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VOIR AUSSI :
Les débats sur le collège unique | |
Note 2 du "Manifeste pour pour un débat public sur l'école" | |
Une réforme du collège ne peut se concevoir sans une refonte complète du système éducatif français Mouvement Freinet-ICEM |
position de G. Hervé |
Pour ou contre le collège unique : est-ce bien la question ?
Françoise Clerc Professeur en sciences de l’éducation Université Lyon 2
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On peut légitimement s’étonner de l’actuel concert de critiques contre le collège unique, concert dans lequel se retrouvent des personnalités de toutes tendances qui, tout en développant des arguments hétérogènes, parfois même contradictoires, se disent soulagées de ce que le « tabou » soit enfin levé. De quel « tabou » s’agit-il ? La politique du collège inaugurée par un ministre de droite a été régulièrement reprise, avec des nuances, par tous les ministres suivants, qu’ils soient de droite ou de gauche. Trente ans après, on voudrait nous faire croire que les prises de position contre le collège unique correspondent au constat de l’échec de cette politique relativement consensuelle. Or, il n’en est rien. S’il est un « tabou » c’est bien celui qui consiste à dissimuler que le collège unique n’a jamais existé. |
N.B Les mises en relief (gras, phrases en marge) sont le fait du ouèbe maître et non de l'auteure.
de Georges Hervé Rédacteur de la Lettre de reveil georges.herve3@wanadoo.fr |
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Pour ou contre le Collège unique : Quelques réflexions inspirées par le texte de Françoise Clerc.
Françoise Clerc a tout a fait raison de souligner que le collège unique n’a jamais existé, pas plus que l’école primaire unique … sauf dans les petites écoles rurales, jadis – et aujourd’hui dans celles, trop éloignées des zones urbaines, qui subsistent. « L’inadaptation » scolaire est d’abord conçue comme l’inadaptation de certains jeunes aux exigences de l’école, non comme l’inadaptation de l’école aux besoins de ces jeunes. Pour y répondre, plutôt que de s’interroger sur l’école telle qu’elle fonctionne dans la quasi totalité des classes (car l’école n’est pas un concept général théorique, mais une réalité quotidienne souvent très éloignée de celle des discours), on a mis en place des structures « spéciales » pour évacuer le problème. A la satisfaction des enseignants de tous ordres qui se trouvent débarrassés des éléments qui les troublent le plus[1]. Ce furent, au départ, les « classes pour arriérés » qui parfois furent même regroupées en établissements séparés (à Colmar, par exemple, il existait une telle école, « l’école des Catherinettes », située en plein centre ville, qui comptait plus de dix classes dans les années 50.) Par la suite, ces classes sont devenues « classes de perfectionnement » ( !) et ont été rattachées à des écoles primaires, souvent par deux ; il n’était pas rare, à l’époque du boum démographique, qu’elles soient logées dans des préfabriqués, à l’écart des autres classes. A Brassac-les-Mines, dans les années 70/80, les préfabriqués dans lesquels elles étaient logées étaient situés le long de la voie ferrée, sans aucune séparation avec la cour… Il a fallu des années pour obtenir que la Mairie n’installe un grillage de protection. Les réformes des années 60 qui amenèrent progressivement à l’entrée au Collège de tous les jeunes, transposèrent ces classes de perfectionnement en Sections d’Enseignement spécialisé (SES) devenues SEGPA par la suite. Comme les classes de perfectionnement ont été rebaptisées CLIS (classes d’intégration scolaire). Simples changements d’étiquettes : même lorsque des textes prétendent modifier le contenu des flacons, le « cultural lag » fait que rien ne change dans la pratique. Ces « enseignements spéciaux », malgré quelques discours lénifiants, ont toujours constitué des filières de relégations (comme à la porte de l’enfer de Dante, on aurait pu écrire « vous qui entrez ici, perdez tout espoir d’en sortir ».) C’était inscrit dans la « philosophie » même qui avait présidé à leur création : les « débiles » étaient nés ainsi ; ils resteraient toujours débiles (même si, après les avoir qualifiés d’imbéciles ou d’idiots, on a changé, une fois de plus, leur « qualification » en « handicapés mentaux »). Bien entendu, la définition de la « débilité mentale » est aussi floue que celle même d’intelligence. Officiellement, c’est