Collége unique

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VOIR AUSSI :

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Appel du collectif "Pour un débat national sur le collège"

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Le collège pour tous

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Les débats sur le collège unique

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Note 2 du "Manifeste pour pour un débat public sur l'école"

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Une réforme du collège ne peut se concevoir sans une refonte complète du système éducatif français Mouvement Freinet-ICEM

bullet position de G. Hervé

Pour ou contre le collège unique : est-ce bien la question ?

 

Françoise Clerc

Professeur en sciences de l’éducation

Université Lyon 2

 

 

 

 

 

On peut légitimement s’étonner de l’actuel concert de critiques contre le collège unique, concert dans lequel se retrouvent des personnalités de toutes tendances qui, tout en développant des arguments hétérogènes, parfois même contradictoires, se disent soulagées de ce que le « tabou » soit enfin levé. De quel « tabou » s’agit-il ? La politique du collège inaugurée par un ministre de droite a été régulièrement reprise, avec des nuances, par tous les ministres suivants, qu’ils soient de droite ou de gauche. Trente ans après, on voudrait nous faire croire que les prises de position contre le collège unique correspondent au constat de l’échec de cette politique relativement consensuelle. Or, il n’en est rien. S’il est un « tabou » c’est bien celui qui consiste à dissimuler que le collège unique n’a jamais existé.

Démonstration

Il a toujours subsisté dans le collège des structures destinées à accueillir les enfants que les dispositifs habituels d’enseignement ne pouvaient ou ne savaient pas prendre en charge.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il n’est pas mauvais de rappeler que les jugements portés en apparence selon les « mérites » sont en réalité et de façon massive, corrélés avec les origines sociales.

 

 

 

Déjouer les incertitudes du métier d’élève demande des ressources inégalement réparties

Depuis sa création en 1975, toutes sortes de stratagèmes ont permis de contourner massivement l’unicité du collège. Si tous les enfants de 10 à 16 ans ont pu être scolarisés dans un enseignement de second degré, il s’en faut de beaucoup qu’ils l’aient été dans des structures « uniques ». A côté des classes « normales », ont continué à exister des dispositifs pédagogiques tels que les classes pré-professionnelles de niveau, les classes d’adaptation et d’insertion, d’aide et de soutien, prévues, en principe, pour assurer la réintégration des élèves après un séjour limité, mais qui, de fait, ont fonctionné comme des filières de relégation. Les critères pédagogiques qui président à l’orientation dans ces dispositifs sont variables et flous. Rien n’est plus difficile à caractériser qu’un élève en difficulté (même si la Direction de l’évaluation et de la prospective a fait en son temps, un effort considérable pour objectiver la notion) et le plus souvent à travers les évaluations c’est en fait le sentiment, la subjectivité ou le seuil de tolérance des équipes pédagogiques qui l’emportent. Comme on l’a souligné fréquemment, l’élève en difficulté c’est d’abord celui qui met le professeur en difficulté. 

Les Sections d’éducation spécialisée (SES) puis les Sections d’enseignement général adapté (SEGPA) où sont orientés, avec l’accord des familles, les enfants présentant des retards du développement, constituent jusqu’à maintenant une réelle filière, symboliquement  et matériellement à part dans les établissements. Dans de nombreux collèges, il a longtemps été facile de trouver la SES parce qu’elle était localisée dans des bâtiments préfabriqués, au fond de la cour, alors que les autres classes jouissaient d’un relatif confort dans des bâtiments en dur. Ce phénomène, bien connu dans l’éducation spécialisée, était même un sujet de plaisanterie entre enseignants de ces classes... D’une région à l’autre, et même d’un département à l’autre, le recrutement de ces filières est très inégal, résultat d’un compromis entre le seuil de tolérance plus ou moins élevé des classes dites normales à la difficulté scolaire, l’acceptation des familles du verdict des commissions, les capacités d’accueil et les politiques nationales et académiques concernant l’adaptation et l’intégration scolaire.

