoi ignorer à ce point l’histoire d’un métier et de ses évolutions ? Le combat d’aujourd’hui a 15 ans de retard !

[7] Cf. la méta analyse du National Institute of Child Health and Human Development (2000) ou la synthèse française de L. Sprenger Charolles et P. Colé (2003). Lecture et dyslexie, approche cognitive. Dunod.

[8] Cf. interview AEF 59132 de J. Ziegler, directeur de recherche au CNRS. 

[9] Content, A. et Leybaert J. (1992). L’acquisition de la lecture : influence des méthodes d’apprentissage. In P. Lecocq (Ed.), La lecture. Processus, apprentissage, troubles (pp. 181-211). Lille : Presses Universitaires de Lille. - Leybaert, J. et Content, A. (1995). Reading and spelling acquisition in two different teaching methods : a test of the independence hypothesis. Reading and writing, 7, 65-88.

Analyse de Léo et Léa par Eveline Charmeux (téléchargeable format *.pdf)

 

 

 

FRANCK RAMUS

Courriel à Roland Goigoux, Jean-Émile Gombert 24/12/05

Invitons le ministre à lire ce débat

 

Chers collègues,
Ce débat se prolonge peut-être au-delà du raisonnable, dans le mesure où
il me semble que sur le fond nous sommes largement d'accord. Seuls quelques points font peut-être encore l'objet d'un désaccord:
- Le ministre est-il simplement dans le flou ou bien est-il l'instrument d'une conspiration visant au rétablissement de la méthode Boscher? Les avis semblent diverger et personnellement je n'en sais rien, mais dans un cas comme dans l'autre il semblerait utile de mieux le conseiller, puisque les chercheurs sont d'accord sur l'essentiel. (Commençons par l'inviter à lire ce débat!)
- Quelle proportion d'enfants en France subissent un enseignement du décodage retardé et/ou non systématique? Une minorité infime ou plus significative? Là aussi je pense que les données manquent. Les statistiques des ventes des éditeurs ne suffisent pas pour évaluer ce point, car ce sont les pratiques de terrain qu'il faut évaluer, pas seulement les livres qui en sont (plus ou moins) le support. C'est pourquoi ce qui se passe à l'IUFM et au cours des inspections me paraît largement aussi important que les livres qui se vendent. A-t-on des
données là-dessus?
- Il faut arrêter de dire que les études "anglo-saxonnes" ne sont pas pertinentes pour le débat français car elles n'auraient comparé des méthodes phoniques qu'à des méthodes idéo-visuelles. Le National Reading Panel note (en p. 2-102 du rapport des sous-groupes, téléchargeable ici: http://www.nationalreadingpanel.org/) qu'au moment de la méta-analyse (1998-1999), les USA semblent avoir subi depuis les années 60 une évolution similaire à celle de la France: au sein des méthodes non phoniques, les méthodes idéovisuelles ("whole word" surnommées "look-say") avaient largement cédé la place à des méthodes intégratives ("whole language"), qui typiquement enseignent le code mais de manière non systématique. La description qu'ils font des méthodes "whole language" ne me paraît pas différentes des méthodes globales "à la française" (y compris dans leur diversité). De ce fait, ils n'ont pas comparé les méthodes dites phoniques aux méthodes dites globales en fonction des étiquettes collées dessus, mais les ont réparties en fonction de la systématicité ou de la non-systématicité (ou absence) de l'enseignement phonique et ils ont distingué différents types de méthodes au sein des deux catégories, en particulier les méthodes idéo-visuelles et globales. Ils ont donc notamment montré que les méthodes "systématiques" sont supérieures aux méthodes idéovisuelles (whole word) de 0.51 écart-type et aux méthodes globales (whole language) non systématiques de 0.31 écart-type  (significativement différent de 0).
-  Pour l'étude de Leybaert et Content dont les résultats semblent différents de ceux de la méta-analyse du NRP, soit on peut montrer que les méthodes évaluées différaient fondamentalement des méthodes systématiques et non-systématiques prises en compte par le NRP, soit il y a lieu de simplement inclure cette étude dans la méta-analyse (au sein de laquelle elle ne sera pas isolée, mais ne pèsera pas lourd face à toutes les études montrant des effets opposés et ne remettra donc pas en cause les principales conclusions).
- En ce qui concerne la méthode naturelle qui a les faveurs de Goigoux, je souhaiterais m'informer. Ou peut-on trouver une description explicite des pratiques qu'elle recommande (autre que la prose philosophique de Freinet)? S'il s'agit d'un enseignement phonique systématique basé sur la syllabe plutôt que le phonème, et agissant par analyse et analogie depuis la syllabe, la comparaison est également effectuée par le NRP: 0.45 écart-type d'avantage pour les méthodes centrées sur le phonème (par rapport aux méthodes non systématiques), 0.34 pour celles centrées sur les unités plus grandes (différence de 0.11 non significative).
- Je suis bien d'accord avec Goigoux pour dire qu'il existe bien des sujets qui devraient être l'objet de nouvelles recherches. Pour commencer une évaluation directe de l'efficacité de la méthode naturelle qui a la faveur de Goigoux. Par ailleurs, au-delà des critiques au l'on peut faire à Léo et Léa (que je ne connais pas et que je ne cautionne pas non plus), est-il plus ou moins efficace d'introduire les relations graphèmes-phonèmes par ordre de régularité décroissante? Je ne connais pas d'étude empirique sur cette question, elle me semblerait donc à évaluer rigoureusement et sans a priori.

Franck Ramus 24/12/05

 

 

 

 

Quelques remarques à propos de la réponse de Roland Goigoux

Les enfants aiment bien les comptines, ils aiment aussi parler 'verlan'. Pourquoi ne pas s'appuyer sur du matériel ludique et bien construit, pour leur apprendre à lire ?

1. Dire que les scientifiques servent de caution aux politiques est grave.
Les scientifiques vivent dans la cité. Quand ils le peuvent, et en fonction de leurs connaissances - certes lacunaires - ils sont en droit de donner leur avis.

2. A propos des méthodes
Il est tout d'abord nécessaire de repréciser que le Ministre a souligné dans son discours que, même si dans sa forme pure la méthode globale n'existe plus, il reste des méthodes à point de départ global. Sa principale critique portait sur ce point, sa position étant qu'il faut introduire dès le départ un apprentissage basé sur les relations graphie-phonie, et non essayer de faire apprendre des mots par coeur.
Comme d'autres (voir les précisions apportées Franck Ramus), je soutiens que cette position est juste et qu'il n'est pas possible de dire qu'il n'y a pas de travaux de recherche permettant de la soutenir. Il existe en effet une synthèse très documentée, effectuée par des chercheurs anglo-saxons, qui avait justement pour visée d'éclairer les politiques éducatives. Cette synthèse passe en revue une quarantaine de recherches bien contrôlées dans lesquelles les effets d'une méthode «phonique» ont été comparés à ceux d'une méthode «globale». Comme je l'ai déjà souligné, il ressort de ce travail qu'un enseignement précoce et systématique du décodage aide plus efficacement les élèves qu'un enseignement global. Cette supériorité se manifeste sur toutes les mesures (lecture de mots, compréhension de textes.). De plus, lorsque cette méthode est introduite tardivement, son impact est plus faible. Enfin, la méthode phonique est particulièrement bénéfique pour les enfants de milieux socio-économiques défavorisés, pour ceux à risque pour l'apprentissage de lecture et pour les dyslexiques.
Ce qui vaut pour la langue anglaise, beaucoup plus irrégulière que la langue française au niveau des relations graphie-phonie, doit donc valoir aussi chez nous. Il faudrait certes évaluer les effets des méthodes en France, mais on peut s'appuyer sur la littérature internationale, la seule qui est normalement évaluée.

3. A propos de l'étude de Jacqueline Leybaert et d'Alain Content (1995, Reading and spelling acquisition in two different teaching methods : a test of the independence hypothesis. Reading and writing, 7, 65-88).

Cette étude n'avait pas pour objectif d'évaluer la supériorité d'une méthode "phonique" par rapport à une méthode "globale" mais de voir si, quelle que soit la méthode d'enseignement, les enfants utilisent les mêmes procédures de lecture.
Cette étude ne peut donc pas être utilisée pour évaluer la supériorité d'une des deux méthodes d'autant plus que, d'une part, les mêmes enfants n'ont pas été suivis du début de l'apprentissage de la lecture à une période ultérieure et que, d'autre part, les enfants les plus jeunes étaient en seconde année du primaire (il s'agit d'une étude avec un groupe d'enfants de 2ème année, un groupe de 4ème année et un groupe de 6ème année). En plus, il n'y a que deux classes pour chaque groupe: l'effet enseignant peut donc se confondre avec l'effet méthode. Enfin, si on cite les résultats des enfants les plus âgés, il faudrait également citer ceux des plus jeunes. Or ces résultats indiquent une supériorité de la méthode
phonique sur la méthode globale, y compris pour la lecture de mots irréguliers.

4. A propos du fait que, selon Roland Goigoux, nous (Franck Ramus et moi même) confondons "processus cognitif (celui du déchiffrage)" et "méthode pédagogique"
Nos recherches portent clairement sur les processus cognitifs en jeu dans la lecture, son apprentissage et ses dysfonctionnements. A ce niveau, les travaux de recherche ont montré que ce qui rend possible la lecture chez le lecteur expert, c'est le recours à des procédures d'identification des mots écrits très rapides et fortement indépendantes du contexte. De plus, lors de cette identification des mots écrits le lecteur expert a accès quasi-immédiatement non seulement à leur code orthographique, mais aussi à leur code phonologique (la petite musique des mots).
L'objectif majeur de l'apprentissage de la lecture doit donc être d'acquérir un haut niveau d'automaticité dans l'identification des mots écrits. C'est le développement de telles procédures qui permettra à l'enfant d'atteindre un niveau de compréhension écrite égal à celui de sa compréhension orale, en le dégageant du poids d'un décodage lent et laborieux, ou du recours à des anticipations contextuelles hasardeuses.
Il a également été montré que, dans une écriture alphabétique, la maîtrise du décodage est le sine qua non de l'apprentissage de la lecture. Les bons décodeurs précoces sont en effet ceux qui progressent le mieux, et le plus vite. En outre, la «transparence» de l'orthographe facilite cet apprentissage. En d'autres termes, les enfants apprennent à lire plus vite en espagnol qu'en français et en français qu'en anglais. Ce dernier constat conduit certains d'entre nous à proposer une réforme de l'orthographe. En effet, étant donné le coût, en particulier pour l'éducation, d'une orthographe relativement peu transparente, comme c'est le cas en français (surtout pour l'écriture: un mot comme "bateau" ne peut en effet se lire que d'une seule façon alors qu'il existe différentes manières de l'orthographier), les efforts de simplification déjà entrepris devraient
être poursuivis.

 

5. Retour sur les méthodes telles qu'elles existent
Ceux qui disent qu'il faut systématiquement et précocement enseigner les relations graphie-phonie soutiennent aussi qu'il faut tenir compte de la réalité du système orthographique du français, de la fréquence des mots et  de celle des relations graphie-phonie. Pour faciliter cette prise en compte, avec Pascale Colé, Bernard Lété et Ronald Peereman, nous avons élaboré une base de données sur la fréquence des unités lexicales et sublexicales (entre autres, relations graphème-phonème et phonème-graphème) du vocabulaire écrit adressé à l'enfant (MANULEX).
Partant d'instruments de ce type, il est possible de construire des progressions pédagogiques qui tiennent compte de la structure de l'orthographe du français. Il est possible de le faire de façon ludique, en associant des écrivains de jeunesse à l'élaboration des manuels scolaires.
Les enfants aiment bien les comptines, ils aiment aussi parler 'verlan'. Pourquoi ne pas s'appuyer sur du matériel ludique et bien construit, pour leur apprendre à lire ?
Bien sur qu'il faut aussi d'autres activités de sensibilisation à la langue et à la lecture! Mais ce qu'il faut éviter, c'est de confronter l'enfant à une situation d'échec: c'est à dire essayer de lui faire lire des bouts textes quand il ne sait pas lire. Par contre, il faut leur lire à l'école des contes, des récits, et tous les autres types de texte.

6. En conclusion, comme je l'ai déjà souligné, il est important de tenir compte des résultats des évaluations internationales sur le niveau de lecture des enfants (OCDE, Association for the Evaluation of Educational Achievement). Dans ces évaluations, la Finlande arrive toujours dans le groupe de tête, ce qui peut s'expliquer par la conjonction de trois principaux facteurs:

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la nature de l'écriture du finnois, très «transparente» par rapport à l'oral, avec en plus des mots très longs, ce qui rend difficile l'apprentissage "global" et favorise l'utilisation de méthodes phoniques ;

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un niveau de formation élevé et adéquat des enseignants et des formateurs d'enseignants ;

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une politique d'incitation à la lecture (développement des bibliothèques dans les écoles, les villages).

 

Liliane Sprenger-Charolles 28/12/05

 

 

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Page personnelle de Liliane Sprenger-Charolles

http://www.vjf.cnrs.fr/umr8606/DocHtml/PAGEPERSO/LSprenger.htm

 

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Apprentissage de la Lecture et Dyslexie : L’apport des Sciences Cognitives

http://afla.linguist.jussieu.fr/texte_liliane.htm

 

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L’apprentissage de la lecture. L’apport des sciences cognitives

http://www.acfos.org/sedocumenter/base_doc/lecture_surdite/apprentissagelect_cs2.pdf

 

et

 

Interview de Jean-Pierre Jaffré qui co-dirige avec L. Sprenger-Charolles le groupe Litéracie (mai 2004) : un entretien très intéressant sur le thème de l’illettrisme

http://www.bienlire.education.fr/04-media/a-interview19.asp

 

Un dossier :  L'évolution du langage chez l'enfant De la difficulté au trouble Marc Delahaie

http://www.cfes.sante.fr/CFESBases/catalogue/pdf/719.pdf

 

A propos de l'enfant dysphasique et de l'enfant dyslexique Rapport présenté par Jean-Charles Ringard (Juillet 2000)

 

 

Les enseignants construisent leur propre démarche

Un courrier de Françoise CLERC au journal Libération

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Merci à Emmanuel Davidenkoff pour son analyse du 2 décembre « École : la sauvegarde d'un moule » et pour son article des 10 et 11 décembre « Robien fait sa pub sur le dos de la méthode globale » qui introduit un peu de raison dans le débat sur la lecture. Il faut informer le public que la méthode globale inventée au 18ème siècle et largement réinterprétée par Freinet et Decroly, n'a plus d'adeptes. De même, il faut préciser que la méthode dite « syllabique » n'existe plus au sens strict du terme. Les enseignants ont de plus en plus tendance à déterminer leur propre démarche à partir de documents divers. Une étude - déjà ancienne mais probablement encore valide dans ses grands traits - réalisée par E. et J. Fijalkow pour le Ministère de l'Éducation nationale (Direction de l'évaluation et de la prospective) en 1991 et 1993 a montré que 27 % des enseignants font découvrir les lettres et les syllabes en s'appuyant sur des progressions proposées par des manuels, 20 % mettent l'accent plutôt sur la découverte du sens, n'utilisent la lecture à haute voix que pour communiquer dans la classe et évaluent leurs élèves indirectement à travers l'exécution de tâches ou de commentaires sur le sens du texte. La majorité, soit 40 %, utilise une méthode mixte qu'ils construisent eux-mêmes en fonction de la perception qu'ils ont des besoins des élèves, tantôt mettant l'accent sur le décodage, tantôt sur la compréhension.

Il est faux de dire que le décodage précède la compréhension dans l'ordre des acquisitions. En revanche, l'automatisation du décodage soulage le lecteur et lui permet de mieux consacrer ses ressources mentales à la compréhension. À l'inverse, la familiarité avec le sens facilite le décodage. C'est pourquoi l'apprentissage se fait généralement en conjuguant l'entraînement au décodage et l'élaboration du sens à partir d'un travail complexe, alternant des activités variées consacrées à la compréhension du texte mais aussi à la construction du sens de la tâche « lire » (échanges et contrôle collectif ou individuel avec des fiches, réalisation de tâches à partir de consignes écrites, mise en correspondance avec d'autres formes d'expression, notamment le dessin.). Le fameux débat sur la lecture parle d'une école qui n'existe plus que dans les souvenirs des adultes et dans les fantasmes des politiques.

Mais le débat cache mal un enjeu idéologique qui en fin de compte conduit à rejeter la responsabilité de l'échec sur l'enfant et sur sa famille : s'il s'agit de décoder, alors un peu de courage et de bonne volonté devraient suffire. Si malgré des efforts persistants, l'enfant ne peut apprendre à lire, alors il est dyslexique. La dyslexie n'est pas aussi répandue qu'on veut nous le faire croire. Si les définitions (notamment celle de l'OMS) prêtent à interprétation, en revanche il existe un accord pour dire que la proportion de dyslexiques vrais - il existe plusieurs formes de dyslexie - est stable d'une population à l'autre et indépendante des caractéristiques sociales : environ 4 %. Les travaux des sciences cognitives semblent montrer que ce déficit est lié à un trouble du fonctionnement de la mémoire et en aucun cas ne saurait rendre compte des difficultés rencontrées par la majorité des enfants en échec sur la lecture. Pour comprendre le phénomène, peut-être faudrait-il se poser la question - dérangeante évidemment - du rapport que notre société entretient avec l'écrit et d'une manière plus générale avec la langue en tant que source de lien social et d'identité, rapport dont les catégories sociales les plus vulnérables paient l'addition. 

Françoise Clerc
Professeur en sciences de l'éducation
Université Lyon 2

 

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Un article qui rend compte de l’enquête de 1993

http://appy.ecole.free.fr/articles/19930204a.htm

Le b a ba des maîtres - Malgré les instructions officielles, l’apprentissage de la lecture reste très traditionnel  Le Monde  04.02.1993

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Un compte rendu d’une enquête de la DEP de 1997

http://www.lecture.org/productions/revue/AL/AL67/AL67p37.html

L'ENSEIGNEMENT DE LA LECTURE AU CP ET AU CE1

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L’expérimentation d’une réduction des effectifs en cours préparatoires _ Note évaluation 05/03 DEP

ftp://trf.education.gouv.fr/pub/edutel/dpd/noteeval/ne2005/eva0503.pdf

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Deux articles de J. Fijalkow

http://www.bienlire.education.fr/01-actualite/document/fijalkow.pdf

Pourquoi et comment articuler l’apprentissage de la lecture avec celui de la production d’écrit aux différentes étapes de la scolarité primaire ?

Jacques Fijalkow, EURED-CREFI, Université de Toulouse le Mirail

Document envoyé au PIREF en vue de la conférence de consensus sur l’enseignement de la lecture à l’école primaire les 4 et 5 décembre 2003

http://www.offratel.nc/magui/Fijalkow.htm

L’ENFANT, L’ORAL ET L’ECRIT

Jacques FIJALKOW

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La dyslexie existe-t-elle : polémique entre J. Fijalkow et F. Ramus

http://www.cndp.fr/revueVEI/126/14816511.pdf

DYSLEXIE : LE RETOUR

VEI Enjeux, n° 126, septembre 2001

http://www.ehess.fr/centres/lscp/persons/ramus/p&e03.pdf

De l’origine biologique de la dyslexie

Franck Ramus

 

 

 

 

Échange avec Jonathan GRAINGER

Directeur de Recherche au CNRS

Directeur du Laboratoire de Psychologie Cognitive :
UMR 6146 CNRS

Responsable du programme : Structure et Fonctionnement du Lexique Mental

 

 

Comme vous le savez, votre nom a été cité par M. de Robien, à l'appui de ses déclarations sur l'éradication de la méthode globale et "assimilée" ; vous vous êtes, d'après la presse, avoué un peu surpris de cette citation, arguant que vos travaux portaient sur les adultes.

Pouvez-vous cependant nous préciser votre position sur un débat qui, à l'évidence, est plus idéologique que technique (le Ministre semblant se rallier aux thèses des adeptes de "la" méthode syllabique pure et dure, dont le prototype serait la fameuse "méthode Boscher") ?

 

 

Effectivement mes travaux portent sur la lecture des mots chez le lecteur adulte expert et de ce fait n'ont pas abordé directement la question de l'apprentissage de la lecture et des différentes méthodes pouvant faciliter ou améliorer cet apprentissage chez les enfants scolarisés. Je peux néanmoins vous donner mon avis sur ce que devrait apporter une bonne méthode d'apprentissage de la lecture d'après nos travaux sur le lecteur expert.
 

Il y a 20 ans, on pensait que la lecture experte (silencieuse) reposait uniquement sur une voie qui relie les informations visuelles et orthographiques du mot écrit aux informations sémantiques (le sens du mot). Il est possible que ceux qui prônaient la méthode « globale-idéovisuelle» se soient appuyés partiellement sur cette position  théorique concernant la lecture experte. Or, aujourd'hui nous savons deux choses essentielles qui remettent totalement en question cette position théorique. Nous savons que les informations visuelles relatives à  la forme globale d'un mot ont une très faible influence -extrêmement difficile à mettre en évidence- sur la lecture de celui-ci, et que le processus de lecture repose d'abord sur le traitement de chacune des lettres d'un mot. Nous savons également, que les informations concernant la phonologie (les sons des mots) jouent un rôle important dans la lecture silencieuse.


Les recherches récentes qui visent à clarifier le rôle respectif du codage orthographique (les lettres ou graphèmes) et le codage phonologique (mise en correspondance entre lettres et sons, i.e « entre graphèmes et  phonèmes ») nous ont amenés à proposer un modèle à deux voies de la lecture experte : une voie directe où les codes orthographiques sont associés aux informations sémantiques, et une voie indirecte où les codes orthographiques sont d'abord associés aux informations phonologiques avant de rejoindre la sémantique.

 

Ainsi, à partir de ce nouveau modèle théorique concernant la lecture experte, modèle qui a fait l'objet de nombreux tests, et à partir des connaissances sur les mécanismes généraux de l'apprentissage, nous pouvons émettre l'hypothèse qu'une bonne méthode d'apprentissage de la lecture (qui requiert comme base une bonne maîtrise du langage parlé et une connaissance des lettres de l'alphabet) devrait proposer : 1) un apprentissage explicite des correspondances entre lettres (graphèmes) et sons (phonèmes) ; et 2) une situation qui optimise l'apprentissage implicite permettant d'associer les séquences de lettres avec une signification, sachant que cet apprentissage peut se faire sans supervision explicite.

 

 

Rapport - n° 2005-123   novembre 2005

 

Observatoire national de la lecture

Inspection généralede l’éducation nationale (Groupe de l'enseignement primaire) 

 

L’apprentissage de la lecture à l’école primaire

 

Rapport à monsieur le ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche

 

ftp://trf.education.gouv.fr/pub/edutel/syst/igen/rapports/onl_2005.pdf

 

Trois réactions d'internautes

 

 

 

La mémoire courte…

Petites précisions « historiques »…

 

Une nouvelle fois, les compétences des enseignants sont remises en cause par l’intermédiaire des méthodes de lecture. Mais que savent ces énarques ou politiciens divers (presque tous issus de classes sociales favorisées), du métier d’enseignant et du « métier d’élève »…. eux qui n’ont manifestement jamais été confrontés à la difficulté d’apprendre à lire ?

Sur quoi se basent-ils pour dire que les jeunes ne savent plus lire ? Sur des bruits de couloirs ? Sur des évaluations ? Ou sur leurs souvenirs d’enfants ?

Et quels buts réels poursuivent-ils ?

Dire qu’un grand nombre de jeunes « ne savent plus lire aujourd’hui », fait référence à ce qui existait avant, (sinon ils devraient dire « ne savent pas lire » !). Aussi est-il peut-être judicieux de regarder ce qui en était aux temps bénis où tous savaient lire et maîtrisaient parfaitement la lecture !

 

En 1960 : seuls accédaient à la sixième les meilleurs élèves des écoles primaires ….

La circulaire du 12 mars 1959 : préconisait de« discerner soigneusement les enfants inaptes ou insuffisamment préparés à suivre avec profit une classe de sixième »

L’arrêté du 23 novembre 1956, quant à lui, signifiait: « sont déclarés reçus, après consultation de leur dossier si besoin est, tous les candidats ayant obtenu 85 points au moins. »

L’examen dit « d’entrée en sixième » exigeait donc pour être admis (outre d’excellents résultats sur l’année) d’obtenir 85 points (sur 90) aux épreuves de dictée, d’expression écrite et mathématiques.

Combien d’élèves y accédaient ?

 

…Mais quelle maîtrise de la lecture possédaient ceux qui n’accédaient pas à la sixième

et quittaient donc le système scolaire ?

 

 En 1975 : Réforme Haby : le collège unique

Désormais tous les élèves de CM2 vont en sixième…

Le collège va donc devoir accueillir des enfants qui n’ont pas le niveau « d’excellence ». Certes la réforme Haby va modifier les textes officiels mais concrètement sur le terrain :

… pas de formation aux professeurs pour accueillir ces nouveaux profils d’élèves

…pas d’adaptation des programmes du collège à un public modifié.

…pas de prise en compte de cette nouvelle donne dans les effectifs des classes

ON a simplement décrété : « tout le monde va au collège » mais surtout …. ON a décidé que tous ceux que l’on refusait hier au collège devraient se débrouiller seuls pour acquérir toutes les connaissances auxquelles on les jugeait, un an auparavant,  inaptes.

 

....Est-ce la faute des méthodes de lecture

si des enfants vont se retrouver en situation d’échec scolaire ?

                                                                          

Imaginons dans un autre domaine à quoi cela pourrait ressembler :

Certaines personnes handicapées physiques ou mentales n’ont pas la possibilité de conduire une voiture à cause de leur handicap.

Si demain nos ministres éditaient un texte de loi décrétant : tout le monde doit conduire.

Que se passerait-il ?

….Un an après, un ministre oserait-il déclarer : « Les méthodes d’apprentissage de la conduite sont mauvaises puisqu’il y a de plus en plus de conducteurs qui maîtrisent mal la conduite automobile ! »

 

…Est-ce vraiment la faute aux méthodes de lecture 

si tous les élèves de sixième ne maîtrisent pas la lecture ?

 

Ah j’oubliais : en 1975 (il n’y a donc que 30 ans) l’instruction devenait obligatoire aux enfants handicapés ! Auparavant ils n’étaient susceptibles que d’être gardés !

 

En 1989 : L’Organisation Mondiale de la Santé modifie la classification du handicap mental

Le retard mental léger qui était fixé à un QI de 82 est fixé désormais à un QI de 70. Quelles conséquences pour l’école ( quoiqu’on pense de la pertinence des tests qui sont appliqués pour  mesurer le fameux quotient intellectuel)?

Des enfants qui étaient scolarisés jusque là en classe de perfectionnement pour retard mental léger vont se retrouver dans les classes ordinaires. Les structures d’aides existantes vont être redéployées …..mais, en classe, les enseignants vont trouver, en face d’eux, des enfants ayant plus de difficultés … sans en avoir été informés et évidemment sans avoir été formés!!!

 

…Est-ce la faute aux méthodes de lecture

si certains enfants sont en échec scolaire et /ou ont des difficultés à apprendre à lire ?

 

Depuis cette année : la donne a encore changé.

Tout enfant handicapé peut être inscrit dans son école de secteur. L’intégration des enfants handicapés se fait désormais de plus en plus intensive. Mais les moyens dégagés pour que ces intégrations soient profitables à l’enfant, pédagogiquement et socialement parlant, sans mettre en difficulté la fonction de l’enseignant et sans pénaliser les autres enfants, sont plus qu’insuffisants. Cela aboutit à transformer trop souvent ces intégrations ….en désintégrations de l’équilibre psychologique de l’enfant handicapé et de la classe.

 

Il y a fort à parier que, dans quelques années, les résultats aux évaluations seront moins bons non pas parce que le niveau baisse mais parce qu’on les applique à un autre panel d’enfants !

 

…Et ce sera là encore sûrement la faute des enseignants

ou d’une méthode quelconque…

 

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Témoignage

 

J’ai exercé pendant plusieurs années un poste d’enseignante spécialisée dans les écoles, auprès d’enfants qui avaient des difficultés à apprendre à lire. Les enseignants utilisaient des méthodes différentes .Pourtant, dans toutes les classes, il y avait des enfants qui avaient besoin d’une aide spécifique. Dans plus de 8 cas sur 10, les difficultés des enfants ne venaient pas des méthodes d’apprentissage de la lecture  mais des problèmes sociaux et/ou psychologiques que ces enfants avaient à supporter. Comment peut-on s’investir dans une tâche aussi difficile qu’apprendre à lire, quand on a peur de ce que l’on va trouver le soir en rentrant à la maison ?

Pour quelques uns, bien sûr, il existe des difficultés d’organisation spatiale ou temporelle, de construction mentale et les orthophonistes et pédopsychiatres sont alors de précieux alliés … à condition qu’ils remplissent leurs rôles : les uns en tant que rééducateurs de fonctions cognitives déficientes (et non comme répétiteurs de « leçons de lecture syllabique» car c’est alors toujours un fiasco total), les autres comme aide dans la souffrance de cet enfant qui se sent différent des autres.

Quel intérêt y a-t-il d’imposer une méthode rébarbative et sclérosante à tous les enfants simplement parce que quelques enfants ont besoin de bénéficier d’une approche particulière et individuelle de la lecture. Ce n’est pas la méthode syllabique qui résoudra les problèmes, mais elle en créera, beaucoup d’autres, c’est certain!

 

Messieurs les Ministres, Messieurs les Elus, ne méprisez pas le travail de ceux qui se sont donné comme objectif d’élever le niveau de conscience et de connaissance des enfants qu’on leur confie. Chaque fois que vous mettez en doute leurs compétences vous créez chez les parents une inquiétude qui rejaillit sur l’enfant et engrange pour lui de nouvelles difficultés. Le rôle de la loi est de fixer les contenus, celui des professionnels les méthodes pour y parvenir. N’assimilez pas les enseignants  à des machines à asséner des syllabes exemptes de sens. Ils savent que les enfants valent beaucoup mieux que cela. L’école n’est pas une usine,  il ne suffit pas de poser une machine à syllaber pour faire des jeunes qui lisent, qui comprennent ce qu’ils lisent, qui aiment lire …..et qui soient aussi capables de comprendre les textes de lois que les dirigeants et les élus veulent leur imposer.

J’ose espérer que ce n’est pas le but que vous poursuivez !!

Colette Legrand

Professeur des écoles,  enseignante spécialisée en classe d’adaptation , retraitée

Décembre 2005

 

 

Quand les ministres apprennent les méthodes de lecture au café du commerce…

 

J’ai eu le bonheur d’apprendre  à lire à des centaines d’élèves, de participer à la formation de pas mal d’enseignants et de militer pour un meilleur dialogue avec les familles. Grâce à des compagnons de route éclairés et solidaires, j’ai poursuivi par mes propres moyens ma formation tout au long de ma carrière. J’ai gardé mon enthousiasme et ma foi dans les possibilités de l’être humain jusqu’à la retraite et au-delà.

 

Aussi, je suis sidérée devant l’incompétence de ceux qui se permettent de juger des méthodes de lecture, de l’autorité des maîtres ou de l’orientation des adolescents. Qui sont-ils ? Responsables politiques aux connaissances approximatives ? Journalistes peu regardants avec la déontologie ? Enseignants aigris par leurs échecs ?

