Décentralisation/déconcentration

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Décentralisation, Déconcentration : Enjeux et Perspectives

 

La problématique vue par une personnalité

Bernard Toulemonde

Professeur de droit public, chargé de mission auprès du Premier ministre Pierre Mauroy, il a été directeur des Affaires générales au ministère de l'Education nationale, recteur de l'académie de Montpellier puis de Toulouse, Inspecteur général de l'Éducation nationale (IGEN), directeur de l'enseignement scolaire. Il est Président d’honneur de l’AFAE.

 
Notre pays connaît de grandes difficultés à regarder la réalité en face : un attachement viscéral au national, aux règles uniformes censées assurer l’égalité de traitement des élèves et des établissements et une réalité très différente faite de diversité, diversité extrême qui cache parfois de profondes inégalités. La prise en compte de cette réalité s’opère lentement ; elle se traduit par un glissement progressif du centre de gravité du système, mieux orienté vers les responsabilités locales et leurs acteurs.

Le mouvement de décentralisation/déconcentration auquel nous assistons depuis une bonne vingtaine d’années suscite bien des questions. Ce mouvement est inéluctable et se poursuivra certainement dans les prochaines années, même s’il connaît actuellement une pause. Il se nourrit en effet de trois facteurs qui l’induisent : l’énorme croissance qu’a connue la population scolaire et, surtout, son extrême diversité qui ne peut plus être gérée dans l’uniformité centralisée mais dans la proximité et la plasticité ; la décentralisation du pays, avec l’émergence des intercommunalités et des régions, qui ont nécessairement des incidences sur l’administration d’Etat (ex : la montée en puissance des préfets de région) et, bien  entendu, sur l’enseignement devenu une compétence partagée avec les collectivités territoriales ; l’affaiblissement de l’Etat central, particulièrement sensible dans le domaine éducatif, illustré par son incapacité à définir des politiques à long terme et par un appauvrissement sensible, propices à toutes les tentations de se défausser sur les collectivités locales…

Les actes I (1983-1986) et II (2004) de la « décentralisation » ont donc dessiné un  nouveau paysage, qui, au-delà des règles de droit, demeure mouvant et variable selon  les académies et les périodes. Nous sommes encore à la recherche d’équilibres ! Cette recherche se situe sur deux plans : quelle articulation entre le national et le local  et, au sein de  cette articulation, quelle place pour l’autonomie des EPLE? Quelle articulation entre les trois acteurs locaux – autorités académiques, responsables élus, chefs d’établissement et de quelle nature doivent être les relations entre eux ?

 

1°/ Quelle articulation entre la national et le local ? Quelle place pour l’autonomie des EPLE ?

Notre pays connaît sur ce point de grandes difficultés à regarder la réalité en face : un attachement viscéral au national, aux règles uniformes censées assurer l’égalité de traitement des élèves et des établissements et une réalité très différente faite de diversité, diversité extrême qui cache parfois de profondes inégalités. La prise en compte de cette réalité s’opère lentement ; elle se traduit par un glissement progressif du centre de gravité du système, mieux orienté vers les responsabilités locales et leurs acteurs.

 

Deux de ces évolutions  méritent d’être questionnées.

Ø  La première porte sur les modalités de la décentralisation adoptées depuis 1983. Celles-ci associent trois éléments : la décentralisation territoriale au profit des collectivités territoriales (construction et entretien des EPLE ; planification ; gestion des TOS) ; la déconcentration au profit des autorités académiques (totalité de l’offre de formation ; moyens financiers globaux ; gestion  de personnels) ; l’autonomie des EPLE (statut de 1985). Si l’on peut tirer un bilan incontestablement positif de la décentralisation et de la déconcentration, en revanche, l’autonomie des EPLE est restée orpheline…Il s’agit là d’un défaut gravement préjudiciable à l’efficacité du système : les travaux internationaux de Nathalie Mons (« Les nouvelles politiques éducatives », PUF 2007) montrent que l’autonomie des établissements scolaires « pèse » plus que la décentralisation dans la réussite des élèves et, à cet égard, nombre de pays étrangers ont accru considérablement les marges d’autonomie de leurs établissements, mieux à même de s’adapter aux caractéristiques de leur public scolaire. Dans ces conditions, ne faut-il pas s’interroger par exemple sur notre conception des programmes nationaux (avec cette illusion qu’ils sont appliqués partout intégralement…), sur notre manie de régenter du sommet tout l’accompagnement éducatif (au risque de changer sans cesse de dispositifs et de les multiplier à l’infini, conduisant en outre à des doublons et concurrences avec les collectivités territoriales…), sur nos gestions de personnels (qui ne laissent quasiment aucune part à l’établissement, à l’exception notable des assistants d’éducation…), etc. Entre ce qui doit rester national et ce qu’il est avantageux de confier au local, entre le pilotage national et le principe de « subsidiarité », entre le transfert aux collectivités territoriales ou le transfert aux  établissements, il y a un vaste champ de réflexion à conduire.

