Marie Claude Nidrecourt
offre une contribution très utile au cahier Pour une politique
d'orientation en établissement. Le rôle des CIO et les missions des
conseillers d'orientation-psychologues restent méconnus et méritent des
clarifications pour tous. Je lui sais donc gré, en tant que collègue, de
fournir ce travail descriptif et explicatif.
Pourtant, je ne peux être
d'accord avec l'idée que l'identité des CO-P se résume à une « double
casquette » : d'un côté le conseiller d'orientation, de l'autre le
psychologue.
Non, il n'y a qu'une
« casquette » et la locution qui désigne notre corps, fruit d'une longue
histoire, ne doit pas nous donner de soucis identitaires, même si elle ne
nous aide guère à être bien identifiés. Certes, ce qui peut être clair pour
nous, dans notre pratique, ne l'est pas forcément aux yeux des autres, à
ceux de nos usagers et à ceux de nos collègues au sein des équipes
éducatives au premier chef. Si la profession est en manque de lisibilité,
incontestablement, il me semble qu'elle pourrait dépasser certaines
« mauvaise questions » quant à son identité.
Je ne crois pas que le
plombier-zingueur change de bleu en passant du robinet à la gouttière, ni
que l'infirmier-anesthésiste enlève sa blouse pour revêtir un masque
lorsqu'il pénètre dans le bloc opératoire. Une des difficultés des CO-P, en
terme d'image, procède des enjeux multiples, sociaux, symboliques,
corporatistes, qui ont divisés les psychologues dans la société lorsque est
venue la question de savoir qui pourrait user du titre de psychologue, après
la loi de 1985... Mais je ne développe pas.
La vérité est que l'image
dominante du « psy », c'est à dire du thérapeute prenant en charge les
troubles du comportement, de la personnalité, ou encore les difficultés
existentielles des personnes, a pris le dessus sur toute représentation
plus conforme à ce qu'est la psychologie à l'Université, depuis qu'elle y
existe à part entière et à travers ses multiples sous-disciplines. Plus
encore, il faut insister sur le fait qu'il y a des métiers de
la psychologie. Ainsi, s'étonne-t-on de l'existence de psychologues du
travail? Trouve-t-on que les psychologues qui travaillent comme consultant
d'entreprises ou qui pratiquent l'ergonomie ne sont pas de « vrais »
psychologues?
Alors quelle est cette
violence symbolique? Pourquoi certains de mes collègues ont-ils du mal à
penser que c'est bien en tant que psychologues qu'ils pratiquent le conseil
en orientation tandis que d'autre le font avec d'autres compétences et
d'autres points de vue : le professeur, le CPE, le chef d'établissement, le
parent...
Tenter de répondre à cela
m'emmènerait bien trop loin. Mais comme les missions des CO-P concernent
l'adaptation scolaire des adolescents d'une part, l'orientation d'autre
part, l'on aperçoit bien qu'elles ont rapport avec les dimensions de la
personnalité en construction, avec la motivation, avec l'estime de soi qui
permet ou non de réussir et de se projeter efficacement vers l'avenir... et
aussi avec la question si brûlante du désir... Tout cela relève bien du
champ des concepts et de la pratique de la psychologie, n'est-ce pas?
Et en quoi l'aide à
l'adaptation scolaire et le « suivi continu » des élèves serait-il
contradictoire avec l'information sur les métiers et les formations? Je
crois qu'il faut sortir des dichotomies platoniciennes du ou bien ou bien
dans lesquelles un terme exclut l'autre : cela ne fonctionne que si le
tiers est exclu; mais « psychologue » n'est ni le contraire ni la
contradiction de « conseiller d'orientation ».
On peut donc entrer dans
une dialectique dépassant l'alternative (apparente) : il ne s'agit pas
d'être, en alternance, psychologue ou bien conseiller d'orientation mais
d'assumer une position de psychologue de l'éducation (cousin du psychologue
scolaire du premier degré), qui prend sa place dans les équipes éducatives,
avec des missions spécifiques d'aide et de conseil en matière d'adaptation
scolaire et d'orientation : l'un conditionne l'autre. Combien d'orientations
choisies et assumées pour ceux qui sont en difficultés d'adaptation
manifestes?
L'unité identitaire
des conseillers d'orientation-psychologues c'est le trait d'union qui la
signifie : nous sommes les deux à la fois, tout le temps et en même temps,
quels que soient nos actes et nos tâches. Bien sûr, j'eusses préféré pour
ma part que l'on nous appellât « psychologue de l'orientation » ou, pourquoi
pas, « psychologue de l'éducation », ayant pour missions spécifiques l'aide
à l'adaptation scolaire et à l'orientation...
Ces missions
impliquent bien, outre une solide formation en psychologie, une compétence
en pédagogie de l'information, une certaine connaissance du monde du travail
et une, beaucoup plus approfondie, du système éducatif et des voies de
formations sous différents aspects...
La formation de tout
praticien à « bac plus cinq » devant se confronter à des réalités complexes,
est nécessairement polyvalente et pluridisciplinaire : que ferait-on d'un
psychologue du travail qui ignorerait tout de l'organisation des entreprises
et de l'économie du travail?
Je crois donc que le
trait d'union dit bien l'unité de notre fonction, si diversifiées que soient
nos tâches. Nous ne sommes assurément pas des « psy » au sens où la place
publique se le représente , mais bien des psychologues et pas n'importe
lesquels. En effet, notre activité ne s'exerce pas n'importe où, mais dans
le champ dominant et générique de l'orientation sous la forme habituelle du
conseil donné ou du « tenir conseil » si cher à la profession. Aussi,
lorsque je donne une information objective sur les études ou un avis
technique à un chef d'établissement, je n'ai pas l'impression de trahir ou
de quitter mon rôle de psychologue de l'éducation mais de l'assumer dans
tous les attendus propres à ce qu' « orientation » veut dire.
Je ne porte décidément
qu'une casquette et réfute ce vieux procès que d'autres psychologues nous
firent en des temps d'agitation corporatiste et d' « enchères » sur l'usage
du titre de psychologue : il n' y a pas à choisir d'être psychologue ou
bien conseiller d' orientation sous peine de schizophrénie, mais à assumer
l' Histoire séculaire de l'orientation et de ses pratiques comme des choses
qui se sont toujours fondées sur la psychologie, bien avant que celle-ci se
fût constituée comme discipline autonome de la philosophie dans nos
universités. C'est le trait d'union assumé qui permet d'éviter le clivage,
comme le corps calleux établit un pont entre nos hémisphères cérébraux, de
sorte que nous ne disposons pas de deux cerveaux autonomes mais d'un seul
pour penser et pour agir.
Dominique Beullier, Conseiller d'orientation
DCIO de Digne-les-bains