Il a donc toujours subsisté dans le collège des structures destinées à accueillir les enfants que les dispositifs habituels d’enseignement ne pouvaient ou ne savaient pas prendre en charge. Mais de façon plus insidieuse, ce sont les politiques urbaines et les stratégies des familles qui ont creusé les inégalités entre les établissements. L’homogénéisation des populations dans les quartiers les plus pauvres, le contournement des contraintes des cartes scolaires par les familles désireuses d’éviter la promiscuité avec les enfants des classes populaires ont eu pour effet  de stigmatiser durablement certains établissements, stigmatisation que la création des Zones d’éducation prioritaire puis des Réseaux, sorte d’adaptation française d’une politique de type « affirmative action » (donner plus à ceux qui ont moins), n’a pas pu empêcher. Au contraire, on a pu voir dans certains cas, l’image des établissements classés en ZEP se dégrader, alors même que la qualité de l’enseignement et de l’encadrement des enfants y était accrue. Des sociologues ont montré que la « plus-value » éducative des collèges est très variable et ne correspond pas nécessairement aux a priori de l’opinion publique.

A l’intérieur même des établissements, les pratiques quotidiennes, parfois délibérément mais aussi parfois à l’insu des personnels et comme malgré eux, introduisent le principe d’un creusement des différences entre les parcours scolaires. Il n’est pas mauvais de rappeler que les jugements portés en apparence selon les « mérites » sont en réalité et de façon massive, corrélés avec les origines sociales. Les évaluations mesurent bien plus la capacité qu’un élève a de décoder les exigences scolaires que ses aptitudes réelles à apprendre. Or, la composition des classes en sixième est plus souvent homogène du point de vue social qu’on ne veut bien le reconnaître. La pratique des classes de niveau s’est maintenue dans de nombreux établissements malgré les textes qui l’interdisaient.

Nous disposons de nombreuses études et rapports qui mettent en évidence que l’ignorance des règles du jeu scolaire, le manque de références face au travail intellectuel attendu par le maître, les contradictions entre les attentes des familles et l’offre éducative, les malentendus entre les différents acteurs qui interviennent auprès des adolescents ont des effets plus dévastateurs chez les enfants des classes populaires. Déjouer les incertitudes du métier d’élève demande des ressources inégalement réparties : l’implicite des consignes (qu’est-ce qu’on me demande ?), les exigences du travail scolaire opaques (qu’est-ce qu’apprendre une leçon ? sur quoi vais-je être évalué ?) sont le lot commun mais tous les élèves n’ont pas les mêmes atouts. Quand bien même les conditions scolaires seraient identiques pour tous, les ressources pour apprendre ne sont pas identiques. Ni les parcours scolaires ni les espérances au-delà de l’école ne sont identiques.

Dans ces conditions, qualifier le collège d’unique a-t-il encore un sens ? Pourquoi attaquer une illusion ?

Depuis quand un éducateur renonce-t-il à éduquer parce que le sujet de son éducation résiste ?

 

 

 

Dans un curieux retournement idéologique, l’opinion s’est approprié les arguments de la sociologie critique largement vulgarisés (au mauvais sens du terme) sous la forme d’une sorte de fatalité sociale : un enfant issu des classes populaires ne pourrait qu’échouer et par conséquent il devrait limiter ses aspirations.

Il est urgent de s’interroger sur la brusque compassion que suscite chez certains politiques et chez certains éducateurs, le sort de ces jeunes en difficulté au collège. Depuis quand un éducateur renonce-t-il à éduquer parce que le sujet de son éducation résiste ? Il n’est pas nécessaire convoquer la psychanalyse ou l’anthropologie pour affirmer que la résistance à l’éducation est la règle. La compassion, comme il arrive souvent, cache des sentiments plus troubles. Ayons le courage de reconnaître que si les jeunes s’ennuient au collège ce n’est pas pour les mêmes raisons qu’autrefois. Si l’école reste encore le moyen le plus efficace sinon de s’élever socialement, du moins de préserver ses chances d’intégration, la confiance en l’école comme vecteur du savoir et comme moyen de la promotion du plus grand nombre, a vécu. Dans le même moment et de façon paradoxale, l’opinion attend de l’école qu’elle prenne en charge de plus en plus de problèmes sociaux.  

