Le Lycée et le bac

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Appel : Réforme du lycée : un essai bloqué

Organisations signataires le 6 novembre 2008 : Crap-Cahiers Pédagogiques, Education&Devenir, Fédération des Conseils de Parents d’Elèves, Ligue de l’enseignement.

   
 
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Lycée : position d'E&D

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Conclusions du cahier n° 10 : La classe de seconde une classe difficile

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Quelle réforme pour le lycée ? P. Meirieu

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A propos du lycée G. Roche

 

   
   

Lycée : position d’E&D

 

 

L’association Education & Devenir a activement participé à la construction de la loi de Juillet 1989 ; nous avons largement contribué à la réforme de 1992 ainsi qu’à sa mise à jour de 1998 à 2000. C’est à ce titre que la réforme du lycée annoncée pour la rentrée 2009 nous interroge et appelle de notre part une série de questions quant à l’avenir de l’un des principaux maillons du système éducatif français. Notre engagement pour une école démocratique en phase avec les enjeux nationaux, européens et même planétaires repose sur la conviction qu’on ne saurait instruire une réforme sans prendre en considération un certain nombre de points fondamentaux.

Le lycée, comme d’ailleurs l’école et le collège, ne peut se satisfaire de préparer les élèves à un diplôme, d’inculquer des savoirs ou des compétences strictement scolaires sans tenir compte des déterminants essentiels des individus.

Permettre à 100% d’une classe d’âge de sortir du système de formation avec une qualification et à 50% d’atteindre avec succès le niveau d’une licence suppose de concevoir d’une part des structures nouvelles et adaptées à l’objectif et d’autre part de modifier en profondeur les pratiques professionnelles dans les établissements comme dans la hiérarchie intermédiaire.

 

Reconnaître les compétences

Faire du lycée général et technologique la voie d’accès à l’enseignement supérieur passe d’abord par une conviction primordiale: l’éducation est capable de transformer les êtres humains. Et sans doute revient-il à l’instance supérieure de l’Etat, animée par les valeurs de la République, d’afficher avec force ce préalable à toute action éducative.

Cette action éducative destinée prioritairement à la formation de tous trouvera sa légitimité dans l’émergence d’une culture commune, quels que soient les parcours entrepris, et sera renforcée par le développement de toutes les passerelles possibles entre tous les cursus.

Dans cette perspective, le lycée, comme d’ailleurs l’école et le collège, ne peut se satisfaire de préparer les élèves à un diplôme, d’inculquer des savoirs ou des compétences strictement scolaires sans tenir compte des déterminants essentiels des individus auxquels il s’adresse. Les élèves arrivent au lycée avec de multiples compétences (sociales, artistiques, techniques, sportives…) : ce lieu de vie et d’apprentissage doit permettre de faire concourir toutes les compétences ou caractéristiques des élèves à l’épanouissement de leur personnalité en vue de leur réussite dans les acquisitions indispensables aux buts choisis.

Le processus d’orientation pour sa part doit cesser de ressembler à un système d’éliminations successives mais s’adosser au contraire à une reconnaissance effective de compétences. Même si cela semble difficile, on peut constater que les dispositifs de VAE  mis en place offrent, dès aujourd’hui, des modèles dans lesquels il devient possible d’attester positivement des acquis au lieu de faire le décompte des insuffisances. Il n’est donc pas inimaginable de favoriser des transferts de compétences à l’intérieur de notre institution et de parvenir à diffuser de nouvelles pratiques.

 

Les missions du professeur, en plus de l'enseignement : orienter, évaluer, valider, aider, accompagner le travail personnel, participer à la définition des services, gérer des projets, définir en équipe la gestion du temps, aménager des parties de programmes et individualiser des parcours, créer des dispositifs, adapter les pratiques pédagogiques, élaborer des indicateurs, étudier le devenir des élèves, communiquer vers l'extérieur, promouvoir l'établissement, etc.