 

Lorsqu’on est ministre, il faut prendre garde de ne pas utiliser l’angoisse et la méconnaissance des parents en assénant des mensonges que peu d’entre eux auront les moyens de déceler.

 

Qu’on cesse enfin de nous parler d’une méthode «globale » fantasmée : si, effectivement, elle respectait mieux le fonctionnement du cerveau, pour certains enfants, elle n’allait pas assez loin dans l’analyse. Mais comme elle n’a été appliquée que très peu d’années, par un nombre infime d’instituteurs, elle ne risque en aucune manière d’être la cause de tous les maux dont on l’accable.

 

Célestin Freinet, répondant aux mêmes idées fausses, l’expliquait déjà très clairement ; c’était en 1959 ! Nous bégayons…

 

Quant à la méthode syllabique (la combinaison de lettres pour former des mots puis de mots pour former des phrases), elle apprend à déchiffrer mais sûrement pas à comprendre ce qu’on lit.

C’est ce qui se passe, aujourd’hui, pour nos élèves en difficulté : ils reconnaissent  bien les lettres mais ne comprennent pas le sens de textes plus divers et complexes que ceux qui suffisaient autrefois pour trouver une place dans la société.

C’est peut-être, en partie,  à cause d’elle que si peu d’adultes aiment lire…

Et ça risque de ne pas s’arranger car les méthodes les plus couramment employées aujourd’hui, sous un habillage moderne, sont plutôt syllabiques, contrairement à ce que s’imaginent nos ministres.

 

Nous qui avons appris malgré tout, c’est parce que nous avons effectué une démarche complémentaire, alliant l’identification du type de texte, la richesse du vocabulaire, la prise d’indices pertinents (pronoms, ponctuation…), l’anticipation  et la combinatoire.

Je n’entrerai pas plus avant dans  la technique ici mais je suis à la disposition de quiconque souhaite des précisions. (**)

 

La solution ne réside pas dans des consignes ministérielles à courte vue et fallacieuses de surcroît mais dans une meilleure formation des maîtres : la pédagogie est un métier, voire un art, n’en déplaise aux pourfendeurs du « pédagogisme » que je voudrais bien voir à l’œuvre dans une classe de 25 enfants de CP !

 

La solution est aussi dans le temps de travailler en équipes pluridisciplinaires et de collaborer avec les familles. Elle est dans le choix de la mixité sociale, de la coopération plutôt que la compétition, de l’éducation à la citoyenneté et à la culture plutôt que l’orientation « utilitaire » trop précoce  (toujours préconisée pour les enfants des autres !).

 

Je peux témoigner que, là où ces éducateurs que sont aussi les enseignants se montrent à la fois compétents et enthousiastes, fermes et bienveillants, respectueux des ces personnalités en devenir que sont  les jeunes, ceux-ci apprennent plus efficacement que ne veulent bien le dire les esprits chagrins et n’ont nulle envie de fuir l’école.

 

Encore faudrait-il que la société les accueille comme les siens, ces jeunes ; qu’elle leur offre des perspectives d’avenir au lieu de formater les uns et d’humilier les autres...

 

Encore faudrait-il que l’administration, les grands médias, les décideurs cessent de les désespérer, ces enseignants ; qu’elle cesse de les mépriser, de leur mettre des bâtons dans les roues, d’imposer des contre-valeurs qui détruisent tout ce qu’ils tentent de construire.

 

Si je vous ai parlé, moi, simple citoyenne, c’est que mon analyse est nourrie de mon expérience et du dialogue avec mes pairs (**) et avec les usagers du Service Public dès lors qu’ils ne sont plus consommateurs mais participants.

 

Je fais confiance à mes collègues pour ne pas suivre des directives incohérentes et aux parents pour résister aux  mensonges racoleurs. Seule solution pour que nos jeunes s’y retrouvent, dans cette jungle.

                  

                            Qu’ils s’emparent donc, eux aussi, de la parole !

 

 

 

Annie CARTON

ex formatrice et directrice d’école d’application     

Gattières, le 12 décembre 2005

 

  

(*) juste deux exemples proposés à votre méditation :

- comment lisez-vous les mots « est » ou « fils » si vous ne comprenez pas la phrase dans laquelle ils sont ?

- vous qui avez appris comment on prononce « » et « n » accolés, cela vous aide-t-il pour lire les mots : renne, venu, viens, le couvent, elles couvent… ? 

  

(**)  Merci aux collègues qui ont bien voulu relire ce texte et m’aider de leurs observations.

 

Pour décider en sachant de quoi l’on parle 

 

Monsieur le Ministre de l’Education Nationale veut une fois pour toutes en finir avec la méthode globale et ses assimilées. Vaste programme, car il semblerait que l’on n’en finisse jamais avec la méthode globale. Celle-ci est en effet régulièrement accusée de causer des dégâts colossaux dans l’apprentissage de la lecture des jeunes français depuis presque un siècle alors qu’elle n’a JAMAIS été en vigueur de manière systématique dans aucune école de France, ou si peu qu’elle n’a jamais pu être la cause des difficultés des jeunes apprentis lecteurs.

Cette méthode, bouc-émissaire absolue de toutes ses congénères, est pourtant loin d’être saugrenue. Conçue à la base par le Dr Decroly, elle a posé l’idée très intelligente de démarrer l’enseignement de la lecture avec des textes produits par l’enseignant à partir des projets menés dans les classes.

L’idée, alors tout à fait révolutionnaire, était celle de démarrer les apprentissages par des textes (et non pas par des lettres comme cela se pratiquait), d’isoler dans ces textes des phrases que l’on allait observer de plus près, puis de découper une phrase en mots pour pouvoir regarder ces mots, les ranger, les comparer et enfin les découper en lettres que l’on combinerait alors pour fabriquer d’autres mots, puis d’autres phrases et d’autres textes.

Vous voyez bien qu’il n’y a là rien de très pernicieux, ni rien qui puisse être de nature à expliquer les échecs des élèves dans les classes.

L’autre idée révolutionnaire du Dr Decroly, était celle de confier aux enseignants la responsabilité d’écrire les textes destinés à être étudiés à partir des projets de la classe. Encore fallait-il qu’il y ait des projets dans les classes !

Les IUFM, fortement décriés de-ci de-là, ont, il est vrai, essayé de sensibiliser les futurs enseignants à la nécessité de monter dans leurs classes des projets cohérents qui permettent de faire des liens entre les différentes disciplines et qui donnent du sens aux apprentissages des enfants.

 

Car la question centrale de ces dernières années n’est pas tant celle des méthodes que celle du sens et donc de la motivation des enfants. Cette question de la motivation n’est d’ailleurs pas exclusive de l’école. Elle occupe le centre des réflexions des entreprises, des centres de recherche… de tous les lieux où des êtres humains sont censés acquérir, produire et transformer des savoirs. Tout le monde s’accorde aujourd’hui à dire que l’on fait mieux les choses si elles nous concernent directement et si on en mesure bien les enjeux. En lecture, comme ailleurs, on apprend d’autant mieux que l’on sait ce que l’on va apprendre, et que l’on a envie et besoin d’apprendre.

Or pas un seul enfant de nos écoles ne peut avoir envie d’apprendre à partir de la méthode syllabique. Celle-ci propose en effet aux enfants l’étude systématique des lettres et de leurs sons à partir desquels on construira avec eux des mots, des phrases voire, en fin d’année des textes. Cette méthode, mise au point alors que l’objectif de l’école était d’alphabétiser les enfants et d’apprendre à la majeure partie d’entre eux à déchiffrer l’écrit a fait la preuve de son efficacité en matière de déchiffrement. Cependant, elle est devenue obsolète eu égard aux nouveaux objectifs de l’école qui sont d’apprendre à lire à tous les enfants de France. Car lire n’est pas déchiffrer. En effet, la plupart des enfants caractérisés aujourd’hui (à raison) comme non lecteurs sont, de fait, de corrects déchiffreurs. Ils sont en effet capables de dire tous les mots d’un texte à haute voix mais sont incapables d’en comprendre le sens. En effet, les textes qui évaluent le niveau de lecture des enfants sont de vrais textes qu’il convient d’interpréter. Or cette lecture interprétative des textes ne s’apprend pas dans les méthodes syllabiques. C’est pourtant d’elle dont il est question dans les écoles et dans les sondages. Les méthodes syllabiques ont répondu en leur temps à un objectif donné. Pas plus qu’il ne viendrait à l’idée de quiconque de demander aux médecins de revenir à l’utilisation massive et exclusive de l’aspirine qui a soulagé tant de gens en son temps (et qui donc à ce titre aurait fait les preuves de son efficacité) en rejetant toutes les médecines mises au point depuis, pas plus qu’il ne viendrait à l’idée de quiconque d’exiger la remise en route d’une série de 2CV qui ont fait leur preuve en leur temps… pas plus il ne peut être légitime de demander à l’école de revenir en arrière d’un siècle pour remettre à l’ordre du jour des méthodes dépassées aujourd’hui. Dépassées car les travaux sur le fonctionnement du cerveau par exemple, montrent que tous les apprentissages se gèrent dans la complexité et non de manière linéaire du simple vers le complexe.

De plus, ce qui convient à l’un, ne convient pas forcément à l’autre. L’enseignement s’individualise, se construit par, pour et avec les enfants. Il ne peut y avoir UNE méthode miraculeuse qui réponde aux besoins de tous, car l’enseignement est un métier complexe qui nécessite professionnalisme, doigté, écoute, observation et discernement. Chaque situation pédagogique est une situation originale pour laquelle il n’existe pas de recette toute faite qu’il suffirait d’appliquer. S’il était une réforme à faire, ce serait peut-être celle de donner aux professeurs des écoles le statut d’enseignants chercheurs, comme leurs collègues universitaires. Ainsi ils seraient au cœur des recherches et participeraient avec le talent qu’il est temps de leur reconnaître, aux nécessaires évolutions permanentes des pratiques d’enseignement. Monsieur le Ministre, cessons de regarder en arrière un passé qui n’est plus et tournons nous résolument vers l’avenir qu’il convient de construire ensemble.

 

Sophie NGO MAI

Enseignante  en école primaire et maître formateur en IUFM

9 décembre 2005

 

Apprentissage de la lecture… un appel au bon sens !

Et d'évidences en évidence.

 

A propos de l'apprentissage de la lecture et des déclarations abracadabrantes du ministre de ROBIEN, les débats entre spécialistes sont sans aucun doute utiles. Ils sont passionnants…. pour les spécialistes. Je salue notamment le courage de R. GOIGOUX, sa patience et sa ténacité. Mais, je crois qu'il serait nécessaire, à côté de ces analyses et de ces commentaires universitaires, de placer le débat sur le terrain du bon sens, tout simplement.

De ROBIEN, lui, séduit les nostalgiques et les réactionnaires, mais aussi des gens qui se considèrent comme des progressistes, en se plaçant sur ce terrain. Si l'on allait un peu sur ce terrain, de manière plus sérieuse, plus intelligente. Il y a un bon sens qui exploite la nostalgie et qui joue dans la démagogie. Il y a un bon sens qui peut être plus exigeant, plus tourné vers l'avenir, qui prend en compte le fait que si, depuis la fin des années 60, on se bat pour changer l'école, c'est qu'elle avait fait la preuve de son épuisement, de ses faiblesses et de ses échecs massifs, notamment dans l'apprentissage de la lecture.

C'est ce que je vous propose… tout simplement. Un peu de bon sens, mais du vraiment bon!

 

Pierre FRACKOWIAK

Inspecteur de l'Education Nationale

 

Les querelles sur les méthodes, et même les débats entre spécialistes, s'enlisent beaucoup trop souvent encore dans le magma des opinions et dans un abstrait complètement décalé par rapport à la réalité des enfants et par rapport au bon sens. Si l'on y ajoute la nostalgie de ceux qui ont appris à lire avec "des méthodes qui ont fait leurs preuves" sur eux-mêmes (pour les autres, on ne sait pas), le magma devient de la glu dont il semble impossible de se décoller.

 

A-t-on encore le droit de parler aujourd'hui de l'apprentissage de la lecture en faisant d'abord preuve de bon sens (et si possible d'intelligence) et en s'accordant sur le postulat d'un minimum de capacités intellectuelles chez les enfants, même chez les enfants déficients ? A l'écoute des médias, des discussions de café du commerce et de certains prétendus grands spécialistes, on peut s'interroger. Le procès systématique d'une méthode globale qu'en fait, quasiment personne n'a jamais utilisée, l'insistance sur l'acquisition des sacro-saintes correspondances phonies/graphies, considérées comme des pré requis incontournables à toute recherche de sens et comme une potion magique pour lutter contre cette terrible maladie que serait la dyslexie peuvent perturber les plus grands esprits. Or, pour la majorité des chercheurs sérieux, apprendre à lire n'est pas d'abord une activité mécanique, c'est d'abord une activité intellectuelle qu'il convient de situer par rapport aux réalités.

 

Les évidences dans le domaine du rapport entre l'enfant et l'apprentissage de la lecture sont pourtant incontestables, comme il est incontestable qu'il est difficile de comparer les difficultés des enfants qui lisent beaucoup chez eux, qui savent feuilleter des livres dès l'âge de un an, à qui on lit inlassablement des histoires, qui voient leurs parents lire et écrire et peuvent les interroger à ce propos, qui vivent parmi des écrits extrêmement diversifiés qu'ils savent distinguer bien avant d'entrer à l'école, avec celles des autres enfants. Si toutes nos analyses scientifiques ou pseudo scientifiques s'appliquent sur nous-mêmes et sur nos enfants, alors il est vrai que toutes les méthodes se valent, voire qu'un chien avec des lunettes pourrait apprendre à lire à ceux qui savent déjà lire, et que les tristes méthodes syllabiques et les amusantes méthodes phono mimiques peuvent venir en aide à ceux qui par ailleurs ont déjà tout compris.

 

Un rappel au bon sens semble indispensable:

 

1. un enfant ne peut pas apprendre à lire s'il ne comprend pas que l'écrit a une fonction, qu'il est un acte de communication, qu'il a une forme, un support, un auteur, un destinataire ou une cible, qu'il a un sens. Tous les enfants disposent-ils également de ce fonds de savoir ? Evidemment, non. L'école maternelle fait beaucoup pour compenser les lacunes, voire les handicaps. Il est seulement dommage que ce travail ne soit pas toujours repris en compte et poursuivi au CP. La fréquentation des seules phrases ou listes de mots et de syllabes des manuels, aidés par des gestes, des onomatopées, parfois même par des hiéroglyphes que l'on ne rencontre qu'à l'école (l'alphabet phonétique), ne permet nullement de compenser les carences. Au contraire, elle les aggrave en n'utilisant à l'école que du matériau écrit scolaire, conçu pour l'apprentissage de ceux qui savent déjà. Or, les enfants sont intelligents, ils se demandent ce que représentent ces traces écrites et s'en désintéressent d'autant plus rapidement qu'elles sont synonymes de difficultés, d'échecs, de jugements de valeur.

 

2. Un enfant ne peut pas apprendre à lire si l'écrit support d'apprentissage est totalement étranger à l'écrit qu'il connaît. L'école a encore trop souvent cette singularité de tout faire comme si les enfants ne savaient rien. Or, les enfants savent beaucoup plus de choses qu'on ne le pense généralement. Les enfants en difficulté scolaire ne sont pas complètement ignorants des écrits: ceux de la rue, de leur vie quotidienne, ceux liés à la télévision et à la consommation… Sont-ils moins dignes d'intérêt que "le ra(t) de riri ru(e) " (comme à l'école, sans majuscule et sans point, avec la mise en évidence des lettres que "l'on n'entend pas" !) ou que "papa lave la salade" (surtout pas maman, car pour l'un des a de maman, on n'entend pas [a] !)?

 

3. Un enfant ne peut pas apprendre à lire si l'apprentissage de la lecture ne s'opère que sur des automatismes, des réflexes, des mémorisations / restitutions mécaniques, la réception des explications du maître. L'apprentissage doit exercer simultanément son intelligence: faire des suppositions, des propositions, des recherches actives qui feront l'objet de justifications, de contestations, fondées sur le sens, sur le contexte, sur les acquis antérieurs. Cette activité mentale, cette réflexion, comparables à celles mises en œuvre dans la pédagogie de résolution de problèmes est indispensable pour garantir au plus grand nombre l'accès aux compétences supérieures.

 

4. Un enfant ne peut pas apprendre à lire si l'apprentissage n'associe pas en permanence et dès les premiers pas, la lecture et l'écriture. Les dictées de mots et de syllabes ne suffisent pas à assurer la compréhension et la maîtrise de ces deux volets du même acte.

 

Pour les enfants en difficulté, massivement issus des milieux moins favorisés culturellement et socialement, l'urgent n'est pas de se jeter à corps perdu dans le b,a, ba qui a permis à une minorité de grands–parents d'apprendre à ânonner avant de savoir lire, l'urgent est de construire un rapport intelligent à l'écrit et d'imaginer des démarches favorisant l'activité réelle des enfants. L'activité réelle n'est pas écouter le maître, observer le tableau, mémoriser, associer et ânonner, c'est comprendre, rechercher le sens, expliquer, justifier, argumenter, s'exprimer, produire, communiquer.

 

Pour reprendre une phrase célèbre de FREINET en la complétant, ce n'est pas en mettant des mots sur les parties d'un vélo et en apprenant à pédaler dans le vide ou sur un engin d'appartement, que l'on apprendra à rouler à vélo. C'est en roulant ! Permettons à tous les enfants de rouler gaiement plutôt que de continuer à subir n'importe quoi.

 

L'affirmation répétée à l'envi par les conservateurs de tout poil, de la priorité à la correspondance des sons et des lettres et à la mémorisation mécanique, de l'indifférence face au choix des méthodes d'apprentissage, est un véritable camouflet pour tous les chercheurs, les pédagogues, les enseignants qui cherchent avec passion à transformer leurs stratégies pour améliorer la réussite scolaire. La grande majorité des chercheurs contemporains est d'accord sur les évidences résumées précédemment. C'est une autre évidence que, par conséquent, le choix des stratégies n'est pas neutre.

 

Non, toutes les méthodes ne se valent pas !

Toutes celles qui assassinent un peu plus encore les enfants défavorisés au départ, qui nient les évidences, qui se pérennisent sous la protection d'un conservatisme arrogant, ne peuvent pas être admises ni par les professionnels des apprentissages, ni  par les démocrates, ni par les scientifiques.  

 

27/12/05

28/12/05

 

 

Je ne suis pas un spécialiste de la lecture. Mais, comme vous le savez, je m'intéresse au pilotage du système éducatif. A ce titre :
De même que « ce n’est pas à la loi d’écrire l’histoire », les ministres n’ont aucune compétence (aux divers sens du terme) pour choisir les méthodes pédagogiques. Comment M. de Robien lit-il « la ville », « la vrille », ou encore « les dents mordent » sinon en reconnaissant globalement des mots ? Lire et écrire le français ne peut se faire à  partir de la seule phonétique, autrement appelée B A BA,… ou alor il fo chanjé konplétman lortograf.

Claude PAIR

11/01/06

 

 

Quel plaisir de lire votre tribune où les avis s'énoncent, s'opposent, se discutent… Toutefois, je m'aperçois que j'arrive en bas de page après avoir abusé des clics et de la roulette de ma souris pour découvrir l'enchaînement des arguments, les contradictions, les changements d'angles et de points de vue sans pouvoir lever l'incertitude qui m'a assailli dès le sommaire :

Franck, c'est Ramu ou Ramusse ???

 

Votre texte manque un peu d'information pour que le doute soit levé. Même si, grâce au webmaster, je peux mettre un visage sur ce "Ramus", presque entendre ses paroles, l'imaginer dans son laboratoire de recherche (quoique les images soient parfois équivoques), puis-je vraiment comprendre les propos de quelqu'un dont je suis incapable d'énoncer le nom ?

 

Au moins, les Gombert (pas d'hésitation, bien que connu ni d'Eve ni de Ratus, je suis près à parier que le [t] restera désespérément muet), Bento' (cité par l'un d'entre-vous, tellement médiatisé que je n'ai pas besoin de lire la fin pour imaginer sa silhouette imposante s'enflammant à la tribune), Goigoux (je lui donne volontiers du poux, hiboux, genoux…), eux, c'est clair (comme Pair) !

 

Courriel de Ppbureau

Sauvons la lecture  !

 

Mi-décembre, le ministre de l’Education nationale a communiqué avec force sa volonté d’abandonner la méthode globale et toute méthode comparable à ses yeux. Sitôt dit, maires et éditeurs ont été convoqués, et annoncée une circulaire destinée aux inspecteurs de l’Éducation nationale. À la veille des vacances de Noël, l’état d’urgence devait être proclamé dans les CP !

Le ministre affirme que les causes des difficultés d’apprentissage de la lecture sont multiples – dont acte – mais se focalise aussitôt sur un seul facteur, les « méthodes d’apprentissage » (comprenons « d’enseignement »). Alors que les chercheurs s’efforcent depuis un siècle environ de clarifier cette question, particulièrement délicate du fait de la multiplicité des facteurs identifiés et de leur intrication, celle-ci se trouve soudain réduite à un seul facteur qui, comme par hasard, est celui que l’opinion courante est le mieux à même de reconnaître. Comme si, en passant du pluriel au singulier, on pouvait transformer le complexe en simple, et, d’un coup de baguette magique, résoudre un problème qui se pose depuis le début de l’instruction obligatoire. Miracle de Noël ?

La même démarche vaut pour les « méthodes » elles-mêmes : en remplaçant « la méthode globale » et ses supposés équivalents par une méthode syllabique, le problème sera résolu, déclare le ministre. Hélas, ici encore, la réalité résiste à la pensée simpliste. Il faut savoir en effet que, si de très nombreuses recherches comparatives ont été effectuées, notamment dans les pays anglophones, un grand nombre d’entre elles débouchent sur des conclusions incertaines. Aucune en tout cas ne permet de définir une « méthode idéale ». L’honnêteté scientifique doit aussi conduire à reconnaître qu’il existe quelques études, rigoureusement conduites, dans des pays francophones, en Suisse (1980), en Belgique (1992) et en France (2000)*, dont les conclusions sont plutôt à l’opposé des opinions du ministre. Notons enfin que le matériel pédagogique ne constitue qu’une petite partie de ce qui se passe dans les classes et qu’identifier pédagogie et matériel utilisé, c’est encore une fois réduire le problème à sa plus simple expression. C’est précisément en raison des difficultés que posent les comparaisons entre « méthodes » que les chercheurs ont été conduits à privilégier une approche en termes de pratiques des maîtres. On pourrait souhaiter que le ministère en prenne acte et renonce à ce qui s’est avéré être une impasse théorique et pratique.

Vient ensuite l’argument d’autorité : le recours aux « neurosciences ». Comment confondre éducation et neurosciences alors que les échelles de mesure sont tellement disproportionnées ? Nos collègues, chercheurs dans les neurosciences, ne savent pas plus ce qui passe dans une salle de classe que nous ne savons ce qui se passe dans le cerveau. C’est en tout cas ce que disent les plus sérieux d’entre eux.

Le ministre se propose enfin de démontrer en quoi la « méthode » qu’il met en cause est dangereuse et en quoi la syllabique s’impose à l’évidence. En ce moment pathétique où la rue de Grenelle rejoint le Café du commerce, le fou rire le dispute à la consternation. Mais il est blessant, pour les maîtres, les formateurs et les chercheurs, de voir ainsi mises en doute leurs compétences professionnelles et la réalité de leurs connaissances par un responsable politique qui aborde des questions, dont à l’évidence il ne soupçonne même pas la technicité : les recherches en la matière, d’une extrême précision, sont publiées dans des articles qui se comptent par milliers. Comment peut-on les balayer ainsi d’un  simple revers de main ?

Le plus inquiétant n’est-il pas qu’après que le Parlement a légiféré sur la bonne façon d’enseigner l’histoire de la colonisation, en lieu et place des historiens, un ministre s’arroge le droit de trancher sur la bonne façon d’enseigner la lecture, en lieu et place des professionnels ? A-t-il conscience qu’il dénie aux enseignants ce que l’école laïque leur a toujours reconnu : la pleine responsabilité de leurs démarches pédagogiques ? A-t-il même conscience d’ébranler gravement la confiance des parents dans l’école ?

Dénuée de toute valeur scientifique, en rupture avec la tradition républicaine, la campagne du ministre suscite notre indignation et nourrit nos inquiétudes.

 

Jacques Bernardin, formateur, IUFM d’Orléans-Tours

Jean-Marie Besse, professeur de psychologie cognitive, université Lumière Lyon 2

Rémi Brissiaud, maître de conférences de psychologie cognitive, IUFM de Versailles

Mireille Brigaudiot, maître de conférences, IUFM de Versailles

Sylvie Cèbe, maître de conférences, IUFM de Lyon

Eveline Charmeux, professeure honoraire, IUFM de Toulouse

Gérard Chauveau, chercheur associé à l’INRP

Jacques Fijalkow, professeur de psycholinguistique, université de Toulouse-le-Mirail

Roland Goigoux, professeur des universités, université Blaise Pascal, Clermont-Ferrand

Josette Jolibert, ancien professeur à l’IUM de Versailles

Philippe Meirieu, professeur des universités, directeur de l’IUFM de Lyon

André Ouzoulias, professeur à l’IUFM de Versailles

 

Cet appel est ouvert sur http://www.lapetition.com/sign1.cfm?numero=1058

Contacts : Jacques Fijalkow et André Ouzoulias

 

NB Le site qui héberge la pétition appelle à une validation par téléphone : celle-ci n'est pas indispensable, une validation par courriel (totalement gratuite) est possible.

 

* Cardinet & Weiss, 1980 ; Content & Leybaert, 1992 ; Le Bastard & Suchaud, IREDU, 2000.

En complément

 

 

Evaluation d'un dispositif pédagogique en lecture au Cours Préparatoire

Bruno Suchaut Décembre 1997

http://www.u-bourgogne.fr/upload/site_120/publications/les_collections_de_l_iredu/notes/note974.pdf

 

Lecture-écriture au cycle II : Evaluation d'une démarche innovante - 2000

http://www.u-bourgogne.fr/upload/site_120/publications/les_collections_de_l_iredu/cahiers/cahier61.pdf

 

Apprentissage de la lecture
Assez de polémiques, des réponses sérieuses !

lundi 2 janvier 2006

 

L’apprentissage de la lecture est un enjeu majeur, pour toute la scolarité d’un enfant comme pour sa vie d’adulte et de citoyen. Chaque enseignant, chaque parent y accorde à juste titre une grande importance.

Sur ce sujet trop souvent l’objet de polémiques stériles, les organisations syndicales, les organisations de parents d’élèves, les mouvements pédagogiques et les personnalités signataires tiennent à rappeler quelques éléments incontestables et proposent, que l’information des parents et des enseignants reste sur un terrain, qu’elle ne doit jamais quitter : celui de l’intérêt de l’enfant.

 

1.L’apprentissage de la lecture, ne relève pas seulement du cours préparatoire, et vouloir ramener la réussite ou l’échec de l’élève au seul choix de la méthode de lecture n’est pas sérieux. Certes, le CP est un maillon essentiel dans le processus d’apprentissage, mais le rôle de l’école maternelle qui prépare les enfants à une bonne maîtrise de la langue orale et du cycle 3 qui doit les mener à une bonne compréhension des textes est tout aussi important.

 

2.La méthode dite « globale », écartée par les programmes de l’école élémentaire de 2002, n’est pratiquement plus utilisée dans les écoles. La majorité des manuels de lecture enseignent les correspondances entre les lettres et les sons, dès les premiers jours du cours préparatoire.

 

3.La situation de l’école ne correspond pas à la description caricaturale qui en est faite.

Toutes les comparaisons internationales montrent que la France obtient des résultats similaires à ceux des pays voisins européens. Les jeunes n’éprouvent pas plus de difficultés que leurs aînés, au contraire : l’INSEE a dénombré 4% d’illettrés chez les 18-24 ans, mais 14% chez les 40-54 ans et 19% chez les 55-65 ans. Le déchiffrage n’est pas le principal problème des élèves en difficultés de lecture : si 4% d’élèves ne savent pas déchiffrer à l’entrée en 6ème, 11% ne comprennent pas les textes qui leur sont proposés bien qu’ils sachent déchiffrer.

Cependant, chacun s’accorde à considérer qu’il est aujourd’hui insupportable de ne pas maîtriser suffisamment l’écrit pour s’intégrer socialement et accéder à un emploi. Donc, l’école doit chercher à mieux faire réussir tous les élèves. Pour autant, il n’y a pas de recul ou de baisse du niveau, voire d’épidémie de dyslexie ! La Fédération des orthophonistes rappelle qu’aucune étude scientifique menée par des orthophonistes ne met en évidence un lien entre approche globale de la lecture et troubles de l’écrit.

 

4.Les travaux des chercheurs, comme l’expérience des enseignants, montrent que la « querelle des méthodes » est dépassée. Méthodes syllabique, globale ou mixte ont laissé place à de nouvelles pratiques forgées progressivement au cours des trente dernières années. Il ne s’agit pas des méthodes mixtes. Ces approches qui sont cohérentes avec les résultats des recherches scientifiques récentes, mettent en œuvre simultanément la maîtrise du code et la compréhension.

 

5.L’apprentissage de la lecture ne se limite pas au déchiffrage et ne peut reposer exclusivement sur une approche syllabique. Réduire l’apprentissage de la lecture est simplificateur et mène ainsi l’école dans une impasse.

 

6.Nous considérons que les principaux éléments des programmes de l’école maternelle et élémentaire publiés en 2002 après de larges consultations conservent toute leur pertinence. Ils rappellent qu’« apprendre à lire, c’est apprendre à mettre en jeu en même temps deux activités très différentes : celle qui conduit à identifier des mots écrits, celle qui conduit à en comprendre la signification ». Ils ne se limitent pas au seul décodage et visent, dès le début du cycle 2, la compréhension des textes et l’accès au livre et à la culture écrite.

Les programmes de 2002 inscrivent les apprentissages du cycle 2 dans la continuité de ceux de l’école maternelle sur le langage oral, sur les habiletés phonologiques, sur le principe alphabétique et la familiarisation avec la langue écrite. Ils rappellent aussi que l’apprentissage de la lecture se poursuit au cours de l’école élémentaire et n’est pas achevé au début du collège.

 

Des difficultés demeurent. Il faut les réduire. L’apprentissage initial de la lecture peut et doit être amélioré. C’est en procédant à des recherches rigoureuses, en renforçant la formation et l’accompagnement des enseignants, en organisant une réelle évaluation du travail effectué dans les classes, en prenant en compte les différences de rythme de travail et d’apprentissage, en améliorant les conditions d’enseignement et d’apprentissage que l’école peut développer les compétences des élèves en lecture. C’est aussi par un effort de communication, entre l’école et les familles sur ce qui se fait réellement en classe, que l’école contribuera à créer un climat de confiance propice à la réussite des élèves.

 

C’est également en soutenant et en renforçant toutes les initiatives, en lien avec l’Ecole et les familles qui favorisent le goût pour le livre et la lecture : institutions et associations culturelles, bibliothèques et médiathèques, presse et médias de qualité pour la jeunesse.