le « Q.I. » qui permet de les classer dans une des catégories reconnues : débiles légers, moyens ou profonds. Q.I. calculés à partir de tests dérivés du Binet-Simon du début du 20ième siècle (en se rappelant que le Q.I. n’a été inventé que plus tard par Stern : dans la lettre de R.E.V.E.I.L. de décembre 2001, voir « Le Quotient Intellectuel (Q.I.), c'est quoi, au juste ? ». Cette lettre est présentée sur http://assoreveil.org/lettre_12.html ) En fait, ces tests ont été validés par rapport aux résultats scolaires des « cobayes », et ne « mesurent » tout au plus qu’une « débilité scolaire »… Dans un deuxième temps, on a considéré les jeunes qui, sans avoir des Q.I. permettant leur éviction vers l’enseignement spécial, présentaient des « lacunes » scolaires jugées importantes : lacune, trou => il faut les boucher !!! D’où l’idée d’ouvrir des classes destinées à boucher les trous, réparer les dégâts, reformater ces élèves pour les rendre à la « normalité ». L’idée paraissait généreuse : ce furent les classes de transition des Collèges, avant Haby, les classes d’adaptation et d’attente dans le primaire. Pour mille raisons qu’il serait trop long d’énumérer ici, ces classes, sauf rares cas, constituèrent bientôt des filières de relégation et ont toutes disparu plus ou moins rapidement[2]. Dans la Lettre de REVEIL de janvier, je pose le problème de ce que j’appelle le traitement « par groupes » des différences interindividuelles alors que la prise en compte de ces différences[3] exige une école à la fois unique pour tous et « sur-mesure » pour chacun. Des solutions ont été largement expérimentées dans l’enseignement primaire surtout, principalement dans certaines écoles rurales où l’hétérogénéité était un fait incontournable tout au long du 20ième siècle – et, à ce que je crois avoir compris, dans des écoles de La Villeneuve de Grenoble. Mais elles sont contraires à l’idéologie dominante aussi bien chez les parents « qui comptent » que chez la majorité des enseignants – qui, sans en être conscients, souvent, vont tout à fait dans le sens de l’idéologie politique des gouvernants de « gauche » comme de droite.
Il faudrait que tous prennent conscience des raisons qui ont poussé un pouvoir de droite à faire semblant d’appliquer certaines dispositions proposées par le plan Langevin Wallon – en les pervertissant, évidemment. Dans l’introduction de ce plan de réforme, on peut lire « La rapidité et l'ampleur du progrès économique, qui avaient rendu nécessaire, en 1880, la diffusion de l’enseignement élémentaire dans les masses ouvrières, pose à présent le problème du recrutement d’un personnel de plus en plus nombreux de cadres et de techniciens : la bourgeoisie, héréditairement appelée à tenir les postes de direction et de responsabilité ne saurait plus désormais, seule, y suffire. Les besoins nouveaux de l’économie moderne posent la nécessité d’une refonte de notre enseignement qui, dans sa structure actuelle, n'est plus adapté aux conditions économiques et sociales. » (c’et moi qui souligne) Les mêmes raisons qui avaient poussé à la création d’un enseignement primaire supérieur pour « produire » les cadres, petits et moyens, (de l’administration et de l’industrie principalement) au cours du 20ième siècle, ont poussé à élargir « l’assiette de recrutement » pour l’enseignement supérieur dans les années 60/70. Il s’agissait de « ratisser plus large » pour fournir en plus grand nombre les cadres supérieurs dont l’administration et l’industrie avait de plus en plus besoin en cette seconde moitié du 20ième siècle[4]. On a camouflé cet objectif sous des motivations affichées plus « nobles » : ce qui a fait la fortune du slogan parfaitement démagogique – et vide de sens - « donner des chances égales à tous ». Chances égales de se présenter aux concours de toutes sortes : un concours n’est pas sérieux lorsque le nombre de candidats n’est pas considérablement supérieur au nombre de places offertes ! La sélection, pour qu’elle réponde aux attentes du système, doit porter sur le plus grand nombre possible d’éléments.
Ce qui a conduit à faire évoluer le système scolaire dual qui existait jusqu’au milieu du siècle en système unique fondé sur la préparation au baccalauréat d’enseignement général (de préférence série scientifique) avec distillation fractionnée[5] tout au long du parcours. L’école maternelle elle-même a été englobée dans ce système en devenant « l’enseignement préscolaire » primaire.