Un pilotage négocié et partagé

Le métier de professeur est appelé inéluctablement à évoluer. On ne saurait laisser plus longtemps hors du champ de compétences des enseignants et, à la périphérie de l’enseignement, des fonctions essentielles pour le devenir des élèves dont notre système est responsable. Considérons l'ensemble des missions reliées au cœur du métier en plus de l'enseignement : orienter, évaluer, valider, aider, accompagner le travail personnel, participer à la définition des services, gérer des projets, définir en équipe la gestion du temps, aménager des parties de programmes et individualiser des parcours, créer des dispositifs, adapter les pratiques pédagogiques, élaborer des indicateurs, étudier le devenir des élèves, communiquer vers l'extérieur, promouvoir l'établissement, etc. Toutes ces missions, et bien d'autres encore, sauraient-elles durablement sortir de la responsabilité effective des enseignants ? Ne serait-il pas absurde d'écarter les enseignants et les autres personnels d'un pilotage négocié et partagé ? Non seulement il convient, d’après nous, de s’engager résolument dans cette voie, mais il convient encore de réformer les hiérarchies intermédiaires pour accompagner ce mouvement.

Si  l’expression au plus haut niveau d’une telle volonté politique semble indispensable et s’il revient à l’Etat de créer les conditions favorables à de tels changements, il nous semble tout à fait impossible que ces réformes soient décrétées par le sommet. C’est au niveau local que revient l’initiative de l’adaptation des pratiques et aux hiérarchies intermédiaires de les accompagner.

C’est là le sens qu’il faut donner à l’autonomie des établissements: la capacité pour chacun de réaliser les missions qui lui sont assignées par l’Etat en prenant en compte les particularités internes et celles de l’environnement. L’autonomie, contrairement à ce qu’affirment certains de ses détracteurs, est sans doute le meilleur moyen de trouver des complémentarités entre les établissements et de sortir d’une concurrence aujourd’hui bien réelle et, par endroit, d’une ségrégation indiscutable. L’autonomie s’exprime dans la capacité des établissements à se doter, à côté de la démocratie institutionnelle (conseil d’administration…) pour atteindre ses objectifs, de structures fonctionnelles: commission orientation, commission évaluation, commission éducation, communication, etc.  Cette démocratie fonctionnelle, adaptée aux problèmes locaux, trouvera naturellement ses acteurs. Rôles et missions n’ont alors rien de forcé mais expriment une autre manière de concevoir la direction des établissements et la conduite de véritables projets d’établissement auxquels peuvent durablement s’associer les parents, les élèves, des partenaires extérieurs selon les besoins et les représentants des collectivités. On voit le sens que peut prendre ainsi le bilan annuel autour des projets d’établissement.

 

Un nouveau rôle pour les collectivités territoriales

Les collectivités territoriales, quant à elles, ont également un nouveau rôle à jouer pour favoriser et harmoniser les projets sur un territoire et pour permettre aux établissements dans un territoire d’accomplir pleinement leur mission de formation mais aussi de ressources culturelles et technologiques.

Quelques propositions à court terme se dessinent de ce point de vue.

1.   Définir les différents métiers dans l’établissement et, en ce qui concerne les enseignants, décrire l’ensemble des missions qui accompagnent l’enseignement à proprement parler.

2.   Elaborer un plan national d’accompagnement de tous les acteurs. Pour les enseignants, l’accompagnement et la modularisation doivent être les deux axes forts de ce chantier.

3.   Au plan académique, mettre en œuvre ce plan national d’accompagnement, mettre les établissements en réseaux pour la formation des personnels, pour l’orientation des élèves, pour l’accompagnement des projets par la mobilisation des corps d’inspection et des services.

4.   Réorganiser les inspections académiques et les rectorats en relation avec le fonctionnement des établissements afin de sortir d’une logique gestionnaire souvent en contradiction avec la volonté politique.

5.   Réaliser une véritable contractualisation sur trois ans autour des projets d’établissement.

6.   Mettre en œuvre au plan national un calendrier de la réforme qui permette aux acteurs, en sortant d’une logique commandée par le calendrier politique, de s’approprier leurs rôles.