 

Nous sommes bien loin des affirmations passéistes et approximatives de l’actuel ministre de l’Education Nationale.

 

Les organisations signataires :

-  AGIEM (Association Générale des Institutrices en Ecole Maternelle)
-  AIRDF (Association Internationale pour la recherche en didactique du français)
-  CRAP - Revue Pédagogique
-  ICEM (Institut Coopératif de l’Ecole Moderne)
-  FCPE (Fédération des Conseils de Parents d’Elèves)
-  GFEN (Groupe Français pour l’Education Nouvelle)
-  LIGUE de l’ ENSEIGNEMENT
-  SNUipp-FSU (Syndicat National Unitaire des Instituteurs et Professeurs de Ecoles)
-  SE-UNSA (Syndicat des Enseignants)
-  SGEN-CFDT (Syndicat Général de l’Education Nationale)

 

Liste des premiers signataires

BERNARDIN Jacques, Formateur à l’IUFM d’Orléans-Tours ; BOIMARE Serge, Directeur Pédagogique du Centre Claude Bernard - Paris ; BRIGAUDIOT Mireille, Maître de conférence, IUFM de Versailles, Equipe LEAPLE-CNRS ; BRISSIAUD Rémy, Maître de Conférence de Psychologie, IUFM de Versailles ; CEBE Sylvie, Maître de conférence, IUFM académie de Lyon ; CHARMEUX Evelyne, Professeur Honoraire, IUFM de Toulouse ; CHAUVEAU Gérard, Chercheur associé à L’INRP et au Laboratoire ERTE, Université Paris V ; DEVANNE Bernard, Professeur, IUFM de Basse Normandie ; FIJALKOW Jacques, Professeur de Psycholinguistique à l’Université de Toulouse ; FLORIN Agnès, Professeur en Psychologie du Développement et de l’Education, Université de Nantes ; GOIGOUX Roland, Professeur des Universités , IUFM d’Auvergne ; MEIRIEU Philippe, Professeur des Universités - Lyon ; OUZOULIAS André, Professeur, IUFM de Versailles ; PLANE Sylvie, Professeur des Universités en Sciences du Langage, IUFM de Paris

 

http://www.sgen-cfdt.org/actu/article.php3?id_article=966

APPEL AFL-GFEN-ICEM

 

Nous, éducateurs, enseignants, parents, militants de mouvements pédagogiques et d’éducation populaire, nous ne tiendrons pas compte de la circulaire du Ministre de l’Éducation nationale préconisant une méthode de lecture contraire à la visée émancipatrice de l’Éducation et aux résultats des recherches que nous conduisons.

 

Depuis plusieurs mois, le terrain avait été minutieusement préparé : jeter le doute dans l’opinion publique, apeurer les parents, valoriser certaines pratiques pédagogiques, en condamner d’autres...

Les événements de novembre, renforçant ces peurs et ces doutes, ont permis de stigmatiser une partie de la jeunesse et de ses enseignants.

La circulation organisée à l’échelle nationale de cette désinformation a constitué une véritable propagande gouvernementale afin de conditionner l’opinion publique.

Imposer une méthode d’apprentissage est déjà en soi un déni d’éducation, réduisant l’acte d’enseigner à une simple exécution et la classe à une somme de techniques et de recettes. Mais lorsque cette méthode vise l’assujettissement de la jeunesse, nous sommes bien dans la propagation d’une idéologie politique écrasant tout espoir d’émancipation possible par l’éducation.

Des méthodes d’apprentissage où l’enfant est chercheur à celle où l'enfant est dressé, le choix idéologique est limpide : lui refuser dès le plus jeune âge de penser, lui ôter le désir de questionner, de comprendre, de connaître, lui imposer une obéissance passive en l’enfermant d’abord dans des exercices répétitifs et mimétiques... Au-delà de l'apprentissage de la lecture, c'est bien la volonté d'agir sur les capacités réflexives et complexes de la compréhension du monde de toute une jeunesse !

Une jeunesse qui déchiffre et une jeunesse qui lit… Les jeunes des milieux populaires en sauront toujours bien assez pour déchiffrer les programmes de télévision, la publicité et les messages utiles à la consommation. Des textes simplifiés pour les uns, des textes complexes pour les autres, les "héritiers", qui les auront d’abord rencontrés dans la famille et les activités culturelles privées ...

La méthode syllabique constitue en outre un sérieux atout économique ! Pas la peine de réduire les effectifs ou de dédoubler des classes s’il s’agit de faire répéter en chœur aux enfants des sons et des syllabes. Les récalcitrants seront

traités au cas par cas dans les programmes de réussite éducative en contractualisant les familles qui devront accepter l’échec, la rééducation et l’orientation comme allant de soi. Les solutions préconisées ne coûteront rien à l’Éducation nationale puisque déléguées au privé : orthophonistes, soutiens scolaires, formations à distance, éditions scolaires et parascolaires....

On est bien loin de l'école publique, laïque et gratuite pour tous !

Le gouvernement a commencé par la méthode de lecture, emblématique de sa volonté politique et sociale. Mais qu’en sera-t-il demain de l’enseignement des mathématiques, de l’histoire, des arts .... ? Ils ne resteront pas davantage des espaces de mise en œuvre de la pensée.

M. de Robien est bien conscient que sa circulaire va à l’encontre des programmes de 2002. Qu’importe ! Trop ambitieux, ils seront changés pour rompre avec les progrès reconnus par tous dont ils témoignaient.

 

Non.

Nous appelons tous les enseignants et tous les éducateurs qui travaillent à l’augmentation (difficile car l’école n’est pas seule en cause) de la réussite de tous les enfants et de tous les jeunes à poursuivre ce qu’ils ont engagé et dont les résultats, encore insuffisants, se situent déjà largement au-dessus de ceux des méthodes d’alphabétisation. Cellesci, du temps où elles étaient utilisées, n’ont jamais permis à 50 % des enfants d’obtenir le Certificat d’études.

Aujourd’hui, plus de 60 % d’une classe d’âge obtient le baccalauréat. Ce n’est pas un hasard.

Poursuivons ensemble !

 

Janvier 2006

 

AFL (Association française pour la lecture) GFEN (Groupe français d’éducation nouvelle) ICEM - Pédagogie Freinet (Institut coopératif de l’école moderne)

 

signature à envoyer à appel.lecture@icem-freinet.org

La Pensée unique officielle

 

À l'Ecole Supérieure de l'Education Nationale (établissement de formation des cadres de l'Education Nationale à POITIERS), l'intervention de R.GOIGOUX prévue la semaine prochaine a été supprimée par le ministre au motif  que "son discours est non pertinent". Deux jours de stage sont supprimés et seront remplacés par un "séminaire officiel".

 

Les recteurs, inspecteurs d'académie, directeurs d'IUFM sont convoqués à un séminaire national le 9 mars pour entendre la "bonne parole sur le b-a ba", avec de "bons scientifiques", et des instructions à répercuter sur le terrain : séminaires académiques pour les inspecteurs et conseillers pédagogiques, stages à la rentrée pour tous les maîtres de CP. Une seule méthode: au premier trimestre, les lettres et les sons; au second trimestre, des phrases; au troisième des petits textes. Ainsi tout le monde saura ânonner en fin de CP. Pour savoir lire et pour le sens... on verra plus tard... pour ceux qui ont la chance de lire beaucoup et bien hors de l'école. Tout le monde au garde à vous! 

 

Les corps d'inspection sont rappelés fermement au "devoir d'obéissance"... On ne leur avait jamais rappelé depuis la seconde guerre mondiale, pas même pour faire appliquer la loi d'orientation de 1989.

 

Les services académiques sont sommés d'autoriser les journalistes à visiter les "bonnes classes", celle de Madame BOUTONNET, célèbre tenante de la pédagogie de nos grands parents et prétendue victime de mauvais inspecteurs, celle de son amie Mme CANDELIER, distinguée pourvoyeuse de clients pour les orthophonistes. Une conférence de BRIGHELLI ("la fabrique du crétin") à LILLE bénéficie d'une grande publicité dans toutes les écoles de la région... et dans Télérama.

 

Voici venu le temps de la pensée unique, avec un grand coup de gomme sur le constat d'échec de l'école dans les années 60, avec un profond mépris pour le travail des enseignants engagés dans la construction d'une école à la mesure des nouveaux enjeux de la société en mouvement, avec une volonté intraitable de nier la place de l'intelligence dans les apprentissages.

 

L'échec scolaire massif, la ségrégation sociale, la destruction de l'école publique justifiant son abandon au profit d'un système ultra libéral, la crise de la société sont à l'horizon... "L'école ou la guerre civile", ce titre d'un livre de Philippe MEIRIEU serait malheureusement prémonitoire. Si seulement les citoyens, les parents, les consultés des sondages étaient honnêtement informés... 

 

Pierre FRACKOWIAK

26/01/2006

L’erreur orthographique, l’apprentissage implicite et la question des méthodes de lecture - écriture Par Rémi Brissiaud

En complément du dernier n° des "Cahiers pédagogiques" sur l'Orthographe un substantiel article qui fait le lien orthographe-apprentissage de la lecture/écriture.

L’une des craintes que suscite la réhabilitation des méthodes de lecture dites « syllabiques pures » (celles du type Boscher) a trait à l’orthographe. Comme Eveline Charmeux l’a récemment rappelé : « en lui proposant des phrases dépourvues de marques orthographiques pertinentes, on habitue l’enfant à n’attacher aucune importance à de telles marques - même lorsqu’il rencontre un texte où elles existent ». Or, les méthodes de ce type installent initialement l’enfant dans un système où l’orthographe est simplifiée à l’extrême et ce n’est peut-être pas sans conséquences pour certains enfants. Évidemment, la crainte principale que suscitent les méthodes de ce genre concerne l’accès à une lecture courante (éviter l’ânonnement !). Cependant, certains travaux récents en psychologie (ceux concernant l’apprentissage implicite) montrent que l’appropriation de l’orthographe et celle de la lecture courante ont partie liée. C’est ce thème que je développerai dans ce texte, en reliant l’apprentissage de la lecture à celui de la production d’écrit et au statut de l’erreur orthographique.

http://www.cahiers-pedagogiques.com/article.php3?id_article=2174

 

Le recteur de Montpellier "interdit" les manuels de lecture à départ global

De 1989 à 1995, C. Nique a été conseiller de François Mitterrand, Président de la République, pour les questions d'éducation. Il a exercé les fonctions d'Inspecteur général de 1995 à 1997. Il a été ensuite conseiller pour l'éducation et la formation auprès de Laurent Fabius, président de l'Assemblée nationale (1997-1998).

Le recteur de Montpellier Christian Nique lance le plan académique "Apprendre à lire" destiné à appliquer la circulaire prévoyant l'abandon des méthodes globale et semi-globale d'apprentissage de la lecture, annonce-t-il le mardi 7 février 2006.

Réunis la veille auprès du recteur, "les inspecteurs chargés de l'enseignement primaire ont évoqué les ouvrages à recommander et ceux dont l'usage est à interdire", indique à L'AEF Christian Nique, confirmant que les livres "Ratus" (Hatier) et "Gafi" (Nathan) par exemple pourraient être interdits dans l'académie. Toujours à propos des manuels scolaires, le recteur précise avoir "demandé aux inspecteurs de prendre contact avec les maires chaque fois que cela s'avère nécessaire". "Si cela ne débouche pas, j'interviendrai moi-même auprès d'eux", ajoute-t-il.
Ce plan académique, qui associe le CRDP (centre régional de documentation pédagogique) et l'IUFM, prévoit une série d'actions de communication et de formation autour de la méthode syllabique d'apprentissage de la lecture. Par ailleurs, un suivi de l'évolution des pratiques des enseignants comme des manuels utilisés sera mis en place. "Le premier constat des inspecteurs qui ont étudié l'état de l'enseignement de la lecture dans chaque département de l'académie, c'est que les méthodes à départ global, sont utilisées", signale le recteur. Mais "au-delà du débat sur les méthodes de lecture, il n'y a pas de réticences sur la mise en oeuvre de la circulaire", affirme-t-il. À propos des enseignants qui utiliseraient encore la méthode globale, le recteur se dit "convaincu qu'ils ne continueront pas". En cas de problème, le recteur précise qu'il a demandé de "procéder aux inspections nécessaires". (d’après L’AEF).

La Révolution du 3 Janvier ou le syndrome de la tortue de Floride   André Ouzoulias

Le Café pédagogique http://www.cafepedagogique.net/dossiers/contribs/ouzoulias.php

 

Le 3 janvier dernier, pour justifier sa circulaire sur la lecture, Gilles de Robien, ministre de l'éducation nationale, a expliqué : « Les méthodes à départ global sont beaucoup moins efficaces que les méthodes à départ phono-synthétique ou syllabique, et elles sont même néfastes pour les enfants les plus fragiles. Ce n'est pas moi qui le dis, mais des scientifiques spécialisés dans l'étude de la lecture, qu'il s'agisse de neurologues, de psycholinguistes ou de linguistes. On observe sur cette question un consensus remarquable de la communauté scientifique, aussi bien en France qu'à l'étranger ».

Si la plupart des chercheurs dans le domaine de l'apprentissage de la lecture ont refusé les simplifications qui sont à la base de la campagne  du ministre (ils sont par exemple très nombreux à avoir signé la pétition des syndicats d'enseignants et l'appel « Sauvons la lecture »), il faut bien concéder que le ministre a pu s'appuyer sur plusieurs chercheurs considérés par leurs pairs comme des personnes sérieuses et mesurées. Je voudrais faire valoir que, très vraisemblablement, leur attitude est liée à une transposition imprudente, dans le contexte francophone, des recherches effectuées dans le contexte anglophone.

Ces recherches, en effet, sont très nombreuses aux USA, elles disposent de moyens conséquents et sont publiées dans des revues à diffusion internationale qui font autorité parmi les psychologues du monde entier. Leur masse est si considérable qu'elles créent un phénomène gravitationnel : pour un chercheur français, belge ou québécois, qui s'est formé en lisant ces revues, par lui-même et à travers l'érudition de ses maîtres, le fait d'adopter les paradigmes psycho-pédagogiques anglo-américains lui apparaît naturel. Et très naturellement, s'il publie dans ces mêmes revues, c'est généralement en adoptant les mêmes paradigmes.

Or, si certains concepts, positions et débats ont un fondement évident dans les pays de langue anglaise, il n'est pas certain qu'on puisse les transposer si simplement dans les autres pays ni dans les pays de langue française et encore moins dans le contexte scolaire et pédagogique de la France.       Lire la suite

Un point de vue scientifique sur l’enseignement de la lecture

[version intégrale d’une lettre parue dans Le Monde de l’éducation, mars 2006]

 

Franck Ramus, Chargé de Recherches au CNRS
Séverine Casalis, Maître de Conférences à l'Université Lille 3
Pascale Colé, Professeur à l’Université de Savoie
Alain Content, Professeur à l’Université Libre de Bruxelles
Jean-François Démonet, Directeur de Recherches à l’INSERM
Elisabeth Demont, Professeur à l’Université de Strasbourg
Jean Ecalle, Maître de Conférences à l’Université Lyon 2
Jean-Emile Gombert, Professeur à l’Université Rennes 2
Jonathan Grainger, Directeur de Recherches au CNRS
Régine Kolinsky, Chercheur qualifié du FNRS, Communauté française de Belgique
Jacqueline Leybaert, Chargée de Cours à l’Université Libre de Bruxelles
Annie Magnan, Professeur à l’Université Lyon 2
José Morais, Professeur à l'Université Libre de Bruxelles
Laurence Rieben, Professeur à l'Université de Genève
Liliane Sprenger-Charolles, Directrice de Recherches au CNRS
Sylviane Valdois, Directrice de Recherches au CNRS
Pascal Zesiger, Professeur à l'Université de Genève
Johannes Ziegler, Directeur de Recherches au CNRS

 

Dans le débat sur " les méthodes de lecture ", la Science a bon dos. Invoquée à la fois par le Ministre de l’Education Nationale et par ses opposants, elle semble se plier aux différents points de vue. Pourtant, après maints débats alimentés de citations tronquées, les nuances d’un point de vue qui vise à l’objectivité scientifique n’ont toujours pas réussi à se faire entendre. Il nous paraît donc important de clarifier ce que les recherches scientifiques permettent (ou pas) de dire.

Tout d’abord, nous affirmons avec force que la question de l’efficacité comparée de différentes pratiques pédagogiques est une question qui peut et qui doit être abordée de manière scientifique. En médecine il est devenu un lieu commun que l’approche scientifique, et elle seule, permet de déterminer lequel de deux traitements est le plus efficace (en comparant statistiquement leurs effets sur deux groupes de patients suffisamment nombreux). Il en est de même dans le domaine de l’éducation. Les enseignants ont une expérience incomparable des enfants et de leurs propres pratiques, ...

Pour lire la suite : http://www.lscp.net/persons/ramus/lecture/

 

 

Rémi Brissiaud : Lecture : Même les scientifiques devraient être plus prudents

 

Si "l'efficacité comparée de différentes pratiques pédagogiques est une question qui peut et qui doit être abordée de manière scientifique", les scientifiques doivent se garder de trancher entre des pratiques pédagogiques qui n'ont pas encore fait l'objet d'une telle étude scientifique. Le rôle du scientifique n'est pas de conformer les pratiques humaines à celles qu'il a déjà étudiées et qui lui paraissent les plus recommandables. Il doit accepter que l'objet qu'il étudie soit plus complexe que le modèle provisoire que sa communauté scientifique en a élaboré et accepter que l'impression de certitude que fournit un tel modèle, soit relativisée par l'expérience des praticiens. Il doit même accepter que l'expérience des praticiens prime quand lui-même manque d'informations !

À lire : http://www.cafepedagogique.net/dossiers/contribs/brissiaud.php

Voir aussi, plus bas, Responsabilité pédagogique et principe de précaution, d'André Ouzoulias

Roland Goigoux

à

L. Sprenger Charolles, J. Ziegler et F. Ramus

 

 

Chers collègues,
Je viens d'apprendre que vous étiez signataires du texte initié par Franck Ramus et je m'en réjouis.
A la question "Faut-il donc revenir aux vieilles méthodes enseignant exclusivement le B-A-BA de manière répétitive et dénuée de sens?" vous
avez répondu : "Certainement pas. Sur ce point nous rejoignons largement l'avis du monde enseignant pour dire que les méthodes qui, dans l'état actuel de l'art, semblent optimales, initient l'enfant non seulement au déchiffrage, mais également à la morphologie, à la syntaxe, à la compréhension de textes ayant un sens, ainsi qu'à l'écriture. Simplement, le déchiffrage doit être présent dès le début du CP."
Je souscris totalement à cette position et je vois avec soulagement que
nos positions sont donc très proches. Je dois avouer que j'en doutais un
peu c'est pourquoi j'ai tardé à répondre au message de Liliane (ci-dessous).
Le problème c'est que le ministre, lui, en revanche, a toujours comme
projet de rendre obligatoire la méthode syllabique la plus caricaturale
(type Léo et léa, chez Belin, que le ministre demande explicitement aux
éditeurs d'imiter) et d'interdire toutes les autres (qu'il appelle "semi-globales" et dans lesquelles il inclut le manuel Ratus, le "Gafi" de Bentolila et le "Crocolivre" de Gombert et Colé). Le recteur de Montpellier, sur ce point, n'a fait qu'écrire ce que le ministre répète depuis deux mois.
Je me permets de joindre l'argumentaire diffusé auprès des inspecteurs
de l'éducation nationale (horrifiés de la tournure que prennent les
choses depuis mon interdiction ministérielle à l'ESEN et qui attendent
avec inquiétude votre prise de position).
Je me permets aussi de vous mettre en garde pour la journée du 9 mars*.
A moins que vous ne preniez clairement vos distances avec les tentatives de récupération dont vous faites l'objet (comme vous l'avez fait dans le texte initié par Ramus) votre présence sera inévitablement perçue comme la caution scientifique de la politique du ministre.
Avec le discrédit que cela implique pour les recherches scientifiques.
L'enjeu est d'importance pour les élèves ... et pour les maîtres déjà soumis aux pressions parentales les plus extravagantes : 900 d'entre eux étaient mardi soir à l'IUFM d'Auvergne pour faire le point sur cette question, c'est dire l'émoi suscité par les déclarations provocatrices du ministre.
Très cordialement
Roland Goigoux

PS : J'ai trouvé le papier de Liliane et Pascale Colé pour "Former des maîtres" tout à fait correct même si je pense que le travail de Content et Lyebaert ouvre des pistes intéressantes que vous délaissez, notamment sur le rôle de l'écriture et les possibilités de compensation dans la pédagogie de la langue écrite. (J'avais apprécié déjà votre chapitre en 2003 sur le même sujet). En retour, que pensez-vous de l'argumentaire ci-joint?

* Les recteurs, inspecteurs d'académie, directeurs d'IUFM sont convoqués à un séminaire national le 9 mars pour entendre la "bonne parole sur le b-a ba", avec de "bons scientifiques", et des instructions à répercuter sur le terrain. (Pierre Frackowiak)

De: Liliane Sprenger
A: GOIGOUX Roland

 

 

Bonsoir
J'ai été contactée par un certain nombre de personnes à propos du débat sur les méthodes, puis à propos de la décision prise par rapport à toi sur la formation des inspecteurs. Demain matin je dois encore répondre à un journaliste.
Pourrais tu lire le document que nous avons préparé avec Pascale Colé,qui fait suite au livre que nous avons publié chez Dunod, dans lequel nous avons essayé de donner la plus large place possible aux recherches françaises, y compris aux tiennes et à d'autres (par exemple, certaines de Jacques Fijalkow, on n'a pas signalé ses travaux avec Downing qui pourtant font partie des travaux pionniers dans le domaine des relations entre métaphonologie et lecture).
J'avoue ne pas comprendre ce qui se passe... et surtout ne pas
comprendre vos prises de position. Le débat en question a été ouvert par Lang (pas d'opposition droite - gauche). En plus, la recherche est internationale et il ne faudrait pas oublier que les sources de la méthode idéovisuelle sont anglo-saxonnes (il ne faudrait pas opposer notre hexagone du reste de la planéte).

Cordialement

 

L’obligation de la méthode syllabique est scientifiquement injustifiée

Roland Goigoux

 

 

Pour justifier l’obligation de la méthode syllabique et l’exclusion de toutes les autres méthodes, le ministre a sollicité la caution de recherches en sciences cognitives. Est-ce fondé ?

 

La circulaire ministérielle du 3 janvier fait référence à des recherches sérieuses[i] dont les résultats avaient déjà été pris en compte dans les programmes de 2002. Ces études, toutes anglo-saxonnes, soulignaient la nécessité d’enseigner systématiquement, dès le début du cours préparatoire, les correspondances entre phonèmes et graphèmes, c’est-à-dire entre les unités sonores élémentaires du langage parlé et les lettres ou groupes de lettres qui leur correspondent. Aussi les programmes enjoignaient-ils aux enseignants de ne surtout pas laisser cet apprentissage se constituer « au hasard des rencontres et des réactions des élèves » mais, au contraire, d’exercer les élèves « à la démarche de synthèse par la mémorisation des principaux assemblages syllabiques entre voyelles et consonnes dans les différentes combinaisons possibles. ». Toutefois, ils précisaient que cet apprentissage reposait aussi sur « l’analyse de mots entiers en unités plus petites référées à des connaissances déjà acquises », par exemple en incitant les élèves à utiliser le mot « papa », appris en maternelle, pour segmenter et faciliter le décodage de « Paris ». Autrement dit, les activités d’analyse et de synthèse étaient jugées complémentaires et les maîtres incités à les conduire de front.

C’est sur ce point que le ministre revient aujourd’hui en arrière : en imposant la méthode syllabique, il proscrit toute tâche de mémorisation et toute activité d’analyse de mots entiers avant l’apprentissage du déchiffrage de leurs composants élémentaires. Il nomme « semi-globales », pour les stigmatiser et les interdire, toutes les méthodes qui intègrent ces activités. Pourtant, aucune donnée scientifique ne permet d’affirmer que celles-ci sont néfastes, bien au contraire. Les travaux anglo-saxons précités indiquent seulement la supériorité des méthodes phoniques (dans lesquelles les correspondances graphophonologiques sont systéma-tiquement enseignées) sur les méthodes globales (dans lesquelles ces correspondances ne le sont pas ou le sont peu). Parmi les méthodes phoniques, personne n’a comparé celles qui sont exclusivement synthétiques (les méthodes syllabiques strictes qui se cantonnent au B-A, BA) à celles qui sont interactives, c’est-à-dire qui combinent analyse et synthèse. Pour être plus précis, les méthodes jugées aujourd’hui « semi-globales » par le ministre seraient, pour la plupart, qualifiées de phoniques dans les pays anglo-saxons car elles proposent une étude méthodique des correspondances grapho-phonologiques dès le début du cours préparatoire : dans les manuels vendus en France, 14 phonèmes, en moyenne, sont étudiés au premier trimestre. Dès lors, on s’explique mal les raisons qui poussent le ministre à condamner ces méthodes qui ont, dans les pays anglo-saxons, fait la preuve de leur efficacité.

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[i] Cf. la méta analyse du National Institute of Child Health and Human Development (2000) et un résumé en français dans Sprenger Charolles, S et Colé, P. (2003). Lecture et dyslexie, approche cognitive. Paris : Dunod

Les recherches invoquées ne permettent donc pas de soutenir les injonctions  pédagogiques ministérielles?

 

Bien sûr que non. Nous ne contestons pas la validité des données scientifiques invoquées mais nous affirmons que les conséquences qui en sont tirées sont incohérentes et illégitimes. S’il est indispensable d’enseigner de manière explicite les mises en relation entre graphèmes et phonèmes[i], rien ne permet d’affirmer que les méthodes syllabiques sont les seules à le faire, encore moins qu’elles le font mieux que d’autres, leur impact n’ayant jamais été évalué. La preuve la plus évidente n’est-elle pas que le 30 novembre 2005 le directeur de l’enseignement scolaire[ii] encourageait les auteurs d’un projet à « expérimenter » et évaluer la méthode syllabique dans quelques écoles (résultats annoncés pour 2008) ? Un mois plus tard, celle-ci devenait néanmoins obligatoire dans tout l’hexagone ! Quel crédit accorderait-on à un ministre de la Santé qui imposerait de la même manière un médicament unique à tous les médecins généralistes sans validation préalable ?

Le plus ennuyeux dans cette affaire est que des scientifiques, parfois de bonne foi, se sont laissé instrumenter et servent aujourd’hui de caution à ces prescriptions aventureuses. Malgré leur méconnaissance du terrain et des recherches sur les pratiques pédagogiques des enseignants, quelques uns affirment de façon péremptoire que l’école primaire n’enseigne pas, ou pas assez, ou enseigne trop tard les correspondances entre graphèmes et phonèmes. Et que « la syllabique » est la seule méthode à le faire. Double erreur. Ils confondent un processus cognitif (celui du déchiffrage) avec une méthode pédagogique (la syllabique) et ils ignorent que les méthodes à dominante phonémique, qui font du déchiffrage la cible principale de leur intervention, sont archi-majoritaires en France.

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[i] Goigoux, R. (coord.) (2004). Enseigner la lecture au cycle 2, Paris : Nathan.

[ii] Courrier DESCO A9 n°2005-0032

Comment peut-on expliquer que de telles erreurs soient également commises par le ministère ?

 

Également par une grande méconnaissance de la réalité des pratiques pédagogiques caricaturées pour mieux justifier un retour nostalgique et populiste vers le passé. Les professeurs des écoles stagiaires qui ont été invités à dialoguer avec le ministre et les membres de son cabinet le 23 janvier à Sens ont été stupéfaits de l’ampleur de cette ignorance. C’est d’autant plus inquiétant que les informations pertinentes sont à la disposition de l’administration centrale : la dernière étude de terrain consacrée au cours préparatoire a été réalisée en 2004 par l’Inspection générale, institution peu suspecte de sympathie globaliste. On y apprend que 88% des maîtres observés organisent un travail sur la conscience phonique, 100% un moment de lecture déchiffrage et 77% des dictées de syllabes !

Comme certains chercheurs, les conseillers du ministre confondent encore la méthode naturelle de Freinet (qui consacre beaucoup de temps à l’étude des correspondances grapho-phonologiques) avec la méthode idéovisuelle promue par Foucambert qui elle, en revanche, excluait tout déchiffrage. Et ils semblent ignorer que cette dernière a totalement disparue des écoles. Les recherches anglo-saxones procèdent hélas au même amalgame, ce qui fragilise encore leurs implications concrètes comme le reconnaissaient d’ailleurs nos collègues Sprenger-Charolles et Colé en 2003 (pp. 5 à 10).

Pourquoi jugez-vous la méthode syllabique inappropriée ?

 

Cette méthode repose exclusivement sur une démarche synthétique : elle va de l’étude des lettres à celle des syllabes écrites puis aux mots et aux phrases (cf. la circulaire du 3 janvier). À cette fin, elle considère la conscience phonémique comme un pré-requis, ce qui pénalise une forte minorité d’élèves comme le confirment l’Observatoire national de la lecture et l’Inspection générale : « Les méthodes de lecture syllabiques traditionnelles qui partent de l'idée que p + a = pa est le point de départ de l'apprentissage de la lecture ne peuvent être retenues en l'état. Elles omettent en effet tout le processus qui conduit l'enfant à pouvoir analyser la parole en unités élémentaires. Or, pour comprendre comment fonctionnent les associations graphèmes-phonèmes, les élèves doivent préalablement avoir pris conscience que la parole peut être segmentée en unités (mots, syllabes, phonèmes) et que les plus petites de ces unités (phonèmes) ont pour contrepartie des lettres ou des groupes de lettres (les graphèmes) »[1]. Cette prise de conscience phonémique est le résultat de l’enseignement qui dispensé en grande section de maternelle[2], absente de la réflexion ministérielle, puis au cours préparatoire à travers des activités spécifiques d’analyse phonologique et d’écriture tâtonnée.

Ignorant tout cela, le ministre prend pour modèle la méthode syllabique Léo et Léa[3] qu’il demande à tous les éditeurs scolaires d’imiter. Dans ce manuel, avatar moderne de la méthode Boscher, les textes soumis aux élèves sont exclusivement rédigés avec des mots constitués de syllabes connues. Par exemple : « Le père a pêché une loche. Farro la hume puis il jappe ; la loche ne parle pas ! Il la lèche alors Léo le chasse » (Léo et Léa, p. 31). Le vocabulaire choisi ne tient aucun compte du sens et de l’intérêt du texte pour les élèves, ni de leurs connaissances lexicales. 

Dans la mesure où les méthodes syllabiques, dans leur souci de simplification extrême, confondent la lettre et le son, elles retardent l’étude des graphèmes complexes. Ainsi, dans Léo et Léa, le phonème /o/ est exclusivement associé à la lettre o jusqu’à la 41è leçon de l’année, obligeant les auteurs à fabriquer des pseudo récits tels que : « Léa sort le cheval. Faro le mord. Le cheval a mal. Il remue puis il rue. Léa lui parle fort. Faro file. » (idem, p. 23) et à différer au troisième trimestre l’introduction de mots tels que beau, auto ou château.