La certitude que les connaissances d’une vie ne peuvent être toutes acquises à l’école, le fait que les enseignants ne peuvent plus fonder exclusivement leur autorité sur les savoirs qu’ils maîtrisent et qu’ils doivent désormais la conquérir sur d’autres terrains, notamment celui de l’éducation, la critique du rôle social de l’école sont autant de raisons qui ébranlent la croyance dans ses vertus émancipatrices. Dans un curieux retournement idéologique, l’opinion s’est approprié les arguments de la sociologie critique largement vulgarisés (au mauvais sens du terme) sous la forme d’une sorte de fatalité sociale : un enfant issu des classes populaires ne pourrait qu’échouer et par conséquent il devrait limiter ses aspirations. Il n’est donc pas étonnant qu’à la compassion des uns réponde le misérabilisme des autres : le collège ce n’est pas pour moi, laissez moi dans mon échec, douloureux certes, mais bien moins que l’effort que vous exigez de moi, car si j’échoue c’est de votre faute, vous êtes raciste, la société est injuste etc. Le couplage infernal est ainsi réalisé. Il engendre la nostalgie d’un âge d’or, qui bien entendu n’a jamais existé, où chacun était à sa place, les bons élèves dans l’enseignement général, les autres dans l’enseignement professionnel court. La société fonctionnait alors sur un merveilleux équilibre fondé sur l’autorité et le savoir. Cette vision simpliste ne résiste pas à l’examen.

Nous avons besoin d’un collège qui accueille tous les élèves
 

Un tel collège exigerait que les différences entre les élèves soient efficacement traitées pour que tous accèdent à niveau de formation compatible avec les exigences de nos sociétés, non seulement sur le plan économique mais tout simplement sur le plan humain. Au collège il ne peut s’agir de trier les élèves. Il ne peut s’agir non plus d’araser les différences. Il ne faut pas oublier que les institutions qui autrefois assuraient un relatif brassage des populations sont en train de s’affaiblir et que l’école est la dernière en état de préserver une forme de lien, au-delà de l’appartenance sociale classe ou des « communautés ». Il ne faut pas oublier non plus que le niveau de formation assuré par le second degré devient la norme dans les pays riches de l’Europe et du Nord de l’Amérique et le sera dans les autres pays au fur et à mesure que leur niveau économique se rapprochera du nôtre. Les exclus de la norme ont de plus en plus de mal à exister socialement et économiquement. L’enjeu n’est pas le collège unique. L’enjeu est de savoir si, selon une formule douteuse, nous acceptons qu’il existe une « France d’en-haut » et une « France d’en-bas » ou si nous réaffirmons une solidarité nationale qui s’exprime contre les laisser aller idéologiques et les tendances spontanées au rejet de l’altérité. Nous devons être conscients que les abandons dont sont victimes les plus pauvres sont le résultat de nos démissions et de nos peurs. Nous devons fermement dire qu’il est possible de surmonter cette grave crise dont la crise du collège n’est qu’un des symptômes.

Propositions

  Les propositions qui suivent sont pour la plupart déjà bien connues, soit qu’elles été mises en œuvre sans que, pour autant, leurs effets aient été évalués ou simplement largement diffusés, soit qu’elles aient déjà été formulées sans véritablement passer dans les faits.
Le lycée professionnel doit être conforté en tant que lycée : on n’y accède qu’après la classe de troisième et il aboutit à un baccalauréat. 1. Le lycée professionnel doit être conforté en tant que lycée : on n’y accède qu’après la classe de troisième et il aboutit à un baccalauréat. Toutefois, il possède une spécificité : le parcours peut être accompli dans sa totalité, dans des durées variables, mais il est aussi possible d’en sortir à plusieurs niveaux, chaque sortie étant sanctionnée par un diplôme. Le LP ne doit pas redevenir une filière de relégation du collège. La « pacification » des LP, où on compte bien moins de violences qu’au collège, a été obtenue par un remodelage progressif des cursus et des pédagogies qu’il serait dommageable de remettre en cause. A terme, il s’agit de préserver la possibilité d’évoluer vers l’idée que le lycée comporte trois voies d’égale dignité, correspondant à des aptitudes différentes mais toutes aussi nécessaires.
 L’initiation professionnelle, sous des formes variées, doit commencer au collège pour tous les élèves.