Ø  La seconde porte sur  les modes de pilotage : de nouveaux modes de pilotage entre les différents niveaux d’administration sont apparus depuis une  vingtaine d’années (projets d’établissement et d’académie ; contractualisation ; évaluation), avec des succès divers, sans d’ailleurs faire disparaître les modes traditionnels, prescriptifs et descendants, qui ont caractérisé si bien une administration conçue par Napoléon ! Avec peine, une logique de pilotage par les objectifs et par les résultats s’inscrit dans le paysage, dont la LOLF est l’exemple le plus typique. Jusqu’où faut-il aller dans cette logique ? Le « socle commun » tend à substituer à une obligation règlementaire d’accomplir des tâches une obligation de résultats qui laisse aux acteurs de terrain le choix des moyens, des méthodes, des rythmes ? On pressent la difficulté (et on la vit !) : comment articuler cette obligation de résultats avec des programmes qui ont plutôt tendance à demeurer ce qu’ils sont (prescriptifs, cloisonnés, détaillés…). Dans un autre registre, la mise en place, au niveau académique, des budgets opérationnels de programme (BOP) avec leurs projets et leurs rapports de performances (PAPA et RAPA) introduit-elle une nouvelle logique de responsabilité effective des acteurs locaux ? Ou bien masque-t-elle des processus qui restent technocratiques (par exemple avec des indicateurs non pertinents. Cf. l’article de Mme Suzanne Maury : « La LOLF est-elle un bon moyen d’évaluer les politiques publiques ? », L’actualité juridique, droit administratif, n°25, 14 juillet 2008 p.1366). Vastes problèmes ! Faut-il étendre la logique de résultats dans le domaine  pédagogique avec des évaluations fondées sur l’acquisition de compétences (référentiels dans l’enseignement technique, cadre européen de compétences en langues) et dans le domaine de la formation et de la gestion des personnels (cahier des charges de la formation des maîtres, statut des personnels de direction…) ? Comment articuler autonomie des EPLE et évaluation intelligente de leurs résultats ? 

 

2°/Quelle articulation entre les acteurs locaux et nature de leurs relations ?

Au niveau local, nous sommes en face d’un « ménage à trois », condamné de gré ou de force à s’entendre, dont il s’agit de construire harmonieusement les relations. Sur ce point, on peut s’arrêter sur deux questions, parmi les multiples qui se posent.

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La première concerne la frontière entre la pédagogie et l’administration/finances. Les chefs d’établissement connaissent bien cette frontière : les enseignants ont tendance à considérer que la pédagogie est une affaire réservée dans laquelle « l’administration » n’a pas de légitimité à intervenir ! La frontière se traduit également entre les collectivités territoriales et les services de l’éducation nationale : ces derniers récusent toute « intrusion » des premières, essayant tant bien que mal de les cantonner au « péri-scolaire » et/ou au seul financement d’actions. Ne convient-il pas de s’interroger sur cette ligne de démarcation qui, dans la pratique, est poreuse : la construction d’un lycée, l’aménagement d’un CDI, la mise en place des ENT sont-ils totalement étrangers à la pédagogie ? On  peut espérer que non… A une logique de compétences sectorisées et cloisonnées, ne faut-il pas substituer une logique de compétences partagées, de coopération entre les acteurs ? Le schéma prévisionnel des formations et le PRDF, par exemple, sont souvent, semble-t-il, et devraient être en tout cas une œuvre commune qui associe la région, le rectorat et les chefs d’établissement tant au moment de leur élaboration que dans leur mise en œuvre. N’est-il pas aussi légitime que les collectivités territoriales, qui font un effort financier considérable pour l’éducation s’intéressent aux résultats obtenus, cherchent à accompagner la réussite des élèves ? On voit ainsi se multiplier les projets éducatifs locaux dans les départements et les régions, se dessiner des politiques territoriales, fleurir de multiples initiatives plus ou moins pédagogiques çà et là…N’assiste-t-on  pas à un lent déplacement de la frontière, à une insertion de l’éducation nationale, traditionnellement très autonome et méfiante à l’égard du monde local, au sein des politiques territoriales ? Ce mouvement doit-il se poursuivre et jusqu’où ? Comment déterminer ce qui doit légitimement être du ressort exclusif des pédagogues et/ou des établissements scolaires, ce qui peut/doit relever des collectivités territoriales (ex : santé scolaire ?), ce qui exige une action concertée (ex : orientation? Gestion des TOS ? accompagnement scolaire ? Apprentissage des langues vivantes ?…).