Pire encore, de nombreux mots, parmi les plus fréquents du français ne sont jamais proposés aux élèves car ils sont irréguliers ou trop complexes du point de vue graphophonologique. Sur ce point aussi, les méthodes syllabiques sont en contradiction flagrante avec les programmes en vigueur qui demandent aux enseignants d’introduire des mots fréquents dès le début de l’année, « pour l'essentiel des mots outils » dont « la forme orthographique est mémorisée ». Pas un seul « et », « dans » ou « un » dans les dix premières leçons de Léo et Léa ; pas une seule fois le verbe « être » conjugué au présent. Plus de la moitié des vingt mots les plus fréquents de la langue française n’est jamais lue au cours du premier trimestre.

Dans les méthodes syllabiques, plusieurs mois sont ainsi consacrés à l’étude de phrases simplement juxtaposées, loin des récits de la littérature pour la jeunesse que les élèves avaient l’habitude de travailler à l’école maternelle : tous les verbes sont au présent, on ne trouve pas de connecteurs, peu de substituts nominaux ou pronominaux, etc. L’enseignement de la compréhension, pourtant exigé par les programmes, n’y est pas assuré. De manière plus générale, l’entrée dans la culture de l’écrit (ses œuvres, ses codes linguistiques et ses pratiques sociales) est délaissée. L’accès au livre est réservé aux bons élèves, ceux qui ont terminé leurs exercices avant les autres. Les activités d’écriture (au sens de production de textes courts avec l’aide de l’enseignant) y sont absentes au début de l’apprentissage alors que les recherches indiquent leur importance pour tous les apprentissages langagiers, y compris celui du code alphabétique.

Pour toutes ces raisons, les instituteurs et professeurs des écoles ont abandonné les méthodes syllabiques pour les remplacer progressivement par des méthodes basées sur des progressions phonémiques que l’on peut qualifier d’intégratives car elles visent tous les apprentissages évoqués ci-dessus en interaction[4] et tout au long du cycle 2. Ces enseignants sont convaincus que l’école ne doit pas déléguer aux familles des pans entiers de l’enseignement si elle ne veut pas contribuer à accroître les inégalités sociales. Se limiter au B-A, BA est de ce point de vue tout aussi inacceptable que de ne pas le prendre sérieusement en charge.

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[1] L’apprentissage de la lecture à l’école primaire. Rapport n°2005-123.

[2] Goigoux, R., Cèbe, S. et Paour, J.L. (2004). Phono Développer les compétences phonologiques en GS et au début du CP. Paris : Hatier.

[3] Lire avec Léo et Léa, Belin, 2004.

Communiqué de l’intersyndicale (FSU, UNSA, SUD) de l’IUFM d Auvergne.

DVD sur la lecture : pressions pour l’abandon du projet !

 

L’intersyndicale (FSU, SUD et UNSA) de l’IUFM d’Auvergne proteste vigoureusement contre l’intrusion du cabinet du ministre de l’Éducation nationale dans les choix pédagogiques de l’institut.

À la demande du cabinet du ministre, le Recteur de l Académie de Clermont-Ferrand vient en effet d’exiger que l’IUFM d’Auvergne renonce à son projet d édition d’un DVD sur l’apprentissage de la lecture. Ce DVD devait notamment comporter des extraits de la conférence prononcée sur ce sujet le 14  février par les professeurs Michel Fayol et Roland Goigoux (dépêche AEF  n°61539).

Une partie des 900 personnes présentes ce soir-là à Clermont-Ferrand (étudiants, enseignants, parents, élus, cadres) n’avait pu trouver place dans les amphithéâtres de l’Université Blaise Pascal ce qui avait conduit l’IUFM à  prolonger sa mission de formation par la réalisation de ce DVD. Le public, y compris les nombreux inspecteurs de l’éducation nationale présents, avait souligné l’excellente tenue scientifique de la conférence dont le but était de « Faire le point sur l’apprentissage de la lecture ».

L’intersyndicale rappelle de plus que le principe de cette conférence avait été arrêté unanimement lors du conseil scientifique et pédagogique (CSP) de l’institut et que sa publicité avait été relayée par les services rectoraux et les inspections d Académie.

Dès lors l’exigence du Recteur apparaît infondée et abusive : l’interdiction pédagogique qui pèse sur l’IUFM équivaut à exclure de la formation des  enseignants tout apport universitaire critique, comme ce fut déjà le cas à l’ESEN pour la formation des inspecteurs du premier degré (cf. dépêche AEF n°61072).

L’intersyndicale dénonce cette conception autoritaire et sclérosante. Elle rappelle que l’IUFM est un établissement universitaire, donc autonome, et qu il n est pas un service du rectorat, ni un rouage de la ligne hiérarchique contrôlant le travail enseignant.

* De larges extraits des conférences  sont consultables sur Le café Pédagogique : “Lecture : Fayol et Goigoux font salle comble à Clermont-Ferrand”

http://www.cafepedagogique.net/dossiers/contribs/clermontf.php

 

Responsabilité pédagogique et principe de précaution

Pour éviter que le texte de 18 universitaires « Lecture : le point de vue de scientifiques » serve à justifier une politique aventureuse

André OUZOULIAS*, professeur à l’IUFM de Versailles

 

Le ministre ne paraît pas avoir entendu le message des professionnels, ni celui des chercheurs ; son cabinet a annoncé sa décision de modifier sans délai les programmes, pour les rendre conformes à sa circulaire du 3 janvier. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Dans un texte mis en ligne sur le site du Café Pédagogique, 18 universitaires prennent la parole sur les débats en cours à propos de l’enseignement de la lecture. Ce texte est d’autant plus intéressant que plusieurs de ces chercheurs (Pascale Colé, Jean-Émile Gombert, Jonathan Grainger, José Morais, Franck Ramus, Liliane Sprenger-Charolles et Johannes Ziegler) avaient été cités par le ministre, en annexe de sa circulaire du 3 janvier, dans un montage d’extraits censé établir le fondement scientifique de ses annonces. On y trouve aussi la signature de José Morais, Laurence Rieben et Sylviane Valdois, qui font partie du Conseil Scientifique de l’Observatoire National de la Lecture (ONL), organisme placé sous la responsabilité du Premier Ministre, et qui, jusqu’ici, en tant que tel, est resté silencieux sur la circulaire du 3 janvier.

Après différents appels de chercheurs et professionnels et une interview très critique de Michel Fayol, professeur de Psychologie à l’Université de Clermont-Ferrand, tous ceux qui, depuis la mi-décembre, se sont évertués à rétablir les vérités mises à mal par le ministre, à refuser les simplifications grossières, à éviter des mesures régressives, à favoriser un débat apaisé et informé, trouvent dans ce texte une forme de renfort presque inespéré. En effet, par-delà des accents scientistes («  les enseignants ne sont pas en position d’évaluer de manière objective l’efficacité de leurs pratiques » ; « seule la science, en menant des études rigoureusement contrôlées, est en mesure de déterminer avec certitude quelles pratiques sont objectivement les meilleures »), qu’on ne retrouve pas habituellement dans leurs textes personnels, les auteurs observent, à l’inverse du ministre, que :

1°) les programmes de 2002 se sont largement inspirés des résultats de la recherche scientifique sur les méthodes d’enseignement de la lecture ;

2°) il n’y avait probablement pas de raison de décréter l’état d’urgence dans les CP, car il semble qu’une grande majorité des professeurs des écoles enseignent effectivement le déchiffrage dès le début du CP, et la plupart des manuels publiés respectent l’esprit des programmes ;

3°) il ne faut certainement pas revenir aux vieilles méthodes enseignant exclusivement le B-A BA de manière répétitive et dénuée de sens ; ces chercheurs ajoutent : nous rejoignons l’avis du monde enseignant pour dire que les méthodes qui, dans l’état actuel de l’art, semblent optimales, initient l’enfant non seulement au déchiffrage, mais également à la morphologie, à la syntaxe, à la compréhension de textes ayant un sens, ainsi qu’à l’écriture ;

4°) du moment que le déchiffrage est enseigné systématiquement, il importe peu que l’approche soit plutôt analytique (du mot ou de la syllabe vers le phonème) ou synthétique (du phonème vers la syllabe et le mot).[1]

5°) les causes de l’illettrisme sont multiples, incluant de nombreux facteurs socio-culturels et une faible maîtrise de la langue orale ; l’école maternelle a un rôle important à jouer ; la dyslexie concerne un groupe très minoritaire d’enfants ;

6°) la recherche scientifique appliquée à l’éducation doit encore être développée et soutenue.

 

Malgré cela, par la voie de son cabinet, le ministre vient de faire connaître sa décision de modifier sans délai les programmes, pour les rendre conformes à sa circulaire du 3 janvier ; il a convoqué pour cela le Conseil Supérieur de l’Éducation le 1er mars. En outre, on peut craindre que le « séminaire national » du 9 mars[2] lui serve de scène pour justifier ces changements. Le ministre semble persister, il ne paraît pas avoir entendu le message des professionnels, ni celui des chercheurs. Or, le discours « des 18 » comporte quelques approximations, simplifications ou ambiguïtés (presque inévitables dans ce genre de texte) qui pourraient apparaître au ministre, comme autant d’opportunités pour justifier les changements qu’il a décidés… alors même que, quand on connaît bien leurs travaux, ces chercheurs n’y adhèreraient absolument pas ! La façon dont le ministre a instrumentalisé la recherche et les chercheurs, depuis la fin décembre justifie hélas cette crainte pour l’avenir.

 

Rendre possibles différentes formes d’enseignement de la grapho-phonologie

 

Ainsi, le texte « des 18 » affirme que « l’obligation d’enseigner le déchiffrage dès le début du CP serait un net progrès pour la minorité d’enfants qui, actuellement, n’en bénéficient pas » et définit par ailleurs ce déchiffrage comme la transformation « des lettres en sons ou, plus précisément, des graphèmes en phonèmes ». Ce qui est gênant ici, c’est précisément cette définition du déchiffrage, car se retrouveraient prohibées par la même occasion des méthodes d’apprentissage qui prennent soin de favoriser, pour tous les enfants, la conquête difficile du concept de phonème et du principe alphabétique, en démarrant le décodage à un niveau « supra-phonémique », plus accessible aux enfants les moins expérimentés face à l’écrit (par exemple en utilisant des blocs syllabiques familiers ou des mots fréquents tels que ma, la et de pour lire malade ou encore des morphèmes comme age et lait pour lire laitage).

Jean-Émile Gombert, dans des travaux pionniers en français, a montré qu’une première expérience de l’écrit conduisait de nombreux enfants à utiliser ces régularités appelées analogies orthographiques, particulièrement les analogies au niveau de la syllabe ou des morphèmes (à l’interface entre les unités signifiantes que sont les mots et les unités non signifiantes et plus abstraites que sont les phonèmes). L’expérience de nombreux enseignants de Grande Section et de CP montre aussi qu’en valorisant et en systématisant l’observation et l’usage de ces analogies orthographiques, tant pour lire que pour écrire, loin de ralentir l’accès à la découverte des Conversions Graphèmes-Phonèmes (CGP), le rendent plus facile pour tous. Ils évitent ainsi la plupart des « décrochages » précoces d’élèves manquant d’expérience et qui n’ont d’autre choix, avec une méthode phonique centrée sur les seules CGP dès le mois de septembre, que le « ça passe » (ils comprennent par exemple ce que le maître appelle « les deux petits sons qu’on entend dans [pu] ») ou « ça casse » (ils n’accèdent pas à la notion de phonème et ceci les empêche de les saisir dans la syllabe et de tirer profit de l’enseignement prodigué). L’idée, juste au demeurant, de recommander un enseignement systématique et précoce de la grapho-phonologie au CP, dans la continuité de la Grande Section, ne doit pas interdire d’y concevoir une progressivité.

De même, concernant les blocs syllabiques lus directement sans repasser par la fusion des phonèmes, Pascale Colé a pu montrer que, dès la fin du CP, les élèves les plus avancés avaient « unitisé » des blocs fréquents et s’en servaient pour décoder des mots nouveaux. De tels résultats confortent les pratiques de maîtres qui, pour accélérer le développement de cette habileté, utilisent par exemple la technique des « cartons éclairs » de syllabes[3], aussi bien avant qu’après la découverte des CGP.

Concernant l’usage de la morphologie lexicale pour décoder, Liliane Sprenger-Charolles et Pascale Colé ont pu montrer que des collégiens en risque de dyslexie bénéficient d’un enseignement méthodique de la structure morphologique des mots (ils dé/mont/ai/ent). De tels travaux peuvent encourager les praticiens à valoriser plus précocement et plus systématiquement ces unités de lecture, pour favoriser la réussite de tous leurs élèves, notamment ceux qui sont les plus éloignés d’une compréhension immédiate du principe alphabétique (et pas seulement ceux qui sont pressentis comme dyslexiques). Du reste, c’est ainsi que, récemment, ont été mises à la disposition des maîtres de nouvelles progressions dès le début du CP, alliant grapho-phonologie pure et morphologie, comme le proposent par exemple les auteurs de Crocolivre, dont Jean-Émile Gombert et Pascale Colé.

Or, dans le texte « des 18 », l’accent quasi exclusif mis sur les CGP et sur leur enseignement dès le début du CP, à l’instar des travaux anglo-américains analysés dans le rapport du National Reading Panel[4], risque de conduire à des effets contraires aux intentions de plusieurs auteurs du texte : représentons-nous ces maîtres qui ont une longue expérience du CP et qui s’efforcent aujourd’hui de faciliter la réussite de leurs élèves en organisant un apprentissage méthodique et progressif de la grapho-phonologie qui ne commence pas par les CGP, éventuellement tuilé avec un apprentissage progressif de la morphologie ; imaginons qu’ils soient forcés par leur hiérarchie administrative, d’abandonner ces pratiques… il n’est malheureusement pas difficile de prévoir que cela conduirait à davantage d’échecs. Dans l’apprentissage de la reconnaissance des mots écrits, il y a en effet deux façons de nuire aux enfants : ne pas enseigner du tout le décodage ou, pour les enfants qui sont les moins expérimentés et les moins prêts à cet apprentissage, le leur proposer « bille en tête », au niveau le moins accessible, sur les CGP, par exemple avec des consonnes occlusives, dès le début du mois de septembre.

Quoique l’expression « b-a, ba » soit synonyme de « facile » dans le langage ordinaire, la plupart des chercheurs savent bien qu’il ne suffit pas qu’on leur enseigne le déchiffrage pour que tous les élèves l’apprennent. Car son appropriation suppose la compréhension de ce concept très spécifique et plus savant qu’il n’y paraît : le phonème (voir par exemple, sur ce point, le développement de Michel Fayol dans son intervention du 14 février dernier à l’IUFM de Clermont-Ferrand, sur la page http://www.cafepedagogique.net/dossiers/contribs/clermontf.php ). Une fois posé le caractère incontournable de la grapho-phonologie, la science ne s’arrête pas. Au contraire, tout ne fait que commencer pour elle : il lui reste à explorer l’immense question du comment, à l’articulation entre la recherche en laboratoire, les évaluations « rigoureusement menées », les capacités cliniques des maîtres et leur inventivité. Prenons garde que tout cela nous soit interdit le 1er mars par des dispositions précipitées et que nous ne puissions plus alors que comparer rigoureusement, sur de vastes panels, l’efficacité de Léo et Léa d’un côté, de Ratus ou de Gafi de l’autre.

 

Permettre l’usage des méthodes de lecture fondées sur l’écriture de textes

 

Dans leur texte, les 18 universitaires soulignent qu’un paragraphe des programmes est ambigu, celui qui dit, page 77 : « Certaines méthodes proposent de faire l’économie de l’apprentissage de la reconnaissance indirecte des mots (méthodes globales, méthodes idéo-visuelles…) de manière à éviter que certains élèves ne s’enferment dans cette phase de déchiffrage réputée peu efficace pour le traitement de la signification des textes. On considère souvent aujourd’hui que ce choix comporte plus d’inconvénients que d’avantages (…). On peut toutefois considérer que la plupart de ces méthodes, par le très large usage qu’elles font des activités d’écriture, parviennent aussi à enseigner, de manière moins explicite, les relations entre graphèmes et phonèmes. Il appartient aux enseignants de choisir la voie qui conduit le plus efficacement tous les élèves à toutes les compétences fixées par les programmes (les compétences de déchiffrage de mots inconnus en font partie). » 

Pourtant, si on lit bien ce passage, sa fonction n’est pas d’autoriser sans condition les méthodes dans lesquelles les enfants n’apprennent pas à déchiffrer, mais d’obliger, sans ambiguïté, les rares praticiens qui seraient tentés par ce choix à faire en sorte que leurs élèves sachent finalement déchiffrer des mots inconnus et de leur donner le moyen pédagogique d’y parvenir : faire un très large usage des activités d’écriture (incise qui a d’ailleurs disparu de la reprise de ce passage dans le texte « des 18 », comme a disparu la précision pourtant essentielle : « les compétences de déchiffrage de mots inconnus en font partie »).

Si le ministre supprimait ce passage pour interdire aux enseignants le choix d’approches différentes des méthodes purement phoniques, il serait logique aussi qu’il interdise des méthodes telles que Boscher ou Léo et Léa (qui, répétons-le, n’ont jamais été interdites par les programmes antérieurs). Comme le dit le texte « des 18 », ces méthodes-là sont en effet trop unilatérales, elles négligent totalement les compétences liées à la maîtrise de la langue orale, à la morphologie, à l’orthographe, à la syntaxe, à la compréhension des phrases et des textes, à l’écriture des textes, etc.

Pourtant, en dépit d’une apparence de logique, cette façon de concevoir les programmes serait contraire à deux principes essentiels, celui de la responsabilité des enseignants dans le choix de leurs démarche et de leurs outils, responsabilité encadrée par les programmes, et celui du principe de précaution.

1°) Principe de responsabilité : de même que des maîtres parviennent effectivement à ce que leurs élèves apprennent à décoder des mots nouveaux, sans enseignement direct et précoce des CGP, grâce à un très large usage des activités d’écriture, de même il se pourrait que les rares maîtres qui choisiraient Léo et Léa par exemple, parviennent à des compétences suffisantes de leurs élèves dans l’oral, la morphologie, l’orthographe en écriture, la voie directe en lecture, la syntaxe, l’écriture et la compréhension de textes, en faisant, eux aussi, un très large usage des activités d’écriture de texte (et non seulement de syllabes et de mots) et en complétant les activités de déchiffrage réalisées sur des supports tout à fait artificiels par des activités de lecture et de compréhension sur des textes authentiques (documentaires, fonctionnels, poétiques et littéraires). On ne voit pas au nom de quelle science, il faudrait interdire ce choix. Il faut au contraire le rendre possible, en l’encadrant de façon stricte.

2°) Principe de précaution : en n’amputant pas les programmes de ce paragraphe, ni du précédent sur les différentes formes de progressivité dans le décodage, on permet à des praticiens qui font un très large usage des activités d’écriture, particulièrement ceux qui se réclament plus ou moins explicitement des procédés et techniques mis au point par les praticiens de la Méthode Naturelle de Lecture-Écriture[5], de s’inscrire dans des pratiques qui suscitent depuis longtemps l’intérêt de chercheurs comme la psychologue suisse, Laurence Rieben, peu suspects de tomber dans une vision idéologique des méthodes. Ainsi que l’a souligné récemment Michel Fayol à Clermont-Ferrand (conférence déjà citée), ces praticiens travaillent sur l’axe de la relation écriture-lecture, qui est encore en grande part une terra incognita pour les psychologues. Il serait dramatique de mettre fin, par décret administratif, à ces recherches pratiques et théoriques. Dans un autre texte en réponse à celui « des 18 », intitulé La lecture : même les scientifiques devraient être plus prudents (http://www.cafepedagogique.net/dossiers/contribs/brissiaud.php), Rémi Brissiaud argumente en faveur de cette même idée d’un principe de précaution à respecter autant dans l’intérêt des élèves que dans celui de la science elle-même.

 

L’une des principales préoccupations du ministre semble être une sorte d’interdiction de fait qu’auraient eu à subir certains maîtres souhaitant utiliser Léo et Léa. En rappelant que les méthodes telles que Léo et Léa peuvent être pratiquées sous conditions que…, l’administration expliciterait la logique actuelle des programmes et ferait preuve d’une grande sagesse.

 

Il reste à espérer que, du côté des scientifiques auteurs du texte déjà cité, viennent rapidement (avant le 1er mars) les nécessaires mises au point en direction de l’administration et que celle-ci en tienne compte. Sinon, les modifications des programmes se feront sur le mode de l’interdiction et de façon unilatérale. Il en résulterait alors pour tous, chercheurs et praticiens, surprises, déconvenues et amertumes. Et pour les enfants, une limitation a priori de leurs possibilités d’apprentissage.

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[1] Or, le ministre a clairement indiqué qu’il souhaitait privilégier une méthode purement synthétique.

[2]  Les IA et directeurs d’IUFM sont convoqués à Paris à un séminaire où interviendront plusieurs des signataires du texte évoqué ci-dessus.

[3] L’enseignant présente brièvement (1 seconde) à la perception de l’élève un carton sur lequel est écrite une syllabe (« chou » par exemple). L’élève doit dire quelle syllabe il a lue. Aussitôt, on lui permet de vérifier sa lecture en lui montrant de nouveau le carton, mais autant de temps que nécessaire pour effectuer cette vérification. En cas d’échec après la première présentation, l’enseignant peut proposer une deuxième fois la vision de la syllabe écrite, mais toujours de façon brève (d’où le terme « éclair »). Puis on passe à une autre syllabe, etc. On peut aussi proposer de cette façon des cartons éclairs de mots, courts et fréquents d’abord, puis de plus en plus longs, pour aider au développement du lexique orthographique (voie directe). On imagine assez bien que cette activité des cartons-éclairs, inspirée des logiciels de lecture de l’AFL (Elsa), qui l’utilisent uniquement pour des mots et des textes, puisse être également proposée sur ordinateur.

[4] Dans un texte mis en ligne sur le site des Cahiers Pédagogiques : L’erreur orthographique, l’apprentissage implicite et la question des méthodes de lecture – écriture (http://www.cahiers-pedagogiques.com/article.php3?id_article=2174), Rémi Brissiaud montre pourquoi le rôle des analogies orthographiques est nécessairement plus réduit en anglais qu’en français. Dans le texte La révolution du 3 janvier et le syndrome de la tortue de Floride (http://www.cafepedagogique.net/dossiers/contribs/ouzoulias.php), j’essaie de montrer que, plus généralement, les résultats des recherches anglo-américaines doivent être utilisés avec d’infinies précautions pour éclairer les débats sur l’apprentissage de la lecture en langue française et dans le contexte scolaire et pédagogique de la France.

[5] Et que beaucoup confondent avec les partisans des méthodes globale et idéovisuelle…

 

* André Ouzoulias est professeur à l'IUFM de Versailles.

Il collabore étroitement depuis plus de 13 ans avec Rémi Brissiaud et divers enseignants du Val d'Oise à l'expérimentation d'une nouvelle approche des apprentissages mathématiques à l'école primaire qui a donné lieu à la conception d'un ensemble d'outils pédagogiques pour l'école maternelle et élémentaire dont il est coauteur: "J'apprends les maths - de la GS au CM2 - Retz"

Par ailleurs, il a conduit une recherche sur l'apprentissage de la lecture-écriture impliquant des enseignants de la maternelle au CE1 et a dirigé l'élaboration de MEDIAL (Moniteur pour l'Évaluation des Difficultés de l'Apprenti Lecteur). Il s'agit d'un outil d'évaluation diagnostique mis au point avec une équipe de maîtres de Réseaux d'Aides Spécialisées. Il est l'auteur de L'apprenti lecteur en difficulté: évaluer, comprendre, aider (ces deux ouvrages sont également publiés aux éditions Retz). Il a publié divers articles dans les revues et des ouvrages collectifs sur l'apprentissage de la lecture.

 

 

Apprendre à lire avant 6 ans

André Giordan

Dès 2-3 ans, le très jeune éprouve le désir de déchiffrer. Pourquoi ne pas profiter alors de ses immenses potentialités intellectuelles ?

 

En matière de lecture, les résultats sont inquiétants. A 10 ans, 40% des élèves ont des difficultés de compréhension d'un texte de dix lignes. Ils ont du mal à établir des liens entre les différentes parties ou à replacer celles-ci dans le cadre d'un savoir commun. 11% ne saisissent pas le sens des mots usuels, d'après les évaluations du ministère de l'Education. Périodiquement, un bouc émissaire est désigné. Aujourd'hui, haro sur l'approche «globale»! Revenons à la bonne vieille méthode d'antan et tout sera réglé! Et si le problème était mal posé? Et s'il fallait envisager les choses autrement?

D'abord, la méthode de lecture dite «globale», promue au début du XXe siècle, n'est plus utilisée dans les classes, et cela depuis trente ans! En effet, l'expérience des enseignants et des chercheurs a rapidement montré qu'il fallait à la fois apprendre à déchiffrer un mot et travailler le sens, la compréhension. A présent, les méthodes employées croisent ces deux axes. Il est ainsi des serpents à sornettes qui ont la vie dure à l'école!

Ensuite, pourquoi attendre l'âge de 6 ans pour apprendre à lire? Cela avait du sens quand l'école, seul lieu d'apprentissage, débutait à cet âge. Aujourd'hui, sur-stimulé en permanence dès 2-3 ans par les jeux éducatifs, la publicité, la télévision ou même par les DVD ou Internet, le très jeune éprouve le désir de déchiffrer. Pourquoi ne le favoriserait-on pas à une époque de la vie où l'enfant est avide de tout savoir?

Les potentialités intellectuelles du jeune enfant sont immenses. Les premières années de la vie sont cruciales pour l'acquisition des habiletés corporelles ou mentales. Malheureusement, les conceptions pédagogiques restent tenaces. Quand on pense école, on pense immédiatement programme, méthode, progression. Pour l'apprentissage de la lecture, rien de tel. Le petit enfant apprend à lire comme il apprend à parler ou à marcher: tout naturellement, par une interaction continue avec l'écrit, les autres et les adultes.

Tout est affaire d'appétence, tout est affaire d'environnement. Dans la famille et à l'école maternelle, les propositions pratiques peuvent être multiples grâce aux nombreux jeux éducatifs, aux multiples jeux numérisés ou sites Internet, plus attrayants les uns que les autres, et aux innombrables occasions de la vie quotidienne où le petit est face à l'écrit: journaux, affiches, écrans télévisés. Il suffit de les saisir au passage et d'en parler entre enfants et adultes!

 

Article paru dans L'Express du 02/02/2006 et transmis par l’auteur.

 

André Giordan, Professeur
Laboratoire de Didactique et Epistémologie des Sciences, Directeur
Université de Genève

http://www.ldes.unige.ch

La méthode syllabique, une méthode élitiste !   

Mireille Usséglio
Enseignante spécialisée AIS - Conseillère pédagogique

 

Cette "bonne vieille méthode" a été à son apogée dans les années 60. Elle aboutissait à 30 % de redoublants au CP, à une époque où la seule exigence de cette classe était le "déchiffrage" puisque la "lecture courante", puis la "lecture expressive" était de la responsabilité des classes suivantes.( statistique officielle du ministère ) Epoque où la moitié des enfants quittaient l'école sans aucun diplôme...
Epoque également où on considérait comme normal que seuls 10 % des élèves accèdent au lycée dans une optique "d'études longues".

Et c'est parce que les enseignants d'alors, comme ceux d'aujourd'hui, avaient à cœur la réussite de leurs élèves, qu'ils ont cherché d'autres voies d'apprentissage. Les pionniers en la matière, comme Célestin Freinet… Lire la suite sur : http://www.cafepedagogique.net/disci/tribune/70.php

Imposer la syllabique…

Mais, au fait, la langue française est-elle syllabique ?

Eveline Charmeux

 

Avant de déclarer la méthode syllabique obligatoire, il serait peut-être décent de se demander si le français, notamment le français écrit (puisqu’il est question de lecture), est bien syllabique, c’est-à-dire si la syllabe est bien l’une de ses composantes.

Or, rien n’est moins sûr.

Une des caractéristiques particulières de la langue française est que les lettres, les plus importantes pour la compréhension des mots et des messages auxquels ils appartiennent, sont des lettres qui ne se prononcent pas, soit en finale, soit dans le corps des mots : chante et chantent ; pois et poids etc.

C’est à Robert Estienne que nous devons en partie cette particularité, grâce à une initiative, assez affreuse socialement (« l’orthographe doit distinguer les honnêtes gens des ignorants et des simples femmes » !), mais géniale linguistiquement. Sans le vouloir (et sans doute, sans le savoir) il avait eu l’intuition remarquable de la profonde différence de fonctionnement entre la langue de l’oral (faite de signes sonores, perçus par l’oreille) et celle de l’écrit (faite de signes visibles, perçus par les yeux). C’est ainsi que dans ses principes sur l’orthographe, il souhaite, entre autres, que soient distingués par l’écriture les sens différents d’un même mot : les exemples sont nombreux : dessin et dessein, exaucer et exhausser etc. Et, contrairement à ce qui se dit en général sur ce point, c’est une excellente idée favorisant au plus haut point la lecture et la compréhension visuelle directe.

Du coup, ces propositions ont confirmé une relative indépendance des formes, orale et écrite du français ; relative, bien entendu, mais réelle tout de même : j’entends le même « son » (phonème) dans opticien et dans obtenir ; et je ne vois pas la même lettre…

Cette indépendance relative est encore renforcée par le fait que les mots ne se prononcent pas du tout de la même manière d’un endroit à un autre de la Francophonie ; d’où l’absurdité de vouloir « simplifier » l’orthographe en la rapprochant de la prononciation… La prononciation de qui ? Des Québécois ? des Strabourgeois ? des Antillais ? La notion de prononciation standard est absurde : même à Paris, elle n’existe pas.

Tout ceci entraîne deux conséquences à propos de la syllabe. Si elle a une incontestable réalité articulatoire, à l’oral (mais à l’oral seulement), cette réalité n’a rien de stable :

1) Le nombre de syllabes d’un mot n’est pas le même d’une région à une autre et même d’un moment à un autre pour un même sujet parlant : un Parisien dira « il y a une fenêtre d’ouverte » en prononçant le mot « fenêtre » avec deux syllabes : [fenètr] ; mais il dira aussi : « ferme la fenêtre », avec une seul syllabe : [fnètr], là où le Toulousain en prononcera trois ! Difficile, dans ces conditions de s’appuyer sur la syllabe pour identifier un mot, sauf à appauvrir le vocabulaire en limitant le choix aux rares mots qui se prononcent de la même manière partout…

2) On ne trouve pas de syllabes écrites en français. Pour les trouver, il faut passer par la prononciation du mot, qui elle-même exige que le mot soit compris pour être prononcé.

Soient les deux mots :

Panier

Pantin

Comment savoir quel statut il faut donner à la lettre « n » dans chacun de ces mots ? Doit-on rattacher cette lettre au « a » qui la précède, ou au « i » qui suit ? Selon quel critère ? Où faire le partage des deux syllabes qui les constituent ?

Il est clair que seule la compréhension permet de faire ce travail dont, au surplus, on ne voit guère l’intérêt !