2. L’initiation professionnelle, sous des formes variées, doit commencer au collège pour tous les élèves. La réserver aux élèves en difficulté est une hypocrisie et un non-sens. Hypocrisie car il s’agit de recouvrir d’un voile pudique une réalité brutale : plus les jeunes sont fragiles socialement et scolairement, plus ils sont obligés de se déterminer tôt quant à leur orientation. Nous produisons ainsi des insatisfaits, des révoltés qui n’acceptent que faute de mieux les orientations qui leur sont proposées. Nous augmentons le gâchis de formations perdues dont le coût est supporté par la collectivité nationale et qu’il faut sans cesse corriger à grands frais dans les nombreux dispositifs de transition par lesquels passent les jeunes les moins qualifiés. Non sens parce que les élèves qui ne sont pas en difficulté gagneraient eux aussi à se familiariser avec le monde du travail.  

On feint de croire qu’il existe une dichotomie entre les « métiers manuels » et les autres, dichotomie qui renverrait à une autre entre les « manuels » et les « intellectuels ». Peut-on affirmer qu’il existe encore des métiers qui ne requièrent que de faibles aptitudes intellectuelles, aucune capacité de communication ? Existe-t-il une seule profession dite « intellectuelle » qui ne comporte ses tours de mains, ses procédures, qui n’exige des compétences opérationnelles triviales ? Ces distinctions qui avaient autrefois leur justification dans l’organisation même du travail, ne s’adaptent plus à la réalité. Dans ces errances, l’école n’est pas seule en cause. Ce sont les représentations du travail qui posent un problème, c’est le manque de considération dans lequel sont tenus certains métiers qui nous fait croire que pour les exercer, il ne faut ni être très intelligent, ni très formé. On oublie également que la vie quotidienne du citoyen du XXIème siècle mobilise des compétences d’abstraction, d’anticipation et de compréhension qui vont bien au-delà de tout ce que les promoteurs du collège en 1975 avaient imaginé.

La taille de tous les collèges pourrait être ramenée à des dimensions raisonnables

3. La taille de tous les collèges pourrait être ramenée à des dimensions raisonnables (pas plus de 300 élèves). Cette mesure envisagée par Ségolène Royal alors Ministre des Enseignements scolaires, présente de nombreux avantages : faciliter la socialisation dès la sixième, permettre une meilleure continuité avec l’école élémentaire aussi bien pour les élèves que pour les enseignants qui pourraient s’impliquer mieux dans des relations suivies avec un plus petit nombre d’écoles. Les plus gros établissements pourraient, sous la responsabilité d’un même principal, comporter un ou deux sous-ensembles dirigés chacun par un adjoint.

A l’intérieur du collège et en maintenant des objectifs identiques pour tous, il conviendrait de diversifier les parcours et de les moduler en fonction des besoins des élèves.

4. A l’intérieur du collège et en maintenant des objectifs identiques pour tous, il conviendrait de diversifier les parcours et de les moduler en fonction des besoins des élèves. Il est possible de jouer sur les différents paramètres de l’action éducative pour obtenir cette différenciation.

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Le temps : il devrait être possible pour tout élève, sans redoubler et par contrat, de moduler le temps nécessaire pour atteindre les objectifs de chaque enseignement. D’autre part, sans rendre l’emploi du temps complètement souple, formule qui se montre très contraignante, il est possible (ces formules existent déjà dans certains collèges) de mettre au point des organisations horaires qui permettent, en cas de besoin, de déborder sur l’horaire prévu ou d’inclure des activités imprévues mais que l’équipe pédagogique peut, à un moment donné, considérer comme indispensables.

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L’espace : l’espace clos de la classe, mettant face à face un adulte et un groupe d’adolescents est source de dérives. Sur le plan relationnel, cette configuration engendre toutes sortes d’affrontements difficiles à contenir et empêche les groupes de jeunes de se constituer sur des bases positives. Sur le plan pédagogique l’environnement de la classe est trop pauvre pour continuer à être la norme. Il faut diversifier les espaces, les ressources à disposition pour le travail, ouvrir les classes, faire circuler les adultes d’un groupe à l’autre afin qu’aucun d’entre eux ne soit seul, durablement entraîné dans un rapport de force avec un élève ou un groupe d’élèves.