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La seconde porte sur la nature des relations à inventer. L’Education nationale a longtemps été donnée en exemple d’administration hiérarchique : mécanique descendante avec son cortèges de règles et de circulaires, acteurs locaux considérés comme de simples rouages d’exécution… Cette vision était, bien entendu, caricaturale, et pas seulement parce que les enseignants dans leur classe bénéficient, quoi qu’on fasse, d’une liberté pédagogique. Ce système hiérarchique s’est d’abord grippé pour diverses raisons, puis s’est trouvé miné par la décentralisation du système. S’il conserve encore de beaux restes, ce mode de relations entre l’administration centrale et les services académiques ou entre ceux-ci et les établissements a tout de même fortement évolué (contractualisation, dialogue de gestion…). Surtout, au niveau local, les marges d’autonomie des acteurs et le partage des compétences éducatives obligent les acteurs à définir leurs modes de relations. Sur le plan juridique, les chefs d’établissement sont dans une situation de dépendance hiérarchique à l’égard de l’autorité académique –situation traditionnelle non contestée - mais aussi – c’est nouveau et plus contesté- à l’égard des responsables des collectivités territoriales (Art. L. 421-23 du code de l’éducation : si ce n’est pas un pouvoir hiérarchique, cela y ressemble fort…). Toutefois, dans la plupart des cas, à cette relation hiérarchique se substituent des mécanismes de concertation (groupes de travail, etc.) et de contractualisation , prévus par les textes, (« contrats d’objectifs » ; « conventions »), voire des dispositifs d’évaluations. Comment bâtir des relations entre les autorités académiques et les collectivités territoriales qui ne soient de rivalité (ou pire : de conflits), mais de travail concerté et de contrat (on pense par exemple aux conventions qui définissent les mesures annuelles de mise en œuvre du PRDF) ? Sur quelles bases établir les « conventions » entre les EPLE et les collectivités territoriales autour du projet de l’établissement, dans le respect des droits de la collectivité, de l’autonomie de l’EPLE et des responsabilités de son chef ? Ne peut-on parvenir à ce que les deux autorités de tutelle s’entendent sur ce qu’elles attendent et offrent à un établissement et passent ensemble un unique contrat avec lui ? Bref, peut-on parvenir à un concert à trois, sans trop de fausses notes ?

 

Dans ce domaine de la décentralisation et de la déconcentration, des marges de progrès existent pour peu que les acteurs se fassent un minimum de confiance et fassent preuve d’un peu d’imagination…

 
 

 

 

DECENTRALISATION/DECONCENTRATION

 

Des pistes de réflexion

L’association Education et Devenir souhaite articuler une réflexion sur ce thème autour des points suivants :

 

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L’Etat est garant de l’équité sur l ‘ensemble du territoire, l’établissement est autonome dans le cadre de son projet. Actuellement cela se traduit par une dotation de fonctionnement et un soutien matériel des collectivités territoriales à l’action éducative. Deux axes doivent être approfondis : la contractualisation (Etat, collectivités territoriales, établissement) et la péréquation entre collectivités territoriales afin d’éviter que ne se creusent les inégalités entre régions. 

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Les décisions légales prises par le Conseil d’Administration de l’EPLE doivent être respectées. Il faut revoir la place et le positionnement des élus locaux dans les CA . 

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L’aménagement du territoire est une priorité liée à notre refus des ghettoïsations  urbaines et rurales . Notre réflexion doit s’articuler autour de la sectorisation et de la taille des établissements. 

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Le schéma des formations, prérogative régionale doit s’articuler avec les moyens en personnels. Nous constatons des incohérences entre les prévisions de formation et les affectations en personnels enseignants ainsi qu’entre les réformes annoncées par le ministère de l’éducation et les constructions et réhabilitations mises en œuvre par les régions (des équipements coûteux qui deviennent tout à coup obsolètes, de nouvelles demandes non prises en compte).

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L’accompagnement éducatif : plusieurs partenaires, état, collectivités, associations, différents ministères. Conséquences : un enchevêtrement des dispositifs, des intervenants et des financements. Il faudrait au minimum que l’intervention des partenaires extérieures soit soumise au projet d’établissement. 

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Le passage des personnels TOS aux collectivités. Nous souhaitons rester maitres de l’organisation du service des TOS dans l’établissement , nous souhaitons aussi que l’évaluation de ces personnels soit faite par le responsable direct. Question annexe : quelle place pour eux dans le Conseil d’Administration puisqu’ils ne sont plus personnels d’Etat ? 