Certaines traditions sont même sur ce point assez nocives : faire croire, par exemple, que dans les mots à doubles consonnes, comme poisson, il faudrait couper le mot en fin de ligne de la façon suivante pois-son, est une contre-vérité : les deux syllabes de ce mot sont évidemment poi-sson.

Pire, les collègues savent bien que si l’on demande à un enfant de CP de couper le mot ALAIN en syllabes, cela donnera à coup sûr, surtout si le tableau des syllabes est affiché : A/LA/IN

En fait, ceci confirme que le français écrit n’est pas vraiment une langue syllabique, contrairement à d’autres, le japonais, par exemple. Du reste, les phonéticiens ont beaucoup de mal à lui trouver une réalité linguistique, même à l’oral.

Travailler sur elle au cycle 2, c’est mettre les enfants en présence d’un objet totalement abstrait, et donc fort difficile.

De plus, faire travailler sur des syllabes artificielles est une pratique fort dangereuse, notamment pour l’orthographe. En effet, même si l’on annonce aux enfants que les syllabes à lire n’ont aucun sens (ce qui, déjà est curieux quand on songe qu’apprendre à lire, c’est apprendre à comprendre !), on ne peut empêcher un enfant qui lit la syllabe « bo » de penser au mot « beau » qu’il a entendu et qu’il connaît. Il va ainsi mémoriser une relation « image graphique / signifié » qui le détourne de l’orthographe du mot, et le conduit à l’écrire avec des erreurs.

La conclusion de tout ceci, c’est que la syllabe n’a pas grand-chose à faire dans l’apprentissage de la lecture en français.

Depuis que mon équipe et moi, nous avons fait ce constat, nous avons travaillé avec les enfants de cycle 2, en supprimant purement et simplement le passage par la syllabe dans leur apprentissage de la lecture. Depuis trente ans que nous travaillons ainsi, nous constatons chaque jour à quel point ce passage par la syllabe était un détour inutile. Inutile et même dangereux, car, la vraie difficulté pour les petits qui apprennent à lire, est ailleurs ; c’est de savoir que l’ordre des lettres est pertinent1. Or, le passage par la syllabe fait oublier cette donnée.

En fait, la démarche efficace, consiste :

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à faire découvrir d’abord la notion de mot écrit, dont on sait qu’elle est fort différente de celle de mot oral, et donc que les enfants n’en ont aucune connaissance tant qu’ils ne savent pas lire. Quand j’entends : le ciel est bleu, je n’entends qu’un seul mot, et rien ne peut laisser supposer qu’il y a plusieurs « paquets de lettres » (selon la jolie formule d’un petit de CP), ni comment ils sont séparés. C’est une fameuse découverte pour un petit.

bullet

puis, de leur faire découvrir que les mots sont composés de lettres, dont le nombre et l’ordre sont des propriétés essentielles. Ce sera possible, notamment, grâce à des comparaisons d’anagrammes, qui constituent le meilleur moyen de faire découvrir le rôle de l’ordre des lettres dans la signification et l’identification des mots. Cette démarche a aussi pour avantage de favoriser l’exploration beaucoup plus précise de l’orthographe, et de favoriser la construction d’un « regard orthographique » des mots, condition nécessaire à la compréhension et à l’acquisition du système orthographique français.

Décidément, la syllabique n’a vraiment rien d’automatique, parlez-en à votre instit, et surtout à votre ministre !

Février 2006

 

Voir, du même auteur, l’article sur les obstacles épistémologiques, notamment dans la « réponse à Rachel Boutonnet ». http://www.cahiers-pedagogiques.com/article.php3?id_article=2081

 

Eveline Charmeux
professeur honoraire IUFM Toulouse, ex-chercheur en pédagogie de la lecture et auteur de nombreux ouvrages sur la questio
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voir aussi l'analyse de la méthode Léo et Léa (téléchargeable)

Pratiques pédagogiques et apprentissage de la lecture

Liliane Sprenger-Charolles, Directeur de Recherche, CNRS et Université René Descartes, Paris

Pascale Colé, Professeur des Universités, CNRS et Université de Savoie, Chambéry

 

Après les prises de position de différents Ministres de l’Education Nationale, de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (Lang en 2002, Ferry en 2003 et de Robien en 2005-2006), la question de l’incidence des méthodes d’apprentissage de la lecture sur la réussite en lecture est de nouveau débattue. Dans ce contexte, et afin que chacun puisse se faire une opinion, il est important de présenter les résultats des évaluations effectivement disponibles.  

Avant de présenter ces résultats, il est toutefois nécessaire de souligner que, si la finalité de la lecture reste bien la compréhension de ce qui est lu, cette évidence ne doit pas occulter le fait que la plupart des difficultés d’apprentissage de la lecture ne proviennent pas de difficultés de compréhension (ONL, 1998 ; Sprenger-Charolles et Colé, 2003). La maîtrise de la lecture nécessite en effet le développement de capacités très spécifiques, les capacités d’identification des mots écrits. Si la compréhension de phrases ou de textes s’effectue aisément et sans effort cognitif apparent chez le lecteur expert, c’est parce qu’elle « s’appuie » sur une identification des mots écrits qui se déroule de façon quasi-réflexe. Ce sont ces capacités qui sont spécifiques à la lecture. En revanche, les capacités de compréhension sont largement amodales, c’est à dire similaires pour la compréhension orale et écrite. De fait, on relève généralement, chez des lecteurs adultes possédant des compétences d’identification des mots écrits bien développées, une corrélation quasi parfaite entre leur compréhension orale et écrite (de l’ordre de plus .90). Par conséquent, un des objectifs principaux de l’apprentissage de la lecture devrait être de permettre à l’enfant de parvenir à comprendre ce qu’il lit de la même façon qu’il comprend ce qu’il entend. Pour cela, il doit développer des procédures d’identification des mots rapides, précises et automatiques.

 

Pour ce qui concerne la question de l’incidence des méthodes sur l’apprentissage de la lecture, on dispose principalement de deux synthèses...     Lire la suite

http://www.cahiers-pedagogiques.com/article.php3?id_article=2243

Adresse aux 18 chercheurs :

votre avis compte, il est encore temps d’agir

 

Le 18 février dernier, vous avez mis en ligne sur le site du Café Pédagogique un point de vue sur ce que la science peut et ne peut pas dire concernant l’enseignement de la lecture[1]. Dans ce texte vous critiquez un paragraphe des programmes de 2002 parce que, de votre point de vue, il ouvrirait  la porte à toutes les méthodes, dont celles qui sont souvent qualifiées de « globales ». En vous appuyant sur le rapport  du National Institute of Child Health and Human Development (NICHHD), vous préconisez également dès le début du CP, un enseignement du déchiffrage en utilisant la correspondance entre graphèmes et phonèmes (ce que de nombreuses personnes appellent le Be-A -> BA). De manière plus précise, vous préconisez que cet enseignement se fasse en parallèle avec celui des autres compétences langagières.

Or, depuis, les intentions du ministre sont mieux connues : il a décidé de supprimer le paragraphe que vous critiquiez pour le remplacer par une injonction à enseigner, dès le début du CP, le déchiffrage à l’aide de la correspondance entre graphèmes et phonèmes. Votre avis compte donc beaucoup. C’est pourquoi je m’adresse à nouveau à vous, peu de temps avant que des décisions semblent devoir être prises.

Il y a peu, André Ouzoulias[2] et moi-même[3] avons déjà essayé de vous alerter sur les « dommages collatéraux » qu’engendrerait une obligation d’enseigner le Be-A -> BA dès les premiers jours du CP : les enseignants utilisant une méthode d’écriture-lecture,  c’est-à-dire la méthode naturelle de Freinet ou une méthode  plus systématique comme celle de Micheline Daumas (Ecrire pour lire ; Nathan 1990), se retrouveraient  obligés d’enseigner dans la clandestinité. 

Vous vous demandez peut-être pourquoi ces enseignants refuseraient de mener en parallèle, dès le début de l’année, l’enseignement du Be-A -> BA et des activités  de production d’écrit ? Ce refus peut se motiver de deux façons.

 

Une première raison : favoriser l’accès au principe alphabétique pour tous les élèves

Comme vous le savez, l’enseignement du Be-A -> BA est loin d’aller de soi. Ainsi le rapport du NICHHD souligne que : « To be able to make use of letter-sound information, children need phonemic awareness. » (2-96), ce qui peut se traduire par : Pour faire « sonner » les lettres et pouvoir utiliser les informations correspondantes, les enfants ont besoin d’une « conscience phonémique ». Par ailleurs, la méta-analyse  de divers entraînements  à la « conscience phonémique » qui est rapportée dans le rapport du NICHHD met en évidence un curieux phénomène : ces entraînements  ne sont pleinement efficaces que s’ils ne durent pas plus de 18 heures (2-41). Au-delà, leur efficacité est réduite de manière importante. Les chercheurs qui ont rédigé le rapport avouent d’ailleurs leur perplexité concernant les raisons de ce phénomène. De nombreux enseignants de CP, en tout cas, ne seraient guère surpris : ils savent que pour certains élèves, 18 heures c’est bien plus que nécessaire alors que pour d’autres, on pourrait doubler, tripler cet horaire sans que cela produise l’effet escompté. Bien au contraire, cela engendrerait presque assurément un profond découragement chez les élèves concernés.

Ces pédagogues pensaient avoir trouvé une solution pour permettre  à ces élèves  qui bloquent sur le Be-A-> BA de continuer à progresser vers la compréhension du principe alphabétique : leur fournir les moyens d’écrire avant de savoir lire. Certains chercheurs, d’ailleurs, considèrent que c’est là une hypothèse que les scientifiques devraient  prendre au sérieux et, donc, tester. Michel Fayol, par exemple, s’exprimait ainsi le mois dernier lors d'une conférence à Clermont-Ferrrand : 

"Si on veut dépassionner les débats, ça vaut la peine de s'interroger sur les aspects sur lesquels on n'a pas de réponse, et plutôt que d'apporter des réponses passionnelles, travailler à développer des travaux empiriques, par exemple sur la place à donner à l'écriture dans l'apprentissage. Il se pourrait que l'écriture soit un moteur pour l'apprentissage du principe alphabétique.  Mais c'est encore un conditionnel à confronter sérieusement au réel."[4]  

 

Une seconde raison : favoriser l’accès au code orthographique

En mettant l’accent sur la production d’écrit, les pédagogues qui choisissent une méthode d’écriture-lecture n’ont généralement pas pour seul objectif que tous leurs élèves s’approprient le principe alphabétique. Ils ne veulent pas seulement favoriser chez eux la maîtrise du code grapho-phonologique,  ils veulent favoriser aussi celle du code orthographique. Comme vous le savez, l’orthographe et l’accès à la lecture courante ont partie liée. Le code orthographique est important parce qu’il permet au lecteur de repérer plus directement le sens des mots (sot, seau, saut, …) ainsi que leur rôle dans la phrase (Elles content une histoire à leur petit frère. Il est content). Très souvent, dans le cadre d’une méthode d’écriture-lecture,  les pédagogues visent à ce que leurs élèves écrivent d’emblée sans erreurs orthographiques. Ils visent d’emblée à développer chez eux le doute orthographique. Or lorsqu’on enseigne de manière précoce le Be-A -> BA, cela transforme les stratégies d’écriture de certains élèves : ils se mettent à écrire les mots « comme ils les entendent » et produisent de nombreuses erreurs orthographiques.  En n’enseignant pas le Be-A -> BA dès le début de l’année, les pédagogues disposent de la durée nécessaire pour que la plupart de leurs élèves s’approprient cette attitude de doute orthographique. Ils sont alors plus nombreux à accéder rapidement à une lecture courante[5].

Vous remarquerez  que le choix de ces pédagogues (ne pas enseigner le Be-A -> BA de manière précoce et systématique en parallèle avec les pratiques d’écriture) s’avère bénéfique autant pour leurs élèves les moins avancés (pour la première raison : leur permettre de progresser vers la compréhension du principe alphabétique) que pour leurs élèves les plus avancés (pour la seconde raison : leur permettre d’accéder le plus rapidement possible à une lecture courante). Cette situation de convergence d’intérêts des deux sortes d’élèves est trop rare dans une pratique de classe pour qu’on ne la souligne pas ici.

 

Si les modifications de programmes passent, quelles issues pour les maîtres qui pratiquent une méthode d’écriture-lecture ?

Il apparaît difficile que ces maîtres renoncent à enseigner l’écrit au CP avec ce type de méthodes. Il faut avoir présent à l’esprit qu’elles sont à la fois plus ambitieuses mais aussi plus exigeantes que les méthodes phoniques classiques. Quand des maîtres ont fait l’effort de se les approprier, elles font souvent partie de leur identité professionnelle. Comme l’enseignement du Be-A -> BA dès le début de l’année est incompatible avec leur pédagogie de l’écrit, deux issues semblent les plus probables :

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qu’ils renoncent à enseigner au CP. Mais alors, l’Ecole, qui a déjà du mal à trouver des maîtres volontaires pour enseigner à ce niveau, se priverait ainsi d’une partie de ses enseignants les plus chevronnés, les plus informés et motivés pour assurer cet enseignement ;

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qu’ils continuent à adopter une méthode d’écriture – lecture dans la clandestinité  avec toutes les difficultés qui s’ensuivraient.

 

Un argument d’ordre éthique qui invite à la prudence

Mais revenons à ce que pourrait-être votre rôle dans les jours qui viennent. Avec André Ouzoulias, nous vous avons interpellé sur la façon dont vous utilisez certaines connaissances scientifiques. Deux d’entre vous (L. Rieben et J. Ziegler), à titre privé, nous ont dit qu’ils étaient très sensibles à nos arguments (différences entre l’anglais et le français et importance de l’écriture). Je suis persuadé que vous êtes plus nombreux à partager ce point de vue. Cependant, deux autres d’entre vous (L. Springer-Charolles et P. Colé) se sont récemment exprimées sur le sujet[6]. Or, elles continuent à argumenter en faveur de la modification ministérielle en s’appuyant sur des comparaisons entre méthodes phoniques classiques et méthodes idéo-visuelles.  Pourquoi refusent-elles d’admettre qu’il existe des méthodes, celles d’écriture-lecture, qui sont différentes à la fois des méthodes phoniques classiques et des méthodes idéo-visuelles  ? C’est là un profond mystère.

Vu le peu de temps dont nous semblons disposer avant que les décisions soient prises, permettez-moi  d’utiliser un argument d’ordre éthique. Vous défendez l’idée que l’évaluation scientifique des méthodes et des pratiques ne remet pas en cause la liberté pédagogique des enseignants. C’est malheureusement plus compliqué lorsque les évaluations menées n’ont pas concerné toutes les méthodes et pratiques possibles. Dans ce cas, gare aux dégâts collatéraux !

Vous semblez également rassurés par l’usage du mot parallèle dans votre préconisation « d’enseigner systématiquement et précocement le déchiffrage, en parallèle avec les autres compétences langagières ». Or, comme nous l’avons vu, les enseignants ayant choisi une méthode d’écriture-lecture  ont de bonnes raisons pour refuser d’enseigner en parallèle le Be-A -> BA et la production d’écrits. Si, comme on peut le penser, leur position est à la fois fondée de manière rationnelle et prise dans l’intérêt de leurs élèves, l’injonction d’enseigner le Be-A-> BA dès le début de l’année ne peut pas être analysée autrement que comme une atteinte à leur responsabilité pédagogique. Au final, c’est donc bien une part de liberté  pédagogique qui est en jeu dans cette affaire. Cet argument saura-t-il vous convaincre d’agir tant qu’il est temps ?

 

Rémi Brissiaud

MC de Psychologie à l’IUFM de Versailles

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[1] Lecture : le point de vue de scientifiques http://www.cafepedagogique.net/dossiers/contribs/ramus.php

[2] Responsabilité pédagogique et principe de précaution : http://education.devenir.free.fr/Lecture.htm#ouzoulias2

[3] Lecture : Même les scientifiques devraient être plus prudents : http://www.cafepedagogique.net/dossiers/contribs/brissiaud.php

[5] Cette idée est développée  et argumentée dans le texte : « L’erreur orthographique, l’apprentissage implicite et la question des méthodes de lecture-écriture » :  http://www.cahiers-pedagogiques.com/article.php3?id_article=2174

[6] Pratiques pédagogiques et apprentissage de la lecture : http://www.cahiers-pedagogiques.com/article.php3?id_article=2243

Apprendre à lire 

Séminaire ministériel du 9 mars 2006

bulletAlain Bentolila, professeur à l’université de Paris 5
bulletStanislas Dehaene, professeur au Collège de France
bulletJean-Emile Gombert, professeur à l’université de Rennes 2
bulletJosé Morais, professeur à l’université libre de Bruxelles
bulletLiliane Sprenger-Charolles, directrice de recherches au C.N.R.S.
bulletJohannes Ziegler, directeur de recherches au C.N.R.S.

ftp://trf.education.gouv.fr/pub/edutel/actu/2006/apprendre_a_lire.pdf

Le Conseil Supérieur de l'éducation rejette à une large majorité le projet d'arrêté sur l'apprentissage de la lecture

 

Les principaux textes soumis le mercredi 22 mars 2006 au CSE (Conseil supérieur de l'Éducation) ont été rejetés, ). Parmi eux, un projet d'arrêté modifiant les programmes de l'école primaire afin de les mettre en conformité avec la circulaire du 3 janvier relative à l'apprentissage de la lecture; un projet de décret relatif à la note de vie scolaire, un projet de décret sur les bourses au mérite en lycée, le projet d'arrêté organisant la diminution de "l'horaire non affecté" en classes de cinquième et de quatrième afin de financer les 1 000 postes d'enseignants supplémentaires dans les collèges ambition réussite, un projet de décret relatif à l'enregistrement des contrats d'apprentissage.

Le projet d'arrêté modifiant les programmes de l'école primaire afin de les mettre en conformité avec la circulaire du 3 janvier relative à l'apprentissage de la lecture a été rejeté par 6 voix pour, 23 contre, 2 abstentions et 8 refus de vote. Une déclaration commune semblable à celle du 14 mars dernier a été lue au nom de la FCPE, du SGEN-CFDT, du SE-UNSA, du SNUIPP-FSU, de la Ligue de l'Enseignement, de la FEP-CFDT, de la FSU, de l'UNSA-Éducation. Cependant le ministère dans un communiqué, en rappelant que l’avis n’est que consultatif affirme : « Dans l’intérêt des enfants et de leur réussite scolaire, Gilles de Robien, ministre de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, mettra en œuvre dès la rentrée prochaine cette modification des programmes qui écarte les méthodes qui reposent sur une approche globale de la lecture. »

D'après une dépêche de L'AEF

Dans le débat qui a suivi les déclarations successives et les écrits du Ministre de l'Education Nationale sur l'apprentissage de la lecture, les chercheurs sollicités (F. Ramus, R. Goigoux, L. Sprenger Charolles, etc.) ont longuement échangés sur les problèmes de méthode. Il est cependant un aspect de ces déclarations qui a été négligé : dans sa condamnation de la méthode globale (ou assimilée) M. de Robien disait qu'elle entraînait une "saturation de la mémoire".

Il serait donc intéressant d'avoir un éclairage sur le rôle de la mémoire dans l'apprentissage de la lecture. C'est pour quoi, nous nous permettons de vous solliciter pour une contribution qui enrichirait notre dossier lecture.

 

 

 

Alain Lieury, directeur-adjoint UFR sciences humaines Rennes II

 

 

A-t-il été démontré que la méthode globale "entraînait une saturation de la mémoire". Non, je ne connais aucune étude le montrant dans ces termes. La lecture est bien évidemment vue comme un prérequis indispensable à l'acquisition des connaissances et du vocabulaire (et de la connaissance orthographique des mots) par le processus d'inférence (abstraction d'informations sémantiques d'un mot à partir de son contexte) ou par apprentissage direct (apprentissage d'un lexique, etc.).
Cela dit sur le débat, je m'associe complètement à la lettre collective de Ramus etc., parue dans le Monde de l'Education de mars 2006, donnée dans votre excellent dossier.
Mon avis, dans le cadre de mes compétences sur la mémoire et des processus associés, m'amène à penser qu'il y a dans la lecture une médiation phonétique  incontournable qui fait soutenir la démarche de commencer la lecture par un déchiffrage graphème-phonème. Par exemple l'hypothèse de l'accès direct, auquel fait référence Grainger, et qui pourrait, avoir donné l'idée d'une possibilité directe de lecture du graphème au sémantique, me paraît improprement nommée. En effet, dès les années 1970/1971 avec les recherches de Rubenstein (voir mon livre "Psychologie de la mémoire", 2005, page 77) on observe que pour la détection de "non-mots" ressemblant à des vrais mots (pein et pain), il y a un ralentissement, montrant ainsi qu'il y a une prise d'information phonétique, qui pourtant n'est pas demandée dans la tâche. Plutôt qu'"accès direct" ou "voie directe" il vaut mieux parler de processus en cascades (cf. Jamet, Lecture et réussite scolaire, Dunod), c'est-à-dire que chez un lecteur adulte expérimenté, les processus sont tellement rapides qu'il y a des processus d'accès du lexique orthographique ou phonologique (ou lexical morphologique) tellement rapide qu'on ne le détecte pas par des temps de réaction.
D'autre part, je vous signale ce qui me paraît un manque dans votre dossier, c'est la prise en compte des stratégies d'exploration oculaire.
De nombreux chercheurs, mais notamment Ariane Levy-Schoen du laboratoire
de Paris V, ont montré que la lecture n'est pas panoramique mais basée sur un échantillonnage de fixations très nombreuses, parfois avec autant de fixations que de mots dans une phrase. Les fixations elle-mêmes ne portent pas forcément sur un mot, de sorte qu'il faut bien un processus d'apprentissage du lien entre certaines séquences de lettres et leur prononciation pour construire la morphologie du mot ; dans le cas contraire, il y a un devinement sur la base d'échantillons de lettres.
Pour ces raisons, j'ai toujours pensé que la méthode globale (au sens que les mots sont perçus comme entiers et reliés directement à des sens)  est une mauvaise méthode.
D'ailleurs sur cette base, et c'est absent du débat, il y a des éléments de certaines méthodes de lecture, notamment dites de lecture rapide, qui sont faux notamment celles qui prétendent "élargir le champ fovéal". Mais ces méthodes existant  il y a quelques années, notamment dans un logiciel utilisé à l'école (était-ce la méthode Elmo?*) ne sont peut-être plus utilisées par les enseignants.

Courriel 23/03/06

 

* Elmo international logiciel multilingue pour l'apprentissage initial d'une langue écrite, qu'elle soit maternelle ou étrangère

http://perso.wanadoo.fr/elmo.international/francais/francais001.html

 

Quelques ouvrages d'A. Lieury:

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LA MEMOIRE Du cerveau à l'école

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MEMOIRE ET REUSSITE SCOLAIRE

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LA MEMOIRE DE L'ELEVE

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L'intelligence de l'enfant

 

Pour aller un peu plus loin :

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5 questions à Alain Lieury : ''Créer des passerelles entre la recherche et l'Education nationale''

http://www.vousnousils.fr/informations_education/en_pratique/font_class_titlenvils3_hors_serie_4582.htm

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Mémoire et apprentissages à l’école

http://www.freinet.org/icem/dept/idem44/1994Lieury.pdf

 

En complément : Saccades, fixations et champ visuel

http://sophie.raufaste.free.fr/Saccades%20fixations%20et%20champs%20visuel.htm

ainsi que tout le site de S. Roussel Raufaste : http://sophie.raufaste.free.fr/

 

Commentaires de Franck RAMUS

 

Je ne connais pas de données expérimentales sur le sujet (peut-être Liliane Sprenger a de meilleures références). Mais on peut faire quelques remarques de bon sens sur les méthodes idéovisuelles: dans les méthodes où aucune correspondance grapho-phonologique quelle qu'elle soit n'est enseignée, la forme visuelle de chaque mot nouveau est à mémoriser telle quelle. On doit donc mémoriser autant de formes visuelles que de mots écrits, soit potentiellement plusieurs dizaines de milliers, ce qui est évidemment un effort de mémoire colossal, pas nécessairement insurmontable mais qui prend beaucoup de temps.
C'est le problème du chinois, où chaque mot (en fait chaque morphème) fait l'objet d'un caractère différent. On sait combien l'apprentissage des quelques milliers de caractères de base est long et ardu pour les enfants chinois. Notons à ce propos que les autorités chinoises, bien conscientes du problème, ont depuis plusieurs décennies imposé l'enseignement du pinyin (écriture alphabétique pour transcrire le chinois), permettant ainsi un accès précoce à l'écrit pour tous les
enfants chinois, en attendant qu'ils se constituent laborieusement le stock nécessaire d'idéogrammes, qui reste l'écriture de référence.

Le génie du système alphabétique a été d'exploiter la générativité des sons élémentaires de la parole pour proposer un système écrit équivalent, permettant de réduire le nombre de symboles visuels à apprendre de plusieurs milliers à quelques dizaines. En termes de facilité d'apprentissage c'est un gain phénoménal. Il est absurde de refuser d'en tirer parti dans une écriture alphabétique, c'est un bond de 3000 ans en arrière.

Ces quelques considérations me semblent condamner les méthodes idéovisuelles. Il n'est donc pas étonnant que sur le terrain leur efficacité observée soit moindre. Quant aux méthodes globales, on ne peut pas dire de généralité compte tenu de leur diversité, tout dépend d'où elles se situent sur le continuum allant des méthodes idéovisuelles aux méthodes alphabétiques: combien de mots elles enseignent de manière globale, pendant combien de temps, et de l'importance accordée aux relations grapho-phonologiques. A mon sens, plus le nombre de symboles visuels que l'enfant doit apprendre est petit, plus la tâche est facile.

Dernière remarque, tout ceci n'est en rien contradictoire avec le fait que la lecture experte se fait par reconnaissance directe de la forme visuelle du mot, tous les mots écrits connus étant stockés dans le lexique orthographique. Autant je ne suis personnellement pas convaincu par les travaux suggérant une nécessaire médiation phonologique dans cette reconnaissance orthographique, autant il est clairement établi (notamment par Stanislas Dehaene) que notre lexique orthographique ne mémorise pas des formes visuelles globales des mots, mais des représentations abstraites de la séquence ordonnée de lettres constituant un mot. Même dans la reconnaissance directe du mot écrit, la reconnaissance se fait par le traitement individuel des unités constituant le mot. L'analyse du mot par ses unités semble être la stratégie incontournable par laquelle le cerveau peut reconnaître les mots écrits.
Courriel 24/03/06

Méthodes idéo-visuelles et apprentissage de la lecture

Extrait d’un article en ligne sur le site des Cahiers Pédagogiques

Pratiques pédagogiques et apprentissage de la lecture

Liliane Sprenger-Charolles, Directeur de Recherche, CNRS et Université René Descartes, Paris

Pascale Colé, Professeur des Universités, CNRS et Université de Savoie, Chambéry

 

 

Deux études francophones (Braibant et Gérard, 1996 ; Goigoux, 2000) ont évalué l’impact d’une méthode centrée sur le décodage grapho-phonémique comparativement à celui d’une méthode idéovisuelle, qui rejette l’enseignement du décodage parce qu’il ralentirait la vitesse de lecture et nuirait à la compréhension. L’hypothèse de ces études était que les enfants ayant bénéficié d’un enseignement idéovisuel devraient manifester des performances supérieures en lecture à celles des enfants soumis à un enseignement du décodage et, plus particulièrement, en compréhension écrite.

 

L’étude de Braibant et Gérard[i] a été conduite auprès de 450 enfants scolarisés dans 25 classes de 2ème année du primaire de 12 écoles francophones de l'agglomération bruxelloise. Les caractéristiques de cette population étaient proches des moyennes de référence (origine sociale, âge, sexe, retard scolaire…). La nécessité de ne pas favoriser les élèves qui ont appris à lire selon une méthode plutôt qu'une autre a conduit les auteurs à renoncer à une évaluation des compétences de lecture à voix haute, cette tâche étant généralement utilisée uniquement par les enseignants qui utilisent une méthode phonique. De même, les capacités de compréhension écrite n’ont pas été évaluées par un test impliquant le recours à des stratégies d'anticipation contextuelles, ce type de stratégies étant privilégié par les enseignants pratiquant une méthode idéovisuelle.

 

Les capacités de décodage (conduisant à l’identification des mots écrits) ont donc été évaluées par une épreuve de lecture silencieuse. Un dessin sous lequel était écrit un mot était présenté aux enfants qui devaient décider si ce mot correspondait bien à celui représenté par l’image. Cette épreuve comportait des « mots tordus », par exemple, le mot « boire » sous le dessin d’une « poire ». La compréhension écrite a été évaluée par un test dans lequel l’enfant devait choisir, parmi 4 images, celle qui correspondait à un petit texte écrit. Par exemple, le texte « il est temps de se lever pour aller à l’école » était accompagné de 4 images : l’une avec une maman montrant l’heure à sa fille qui était dans son lit, sur une autre figuraient deux enfants sur le chemin de l’école, les deux dernières images présentaient respectivement une maman lavant sa petite fille et deux enfants en train de se laver.

 

Il ressort tout d’abord de cette étude que les capacités de décodage et de compréhension écrite en 2ème année du primaire sont largement expliquées par la méthode d’enseignement et les pratiques pédagogiques, le pouvoir explicatif de ces variables étant plus important que celui des facteurs socio-culturels, qui ne seraient donc pas les principaux déterminants de la réussite en lecture. Les autres facteurs associés à la réussite en lecture sont principalement la langue parlée à la maison et les compétences linguistiques des enfants. Ces deux facteurs n’ont cependant pas la même incidence sur les différentes mesures des capacités de lecture. Ainsi, les enfants qui ne parlent pas le français à la maison comprennent moins bien ce qu’ils lisent, alors que leurs capacités de décodage sont similaires à celles des enfants dont la langue maternelle est le français. De même, les compétences linguistiques (vocabulaire, capacités syntaxiques) interviennent dans la réussite au test de compréhension alors qu’elles n’influencent pas de manière significative les capacités de décodage. Toutefois, les problèmes de compréhension écrite relevés dans ces deux cas ne sont probablement pas spécifiques à la lecture.

 

De plus, quelle que soit l’origine sociale des élèves, l’approche idéovisuelle est moins efficace que l’approche phonique. En fait, comme l’indiquent les résultats (voir la figure) les enfants de milieux les moins favorisés qui ont été exposés à une méthode enseignant le décodage ont même des résultats supérieurs à ceux des enfants de milieux plus favorisés confrontés à une méthode idéovisuelle, et de nouveau à la fois avec le test évaluant leurs capacités de décodage et avec celui évaluant leurs capacités de compréhension écrite. 

 

Résultats aux tests de compréhension et de décodage en fonction de l’approche pédagogique et du milieu socioculturel des enfants (MSC+ ou MSC- : milieu favorisé et défavorisé, d’après Braibant et Gérard, 1996)

 

Enfin, les enfants qui ont été exposés à une approche phonique ont des résultats non seulement plus élevés mais aussi plus homogènes que ceux de l’autre groupe. Par exemple, dans le test de compréhension écrite supposé pourtant leur être plus favorable que le test de décodage, près de 50% des élèves exposés à une méthode idéovisuelle ont des résultats faibles (inférieur au percentile[ii] 25), voire très faibles dans 25% des cas (inférieurs au percentile 10), seulement 10% ayant de très bons scores (supérieurs au percentile 75). Sur la même base et dans la même épreuve, 20% des enfants exposés à une méthode phonique ont de très bons scores, et seulement 10% des scores faibles.