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Les groupes : nous avons trop négligé le fait que les formes de sociabilité juvénile au collège constituent une transition indispensable vers la socialisation adulte. Les éducateurs à l’école ont sous estimé la nécessité d’intervenir dans la constitution des relations entre pairs, de favoriser les appartenances multiples, d’aider les jeunes à s’organiser pour le travail scolaire et le loisir. Nous n’avons peut-être pas assez pris en considération que les élèves sont les premiers à souffrir de la brutalité des relations qui s’installent dans certains collèges.

Intégrer l’apprentissage du travail personnel dans l’enseignement lui-même.

5. Intégrer l’apprentissage du travail personnel dans l’enseignement lui-même. Le rapport Bourdieu-Gros sur les contenus d’enseignement a mis en évidence que c’est sur la méconnaissance des activités correspondant aux techniques d’apprentissage que se joue massivement la réussite ou l’échec au collège et que la maîtrise en est directement liée aux pratiques culturelles des parents. Les études dirigées ont constitué une première tentative pour pallier ce phénomène mais, faute de savoir comment s’y prendre de nombreux enseignants se sont démobilisés. Un accompagnement des établissements au plus près de leurs préoccupations ou de leurs problèmes devrait faciliter l’émergence de pratiques réellement adaptées aux besoins des élèves dans ce domaine car il existe de multiples réponses possibles qu’il faut choisir en fonction des situations locales.

Les collèges, ont besoin d’une certaine autonomie pour inventer les solutions les plus adaptées aux élèves qu’ils accueillent.

 

 

 

 

 

 

 

Renouveler le collège est une tâche qui concerne tout le monde, parents, jeunes, professionnels, chercheurs et politiques.

 

 

6. Nous touchons là au problème du pilotage du système éducatif. On ne décrète pas la pédagogie et on ne peut conduire une institution  aussi complexe par voie de circulaires. Les collèges, ont besoin d’une certaine autonomie pour inventer les solutions les plus adaptées aux élèves qu’ils accueillent. Les pratiques pertinentes dans un collège périurbain ne le sont pas forcément dans un collège rural. Pour éviter les dérives, il faut que les initiatives soit le résultat d’une réflexion et d’un investissement collectif, que les établissements disposent de critères pour évaluer leur action et rendre des comptes.  

Mais pour faire ce travail, il faut aussi disposer de temps et d’une organisation adéquate. Il faudrait donc reconnaître l’investissement des enseignants qui participent à ces avancées collectives, sans pour autant pénaliser ceux qui, pour des raisons qui leur appartiennent et peuvent être momentanées, s’en tiennent à leur strict « service ». Philippe Meirieu, dans le rapport sur les lycées, avait proposé d’intégrer dans le temps de service et selon des péréquations qui seraient à négocier, des activités authentiquement pédagogiques autre que la conduite des cours. Au collège, ce pourrait être la coordination d’équipe, la production de documents ou la conception de dispositifs etc.  

Une part de la formation devrait relever de la maîtrise d’ouvrage de l’établissement, en lien direct avec son projet. Cette formation prendrait des formes proches de l’accompagnement  (plutôt que des stages) en utilisant des ressources variées : formateurs, collègues compétents, enseignants-chercheurs, animateurs d’associations ... Ces accompagnements, bien loin de livrer des solutions préfabriquées ou des savoirs théoriques qui restent à mettre en perspective avec les préoccupations pratiques, aideraient les enseignants à inventer les réponses, charge à l’institution de mutualiser les méthodes et les résultats. 