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Le secteur médico-social dans l’établissement : la présence de ces personnels est indispensable dans tous les EPLE, qu’ils relèvent de l’Etat comme actuellement ou des collectivités territoriales 

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L’aide à l’orientation : quel devenir pour les personnels de l’orientation et leur formation. Nous soulignons là aussi la juxtaposition des dispositifs : PAO , missions locales, mission générale d’insertion… Il est  nécessaire que l’information des jeunes soit la plus large possible et non exclusivement soumise aux contraintes locales de l’emploi . L’ensemble des personnels d’enseignement et d’éducation doit être impliqué dans cette démarche. Les collectivités doivent continuer à soutenir les initiatives des établissements (forums des métiers, salons…). 

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Programmes nationaux : il faut une souplesse dans l’adaptation au local dans les progressions et la mise en œuvre. Doit-on aller, comme cela se fait ailleurs en Europe jusqu’à un pourcentage de programme défini localement ? Les diplômes nationaux sont-ils un dogme intangible ?

 

  Voir aussi : un dossier de presse et un travail du groupe de liaison, de réflexion et de propositions de l'Académie de Lyon
 
   

 

Conséquences de  la décentralisation sur l’élève, dans la classe

 

Les adhérents E&D de l’académie de Rouen ont travaillé le 13 octobre sur : les conséquences de  la décentralisation sur l’élève, dans la classe.

 

Constat : les collectivités territoriales donnent beaucoup à l’élève individu (carte région, crédits sorties etc.), que peuvent elles apporter à l’élève via le système éducatif  ?

 

La décentralisation implique un travail avec les collectivités territoriales.

 

Chaque institution analyse la décentralisation. Ceci crée une rivalité institutionnelle, donc des blocages.

 

Quid de l’autonomie des établissements quelles possibilités, quelles limites.

Comment envisager l’apprentissage de l’autonomie par l’élève dans un système qui ne se reconnaît pas de l’autonomie.

Comment pédagogiquement peut-on agir sur l’autonomie de l’établissement, donc sur l’autonomie de l’élève ?

 

Quelle représentation chaque acteur a-t-il de l’autonomie de l’établissement ? L’EPLE en jouit-il, peut-on la définir ?

Cette autonomie permet-elle de venir en aide très vite aux besoins de l’élève ?

Il existe une succession de barrières.

- Les différents échelons hiérarchiques qui craignent les risques que leurs inférieurs pourraient leur faire prendre,

- Les postes, les statuts…

 

L’autonomie est actuellement périscolaire.

 

Quelle autonomie dans la classe ? La DHG, les modules, l’AI, la constitution des classes, les options etc. relèvent de cette autonomie. Or très vite il y a blocage :

ü  l’EDT (le temps mobile) d’Aniko Husti n’a touché que peu d’établissement et l’expérience s’est vite arrêtée (alors que l’acte d’apprendre se décline par rapport à une notion d’espace, de temps, de groupe).

ü  les m2 des salles de classes, le bâti, une architecture non modulaire,

ü  les classes à effectif constant (même si les textes prévoient que la composition du    groupe doit évoluer en fonction des besoins de l’élève)

ü  les rigidités liées aux habitudes pédagogiques

ü  les détournements des textes (module = cours par exemple)

 

Avons-nous tous la même visée ? L’autonomie de l’établissement est faite pour atteindre cette visée commune. Tous les établissements doivent garder une latitude tout en ayant le devoir de rendre compte de la stratégie mise en œuvre pour atteindre cette visée.

L’effet « individu » constaté dans tel ou tel établissement (un chef d’établissement donne le ton de par sa personnalité) devrait pouvoir être limité par un Conseil d’Administration modifié :

Ø  Des élus réellement administrateurs

Ø  Un président qui ne soit pas un membre de la hiérarchie d’Etat.

 

L’externalisation des aides devient machiavélique. Ces aides nombreuses, souvent trop abondantes, qu’elles viennent de l’Etat, des Conseils Généraux ou des communautés de communes détruisent les réflexions pédagogiques internes à chaque établissement.

 

Problème de confiance : qui dit décentralisation et autonomie dit multiplication des points de décision.

Or il est constaté une défiance :

-          entre les échelons hiérarchiques

-          entre la structure d’Etat et la structure territoriale

-          entre les enseignants et le chef d’établissement.

Nous sommes dans un système vertical qui contrôle mais qui n’évalue pas. Cette évaluation qui passe par une autoévaluation peut se mettre en place grâce aux contrats d’objectifs.