Des tendances similaires ont été relevées dans une étude française[iii]. Comme dans l’étude précédente, les enfants exposés à une méthode idéovisuelle, par rapport à ceux exposés à une méthode phonique, ont des résultats inférieurs, non seulement d’après les résultats aux épreuves développées pour l’étude (compréhension et décodage) mais aussi d’après ceux de l’évaluation nationale à l’entrée au CE2.

 

Les études sur les processus cognitifs en jeu dans la lecture peuvent permettre de comprendre les résultats de ces évaluations. En effet, les travaux sur les processus cognitifs en jeu dans la lecture chez celui qui sait lire suggèrent que ce lecteur utilise des procédures d’identification des mots écrits très rapides et fortement indépendantes du contexte. De plus, ce lecteur a immédiatement accès non seulement à l’image visuelle des mots écrits, mais également à leur forme sonore. C’est probablement pour cette raison que nous aimons les textes qui «sonnent» bien. La maîtrise progressive de ce type de procédures d’identification des mots écrits doit permettre à l’enfant d’atteindre un niveau de compréhension écrite égal à celui de sa compréhension orale, en le dégageant du poids d’un décodage lent et laborieux ou du recours à des anticipations contextuelles hasardeuses, certaines méthodes semblant faciliter plus que d’autres la mise en place de ces procédures.

Les travaux de recherche suggèrent également que, dans un système d’écriture alphabétique, la maîtrise du décodage est le sine qua non de l’apprentissage de la lecture. Les bons décodeurs précoces sont en effet ceux qui progressent le mieux, et le plus vite. En outre, la «transparence» de l’orthographe facilite cet apprentissage. Ainsi, les enfants espagnols apprennent à lire plus vite que les petits français qui eux-mêmes apprennent plus vite que les petits anglais. L'incidence de l'opacité de l'orthographe explique aussi pourquoi les petits français ont des résultats proches de ceux des espagnols en lecture, mais pas en écriture. En effet, les correspondances graphème-phonème (utilisées pour lire) sont très régulières en français, mais pas les correspondances phonème-graphème (utilisées pour écrire). Ainsi, alors que le mot "bateau" ne peut se lire que d'une seule façon, il existe différentes façons de l'orthographier. Les chercheurs français ont largement contribué à l’avancée des recherches dans ces différents domaines (voir, pour des synthèses, ONL, 1998 ; Sprenger-Charolles et Colé, 2003).

 

 02/03/06 (texte joint à un courriel de L. Sprenger Charolles du 23/03/06 invitant à le mettre en ligne en "réponse à la question posée")

 

références

 

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ONL (1998, dirigé par Morais et Robillart). Apprendre à lire. CNDP – Odile Jacob, Paris. 

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Sprenger-Charolles, L. & Colé, P. (2003). Lecture et Dyslexie: Approche cognitive. Paris, Dunod.

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[i]. Braibant, J.-M., Gérard, F.-M. (1996), Savoir lire : une question de méthodes ? Bulletin de psychologie scolaire et d’orientation, 1, 7-45.

[ii]. Les percentiles permettent de situer le niveau d’un enfant. Ils sont calculés en fonction des résultats obtenus à un test standardisé. Les scores dans les percentiles 10 et 25 sont ceux obtenus respectivement par les 10% et les 25% des enfants les plus faibles de la population de référence, ceux dans le percentile 75 correspondant aux scores des 25% des enfants les plus forts. Quand, dans une étude spécifique, comme cela est ici le cas, 50% des enfants ont des scores inférieurs au percentile 25 alors que 10% ont des scores supérieurs au percentile 75, cela signale que, par rapport à ce qui est attendu, il y a une sur-représentation des enfants les plus faibles et un sous-représentation des plus forts.

[iii]. Goigoux, R. (2000). Apprendre à lire à l'école: les limites d'une approche idéovisuelle. Psychologie Français, 45, 233-243

 

B, A, BA : LE RETOUR

 

Aspects idéologiques

 

Jacques Fijalkow

EURED-CREF, Université de Toulouse-le Mirail

 

 

Résumé

Ce texte examine les aspects idéologiques qui ont conduit Gilles de Robien à exiger le retour à une méthode synthétique d’enseignement de la lecture au CP. Après un historique rapide montrant que cette décision était en germe dans les débats sur la lecture des dernières décennies, il s’intéresse en particulier à l’opinion publique, aux relations entre parents et enseignants, et entre Education et Santé.

Mots clés : idéologie, méthodes de lecture, relations parents-enseignants, Education, Santé

 

Abstract

This paper is about ideological aspects which influenced the French Minister of Education to insist on coming back to synthetic methods of teaching in the first grade reading classes. An historical overview shows that it is not a surprising decision because it was prepared by many debates on reading during the last decades. The analysis is centered on public opinion, relations between teachers and relatives, medical and educational interests.

Key words: ideology, methods of reading, teachers and relatives, Education, Medicine

 

 

À la mi-décembre 2005, à la surprise générale, le ministre de l’Éducation nationale a posé la question de l’enseignement de la lecture en France dans les termes d’une alternative : globale ou syllabique. Sa décision d’interdire toute méthode dite “ globale ” et d’imposer une méthode syllabique a été très rapidement suivie de plusieurs gestes indiquant sa détermination à contrôler dans ce sens l’enseignement de la lecture et de réactions en retour (voir annexe). C’était le retour du b, a, ba. Comment en est-on venu là ? Telle est la question à laquelle nous nous efforcerons de répondre.

 

Le contexte

 

La nature du débat

 

Les questions relatives à la lecture ont ceci de particulier qu’elles sont à la fois, en simplifiant le tableau au maximum, des questions politiques, techniques, scientifiques, idéologiques et politiques. Ce sont des questions techniques dans la mesure où elles concernent professionnellement les pratiques des maîtres dans les classes. Mais ce sont aussi des questions scientifiques car, depuis plus d’un siècle, la lecture, son apprentissage et son enseignement, font l’objet de recherches très précises, notamment en psychologie et en sciences de l’éducation. Ce sont des questions idéologiques car les parents sont éminemment concernés par ces questions et, sans disposer du savoir technique des enseignants ou du savoir scientifique des chercheurs, ils échangent à ce sujet des idées qui sont le plus souvent des idées reçues. Écouter des maîtres, des chercheurs ou des parents parler de lecture montre à quel point ces trois univers et les types de discours qui y correspondent sont différents. Ce sont des questions politiques enfin, car dépendant de l’autorité politique, elles entrent dans le jeu politique dans lequel s’inscrit cette autorité. Nous nous en tiendrons ici à l’aspect idéologique car l’aspect technique a été traité dans de nombreux textes publiés en réponse au ministre, et que l’aspect politique demanderait un traitement spécifique (populisme, démagogie, souci d’éviter le glissement de l’électorat de droite vers l’extrême droite. ..).

 

Aucun professionnel ayant une véritable connaissance de la lecture à l’école n’aurait posé le problème en termes “ méthode globale ou syllabique ”. Il a fallu que ce soit le ministre de l’Éducation nationale qui le fasse, à la stupéfaction générale. Cette stupéfaction tient à au moins quatre raisons :

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la première est relative au vocabulaire employé : en effet, ce vocabulaire n’avait plus cours à l’Éducation nationale depuis longtemps ; on le vérifierait aisément en consultant les textes publiés sur la lecture par le ministère ces dernières années.

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la seconde, plus fondamentale, tient au simplisme de la réflexion : tout professionnel de la lecture sait en effet que les pratiques de la lecture dans les écoles ne peuvent être pensées en termes binaires, mais que la réalité est plutôt celle d’une infinie pluralité ; l’enquête réalisée par notre équipe en témoigne éloquemment (Fijalkow, 2003).

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la troisième tient à la formidable régression dans les pratiques qui est exigée par le ministre ; présenter comme modèle un manuel de lecture (Léo et Léa) calqué sur le modèle du manuel archétypique que constitue la Méthode Boscher (1° édition, 1905) consiste en effet à renvoyer l’enseignement à un siècle en arrière.

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la quatrième est l’étonnement général à voir le ministre s’engager aussi vigoureusement dans une question qui, aux non-initiés, apparaît comme une question technique et non pas idéologique.

Du fait de son caractère vieillot, simpliste, régressif, idéologique, l’intervention de Gilles de Robien indique que la pensée dont elle relève n’est pas une pensée technique ou scientifique des services dont il a la charge, mais la pensée de parents pour qui le choix d’un manuel de lecture est un choix idéologique.

Ainsi, pour bien comprendre ce qui se passe depuis décembre 2005, il importe de comprendre au prime abord que la lecture dont parle le ministre n’est pas la lecture au sens où l’entendent les enseignants, les formateurs ou les chercheurs, mais bien l’idéologie de la lecture, c’est-à-dire les idées que l’on peut avoir à son sujet, indépendamment des faits pédagogiques ou scientifiques. Dans l’idéologie les faits ne comptent pas – à la différence des pratiques professionnelles ou de la recherche – ce qui compte c’est les idées. Le débat ainsi ouvert est donc un débat d’idées, un débat qui n’a rien à voir avec les faits, mais plutôt avec les valeurs et les intérêts de ceux qui défendent ces idées. Ainsi, par exemple, le fait que dans la réalité des classes aujourd’hui il n’y ait ni méthode globale ni méthode syllabique importe peu. Ce qui importe est de mobiliser une fraction de l’opinion contre l’autre. En d’autres termes, le champ de la lecture dans lequel nous place le discours du ministre est un champ de bataille idéologique. La lecture est transformée en objet politique. C’est dans ce champ, plutôt que dans le champ technique ou scientifique qui est le nôtre, que nous nous placerons donc pour analyser comment le retour au b, a, ba est devenu une question d’actualité.

 

 

Bref rappel historique

 

Pour comprendre la situation crée par Gilles de Robien il faut dépasser la question des “ méthodes de lecture ” qui occupe le devant de la scène en 2006 pour situer cette question dans le contexte plus large de ce que les Anglo-saxons appellent “ les guerres de la lecture ” (“ Reading Wars ”). La prise de position du ministre n’est en effet ni un fait isolé, ni un fait nouveau. Sa prise de position constitue plutôt une crise délibérément décidée dans un champ qui fait problème de différentes façons et depuis plusieurs décennies au moins. Si l’on considère ainsi la lecture de façon plus large, on peut résumer en trois propositions ce qu’est l’opinion majoritaire en la matière :

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Les difficultés d’apprentissage de la lecture sont dues aux méthodes modernes, en l’occurrence “ la méthode globale ”. Ainsi le sondage CSA commandé par le ministère de l'Éducation nationale et rendu public le vendredi 20 janvier 2006 établit que l'abandon des méthodes d'apprentissage de la lecture dites “ globale ” ou “ semi-globale ” au bénéfice d’un enseignement de la lecture par syllabes est une bonne mesure pour 81% du "grand public" et 84% des parents d'élèves. Pour répondre à la question posée, les personnes sondées devaient déjà avoir entendu parler de la méthode globale et de la méthode syllabique. Ce sondage CSA a été réalisé sur un échantillon national représentatif de 1  011 personnes âgées de 15 ans et plus interrogées du 11 au 12 janvier 2006 et sur un échantillon de 856 parents d'élèves, interrogés par téléphone du 11 au 12 janvier 2006.

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Il y a une dégradation du niveau de maîtrise de la lecture en France, un développement de “ l’illettrisme ”

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Certains enfants ont un problème spécifique en matière de lecture qui demande une prise en charge de type médical : ils souffrent de “ dyslexie ”.

Les trois problèmes ainsi identifiés ont donné lieu depuis au moins les années soixante, que nous prendrons comme point de départ, à des batailles successives où l’on retrouve face à face les mêmes forces, et souvent les mêmes combattants. Nous nous contenterons ici d’évoquer quelques-uns de ces combats, ceux-ci ayant fait l’objet d’une analyse précédente (Fijalkow, 2000).

Dans la période qui précède et suit mai 1968, l’enseignement de la lecture émerge comme problème dans le cadre de la réflexion menée par des mouvements pédagogiques sur l’échec scolaire, le GFEN particulièrement. La dénonciation des taux de redoublement, tout au long de l’école primaire et surtout au CP met en évidence les caractéristiques sociologiques des élèves en échec à l’école en général et dans l’apprentissage de la lecture en particulier. Combinant dénonciation et propositions innovantes, à l’INRP et dans les mouvements pédagogiques, les travaux relatifs à la lecture convergent pour critiquer les pratiques courantes d’enseignement de la lecture basées sur le décodage (CRESAS, groupes animés par Hélène Romian ou par Jean Foucambert). On pourrait à ce propos parler de “ bataille du sens ” (bataille pour le sens) dans la mesure où des innovateurs comme Éveline Charmeux et Jean Foucambert contesteront l’un et l’autre les pratiques dominantes du moment qui font reposer l’enseignement de la lecture sur l’apprentissage de la combinatoire.

Bien des observateurs de la lecture parleront alors de “ Foucambert-et-Charmeux ”, bien que leurs approches soient fort différentes, tout comme ils parleront de “ Goodman-et-Smith ” en ce qui concerne les anglophones, alors que ces deux derniers sont aussi différents entre eux que le sont les précédents. À cette double assimilation inexacte, ils en ajouteront une troisième, supposant en effet que les conceptions des francophones procèdent de celles des anglophones. Il s’agit-là, et le fait est intéressant pour notre propos, d’une triple réduction idéologique. Il suffirait pour s’en convaincre de lire les écrits des uns et des autres plutôt que de rapporter ce qui en est dit ou d’en parler avec eux comme nous avons pu le faire des deux côtés de l’Atlantique. Mais l’idéologie fonctionne par simplification et sans souci de vérification.

Parmi les terrains sur lesquels la bataille se livre alors, les modèles de lecture opposent ceux qui préfèrent le modèle top/down (de haut en bas : du sens au code) au modèle bottom/up (de bas en haut : du décodage à la compréhension). Une trêve interviendra quand des modèles intégratifs seront proposés. Un autre terrain de bataille est celui du rôle à conférer à l’anticipation dans la lecture : alors que les uns y voient le moyen d’échapper au règne sans partage de la combinatoire, d’autres refuseront de lui faire place en début de scolarité, de peur que la lecture ne devienne “ un jeu de devinettes ” chez les enfants. En fait, ces batailles à fleuret moucheté ne sont autres que celles qui, avec l’engagement d’un ministre, refont brutalement surface aujourd’hui. La principale différence est que, dans les années soixante et dix, la bataille était une bataille du sens alors que la bataille d’aujourd’hui est une bataille du code. Entendons par là que l’offensive était menée par les innovateurs en faveur du sens alors qu’elle est menée aujourd’hui par les traditionalistes en faveur du code. Les camps sont les mêmes, nombre de protagonistes sont les mêmes, mais les rôles d’attaquant et de défenseur sont inversés. Le climat idéologique n’est plus le même.

Un second terrain de bataille est celui de l’illettrisme (Chartier et Hébrard, 2000 ; Lahire, 1999). La question de l’illettrisme, elle aussi née dans un contexte associatif, puis officialisée par la gauche (Rapport Mauroy), sera ensuite récupérée par le courant conservateur qui, sous une rhétorique de progrès, s’en servira sournoisement pour faire peser le soupçon d’une responsabilité des difficultés de lecture mises en lumière sur les courants innovateurs supposés tout-puissants dans l’école. Cette idée, malveillante et fausse, fera son chemin. La politique décidée par Gilles de Robien en résulte. L’outrance dans l’expression, le catastrophisme de chiffres démesurément enflés, conduiront à des polémiques sur les termes employés pour qualifier les publics concernés aussi bien que sur l’ampleur véritable du phénomène.Ànouveau, on reconnaît aisément d’un côté et de l’autre du champ de bataille de l’illettrisme la majeure partie des combattants de la bataille code / sens d’hier et d’aujourd’hui.

La dyslexie enfin constitue un troisième terrain d’affrontements. Cette hypothèse, qui explique par des raisons organiques une fraction des difficultés d’apprentissage de la lecture, soutenue depuis plus d’un siècle par les milieux médicaux, vigoureusement contestée dans les années soixante par les courants progressistes, réapparaît dans les années quatre vingt dix et, en dépit d’une opposition qui peine à se faire entendre, débouche sur une circulaire ministérielle qui l’officialise, en dépit de la médiocrité de ses fondements scientifiques  (Fijalkow, 2002).

La question des méthodes de lecture n’est donc qu’un des terrains sur lesquels, dans le cas de la lecture, les camps progressiste et traditionaliste s’affrontent de longue date.

 

Les forces en présence

 

L’opinion publique

 

La stupéfaction éprouvée à écouter le discours du ministre est de le voir adopter le discours des parents en faisant état de pratiques parfaitement imaginaires des maîtres, discours complété au départ il est vrai par d’abondantes annexes référant à des chercheurs jugés proches de sa position. Dans ce discours la lecture apparaît fondamentalement comme une question d’opinion, une opinion qui serait massivement validée par les travaux de chercheurs. Quand le ministre prend ainsi le parti de tenir le discours des parents, il s’adresse de fait à l’opinion publique.

La première réaction de la population face à un tel discours est l’indifférence ou l’étonnement. Pour la plupart des gens en effet, cette question est trop technique et ne suscite pas le désir de comprendre les différences entre les “ méthodes ” évoquées. Le non-spécialiste s’étonne de voir cette question susciter condamnations sans appel et ordres comminatoires. Ce n’est que quand on parvient à dépasser la surface pour appréhender le fond que l’on peut comprendre que cette question d ‘apparence technique oppose en fait, dans ce champ comme dans d’autres, des traditionalistes et des novateurs. L’indifférence ou l’étonnement éprouvés ne sont donc finalement que l’expression de l’incompréhension par le plus grand nombre des enjeux de ce combat. Présenter la réalité sous un angle purement technique, en faisant appel à des faits fallacieux, est en fait une des ruses dont s’habille le discours idéologique.

Une autre ruse consiste à recourir à une autorité qui ne supporte pas de discussion. Ici l’autorité invoquée est celle de la science. Compléter des jugements à l’emporte-pièce sur des pratiques pédagogiques parfaitement imaginaires par des références à des travaux scientifiques est un moyen de donner une légitimité à ces jugements. La science appelée à la rescousse de la politique ne sera cependant pas au rendez-vous. En effet, plusieurs des chercheurs utilisés pour apporter leur caution au ministre démentiront par la suite les implications pédagogiques tirées de travaux qui sont en fait étrangers au champ de la pédagogie de la lecture.

Le fait que le public ait peu le désir de s’intéresser à une question qui lui paraît essentiellement technique, n’empêche pas que, d’une manière ou d’une autre,  à un moment ou à un autre, chacun ait eu connaissance de son existence. On entre ici dans cette partie de la pensée commune qui est celle des idées reçues. Cette opinion est faite d’idées qui se transmettent de génération en génération. En faisant procéder à un sondage qui met en évidence l’opinion publique en la matière, le ministre tente de montrer que la position qu’il a adoptée est celle du plus grand nombre – qu’il agit donc de façon démocratique –  et que ce fait est un fait objectif – que son action repose donc sur des bases scientifiques. À ceci on pourrait objecter toutefois que, en matière de lecture comme en d’autres, la question est moins de savoir si la population est ou non d’accord avec une mesure politique mais si cette mesure correspond véritablement à son intérêt. Ajoutons qu’interroger par sondage la population sur une question que manifestement elle ne connaît pas est une démarche qui n’est démocratique qu’en apparence, mais qui en vérité est de nature populiste.

Notons que ce discours suscitera alors une double contestation : outre les chercheurs cités par le ministre qui rejetteront les inférences pédagogiques faites à partir de leurs travaux, les enseignants, par le biais de leurs syndicats et associations, feront connaître que ce que dit le ministre des pratiques en usage ne correspond pas à la réalité. La légitimité scientifique se dérobant et les faits étant niés, les bases sur lesquelles s’appuie le ministre se dérobent. Son discours apparaît dès lors dans sa nudité comme le seul discours de l’opinion publique, un discours purement idéologique.

 

Si le discours du ministre s’appuie sur l’opinion publique et se préoccupe prioritairement de convaincre celle-ci du bien-fondé de la nouvelle guerre qu’il a déclarée aux forces de progrès sur ce terrain, une partie de l’opinion joue pourtant un rôle privilégié dans le nouvel affrontement décidé par le ministre, les parents.

 

Les parents et les enseignants

 

Le poids que représentent les parents auprès du ministère apparaît dans l’avant-dernier paragraphe de la circulaire du 3 janvier 2006

 

Les parents doivent faire confiance aux maîtres dans l’exercice de leur mission : il faut cependant qu’ils soient informés du projet pédagogique qui conduira leur enfant à l’apprentissage de la lecture au cours préparatoire. Je recommande que tous soient régulièrement tenus au courant de la progression suivie et conseillés sur la nature du soutien qu’ils pourraient utilement apporter.

 

Circulaire du 3 janvier 2006

 

Ce paragraphe instaure en effet un droit de regard sur les pratiques des maîtres et constitue un contrôle de fait sur leur activité. C’est, nous semble-t-il, une première dans l’histoire de la lecture en France. Il est étonnant que la rédaction de ce passage n’ait pas davantage attiré l’attention des observateurs, et il serait encore plus étonnant qu’il demeure lettre morte.

La crise déclenchée en 2005 laisse penser que des groupes de parents traditionnalistes, très proches du ministre, ont su capter son attention, influer sur ses prises de position et sont très vraisemblablement à l’origine de cette crise. Si ces parents sont devenus les acteurs majeurs de cette crise c’est parce que, aux yeux du politique, ils sont des porte-parole de l’opinion publique, et représentent à ses yeux un potentiel électoral particulièrement important. De quel poids électoral pèsent en effet, par rapport à celui des parents, des enseignants, formateurs et chercheurs de toute façon connus pour “ mal voter ” ? 

Quand, par ailleurs, on se demande à quoi sont dues les difficultés d’apprentissage de la lecture, différentes réponses apparaissent, mais dans les conversations entre parents ce sont généralement les maîtres et “ les méthodes ” qui sont mis en cause. Or s’attaquer publiquement aux maîtres n’est ni facile ni politiquement correct. Pour les parents, si “ Johnny a des difficultés à apprendre à lire ” c’est à cause de la méthode de lecture de son maître. Pour certains parents, on peut même penser que, derrière les méthodes c’est le maître qui est visé, voire une certaine conception de l’école. La méthode sert alors de cache-sexe ou de cache-misère au maître et à une l’école que l’on n’aime pas. Les psychanalystes parleraient sans doute ici de “ déplacement ”.

De façon générale, dans bien des combats relatifs à l’école en général et à la lecture en particulier, les parents apparaissent comme les acteurs principaux. Il peut être difficile à accepter par des professionnels que des non-professionnels jouent le rôle principal et soient les plus écoutés, mais c’est la conclusion à laquelle conduit pourtant l’observation. Rappelons à ce propos, et en s’en tenant aux dernières années, que ce pouvoir des parents s’est manifesté à deux reprises précédemment :

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Ce sont eux dont les inquiétudes relatives à la nourriture servie dans les cantines ont joué un rôle de déclencheur dans la crise de “ la vache folle ” (Fraïssé, 2006)

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Ce sont eux qui, organisés en associations d’enfants “ dyslexiques ”, ont réussi à faire produire aux ministères de la Santé et de l’Éducation une circulaire officialisant l’existence de ce que l’on peut considérer comme un mythe médical tenace, “ la dyslexie ”, et à faire instaurer les interventions qui en ont en découlé.

 

Qu’est-ce qui explique cette émergence politique accrûe des parents comme acteurs dans les questions scolaires ? Vraisemblablement le développement de la scolarisation, l’importance accrue de la réussite scolaire pour l’avenir des enfants, le nombre plus grand de parents atteignant un niveau de scolarité leur permettant de se poser en interlocuteurs des enseignants. Pour comprendre le coup de canon qu’a constitué la position prise par Gilles de Robien, il faut se rendre compte que jamais les parents n’ont été aussi soucieux qu’aujourd’hui de la scolarité de leur enfant et que les parents qui ont su se faire entendre, opposants systématiques à tout changement à l’école, expriment sous une forme caricaturale, un malaise qui est général.

Dans le cas précis qui nous intéresse, la méthode de lecture est de longue date un terrain privilégié sur lequel s’affrontent parents et enseignants. La crise en question n’est qu’un des terrains de la guerre que mènent les parents traditionnalistes contre les innovations pédagogiques. C’est le dernier combat en date, et peut-être le plus spectaculaire, d’une guerre dont un épisode plus ancien a été celui des maths modernes.  

Les parents dont il s’agit ne sont pas ceux qui sont organisés en fédérations, mais des personnes qui, grâce à Internet, se sont constituées en réseaux de nature essentiellement informatique. Il existe plusieurs sites qui les réunissent (par exemple, soseducation.com, lire-écrire.org). Ce mode d’existence basé sur l’écrit laisse penser qu’il s’agit de parents de niveau scolaire plutôt élevé et non pas de parents de milieu populaire : ce ne sont pas ceux dont les enfants présentent le plus de risques de difficultés d’apprentissage, mais ceux qui exigent une école immuable.

Ces parents, de niveau scolaire plutôt élevé et bien suivis par des parents de classe moyenne, sont précisément ceux avec lesquels les enseignants ont le plus de difficultés à discuter car contestant systématiquement leurs pratiques pour peu que celles-ci s’éloignent de celles qu’ils ont connues en tant qu’élèves et auxquelles ils attribuent leur réussite scolaire et professionnelle. Pour ces parents, l’école est, comme la vie, un lieu de compétition, une compétition qui oppose leurs enfants aux autres enfants. Ils sont hostiles aux changements pédagogiques pour trois raisons :

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La première raison concerne la réussite de leur enfant. Dans l’école conçue comme un lieu de compétition, il importe avant tout que leur enfant soit gagnant. Face à ce qui est nouveau à l’école, ils se sentent démunis. Ils ont peur de ne pas pouvoir transmettre à leurs enfants le capital culturel dont ils disposent et donc de ne pas pouvoir les faire accéder à la position sociale qui est la leur. “ Je ne sais pas comment le faire travailler à la maison ” exprime très bien ce malaise. La conscience aiguë qu’ils ont de l’importance de la scolarité pour l’avenir de leur enfant nourrit l’inquiétude que suscite la nouveauté et exacerbe la colère née d’un sentiment d’impuissance. Plus que tout autres, ils ressentent l’extraordinaire croissance de l’importance qu’a prise au cours des dernières décennies la scolarité pour l’avenir des jeunes.

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La seconde raison concerne la réussite des enfants des autres. Certains parents en effet semblent craindre également que les changements introduits à l’école ne produisent un effet égalisateur, dont ils savent bien qu’il est recherché par les maîtres, et permettent alors aux autres enfants de réussir aussi bien que les leurs, ce qui diminuerait les chances de leurs enfants de gagner dans la compétition scolaire. Difficile à énoncer, et donc à prouver, ce sentiment est vraisemblable chez les plus radicaux.

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La troisième raison est relative aux changements pédagogiques. Tout changement pédagogique est vécu comme un danger potentiel. L’adoption d’une attitude pédagogiquement conservatrice résulte de l’attitude sociologiquement conservatrice de départ : ne rien changer à l’école pour que les héritiers “ légitimes ” disposent seuls de ce qui leur revient, pour pouvoir continuer à aider ses enfants à être les vainqueurs dans la compétition scolaire ; ne rien changer à l’école pour que les enfants des autres ne réussissent pas aussi bien que les siens. Dans la bouche de ces parents, l’expression “ méthode globale ” condense toute leur détestation sociale devant tout changement qui, pensent-ils, risque de conduire leurs enfants à perdre le capital culturel dont ils disposent dans la famille et dans une école inchangée.

 

Il faut reconnaître que la relation enseignants-parents est un des aspects les plus difficiles de la réalité scolaire française aujourd’hui. Dans la plupart des écoles en effet, les inquiétudes qu’expriment les parents face aux changements pédagogiques se heurtent à un refus des maîtres. Dans ce conflit dont le théâtre est souvent le parvis de l’école, il est clair que les orientations de Gilles de Robien constituent avant tout une victoire des parents sur les maîtres. Les parents, conduits par une minorité agissante d’entre eux, viennent de gagner une bataille, dans une guerre de la lecture qui s’est rallumée dans les années soixante et dix, et dont on peut penser que, si elle constitue un terrain emblématique de la guerre que livrent les parents aux maîtres, elle ne restera pas longtemps un fait isolé.

L’expérience montre pourtant qu’une attitude coopérative des enseignants avec les parents peut désamorcer les craintes de ces derniers, au moins celles des moins radicaux. Quand le dialogue n’est pas possible, que la crispation nourrit l’inquiétude, l’inquiétude peut se transformer en lobby, le lobby atteindre le cabinet du ministre et la loi prendre le parti des parents. C’est ce qui vient de se produire. Pour désarmer les parents que les changements inquiètent, vaut-il mieux demeurer dans le face à face et courir le risque des retours en arrière ou développer davantage le dialogue ? De la solution qui sera choisie dépend sans doute en partie la paix scolaire dans les années à venir.

 

Dans un contexte conflictuel dans lequel les maîtres ont sans doute minimisé le pouvoir des parents, on peut se demander dans quelle mesure les inquiétudes de ces derniers sont fondées, c’est-à-dire dans quelle mesure l’enseignement de la lecture a changé. L’inquiétude des parents repose sur une représentation de ce qui se passe dans les classes. De ce point de vue, et le terme de “ méthode globale ” en est l’expression, l’idée largement répandue est que l’enseignement de la lecture est  totalement différent de celui qu’ont connu enfants les parents actuels et que cet enseignement met en œuvre les idées proposées par les innovateurs des années soixante et dix. De ce point de vue, environ un demi-siècle plus tard, la réaction actuelle du ministre apparaît comme la volonté de mettre fin à des pratiques innovantes dont on suppose qu’elles ont envahi les écoles. Qu’en est-il vraiment ? Que peut-on dire aujourd’hui des pratiques effectives de la lecture dans les classes ?

S’il est vrai que des choses ont changé à l’école, rien ne permet de dire qu’elles l’ont été autant que le supposent ceux que le changement inquiète. En vérité, la situation semble telle que pour les uns le verre peut apparaître à moitié vide (les novateurs), tandis que pour les autres il apparaît à moitié plein (les traditionalistes). En effet, si la didactique de la lecture a sans doute en partie changé, ce dont on pourrait juger en comparant les manuels d’hier et d’aujourd’hui, elle n’a pas changé du tout au tout.

Dans la seule recherche de grande ampleur consacrée en France aux pratiques de lecture au CP (Fijalkow, 2003), on voit que, en 1990, 71% des enseignants déclaraient que leurs élèves disposaient d’un manuel (Fijalkow, 2003). À cette même question, dans une réplication faite en 1997 par le ministère, 73,6% répondent par l’affirmative (Thaurel-Richard, 1999). L’usage des manuels apparaît donc massif, contrairement à ce que préconisent souvent les innovateurs, ce qui pourrait rassurer ceux que leur absence supposée inquiète.