Et voilà pourquoi votre fille est muette ! pourquoi l’école unique l’est de moins en moins, et pourquoi le collège unique n’a jamais existé. Du moins dans une conception « honnête ». Car il faudrait encore ajouter au tableau les « filières hautes » : tous les moyens utilisés plus ou moins ouvertement pour regrouper la future « élite » dans des filières qui leur évitent la cohabitation avec la plèbe : choix de premières langues vivantes réputées difficiles (allemand, russe, chinois…), classes européennes, filières constituées presque au grand jour par et dans les « bons lycées », etc.)
Un tel système, parce qu’il est porté à la fois par une grande partie des enseignants, sans doute le plus grand nombre des professeurs du secondaire, les parents qui se font entendre et ceux qui les suivent (cf. les fédérations de parents d’élèves singulièrement muettes dans les rares débats de fond sur l’École) et qu’il sert si bien les intérêts des puissances qui gouvernent le monde[6] ne peut être « amendé », amélioré. C’est une révolution copernicienne dont elle a besoin. C’est les mentalités de la minorité qui semble vouloir sortir de la spirale néo-libérale qu’il faudrait changer d’abord : tant que les « anti-mondialisation » ne s’attacheront qu’à la sphère syndicalo-politico-économique, tant qu’ils n’auront pas compris que pour faire émerger « un autre monde » il faut aussi et sans doute prioritairement, inventer « une autre École » complètement repensée, dans ses finalités, ses objectifs, ses structures, ses pratiques[7], le système actuel continuera de tourner en produisant de plus en plus de violence parce que la société elle-même est de plus en plus violente, avec pour seules valeurs les « valeurs actuelles », celles qui sont cotées en bourse[8]. Ces minorités ne joueront leur rôle que lorsque les personnes qui les composent auront compris qu’elles doivent commencer par changer leurs propres mentalités individuelles pour que les mentalités globales évoluent… C’est bien là que réside le nœud du problème ! Georges HERVE, mars 2003
[1] L’expérience montre cependant que lorsqu’on enlève les 3, 4 ou 5 élèves les plus « faibles » d’une classe, ceux qui étaient, naguère, « un peu faibles » prennent leurs places dans l’esprit des enseignants et dans la pratique… L’homogénéité des classes est un leurre, même dans les classes « sélectionnées » parce que les différences sont des réalités incontournables. Et heureusement ! [2] Encore que les CPPN et CPA des Collèges ont été maintenues sous la pression des enseignants des classes « normales » dans bien des Collèges alors qu’officiellement elles avaient perdu leur raison d’exister… [3] non hiérarchisées, parce que non hiérarchisables sans arrière-pensées inavouées : différent ne signifie pas inférieur ou supérieur lorsque la comparaison porte sur des « ensembles » et non sur des « qualités » simple, abstraite au sens propre, bien identifiées, mesurables, qui ne concernent qu’un aspect de la réalité, comme c’est le cas en physique newtonienne [4] remarquons au passage que la situation a changé depuis une dizaine d’années : l’école diplôme un nombre de jeunes très supérieur aux besoins de l’économie post-industrielle. Cela conduit de plus en plus de diplômés de l’enseignement supérieur à se diriger vers des professions très peu qualifiées : cf. les diplômes de nombreux candidats aux fonctions de préposé des postes ! [5] selon l’expression imagée de Jacques Hagopian. [6] qui prévoient que dans 20 ou 30 ans, 20% de la population active suffira à faire tourner toute l’économie, services compris. Alors pourquoi se préoccuper de la formation des 80% restant autrement qu’en les abandonnant aux puissants « acculturateurs » que constituent les médias, la publicité, les « loisirs » de masse ? [7] les suggestions avancées par Françoise Clerc sont souvent à retenir, mais appliquées dans un système fondamentalement inchangé, leurs effets seront faibles ; elles seront d’ailleurs vite détournées des intentions premières. [8] Malgré leur instabilité… Mais ce qui compte pour nos contemporains, c’est surtout la part de rêve qu’elles permettent : rêve d’être riche (d’où la vogue croissante des jeux de hasard)… Ne dit-on pas « jouer à la bourse » ?
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Créé par Jean-François Launay