Renouveler le collège est une tâche qui concerne tout le monde, parents, jeunes, professionnels, chercheurs et politiques. C’est la dignité du politique que de ne pas flatter l’opinion et de rappeler,  aux moments critiques, les grands choix historiques qui fondent notre société. On a beaucoup parlé de République ces temps-ci. On a beaucoup moins rappelé les exigences de la démocratie. Pour que chacun ait sa place dans notre société, il faut que l’école, entre autres institutions, joue son rôle. Pouvons-nous sérieusement admettre qu’un adolescent joue son avenir dès son plus jeune âge (que représentent 11 ans face à l’espérance de vie d’un collégien ?), alors que pour lui l’avenir est confus et que les enjeux lui apparaissent à travers des discours dont il ne possède pas les clés. Le collège unique a été un slogan, pas une réalité. Ne lui opposons pas d’autres slogans, tout aussi irréels et peut-être dangereux et tâchons, sans trop de démagogie, de nous représenter l’avenir au-delà des décisions que nous sommes en train de prendre. Pouvons-nous dire que nous sommes prêts à en assumer les conséquences sur la cohésion sociale? Oserons-nous dire, après tant d’expériences réussies mais qui sont restées confidentielles, après tant de recherches pédagogiques, que nous ne savons pas différencier les parcours d’apprentissage, que nous ne savons pas organiser un collège où les différences ne disqualifient pas systématiquement les plus pauvres ? S’il est vrai qu’il n’existe pas de solution miracle, il n’existe pas non plus de fatalité de l’échec. Cessons de contempler ce que nous n’avons pas su faire et inventons ce que nous voulons faire.

 

Françoise Clerc

N.B Les mises en relief (gras, phrases en marge) sont le fait du ouèbe maître et non de l'auteure.

Réaction

de Georges Hervé

Rédacteur de la Lettre de reveil  georges.herve3@wanadoo.fr

 

Pour ou contre le Collège unique :

Quelques réflexions inspirées par le texte de Françoise Clerc.

 

Françoise Clerc a tout a fait raison de souligner que le collège unique n’a jamais existé, pas plus que l’école primaire unique … sauf dans les petites écoles rurales, jadis – et aujourd’hui dans celles, trop éloignées des zones urbaines, qui subsistent. « L’inadaptation » scolaire est d’abord conçue comme l’inadaptation de certains jeunes aux exigences de l’école, non comme l’inadaptation de l’école aux besoins de ces jeunes. Pour y répondre, plutôt que de s’interroger sur l’école telle qu’elle fonctionne dans la quasi totalité des classes (car l’école n’est pas un concept général théorique, mais une réalité quotidienne souvent très éloignée de celle des discours), on a mis en place des structures « spéciales » pour évacuer le problème. A la satisfaction des enseignants de tous ordres qui se trouvent débarrassés des éléments qui les troublent le plus[1].

Ce furent, au départ, les « classes pour arriérés » qui parfois furent même regroupées en établissements séparés (à Colmar, par exemple, il existait une telle école, « l’école des Catherinettes », située en plein centre ville, qui comptait plus de dix classes dans les années 50.) Par la suite, ces classes sont devenues « classes de perfectionnement » ( !) et ont été rattachées à des écoles primaires, souvent par deux ; il n’était pas rare, à l’époque du boum démographique, qu’elles soient logées dans des préfabriqués, à l’écart des autres classes. A Brassac-les-Mines, dans les années 70/80, les préfabriqués dans lesquels elles étaient logées étaient situés le long de la voie ferrée, sans aucune séparation avec la cour… Il a fallu des années pour obtenir que la Mairie n’installe un grillage de protection.

Les réformes des années 60 qui amenèrent progressivement à l’entrée au Collège de tous les jeunes, transposèrent ces classes de perfectionnement en Sections d’Enseignement spécialisé (SES) devenues SEGPA par la suite. Comme les classes de perfectionnement ont été rebaptisées CLIS (classes d’intégration scolaire). Simples changements d’étiquettes : même lorsque des textes prétendent modifier le contenu des flacons, le « cultural lag » fait que rien ne change dans la pratique.

Ces « enseignements spéciaux », malgré quelques discours lénifiants, ont toujours constitué des filières de relégations (comme à la porte de l’enfer de Dante, on aurait pu écrire « vous qui entrez ici, perdez tout espoir d’en sortir ».) C’était inscrit dans la « philosophie » même qui avait présidé à leur création : les « débiles » étaient nés ainsi ; ils resteraient toujours débiles (même si, après les avoir qualifiés d’imbéciles ou d’idiots, on a changé, une fois de plus, leur « qualification » en « handicapés mentaux »).