De plus, l’observation montre que les manuels d’aujourd’hui, comme ceux d’hier, reposent presque tous sur une structure phonologique et suivent une sage progression conçue suivant ce seul critère. Il est vrai toutefois que, au-delà de ce privilège constant accordé à la phonologie, les textes des manuels se sont enrichis avec les années, et comme les enfants apprennent toujours beaucoup plus que ce qu’on veut leur enseigner, ils en tirent davantage d’informations que celles relatives à la seule progression phonologique prévue à leur intention. Les uns s’en féliciteront, les autres le déploreront.

Ainsi donc, et suivant ces deux critères, les changements objectivement observables ne constituent en rien une révolution mais indiquent tout au plus une certaine évolution. Qu’en est-il si, au-delà de ces critères, on considère maintenant l’ensemble des pratiques ? L’analyse statistique des données de notre enquête met en évidence 4 groupes d’enseignants de CP :

Ø un groupe 1 très traditionnel et très radical (27%), 

Ø un groupe 2 novateur mais très prudent (20%),

Ø un groupe 3 mixte où les pratiques les plus classiques sont juxtaposées à des pratiques plus innovantes (46%),

Ø un groupe 4 composé surtout de non-réponses (7%)

Contrairement donc aux craintes des parents, non seulement les novateurs sont peu nombreux, mais leur engagement est très prudent. Les enseignants changent certes, mais très progressivement et sans prendre de risques majeurs. Soulignons le fait que le groupe 1 et le groupe 2 diffèrent dans leurs choix didactiques mais aussi dans la détermination qu’ils expriment : autant le groupe 1 paraît sûr de lui, et sa détermination annonce en quelque sorte celle du ministre qui se fera leur interprète, autant le groupe 2 paraît ne s’engager qu’avec modération dans les pratiques innovantes qui le caractérisent. Les va-t-en-guerre ne sont pas ceux que l’on aurait pu supposer.

Notons que ces résultats sont le fruit d’une enquête effectuée par contrat avec le ministère et qui, répliquée 7 ans plus tard, a apporté des réponses très proches, ce qui permet de penser qu’ils gardent toute leur actualité. Une nouvelle réplication permettrait aisément de le vérifier.

 

Si les maîtres n’ont donc pas bouleversé leur didactique de la lecture au point que celle-ci puisse être accusée des difficultés que connaissent certains enfants, le retour à une méthode syllabique pourrait-il résoudre le problème de ceux-ci ? On peut tenter de répondre à cette question à partir de deux types de données comparatives, résultats d’hier comparés à ceux d’aujourd’hui, et résultats d’aujourd’hui comparés entre eux.

Pour ce qui est des résultats d’hier comparés à ceux d’aujourd’hui, tout le monde étant d’accord pour dire qu’hier les méthodes étaient syllabiques et qu’elles ne le sont pas exclusivement aujourd’hui, la réponse ne fait pas de doute : dans les années soixante, un enfant sur trois redoublait le CP à cause de la lecture et un sur deux une classe du primaire, alors que les pourcentages d’enfants en difficulté aujourd’hui sont de l’ordre de 10%. C’est d’ailleurs à partir de la critique de ces échecs en lecture par les mouvements pédagogiques que la question de la lecture est revenue sur le devant de la scène dans les années soixante et dix. Faut-il alors en revenir à la situation antérieure ? Ce serait faire une politique de gribouille.

Pour ce qui est d’aujourd’hui, les comparaisons entre pratiques de lecture sont difficiles à réaliser et donnent des résultats difficiles à interpréter et non pas une réponse en blanc et noir comme les aiment les décideurs politiques. Il n’y a pas de réponse simple à ce type de question, ne serait-ce que du fait de la difficulté à cerner quelque chose que l’on pourrait appeler “ méthode de lecture ”. Les travaux effectués dans le monde francophone sont rares. Les travaux anglais et américains sont très discutés. Il faudrait avoir l’honnêteté de le reconnaître. Ajoutons toutefois que, de toute façon, aucune recherche digne de ce nom, dans le monde francophone ou anglophone, n’a été effectuée qui montrerait la supériorité d’une méthode syllabique. Cette voie apparaît donc comme conduisant non seulement à une impasse mais, pis encore, à une régression.

 

 

Éducation et Santé

 

Si les parents et les enseignants s’affrontent sur la question de la lecture, ce conflit, qui occupe le devant de la scène, ne doit cependant pas en cacher un autre : celui qui oppose les forces de l’Éducation à celles de la Santé. Ce dernier est permanent depuis que l’école publique existe, l’élève en constitue l’enjeu et la question récurrente est de savoir comment répartir les compétences le concernant. À chaque guerre de la lecture, les deux camps se retrouvent face à face, plus ou moins nombreux toutefois selon que le problème du moment apparaît plus ou moins légitime à l’un ou l’autre camp. Ainsi, rappelons-le, depuis plus d’un siècle : une fraction des mauvais lecteurs, baptisés “ dyslexiques ”, sont revendiqués par le monde médical ; dans cette même logique, l’émergence de “ l’illettrisme ” a suscité l’appétit de certains orthophonistes ; dans le retour du b, a, ba enfin, on verra à nouveau des professionnels de la santé se présenter comme experts en matière d’enseignement de la lecture. Il importe donc de tenter d’identifier les deux camps et leurs positions théoriques.

 

Les innovateurs et les formateurs

 

Les innovateurs, le plus souvent issus de l’Éducation nationale – professeurs d’École normale ou d’IUFM, inspecteurs, chercheurs en éducation – sont ceux dont les initiatives mettent le feu aux poudres. Les formateurs, collègues des innovateurs, diffusent les idées nouvelles dans l’Éducation nationale. Au-delà de la lecture, l’histoire montre que l’existence des institutions qui abritent les uns et les autres sont souvent mises en question dans les périodes de crise comme celle que nous traversons. Les Écoles normales ont été supprimées sous Vichy, les IUFM sont périodiquement menacés, un ministre des universités – Alice Saunié Séité – a d’un trait de plume supprimé la linguistique et les sciences de l’éducation dans les universités.

 

Remarquons en préalable que le grand organisme que constitue en France le ministère de l’Éducation nationale ne dispose pas de service chargé de l’innovation, c’est-à-dire d’une structure inscrite dans son organigramme, dotée d’un budget, d’un personnel stable, et de l’autorité institutionnelle découlant de l’ensemble. Un tel service, chargé de concevoir des innovations et d’en évaluer les effets, permettrait sans doute d’éviter bien des conflits résultant du vide institutionnel relatif aujourd’hui à l’innovation. L’INRP a pu remplir un temps cette fonction, puis des services mis sur pied par un ministre précédent, mais qui n’ont eu qu’une existence éphémère. De cette lacune institutionnelle résulte le fait qu’à ce jour toute innovation dans les pratiques pédagogiques, quelle qu’en soit la source, peut être jugée irrecevable par tel ou tel responsable.

 

Dans ce contexte, la crise déclenchée par Gilles de Robien apparaît en partie comme un règlement de comptes entre les innovateurs qui, dans les années soixante et dix, ont proposé des voies nouvelles à l’enseignement de la lecture, et les traditionalistes qui, ayant rongé leur frein pendant de longues années, estiment venu maintenant le moment de la revanche, l’heure de la Restauration ou, en termes plus scolaires, le moment de sonner la fin de la récréation. La position prise par Gilles de Robien résulte, de ce point de vue, de l’opposition d’un courant de recherche aux propositions des innovateurs.

 

Les chercheurs

 

Il serait naïf de croire que les chercheurs abordent les questions de lecture de façon neutre et objective, en se basant sur les seuls travaux scientifiques. Non pas que ceux-ci ne comptent pas, mais en leur état actuel ils ne permettent pas de dire grand chose. En vérité, un simple coup d’œil sur quelques parcours individuels permet de voir que les positions prises par les uns et les autres dans la crise déclenchée par Gilles de Robien sont presque toujours dans la continuité des positions prises lors de crises précédentes. Les rares exceptions à cette règle générale s’expliquent aisément par des choix stratégiques individuels ou, plus rarement, par d’authentiques évolutions personnelles. Cette continuité montre que les prises de positions des chercheurs, tout comme celles des autres acteurs, procèdent avant tout de parti pris idéologiques, dût-ce l’image d’Épinal du chercheur en être écornée. L’invocation des “ résultats des recherches ” – en l’état actuel des connaissances où celles-ci apportent plus de questions que de réponses – ne sert donc souvent qu’à couvrir d’un voile vertueux des préférences idéologiques initiales.

Ces préférences de départ dépendent étroitement de l’importance de l’engagement réel de chaque chercheur dans le champ éducatif, tel qu’on peut le mesurer par ses thèmes précis de recherche, sa participation à l’élaboration d’outils destinés à l’enseignement (manuels, outils d’évaluation…), ses actions avec des partenaires de l’éducation, sa signature de tel ou tel texte collectif concernant les questions d’éducation.

Au-delà des personnes, il est possible de distinguer deux courants principaux – comme toujours quand la question relève de l’idéologie. Les différences entre eux sont très fortes. Sans vouloir reprendre ici l’analyse épistémologique que nous en avons faite ailleurs de façon plus détaillée (Fijalkow, 2000), nous énoncerons quelques différences pour tenter d’éclairer un aspect souvent obscur des débats relatifs à la lecture. Ce détour épistémologique est nécessaire pour dépasser ce qui pourrait être réduit à des querelles de personnes alors qu’il s’agit, à l’inverse, de divergences de fond incarnées par des personnes.

 

Un premier courant regroupe les chercheurs qui se situent dans le prolongement de la  tradition de recherche née en médecine et qui, passée par la psychologie expérimentale, se poursuit aujourd’hui sous le terme de “psychologie cognitive”. C’est la donnée historique de base, indispensable à la compréhension. Pour ces chercheurs, signataires du texte “Lecture : le point de vue de scientifique”, la recherche en lecture ne peut se comprendre que sur un certain modèle de la science, une certaine conception de l’objet d’étude, une certaine démarche de recherche, une certaine conception de l’explication, un certain rapport à l’éducation.

Pour eux, la seule connaissance recevable est “scientifique” (voir le titre du texte évoqué ci-dessus), la médecine est la pratique de référence (elle figure explicitement dans ce texte, même s’il est plus “in” de parler de “neurosciences”), et la biologie est la discipline modèle. On reconnaît là la conception de la science que, depuis Auguste Comte, on caractérise comme positiviste. Dans le concert des sciences humaines, elle ne domine qu’en psychologie. On peut parler également de “scientisme”.

Dans ce courant, l’objet de la recherche est conçu de façon strictement mécanique : pour comprendre ce que c’est que savoir-lire, on considère le lecteur comme une machine à lire, un automate lisant. L’apprentissage de la lecture n’est autre alors que le montage des mécanismes de cette machine. Quant aux difficultés d’apprentissage de la lecture, elles résultent de déficiences de la machine à lire, dont il appartient au spécialiste de faire le diagnostic et d’effectuer la réparation. Cette métaphore est parfaitement explicite dans les innombrables écrits produits par ce courant de recherche. Nous nous bornons à en faire une présentation synthétique. On reconnaît dans cette perspective mécaniciste celle suivant laquelle fonctionne la médecine aujourd’hui – suite à la victoire historique du mécanicisme sur le vitalisme (Canguilhem, 1965) – avec les limites de celle-ci dès lors que d’autres aspects que ceux analysés entrent en jeu, d’où la médecine psychosomatique.

Pour cette psychologie cognitive, la démarche expérimentale est la seule possible et l’explication ultime des faits étudiés en lecture ne saurait se trouver ailleurs que dans le substrat biologique qui constitue le fondement unique de l’activité de lecture. Le cerveau apparaît dès lors comme le lieu exclusif d’étude de la lecture, comme l’attestent références ministérielles, appels aux chercheurs en médecine, et autres colloques. La recherche est dès lors une recherche de laboratoire, dont les seules questions légitimes sont celles qui naissent et meurent dans le vase clos de l’université : inspirées par d’autres disciplines et limitées par les contraintes de la méthode, sans prise en compte des réalités du terrain, elles peuvent conduire à l’artificialisme : l’objet d’étude se trouve alors légitimé par son existence dans une autre discipline et par la facilité qu’il y a à l’étudier expérimentalement et nullement par l’intérêt qu’il présente socialement.

Il est clair qu’un enseignement reposant sur le décodage, et l’apprentissage purement mécanique des correspondances grapho-phonétiques qu’il suppose, ne saurait trouver meilleure terre d’accueil qu’un tel contexte épistémologique. De fait, les recherches effectuées au cours des deux dernières décennies portent massivement sur la question de la conscience phonologique, substrat psychologique au plan cognitif de ce qu’est le décodage au plan didactique. Ainsi, le texte signé par les auteurs de ce courant pourrait-il tout aussi bien s’intituler, moins aristocratiquement, “ Plaidoyer pour le décodage ”. De ce choix mécaniciste résulte aussi que les travaux portant sur l’enseignement – matériel pédagogique, organisation de la classe, rôle du maître, des pairs, des parents, interactions avec l’apprenant – ne trouvent pas de place dans un cadre de recherche tout entier centré sur un homo cognitivus abstrait – sans milieu social ni genre – aux prises avec la langue.

La question se pose alors des limites, en ce qui concerne les choix didactiques relatifs à la lecture, de travaux qui ignorent délibérément la plupart des variables qui constituent le quotidien que des acteurs et des chercheurs œuvrant dans ce champ et qu’ils considèrent comme fondamentales.

 

Un deuxième courant rassemble les chercheurs qui se reconnaissent dans un  point de vue que, par opposition au courant mécaniciste précédent, nous appellerons “humaniste”, mais que l’on nomme le plus souvent “constructiviste” ou “socio-constructiviste”, dans la filiation d’auteurs comme Piaget, Wallon, Ferreiro, Bruner, Vygotsky en psychologie, et Decroly, Freinet en pédagogie. Tous ces auteurs se retrouvent dans l’importance qu’ils accordent à l’activité. Les chercheurs du deuxième courant sont les signataires du premier texte à avoir exprimé une opposition aux orientations de Gilles de Robien (“Sauvons la lecture”). À la conception qui fait de l’homme une machine, ces chercheurs opposent une conception qui fait de l’homme un être spécifique, irréductible à une mécanique, si perfectionnée soit-elle. Pour eux, la lecture est une activité créative débordant de toute part la perspective qui la réduit à un automatisme. Les conceptions qui animent ce courant diffèrent en tout point de celles du courant cognitiviste, d’où la vigueur des controverses qui les opposent aux précédents. La question de fond est en effet : l’homme est-il réductible à une machine ? Le lecteur est-il un automate ?

Pour les socio-constructivistes, la connaissance ne se résume pas en la seule connaissance scientifique. À côté de la connaissance scientifique – au demeurant bien peu avancée dans le domaine de la lecture, il faut avoir le courage de le dire et de le redire – il existe une connaissance non pas déclarative mais procédurale, c’est-à-dire consistant en savoir-faire qui se transmettent socialement ou s’acquièrent dans l’expérience. C’est cette connaissance qui permet aux maîtres de faire en sorte qu’en France 90% des enfants sortent de l’école en sachant lire. Que serait ce pourcentage si les maîtres devaient enseigner la lecture à partir des seuls savoirs dûment estampillés “scientifiques” ? On ose à peine l’imaginer. La modestie est, gardons-nous de l’oublier, une vertu scientifique.

Dans cette seconde perspective, l’acte de lire, objet de la recherche, est une activité complexe, à la fois profondément subjective et traversée de part et part par la vie sociale. C’est un acte de culture et non pas seulement de nature. Le lieu le plus fécond à explorer est alors moins le cerveau que la salle de classe. L’apprentissage de la lecture est une activité plurielle qui concerne tous les aspects du langage et non pas les seuls aspects phonologiques, ni même ces aspects-là prioritairement. Si les correspondances entre les phonèmes et les graphèmes en constituent une partie essentielle, celle-ci n’est en effet que la partie émergée de l’iceberg. De plus, si la lecture est un acte de langage, elle n’est pas seulement un acte de langage. Tous les débats qui limitent la réflexion sur la lecture à une réflexion sur le langage sont réducteurs car la lecture est tout d’abord un acte social et affectif. L’apprentissage de la lecture procède en effet en premier du désir de lire, pour rêver ou pour savoir. Au départ de l’apprentissage de la lecture, il y a un sujet voulant apprendre. Apprendre à lire n’est pas un acte solitaire, mais un acte qui s’effectue obligatoirement dans un cadre social, avec d’autres. Une psychologie de l’apprentissage  sans sujet et sans contexte social, une psychologie qui réduit l’apprentissage de la lecture à ses aspects langagiers et cognitifs est une psychologie réductrice. La plupart des difficultés d’apprentissage enfin ne procèdent pas d’une déficience cognitive ou biologique, mais d’une peur ou d’un refus d’apprendre dont l’explication est à chercher dans le contexte social, familial et/ou scolaire (Boimare, 1999).

Pour ce second courant, la méthode de recherche, loin de se limiter à l’expérimentation, fait appel selon les besoins à toutes les formes inventées par la recherche en sciences humaines et sociales (analyse de corpus, entretien, observation, questionnaire…). Elle part de questions que se pose l’école et non pas de celles que suscite la vie interne de l’université. Rappelons aussi que, quels que soient les mérites de la méthode expérimentale, elle n’est pas “ la ”  méthode scientifique mais une des méthodes de recherche : la linguistique, à laquelle la psychologie cognitive accorde à juste titre un grand crédit, est une discipline tout entière basée sur l’analyse réflexive et qui ne doit rien à l’expérimentation. La recherche en lecture avec des données et des questionnements de terrain sont aussi scientifiques que les expériences de laboratoire répondant à des problématiques purement académiques.

En résumé, pour en revenir au débat sur le décodage redevenu d’actualité, on pourrait dire avec le psychologue américain William Teale : “ To decode or not to decode, that is not the problem ”.

 

Il est donc clair que la recherche ne parle pas d’une seule voix. Il n’y a pas, comme une représentation simpliste voudrait le laisser croire, d’un côté la recherche fondamentale et, de l’autre, des praticiens qui devraient attendre que les chercheurs leur communiquent leurs résultats pour qu’ils les mettent en pratique. Il existe en fait deux courants de recherche, tout aussi légitimes l’un que l’autre : un courant inscrit dans une tradition médicale et un courant inscrit dans une tradition éducative, ce dernier moins focalisé sur le sujet individuel et plus ouvert aux apports et aux méthodes des sciences sociales qu’au seul modèle des sciences de la nature. Ces deux courants, contrairement à la vision angélique de la vie universitaire que présente l’idéologie dominante, ne débattent pas sereinement mais se combattent vigoureusement dans le champ clos de l’université dans une lutte sans merci. Ses champs de bataille sont, par exemple, les jurys de thèse, la publication dans les revues, les invitations aux colloques, les recrutements, les promotions, les budgets de recherche. Des batailles analogues, dont l’analyse relève de la sociologie des sciences, se livrent dans tous les secteurs de la recherche (voir par exemple Birnbaum, 2006). À l’université, les luttes de savoir sont des luttes de pouvoir car le savoir est en partie conditionné par les moyens permettant de le construire.

Dans ce cas qui nous intéresse, en France, le camp cognitiviste, adossé au modèle mécaniciste dominant dans la recherche internationale en psychologie cognitive – à l’exception notable de la principale association internationale de lecture, l’International Reading Association, dont les positions sont celles du courant socio-constructiviste – est largement majoritaire dans toutes les structures universitaires, en nombre et en influence. Cette position dominante, qui tend à devenir hégémonique, explique la place qu’il occupe auprès des décideurs et dans les médias et conduit à faire considérer comme pensée unique une modalité de penser historiquement datée et épistémologiquement identifiée. La relative modération qu’il se plait à afficher depuis peu et son récent pluralisme quand il est question de lecture (le code n’est pas tout) tient à la conscience qu’il a que son discours est moins bien reçu par les acteurs de l’éducation que celui du courant socio-constructiviste, et à son souci de ne pas se couper totalement de ce qui lui apparaît comme une terre de mission, la lecture à l’école.

 

Remarquons encore, à l’encontre d’une autre erreur possible, qu’aucun courant n’a en tant que tel de couleur politique. Les chercheurs, en tant que chercheurs, n’appartiennent pas ou ne sont pas proches de tel ou tel groupe politique. Par contre, tel ou tel groupe politique peut trouver avantage à faire appel à tel ou tel courant de recherche dont les travaux sont susceptibles de légitimer ses orientations. Un tel choix résulte alors évidemment de positions politiques. Un observateur attentif peut donc voir que si les chercheurs appelés auprès du ministère varient dans le temps, la source de ces variations est de nature politique et non pas scientifique. Ainsi, au Texas, dans la période récente, les pouvoirs publics ont d’abord pris des mesures pour favoriser le “Whole Language” puis ont changé totalement leur position et opté pour “Phonics”, ces deux courants correspondant dans l’ordre à ceux que nous avons qualifiés plus haut d’ “humaniste”  et de “mécaniciste”.

Il demeure toutefois que les chercheurs peuvent jouer deux rôles distincts auprès des politiques. Le plus souvent, comme nous venons de l’exprimer, ils jouent un rôle de légitimation. Contrairement en effet à une idée assez répandue, le ministère n’attend pas les résultats des travaux des chercheurs pour choisir telle ou telle orientation. C’est plutôt à l’inverse qu’il faut concevoir le rôle des chercheurs dans le processus de décision : ils ne sont pas appelés pour décider d’une décision mais pour légitimer une décision qui a déjà été prise et à laquelle leur position va apporter une caution scientifique. Leur intervention a donc lieu le plus souvent non pas en amont mais en aval des décisions. Mais les chercheurs peuvent aussi jouer un rôle de réflexion critique. Dans ce cas, ils s’efforcent de mobiliser l’opinion ou les organisations existantes afin de prendre le contre-pied des orientations prises par le pouvoir.

Quel rôle ont joué les chercheurs en lecture dans les décisions qui ont été prises récemment ? Certains ont accepté de jouer le rôle de validation qui leur était demandé, d’autres ont pris une position critique, les uns et les autres, il faut le souligner, en conformité avec leurs positions habituelles. D’autres enfin ont préféré se retrancher dans leur tour de silence, conformément aussi à la position classique, mais très discutable, qui veut que le chercheur ne se mêle pas des questions qui agitent la Cité. Il ne fait pas de doute que tous souhaitent la résolution des problèmes qui se posent en lecture, mais les voies qu’ils empruntent ne sont pas les mêmes.

 

Les orthophonistes

 

Les orthophonistes qui, en France – mais pas en Suisse romande ou au Québec –  sont formés dans les facultés de médecine, interviennent surtout quand les problèmes sont posés en termes de “ dyslexie ”. Ils sont organisés en deux associations d’orientation et d’importance très différente, mais aussi en groupes particulièrement actifs.

La première, la FNO, qui est aussi la plus puissante, est remarquablement organisée, disposant de journaux, organisant des colloques, produisant des outils pédagogiques. Interlocuteur reconnu des pouvoirs publics, elle privilégie l’orientation mécaniciste qui est celle de la médecine actuelle et, en prolongement, travaille étroitement avec les seuls chercheurs du courant de la psychologie cognitive dans une perspective très phonocentriste (voir son catalogue). La FNO a fait savoir au début de la crise déclenché par Gilles de Robien qu’elle ne se préoccupe que de dyslexie, entendue stricto sensu.

Le champ de compétence reconnu des orthophonistes étant celui des difficultés d’apprentissage, il est intéressant de constater que certains d’entre eux, hors associations, jugent opportun depuis quelques années d’intervenir aussi en amont de ce champ, en condamnant certaines “méthodes” et en produisant un manuel de lecture destiné au CP, ce qui n’aurait d’intérêt qu’anecdotique si le ministre de l’Éducation nationale ne manquait pas une occasion de vanter les mérites dudit manuel. L’éditeur, Belin, est celui de l’immortelle Méthode Boscher. La publication des activités de ces francs-tireurs sur un site UMP laisse penser toutefois que leur audience auprès du cabinet du ministre et des médias est à mettre en relation avec des sympathies ou appartenances partisanes.

La seconde association d’orthogénismes, la FOF, orientée vers la psychologie clinique et donc vers une approche très relationnelle des problèmes de lecture, paraît beaucoup moins puissante, organisée, reconnue. Le débat sur les “méthodes de lecture” n’est pas le sien.

Signalons enfin que du fait que, comme à l’université, il est dangereux d’adopter une position en contradiction avec celles affichées publiquement par les représentants reconnus de la profession, certains orthophonistes préfèrent condamner à titre individuel et de façon discrète les orientations affichées le plus souvent par telle association ou tel groupe de collègues en matière de “dyslexie” ou de “méthodes de lecture”.

 

L’Observatoire national de la lecture (ONL) et l’Inspection générale de l’Éducation nationale

 

Créé il y a quelques années, l’ONL officialise en quelque sorte la reconnaissance récente de la place des chercheurs comme acteurs à part entière dans le champ de la lecture.

En vérité, cet observatoire observe peu : ses travaux empiriques sont rares. Sa fonction est moins d’observer que de conseiller. On pourrait le considérer comme une structure voisine du Conseil économique et social s’il était plus représentatif des différentes catégories d’acteurs et disposait d’une plus grande autonomie dans ses orientations. En vérité, depuis sa création, sa composition est le reflet des orientations politiques officielles en matière de lecture. On y retrouve donc de façon massive des chercheurs appartenant au seul courant de la psychologie cognitive ou à tout le moins ne manifestant pas de réserve publique vis-à-vis de celle-ci. On n’y trouve donc pas de chercheur proche du terrain de l’éducation et représentant le courant socio-construtiviste.

Ce caractère maison est apparu dans la publication conjointe en janvier 2006 d’un rapport co-signé avec l’Inspection générale. Le fait, que l’on peut institutionnellement juger “ contre-nature ” qu’un observatoire à vocation scientifique soit associé à un organe à vocation prescriptive témoigne de l’hégémonie actuelle du courant cognitiviste dans les sphères dirigeantes, sa façon de penser la lecture tendant à se confondre avec la pensée tout court.

Le rôle qu’a pu jouer l’ONL dans la préparation des décisions prises récemment par Gilles de Robien est manifeste. L’ONL a été le lieu d’où ces orientations ont été testées. La lecture du rapport “ Apprendre à lire ” (1998) est parfaitement explicite à cet endroit. Largement diffusé lors de sa sortie, mais n’ayant pas suscité beaucoup de réactions (voir toutefois Fijalkow, 1999), on peut le considérer comme la matrice des décisions actuelles. Ainsi par exemple de la liberté pédagogique dans le choix des “ méthodes ”. On lit ainsi dans cet ouvrage que

 

"En cette matière, l'Observatoire n'appellera pas à la liberté pédagogique de l'enseignant. Cette liberté est souvent illusoire puisqu’elle peut masquer l’attachement à un système de formation, à l’autorité d’un inspecteur, au confort d’une routine. L’Observatoire peut et doit dire clairement de quel côté il estime que se situe, dans le domaine de l’apprentissage de la lecture, la vérité scientifique (vérité provisoire, nous l’avons rappelé dans les premières pages de ce rapport) (1998, p.86).”

 

On lit quelques pages plus loin

 

"À l'heure actuelle, nous pouvons affirmer que la conception de l'enseignement de la lecture la plus appropriée à ce que nous savons de l'apprentissage de la lecture est celle qui insiste sur la découverte, de manière précoce, du principe alphabétique" (1988, pp.91-92).

 

De la découverte du principe alphabétique à la mise en œuvre d’une méthode syllabique, il n’y avait qu’un pas. Il vient d’être franchi. Pousser des cris d’orfraie quand ce que l’on a voulu se produit ne peut tromper que les naïfs. Et qu’apportent tant de tardives repentances quand le mal est fait ?

 

L’ONL est un organe officiel, et à ce titre prestigieux. Perçu comme une sorte d’Académie française de la lecture, ses prises de position apparaissent dès lors comme la voix de la Science. Il est en fait la voix de son maître. Un fait notable montre la distance entre les membres de l’ONL et le courant représenté par “Sauvons la lecture” : aucun membre de l’ONL ne figure parmi les 3500 signataires d’un texte pourtant volontairement rédigé en des termes suffisamment généraux pour ne contredire en rien les positions de l’un ou l’autre des deux courants distingués ci-dessus. La position du courtisan n’est pas celle de l’intellectuel critique.

 

En bref, la thèse que nous soutenons est qu’il existe un courant de recherche, positiviste et mécaniciste, qui, prenant modèle sur la biologie en tant que science et sur la médecine en tant que pratique, a envahi de façon massive les universités puis les sphères décisionnelles de l’Éducation nationale. C’est de ce même courant qu’émanent les rapports de l’INSERM relatifs aux psychothérapies et aux troubles de la conduite enfantine, qui ont suscité maints débats parallèles à celui qui nous occupe ici. L’offensive dont la lecture fait l’objet n’est donc qu’un cas particulier dans un combat qui, sur d’autres fronts – psychothérapies, prévention de la délinquance – tentent de faire reculer l’Éducation des lieux qui lui sont réservés pour y implanter des structures et des pratiques relevant de la Santé. Les milieux de l’éducation ont su dans le passé limiter les prétentions de la Santé à intervenir dans le champ qui étaient les leurs jusqu’ici. Il semble que, dans le contexte idéologique actuel, leur vigilance ait été mise en défaut et que les formes “nouvelles” que revêt l’approche mécaniciste dans le cas de la lecture les aient abusés.

 

Les syndicats et les mouvements pédagogiques

 

Dans la crise ouverte par Gilles de Robien, les syndicats se sont vigoureusement engagés, à la différence de ce qu’avait été leur position lors des débats sur l’illettrisme et la dyslexie – qu’ils avaient sans doute perçus comme des débats entre spécialistes dépassant les compétences des enseignants, alors que, si l’on en croit les réflexions précédentes, il s’agissait en vérité de débats idéologiques revêtus d’habits apparemment scientifiques pour écarter précisément les principaux intéressés. La Science est un des masques dont se pare l’idéologie. Il est heureux que, dans le débat sur les “ méthodes de lecture ” la lucidité ait triomphé.

 

Les mouvements pédagogiques par contre sont très impliqués dans ces questions, mais dans le contexte actuel, semblent avoir des difficultés à se faire entendre.

 

Les éditeurs pédagogiques

 

L’importance des éditeurs pédagogiques dans le champ de la lecture est capitale, puisque, dans la plupart des cas, les enseignants utilisent le matériel fabriqué par eux. S’ils ne semblent pas constituer en France un acteur aussi important dans les orientations politiques qu’aux États-Unis, leur rôle n’est cependant pas négligeable.

Les éditeurs se situent entre l’État – les programmes – et le Marché – les enseignants. D’une part, ils suivent les directives de l’État et, de l’autre, fabriquent des outils susceptibles de leur ouvrir le marché le plus large. À première vue, il s’agit donc d’un travail purement technique. En vérité, comme le prescripteur, l’État, est rarement très explicite dans la rédaction des textes qu’il produit, et le marché ne suit pas nécessairement l’État les yeux fermés – chaque enseignant étant l’auteur de sa pédagogie à partir de sources multiples –, il existe une large marge de manœuvre pour les éditeurs. C’est pourquoi le catalogue d’un éditeur comporte toujours des outils allant du manuel le plus traditionnel au matériel le plus avant-gardiste. Tout bon commerçant sait en effet qu’il faut savoir sortir de sous le comptoir une marchandise différente suivant le client.

Si les éditeurs ne semblent pas être des protagonistes dans les batailles qui se livrent, ce n’est pourtant pas une règle absolue. Ils ne sont en effet pas aussi neutres en la matière qu’ils ne veulent bien le dire, car les batailles ne doivent pas empêcher les affaires. Ainsi, un texte du syndicat les réunissant, et publié par le Monde il y a quelques années, protestait-il contre l’abus de photocopies dans les écoles. Si on considère que ceux qui abusaient ainsi de la photocopieuse étaient des pédagogues novateurs, une telle intervention peut donc être classée comme favorable au camp des traditionalistes. De plus, au premier degré, c’est un  acte commercial : “ Achetez les manuels que nous fabriquons ” ; mais, au second degré, quand on sait que les manuels reposent pour la plupart sur des conceptions phonologistes, il s’agit aussi d’une intervention dans le débat sur les méthodes de lecture. À la même période environ, un rapport de l’IGEN sur la lecture critiquait l’usage de livres de jeunesse et recommandait de faire usage de manuels.

Plus récemment, en janvier 2006, un autre communiqué de presse a affirmé la neutralité des éditeurs dans ce débat, ceux-ci disant se contenter de suivre les indications du ministère. Peut-être peut-on lire ce communiqué comme le souci de dire aux enseignants que les éditeurs ne sont pas contre eux avec le ministre, expression d’une neutralité difficile, entre le prescripteur et le marché.

 

Les médias 

 

Les médias reflètent de manière majoritaire l’opinion commune. La façon partiale dont le Monde présente les débats relatifs à la lecture en témoigne. Libération semble mieux comprendre la nature idéologique de ces débats et plus disposé à faire entendre la voix des uns et des autres. La place réservée au récent débat sur les sites pédagogiques laisse penser toutefois que ceux-ci sont en train de devenir le lieu où, compte tenu des lacunes de la presse traditionnelle, il va trouver place.

 

Des films comme Avoir et être, tout à la gloire de l’école d’hier, ont aussi joué un rôle dans la préparation de l’opinion aux efforts de restauration auxquels on assiste aujourd’hui. Les comptes rendus qui en ont été faits, presque toujours laudatifs, annonçaient et préparaient les orientations politiques récentes.

 

Les politiques

 

Les interventions des élus en matière de lecture sont un fait nouveau. Ce fut le cas de Jacques Chirac dans une intervention télévisée où fut évoquée la question de l’illettrisme et “la méthode globale”, suite à sa rencontre avec un universitaire fortement médiatisé.

De telles prises de position ont eu lieu aussi aux États-Unis lors de campagnes électorales, de la part tant des Démocrates que des Républicains, ainsi qu’en Angleterre. Indiquons alors, sans entrer dans les détails – nous nous proposons de consacrer un développement spécifique à ces questions – que les prises de position de tous, quel que soit leur camp, se font en faveur des approches phonocentrées et ne correspondent donc pas à un clivage droite / gauche

Notons alors ce fait nouveau dans l’Histoire : avec ces discours, la lecture a fait une entrée officielle dans le discours politique. Il deviendra de plus en plus difficile de faire croire à des destinataires bien intentionnés mais mal informés que le discours que l’on tient est purement scientifique et nullement idéologique, au bénéfice de la vérité.

 

Conclusion

 

L’examen de la crise ouverte par Gilles de Robien constitue une nouvelle bataille de ce que les anglophones appellent “ les guerres de la lecture ”. Nous avons tenté, après en avoir évoqué les épisodes antérieurs depuis une quarantaine d’années, de montrer que, derrière le débat purement technique – professionnel ou scientifique –, il existe une situation conflictuelle entre parents et enseignants, et entre les milieux de l’Éducation et de la Santé, qui permet de mieux comprendre ce que sont les enjeux sous-jacents.  Nul doute que de prochains épisodes apparaîtront sous peu. Si ce texte, quelles que soient ses limites, permet d’en mieux appréhender quelques-uns des fondements, il aura rempli sa fonction.

 

 

 

Références bibliographiques

  

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BOIMARE S. « L’enfant et la peur d’apprendre », Paris, Dunod., 1999.

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CANGUILHEM G. « La connaissance de la vie », Paris, Vrin, 1965.

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CHARTIER A.-M. et HEBRARD J. « Discours sur la lecture », Paris, BPI-Centre Georges Pompidou, Fayard, 2000.

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FIJALKOW J. Un coup pour rien, Dossiers des Sciences de l’Education, 1999, 1, 137-155. 

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FIJALKOW J. « La lecture dans les médias ou la grande peur des bien-lisants », In Johsua et al., « Où va l’école française ? », Toulouse, SEDRAP-UNIVERSITÉ, 2000.

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FIJALKOW J. Dyslexie : le retour, Voies livres, Mars 2002.

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FIJALKOW (E.), « L’enseignement de la lecture-écriture au Cours préparatoire, entre tradition et innovation », Paris, L’Harmattan, 2003

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FRAÏSSÉ C., « Les représentations de la vache folle », Paris, Ed. Zagros, 2006.

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LAHIRE B. « L’invention de l’illettrisme », Paris, La Découverte, 1999.

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Observatoire national de la lecture, « Apprendre à lire », 1998, Paris, Odile Jacob.

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THAUREL-RICHARD M., L’enseignement de la lecture au CP et au CE1, Les dossiers, DPD, Ministère de l’Education nationale, 1999, 106. 

 

Textes cités parus dans la presse

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D'autres méthodes que le b.a.-ba,  Le Monde, 11 mars 2006

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 Lecture : le point de vue de scientifiques, Le Monde de l’Education, 2006, Mars, 16.

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 Birnbaum J. 1914-1918 Guerre de tranchées entre historiens, Le Monde, 11 mars 2006

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 Sauvons la lecture [http://www.lapetition.com/sign1.cfm?numero=1058 ]

 


 

 

Annexe

 

Une volonté politique affirmée

 

Parmi les mesures mises en œuvre par le ministre, on peut noter les suivantes :

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Convocation des éditeurs pédagogiques afin de leur demander de mettre leurs produits en harmonie avec les orientations du ministre.

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Convocation d’un responsable de l’Association des maires de France.

Il s’agit ici d’un sur-contrôle du choix des manuels puisque ceux-ci étant achetés par les mairies, demander aux maires d’acheter certains et/ou de ne pas en acheter d’autres revient à contrôler leur choix, non pas cette fois à la production, mais à l’achat. Cette mesure complète donc la précédente.

 

Conférence de presse du ministre, suivie de la publication d’une circulaire relative à l’enseignement de la lecture le 3 janvier 2006.

Les observateurs attentifs remarqueront cependant – remarque qui sera confirmée tout au long du premier trimestre de l’année 2006 – l’existence d’un écart certain entre les propos du ministre et les textes programmatiques publiés par le ministère. Qu’on l’attribue à la différence entre le discours politique et le discours technique, aux divergences possibles entre le Cabinet et le rédacteur (Ministère ou IGEN) ou encore qu’on y voie une manifestation d’amateurisme importe peu en vérité. En effet, dans un État de droit comme la France, seuls les textes importent, et ces textes sont allés dans le sens d’un assouplissement croissant par rapport aux intentions énoncées qui, elles, sont demeurées intangibles. Le fait intéressant pour notre propos est toutefois qu’il y a là un troisième moyen, juridique, indiquant la volonté du ministre de contrôler l’enseignement de la lecture. Procéder à une réécriture des programmes de 2002 revient en fait à mettre la loi en conformité avec les décisions du ministre, décisions qui, rétrospectivement, apparaissent donc comme marquées du sceau de l’autoritarisme.

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Sur le plan juridique encore, cette circulaire sera suivie d’un arrêté* qui, présenté le 6 mars 2006 au Conseil Supérieur de l’Éducation (CSE), ne sera pas examiné, les représentants des syndicats et des parents ayant refusé de l’examiner.

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Des modifications de cet arrêté seront aussitôt élaborées par le ministère et une séance du CSE convoquée pour le 14 mars, mais les mêmes représentants refuseront à nouveau de siéger.

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Le CES du 22 mars émettra un avis défavorable à l’arrêté présenté par le ministère, mais celui-ci décidera de passer outre et de le mettre en œuvre dès la rentrée prochaine.

La voie juridique apparaît donc à la fois décalée dans le temps par rapport aux décisions énoncées et difficile à suivre du fait de la concertation avec les personnels qu’elle comporte.

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Décision de reporter les formations sur la  lecture assurées par des chercheurs et destinées aux futurs IEN. A cette mesure de portée nationale on peut joindre les initiatives régionales de recteurs zélés, tel celui de Montpellier demandant aux IEN de Languedoc-Roussillon de ne plus autoriser l’usage de certains manuels ou celui de Clermont-Ferrand refusant la production d’un DVD issu d’une conférence à l’IUFM effectuée localement par deux chercheurs. Ces initiatives ayant provoqué une levée de boucliers seront suivies de démentis confus. Elles indiquent toutefois un état d’esprit : la volonté de contrôler les idées en interdisant celles qui risqueraient de ne pas être conformes à la doxa officielle.      

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Commande d’un sondage sur la question des méthodes de lecture auprès du public en général et des parents en particulier. Ce sondage établit que, de manière massive, les Français en général et les parents en particulier sont opposés à « la méthode globale ». Là où un micro-trottoir eut suffi, le ministère a préféré le rouleau compresseur. La pression se situe ici au plan de l’opinion : faire état d’un large consensus vise à légitimer démocratiquement l’action entreprise.

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Organisation par la DESCO le 9 mars à Paris d’un séminaire national destiné aux directeurs d’IUFM, IEN, responsables de la formation du premier degré, avec exposés théoriques de plusieurs chercheurs.

Cette mesure indique une volonté de contrôle des cadres : ceux de l’Éducation nationale, notamment les IEN, ayant manifesté nationalement et localement de fortes réticences à accepter les décisions du ministre, l’organisation d’un séminaire national apparaît comme une manifestation d’intimidation. Il semble toutefois qu’elle ait fait long feu, si l’on considère en effet la façon dont les chercheurs y ont réagi. Parmi ceux qui avaient été convoqués dans le but de leur faire légitimer scientifiquement les décisions énoncées en décembre, certains ont préféré s’abstenir ; quant à ceux qui ont choisi être présents, la plupart ont tenu des discours défavorables à la position du ministre ; d’autres enfin, connus pour leur opposition à la politique de la lecture du ministre et donc non invités à cette rencontre, ont tenu en parallèle une conférence de presse aux côtés des syndicats et des associations. Ce séminaire qui, à l’origine, devait permettre de légitimer ses positions et de mettre au pas l’Éducation nationale, semble donc avoir eu l’effet contraire de celui qui était attendu.

 

Des réactions publiques

 

Les positions prises par le ministre et les mesures qui les ont suivies en vue de les mettre en œuvre si elles indiquent une forte détermination, ont suscité des réactions d’opposition des syndicats, associations, et chercheurs. Elles ont pris, elles aussi diverses formes, dont nous citerons quelques-unes unes, sans prétendre être exhaustif :

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Publication fin décembre 2005 d’un texte signé par un groupe de professeurs d’université et d’IUFM (« Sauvons la lecture ») ; texte publié par le Monde quelques jours plus tard. Placé sur Internet afin de permettre à tous ceux qui le désirent de s’y associer, il avait recueilli au mois de mars 3500 signatures environ, souvent accompagnées de commentaires.

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Pétition lancée au même moment sur Internet par les syndicats d’enseignants, les mouvements pédagogiques et quelques chercheurs (« Assez de polémiques, des réponses sérieuses »).

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Réaction respectueuse mais négative du syndicat IEN-UNSA sous la plume de son secrétaire, Patrick Roumagnac

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Publication de textes émanant de mouvements pédagogiques

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Conférences publiques à Clermont-Ferrand, Toulouse, Montpellier, avec la participation de professeurs d’université et d’IUFM

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Publication d’un autre texte (« Lecture : le point de vue de scientifiques »), par d’autres universitaires, la plupart non-signataires des deux premiers textes ; texte repris par le Monde de l’éducation

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Publication par des enseignants de CP d’un texte qui interpelle le ministre dans le Monde (« D'autres méthodes que le b.a.-ba »)

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Publication de textes émanant de professeurs d’université et d’IUFM présentant des positions diverses ; ces textes, placés sur des  sites tels que le Café pédagogique ou Éducation et devenir, présentent un débat qui peine à trouver sa place dans les médias traditionnels.

 

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Je remercie Michel Brossard, Eveline Charmeux, Philippe Meirieu qui ont bien voulu lire une version antérieure de ce texte.

 

* Arrêté du 24 mars 2006 modifiant l'arrêté du 25 janvier 2002 fixant les programmes d'enseignement de l'école primaire J.O n° 76 du 30 mars 2006 page 4758 http://www.legifrance.gouv.fr/WAspad/Visu?cid=767362&indice=18&table=JORF&ligneDeb=1

 

Jacques Fijalkow

Jacques Fijalkow, docteur d’État en psychologie, est professeur de psycholinguistique et directeur de l’école doctorale « Comportement, Langages, Education, Socialisation, Cognition », (CLESCO), à l’université de Toulouse-le-Mirail. Il est également responsable de l’équipe universitaire de recherches en éducation et didactique (EURED) du centre de recherches en éducation, formation, innovation (CREFI).

Lire et raisonner, Jacques Fijalkow et John Downing, Privat, Toulouse, 1984.
Mauvais lecteurs, pourquoi ?, Jacques Fijalkow, PUF, Paris, 1986.
Entrer dans l’écrit, Jacques Fijalkow, Magnard, Paris, 1996.
Sur la lecture, ESF, Paris, 2000.
Entrer dans l’écrit à l’école maternelle, Jacques Fijalkow et Éliane Fijalkow, Sedrap Université, 2002

En complément

 

 

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http://www.bienlire.education.fr/01-actualite/document/fijalkow.pdf

Document envoyé au PIREF en vue de la conférence de consensus sur l’enseignement de la lecture à l’école primaire les 4 et 5 décembre 2003

Pourquoi et comment articuler l’apprentissage de la lecture avec celui de la production d’écrit aux différentes étapes de la scolarité primaire ?

Jacques Fijalkow, EURED-CREFI, Université de Toulouse le Mirail

 

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http://www.lecture.org/productions/revue/AL/AL67/AL67p40.html

note critique de Jacques Fijalkow (CREFI – Université de Toulouse-le Mirail) sur le livre de l’Observatoire National de la Lecture : Apprendre à lire au cycle des apprentissages fondamentaux (GS., CP, CE1). Analyses, réflexions et propositions, Odile Jacob, 1998  

 

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http://www.ac-nancy-metz.fr/ia54/

LA LECTURE DANS LES MÉDIAS OU LA GRANDE PEUR DES

BIEN-LISANTS

 

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http://www.lecture.org/productions/revue/AL/AL74/page30.PDF

APPRENDRE À LIRE-ÉCRIRE À L’ÉCOLE, EST-CE BIEN POLITIQUEMENT CORRECT ?

  

Réaction de Franck Ramus

courriel du 06/04/06

Déplorant ce qu'il estime être une "méconnaissance" voire un "mépris pour la science, et n'ayant pas le temps de répondre point par point, il renvoie, en ce qui concerne la dyslexie, à un de ces travaux antérieurs : http://www.ehess.fr/centres/lscp/persons/ramus/p&e03.pdf*

* Ce texte répond à un précédent texte de J. Fijalkow : Dyslexie : le retour (téléchargeable format *.pdf)

Avec Jacques FIJALKOW, retournons dans la classe !

Pierre FRACKOWIAK

Responsable départemental SI-EN NORD

9/04/2006 

 

L'excellent dossier publié et mis à jour par "Education et Devenir" affiche depuis quelques jours un texte remarquable de bon sens de Jacques FIJALKOW. Il refait un point sur l'état de la question dans tous les domaines. A lire absolument !

 

Jacques FIJALKOW nous permet de relativiser la tendance à fonder des théories hors des réalités. En le lisant, je me demandais s'il est normal de se laisser éblouir par des recherches destinées à étayer des hypothèses ou des convictions personnelles que l'idéologie ne peut guère épargner, d'admettre toute affirmation invoquant "les résultats des recherches", comme si cette expression est si forte qu'elle nous empêche de penser, de se laisser aller à cette forme de snobisme  à rechercher des cautions scientifiques…

 

 Mais qui regarde ce qui se passe réellement quand un enfant apprend, dans sa classe, avec son maître, avec ce qu'il sait déjà dont on tient compte ou non, avec les jugements et les pronostics du maître, avec les supports qui ont plus ou moins de sens pour les enfants? A force de débats et de colloques, on finit pas oublier l'essentiel, la classe et les pratiques pédagogiques qui ne peuvent jamais être réduite à une recherche, ni à une théorie, ni même à une méthode… On finit par oublier l'instituteur ou professeur d'école, avec ses représentations, ses options, ses critères souvent implicites, ses efforts et ses tâtonnements pour améliorer les performances de ses élèves. On finit par oublier que la majorité des savants n'ont jamais pris une classe, sont incapables de faire l'école, sont encore conditionnés par leurs propres souvenirs scolaires, souvenirs d'élèves qui ont réussi et qui ont du mal à concevoir que ce qui a été efficace pour eux hier ou avant-hier ne puisse pas l'être pour d'autres aujourd'hui et demain.

        

Peut-être faudrait-il tout simplement faire confiance, aider, accompagner, encourager, soutenir, mesurer les efforts réalisés depuis plus de 20 ans pour au moins rendre l'enfant acteur de son apprentissage, pour améliorer la compréhension et la production de l'écrit, pour passer d'une activité mécanique à une activité intelligente, plutôt que d'asséner des certitudes au nom de recherches qui ne font l'objet d'aucun consensus, qui n'affiche pas toujours clairement leurs options idéologiques, qui ignore le plus souvent l'école.

 

Peut-être faudrait-il relancer des recherches – actions associant les praticiens pour analyser l'activité réelle des élèves et des maîtres. Revenir sur terre, c'est-à-dire dans la classe.

 

A côté de cette expression sereine, marquée au sceau du bon sens, les ultra conservateurs du GRIP* et le SLECC*, s'arrogeant la caution du ministre et de la DESCO, poursuivent leur campagne d'intoxication de l'opinion publique, en utilisant sans complexe les neurosciences qui les arrangent… et les moyens de communication des inspections académiques, profitant de la protection du ministre. N'oublions pas que les BOUTONNET, LEBRIS, CANDELIER et autres, dévorent de l'inspecteur sur tous les médias étonnamment bienveillants à leur endroit, déclarant sans cesse, qu'ils ont été brimés, sanctionnés par leur IEN pour avoir fait du b-a ba, ce qui est faux mais ce qui les autorise à prendre  des postures de martyr… On les voit beaucoup sur les plateaux de télévision. A l'évidence, ils souffrent, mais on ne sait pas bien de quoi.

 

* Groupe de Réflexion Interdisciplinaire sur les Programmes (GRIP) soutient un réseau de classes primaires expérimentales (projet SLECC: "Savoir Lire Ecrire Compter Calculer") fait partie de la nébuleuse de la rétropensée.

 

Classe contre classe : le retour

 

Monsieur Fijalkow, en dépit de réserves, j’ai signé la pétition « Sauvons la lecture » dont vous êtes à l’origine. J’ai, comme militant syndical, appelé à la signature de ce texte les enseignants de mon département.

 

Je suis tenté aujourd’hui de retirer ma signature car je ne me reconnais pas du tout dans la démarche « camp contre camp » (classe contre classe ?) que vous adoptez dans le texte « B-A BA : le retour » publié sur le site d’Éducation et Devenir et dont témoignaient déjà les textes de plusieurs autres signataires.

 

Dans la controverse sur les méthodes d’enseignement de la lecture (comme dans celle qui concerne les troubles de la conduite chez les enfants et les adolescents), j’attends des chercheurs qu’ils m’aident à comprendre en quoi les travaux qu’ils critiquent n’apportent pas les connaissances attendues, celles dont on aurait besoin. J’attends qu’ils discutent entre eux des limites des méthodes qu’ils mettent en œuvre, du degré de validité des résultats qu’ils obtiennent ainsi que des recherches qu’il serait utile d’entreprendre pour en savoir plus… À partir de là, je devrais être mieux à même de juger jusqu’à quel point les politiciens de passage et les idéologues de service se livrent à des usages frauduleux ou à une instrumentalisation de la science.

 

Je n’attends surtout pas que les chercheurs se livrent à des querelles de chiffonniers sur la place publique et encore moins qu’ils jettent le soupçon sur l’honnêteté de leurs travaux respectifs au nom de leurs préférences idéologiques ou de leurs convictions philosophiques supposées. Vos propos pourraient laisser croire qu’il y a, dans le domaine de l’apprentissage de la lecture, une recherche progressiste et une autre traditionaliste… même si vous en atténuez la portée en reconnaissant finalement que « tous souhaitent la résolution des problèmes qui se posent en lecture ». Mais comme tout votre texte est émaillé des mots « bataille », « combat », « guerre », « conflit »… on pourrait se croire revenu à une époque pas si lointaine où les divergences intellectuelles sortaient fréquemment de leur cadre normal pour se livrer aux ostracismes ordinaires de la vie politique.

 

Depuis le mois de décembre, j’ai l’impression de lire, à n’en plus finir, des proses de combat dont les auteurs affichent leurs titres universitaires ou professionnels plutôt que leurs options partisanes ou engagées. Je connais trop les vertus mais aussi les limites de ces dernières pour déplorer cette confusion. J’aspire à ce que les choses soient plus claires quand des personnes titrées, diplômées, expertes voire érudites prennent la parole publiquement. Question de déontologie me semble t-il.

Retraité de l’enseignement primaire depuis quelques mois, j’ai un peu plus de temps qu’auparavant pour vérifier les arguments employés par les uns et les autres. Je constate combien les controverses actuelles sur les questions d’éducation sont d’une qualité douteuse sur la question de l’enseignement de la lecture comme sur celle du dépistages des troubles de la conduite.

 

Concernant la lecture, entre un ministre qui se répand en propos risibles et certains de ses adversaires qui brandissent des menaces de complot cognitiviste et parfois des soupçons de contamination anglo-saxonne, il y a de quoi désespérer. Les enseignants donnent l’impression d’avoir choisi d’observer avec flegme (ou indifférence ?) cette nouvelle guerre pichrocoline qui opposerait, nous dit-on, des socio-constructivistes humanistes qui se réclament de la tradition éducative à des cognitivistes mécanicistes et scientistes qui émargeraient à la tradition médicale. Il faudra, en tout cas, être plus précis et sans doute moins polémique pour convaincre d’un danger majeur pour l’humanité. Plus sérieusement :

 

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Serait-ce naïf de souhaiter que les chercheurs fassent leur travail dans une optique moins guerrière et plus coopérative ?

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Serait-ce angélique de considérer que des courants de recherche antagonistes ont un devoir de confrontation sans animosité de leurs travaux ?

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Serait-ce scientiste de penser que des procédures d’évaluation sont nécessaires dans le domaine de l’apprentissage de la lecture et de s’interroger des raisons qui en empêchent un usage plus efficace ?

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Serait-ce démagogique d’attendre un peu moins de propos simplificateurs dans la presse et un peu plus d’efforts de vulgarisation des connaissances acquises ?

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Serait-ce populiste que de s’irriter du peu de résultats présentables en matière d’enseignement de la lecture malgré un potentiel de recherche non négligeable ?

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Serait-ce abusif de se demander si les rivalités et les concurrences n’aboutiraient pas à une dispersion des moyens publics dommageables pour la recherche française  comme pour l’intérêt général ?

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Serait-ce réactionnaire de douter que l’État soit seul responsable de la méconnaissance proprement incroyable sur les pratiques réellement mises en œuvre dans les classes ?

 

Je conclurai sur un sujet d’étonnement qui me fait douter de la grille d’analyse que vous proposez. Vous retenez  trois conflits majeurs (entre parents et enseignants, entre les milieux de l’Éducation et de la Santé, entre les cognitivistes et les constructivistes) et vous vous intéressez à de nombreux autres acteurs (opinion publique, orthophonistes, éditeurs pédagogiques, médias, politiques…) mais vous faites totalement l’impasse sur le rôle des enseignants dans les nombreux épisodes qui ont précédé et préparé les décisions et les discours de Gilles de Robien sur les questions d’apprentissage de la lecture.

Ce ne sont pourtant pas les honorables professeurs de lettres, les brillants professeurs de philosophie, les distinguées vedettes de l’université et même les enseignants du premier degré qui ont manqué ces dernières années pour dénoncer les réformes et pour saper tout ce qui a évolué dans le système éducatif français depuis trente ans. Ces nouveaux hussards sont loin d’être tous issus des milieux conservateurs et réactionnaires. Ils ont souvent reçu des renforts inattendus du côté de syndicats d’enseignants (en l’occurrence pas le mien) et de milieux fort radicaux. Souvenez-vous des campagnes contre le lycée light, du torpillage de la recherche sur les pratiques d’enseignement lancée dans le cadre de la Charte du XXIe siècle, de l’opposition aux pratiques pluri disciplinaires (TPE, IDD et PPCE), du dénigrement sans nuances des propositions de la commission du débat national sur l’avenir de l’école, des analyses anti-libérales suggérant d’en finir avec des méthodes pédagogiques destinées à favoriser l’employabilité des élèves et à assurer la pacification des établissements…

 

Pour stopper le retour des absurdes nostalgies d’un passé mythifié, éviter les mesures simplistes ou gadget dont nous gratifient les ministres de l’Éducation nationale (pas seulement De Robien), ces dernières années ont montré qu’il ne suffit pas d’une pétition (ou même de trois comme dans le cas présent au sujet de la lecture), des protestations outragées d’un cartel d’organisations, ou d’appels récurrents à la grève générale reconductible et interprofessionnelle. La posture de victime (du complot libéral et de la mondialisation) ou de résistant (à la casse, au démantèlement, à la destruction des acquis…) permet de rassembler plus ou moins bien des forces hétéroclites contre un adversaire diabolisé. Mais il serait autrement important de s’accorder sur des objectifs précis à poursuivre. Un seul exemple au sujet de la lecture : en dehors de généralités (plus de formation, plus de recherche, plus d’évaluation), j’ai de la peine à saisir ce que vous suggérez ou revendiquez de précis afin que la situation s’améliore. Aurai-je mal lu ?

Émile Pinard

Instituteur retraité (ayant enseigné en ZEP 94)

militant d'un syndicat général et confédéré

 

Stratégie pour apprendre à lire

Réflexions d'un praticien

On tente de résoudre tous les problèmes de l'école, soulevés par l'école elle-même ou son contexte, sans jamais ré-envisager le fondement de l'acte éducatif lui-même, sans jamais remettre en cause la structure du système éducatif sensé pouvoir permettre que se réalisent des apprentissages, sensé donner les meilleurs conditions pour que "l'enfant apprenne". Sans sortir du cadre d'origine digne du plus pur taylorisme ou fordisme, de toute bonne foi,  on cherche désespérément comment "leur apprendre", à tous. Dans ces conditions, il s'agit bien de "méthodes" à mettre à disposition à des appreneurs, OS de la chaîne. Quand pendant des décennies on ne cesse de se battre pour proclamer qu'on détient la "meilleure méthode", il y a de grandes chances pour que l'on soit... à côté du problème. Quand on a une machine qui marche à la vapeur, il est également bien inutile de s'évertuer à tenter d'y mettre de l'essence quand le charbon qu'on utilisait habituellement ne donne plus satisfaction. Un enfant vous dirait : inventez une autre machine !

Depuis des décennies, nous sommes quelques-uns(1) à ne pas avoir inventé une autre machine (là, c'est une machine collective appelée "système éducatif" qu'il faudrait faire surgir des expériences particulières) mais à avoir mis en pratique une autre stratégie éducative où les questions de méthodes deviennent très secondaires. Il se trouve que, dans tous les cas, les résultats de ce que l'on ne peut même pas appeler "expériences" puisque situées dans la normalité du service public, ont été probants.

C'est cette pratique et ce que l'on peut en tirer qui est évoqué dans l'article suivant :

Stratégie pour apprendre à lire

Replacer le terme de « méthode » à son juste (et humble) niveau

Bernard COLLOT 37 années d’enseignement de la lecture dans une classe unique http://perso.wanadoo.fr/b.collot/b.collot/lecture.htm

 

(1) Quelques-uns seulement ! Depuis plus d'un siècle, les vraies pratiques novatrices n'ont jamais dépassé les 1% des classes ou écoles. Il n'y a qu'à en parler aux parents qui cherchent désespérément une école freinet, montessori ou un peu différente !

 

Un brin de poésie

                          

 

Un peu de dérision
 

Si la bique lisait

 

 

 

1-Un brav’ berger s’ennuie                                        

 Dans sa bergerie

      D’apprendre il se pique

      A lire à sa bique

 

 Refrain

       « B-é bé » fit la bique

       « B-a ba » fit le gars

       « B-o bo » fit l’écho

  

2_ Si la bique lisait

     Et l’âne nonait

     Jusqu’à tue-tête

Pauvr’ âne-alpha-bête

 

3_ Il offre en pâture

     De la littérature

      Qu’il écrit c’est logique

Avec sa pointe Bic 

 

4_ La pipe de papa fume

     De papa la pipe fume

     Papi fume aussi

La lettre n’a pas d’esprit 

  

5_ Mauvais le pronostic

     On fait sa tête de bique

     Lors on va au casse-pipe

On avale l’écart type

 

 6_ Changea de méthode

     Pleins phares sur le code

     Ratus rat « z » en soutien

Travail biqu-otidien

 

7_ Bientôt bredi-breda

     La bique décoda

     N’accéda pas au sens

 Pourtant les neurosciences…

 

8_ Le berger dev’nait chèvre

     Un fol espoir s’achèvre

     Mais quel faible Q.I. c

Sacrée crotte de bique

 

9_ « Qu’on me fiche la paix

     Voyez sa C.S.P. ! »

     Le berger la maudit

     La noie dans l’bain d’écrits

 

 

 

                Francis Dupuit, IEN

                  Mars 2006

 

Pour la partition musicale, s'adresser à l'auteur

 

Rimes riches à l'œil

Ou de la correspondance phonème-graphème

 

 

L'homme insulté‚ qui se retient
Est, à coup sûr, doux et patient.
Par contre, l'homme à l'humeur aigre
Gifle celui qui le dénigre.
Moi, je n'agis qu'à bon escient :
Mais, gare aux fâcheux qui me scient !
Qu'ils soient de Château-l'Abbaye
Ou nés à Saint-Germain-en-Laye,
Je les rejoins d'où qu'ils émanent,
Car mon courroux est permanent.
Ces gens qui se croient des Shakespeares !
Ou rois des îles Baléares !
Qui, tels des condors, se soulèvent !
Mieux vaut le moindre engoulevent.
Par le diable, sans être un aigle,
Je vois clair et ne suis pas bigle.
Fi des idiots qui balbutient !
Gloire au savant qui m'entretient !

 

Alphonse Allais