Bien entendu, la définition de la « débilité mentale » est aussi floue que celle même d’intelligence. Officiellement, c’est le « Q.I. » qui permet de les classer dans une des catégories reconnues : débiles légers, moyens ou profonds. Q.I. calculés à partir de tests dérivés du Binet-Simon du début du 20ième siècle (en se rappelant que le Q.I. n’a été inventé que plus tard par Stern : dans la lettre de R.E.V.E.I.L. de décembre 2001, voir « Le Quotient Intellectuel (Q.I.), c'est quoi, au juste ? ». Cette lettre est présentée sur http://assoreveil.org/lettre_12.html ) En fait, ces tests ont été validés par rapport aux résultats scolaires des « cobayes », et ne « mesurent » tout au plus qu’une « débilité scolaire »…

Dans un deuxième temps, on a considéré les jeunes qui, sans avoir des Q.I. permettant leur éviction vers l’enseignement spécial, présentaient des « lacunes » scolaires jugées importantes : lacune, trou => il faut les boucher !!! D’où l’idée d’ouvrir des classes destinées à boucher les trous, réparer les dégâts, reformater ces élèves pour les rendre à la « normalité ». L’idée paraissait généreuse : ce furent les classes de transition des Collèges, avant Haby, les classes d’adaptation et d’attente dans le primaire. Pour mille raisons qu’il serait trop long d’énumérer ici, ces classes, sauf rares cas, constituèrent bientôt des filières de relégation et ont toutes disparu plus ou moins rapidement[2]. Dans la Lettre de REVEIL de janvier, je pose le problème de ce que j’appelle le traitement « par groupes » des différences interindividuelles alors que la prise en compte de ces différences[3] exige une école à la fois unique pour tous et « sur-mesure » pour chacun. Des solutions ont été largement expérimentées dans l’enseignement primaire surtout, principalement dans certaines écoles rurales où l’hétérogénéité était un fait incontournable tout au long du 20ième siècle – et, à ce que je crois avoir compris, dans des écoles de La Villeneuve de Grenoble. Mais elles sont contraires à l’idéologie dominante aussi bien chez les parents « qui comptent » que chez la majorité des enseignants – qui, sans en être conscients, souvent, vont tout à fait dans le sens de l’idéologie politique des gouvernants de « gauche » comme de droite.

 

Il faudrait que tous prennent conscience des raisons qui ont poussé un pouvoir de droite à faire semblant d’appliquer certaines dispositions proposées par le plan Langevin Wallon – en les pervertissant, évidemment. Dans l’introduction de ce plan de réforme, on peut lire « La rapidité et l'ampleur du progrès économique, qui avaient rendu nécessaire, en 1880, la diffusion de l’enseignement élémentaire dans les masses ouvrières, pose à présent le problème du recrutement d’un personnel de plus en plus nombreux de cadres et de techniciens : la bourgeoisie, héréditairement appelée à tenir les postes de direction et de responsabilité ne saurait plus désormais, seule, y suffire. Les besoins nouveaux de l’économie moderne posent la nécessité d’une refonte de notre enseignement qui, dans sa structure actuelle, n'est plus adapté aux conditions économiques et sociales. » (c’et moi qui souligne) Les mêmes raisons qui avaient poussé à la création d’un enseignement primaire supérieur pour « produire » les cadres, petits et moyens, (de l’administration et de l’industrie principalement) au cours du 20ième siècle, ont poussé à élargir « l’assiette de recrutement » pour l’enseignement supérieur dans les années 60/70. Il s’agissait de « ratisser plus large » pour fournir en plus grand nombre les cadres supérieurs dont l’administration et l’industrie avait de plus en plus besoin en cette seconde moitié du 20ième siècle[4]. On a camouflé cet objectif sous des motivations affichées plus « nobles » : ce qui a fait la fortune du slogan parfaitement démagogique – et vide de sens - « donner des chances égales à tous ». Chances égales de se présenter aux concours de toutes sortes : un concours n’est pas sérieux lorsque le nombre de candidats n’est pas considérablement supérieur au nombre de places offertes ! La sélection, pour qu’elle réponde aux attentes du système, doit porter sur le plus grand nombre possible d’éléments.

 

Ce qui a conduit à faire évoluer le système scolaire dual qui existait jusqu’au milieu du siècle en système unique fondé sur la préparation au baccalauréat d’enseignement général (de préférence série scientifique) avec distillation fractionnée[5] tout au long du parcours. L’école maternelle elle-même a été englobée dans ce système en devenant « l’enseignement préscolaire » primaire.

 

Et voilà pourquoi votre fille est muette ! pourquoi l’école unique l’est de moins en moins, et pourquoi le collège unique n’a jamais existé. Du moins dans une conception « honnête ». Car il faudrait encore ajouter au tableau les « filières hautes » : tous les moyens utilisés plus ou moins ouvertement pour regrouper la future « élite » dans des filières qui leur évitent la cohabitation avec la plèbe : choix de premières langues vivantes réputées difficiles (allemand, russe, chinois…), classes européennes, filières constituées presque au grand jour par et dans les « bons lycées », etc.)

 

Un tel système, parce qu’il est porté à la fois par une grande partie des enseignants, sans doute le plus grand nombre des professeurs du secondaire, les parents qui se font entendre et ceux qui les suivent (cf. les fédérations de parents d’élèves singulièrement muettes dans les rares débats de fond sur l’École) et qu’il sert si bien les intérêts des puissances qui gouvernent le monde[6] ne peut être « amendé », amélioré. C’est une révolution copernicienne dont elle a besoin. C’est les mentalités de la minorité qui semble vouloir sortir de la spirale néo-libérale qu’il faudrait changer d’abord : tant que les « anti-mondialisation » ne s’attacheront qu’à la sphère syndicalo-politico-économique, tant qu’ils n’auront pas compris que pour faire émerger « un autre monde » il faut aussi et sans doute prioritairement, inventer « une autre École » complètement repensée, dans ses finalités, ses objectifs, ses structures, ses pratiques[7], le système actuel continuera de tourner en produisant de plus en plus de violence parce que la société elle-même est de plus en plus violente, avec pour seules valeurs les « valeurs actuelles », celles qui sont cotées en bourse[8]. Ces minorités ne joueront leur rôle que lorsque les personnes qui les composent auront compris qu’elles doivent commencer par changer leurs propres mentalités individuelles pour que les mentalités globales évoluent… C’est bien là que réside le nœud du problème !

                                                                                         Georges HERVE, mars 2003

 

[1] L’expérience montre cependant que lorsqu’on enlève les 3, 4 ou 5 élèves les plus « faibles » d’une classe, ceux qui étaient, naguère, « un peu faibles » prennent leurs places dans l’esprit des enseignants et dans la pratique… L’homogénéité des classes est un leurre, même dans les classes « sélectionnées » parce que les différences sont des réalités incontournables. Et heureusement !

[2] Encore que les CPPN et CPA des Collèges ont été maintenues sous la pression des enseignants des classes « normales » dans bien des Collèges alors qu’officiellement elles avaient perdu leur raison d’exister…

[3] non hiérarchisées, parce que non hiérarchisables sans arrière-pensées inavouées : différent ne signifie pas inférieur ou supérieur lorsque la comparaison porte sur des « ensembles » et non sur des « qualités » simple, abstraite au sens propre, bien identifiées, mesurables, qui ne concernent qu’un aspect de la réalité, comme c’est le cas en physique newtonienne

[4] remarquons au passage que la situation a changé depuis une dizaine d’années : l’école diplôme un nombre de jeunes très supérieur aux besoins de l’économie post-industrielle. Cela conduit de plus en plus de diplômés de l’enseignement supérieur à se diriger vers des professions très peu qualifiées : cf. les diplômes de nombreux candidats aux fonctions de préposé des postes !

[5] selon l’expression imagée de Jacques Hagopian.

[6] qui prévoient que dans 20 ou 30 ans, 20% de la population active suffira à faire tourner toute l’économie, services compris. Alors pourquoi se préoccuper de la formation des 80% restant autrement qu’en les abandonnant aux puissants « acculturateurs » que constituent les médias, la publicité, les « loisirs » de masse ?

[7] les suggestions avancées par Françoise Clerc sont souvent à retenir, mais appliquées dans un système fondamentalement inchangé, leurs effets seront faibles ; elles seront d’ailleurs vite détournées des intentions premières.

[8] Malgré leur instabilité… Mais ce qui compte pour nos contemporains, c’est surtout la part de rêve qu’elles permettent : rêve d’être riche (d’où la vogue croissante des jeux de hasard)… Ne dit-on pas « jouer à la bourse » ?

 

   
   

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Créé par Jean-François Launay