Le chantier de la réforme semblait ouvert avec pragmatisme par le rapport de Jean Paul de Gaudemar. On le voit aujourd’hui se réduire comme une peau de chagrin à un piètre calcul de coût du point de vue du gouvernement, à un jeu de pression diverses par les lobbies disciplinaires, à une affaire de corporatisme par une partie des représentants des personnels enseignants.

Une réforme qui se réduit comme peau de chagrin

Depuis plus de 30 ans, les réformes du lycée, avec des bonheurs divers, se sont succédé dans une certaine continuité.  A partir de 1992, il s’est agi de réussir la scolarisation massive en lycée.  La pédagogie de projet visait alors à faire sortir les élèves d’une certaine passivité en cours ; la première tentative de déhiérarchisation des filières s’est accompagnée de la finalisation des programmes autour de la finalité des filières ainsi que de l’apparition de dispositifs d’aide répondant à des « besoins ».

Après la loi d’orientation de 2004, il semblait normal de rouvrir ce chantier et de proposer une nouvelle architecture pour le lycée. En effet, la déhiérarchisation des filières n’a pas été accomplie.  Entre temps, il ne s’agit plus seulement d’atteindre le niveau bac mais de permettre une plus grande fluidité vers l’enseignement supérieur ; faire du lycée, sans élitisme, la propédeutique à l’enseignement supérieur.

 

Ce chantier semblait ouvert avec pragmatisme par le rapport de Jean Paul de Gaudemar. On le voit aujourd’hui se réduire comme une peau de chagrin à un piètre calcul de coût du point de vue du gouvernement, à un jeu de pression diverses par les lobbies disciplinaires, à une affaire de corporatisme par une partie des représentants des personnels enseignants. On voit même l’Elysée chercher un équilibre politique dans l’ordonnance des disciplines dans le tronc commun de seconde.

Nous pensons qu’une réforme comme celle qui s’esquissait demande du temps et réclame que l’Etat s’assure d’une convergence minimum de l’ensemble des acteurs en présence ; on ne réussit pas une réforme de cette importance sans les principaux intéressés.

Dans la précipitation à laquelle nous assistons, le risque est grand de voir le projet de déhiérarchisation des filières se transformer, avec les modules d’approfondissement, en un retour à une seconde de pré-sélection, de voir les modules d’accompagnement se banaliser en TD supplémentaires (sort qu’ont connu en leur temps les «modules de français, mathématiques et langues vivantes»). 

La réforme du lycée ne saurait être un aménagement technique, un simple lissage technocratique de l’existant pour aboutir, à des fins économiques, à un lycée moins cher au prétexte que l’argent dépensé jusque là n’a pas toujours eu les effets escomptés.

 Il faut donc de la lisibilité, une vision d’ensemble afin que chacun prenne sa place. La contestation elle-même doit jouer un rôle d’aiguillon sans se transformer en opposition radicale voire anarchique.

 

La réforme suppose une réécriture des programmes, une organisation du travail pédagogique, une méthode d’évaluation des compétences, une conception du travail en classe complètement nouvelles

Une autre architecture

Le lycée comme préparation efficace à l’enseignement supérieur, c’est d’abord une autre architecture qui remette effectivement en cause la notion de classe et la notion de filière. Mais cela ne garantit aucunement contre le retour d’un élitisme encore plus marqué. Les parcours de seconde pourraient se trouver insidieusement tirés vers des structures de présélection. Comment faire autrement si l’articulation entre exploration et approfondissement n’est pas décrite plus précisément dans ses finalités. Comment faire si l’élève qui aura essayé pendant deux semestres sciences de la société et LV3 ou histoire des arts et sciences ne peut en aucune façon choisir en première des modules le conduisant à des études scientifiques parce qu’il lui manquerait des compétences en mathématiques ? Il apparaît clairement que les réponses à ces questions ne sont pas seulement techniques mais qu’elles supposent une réécriture des programmes, une organisation du travail pédagogique, une méthode d’évaluation des compétences, une conception du travail en classe complètement nouvelles. Ces évolutions nous semblent réellement nécessaires ; elles nous semblent pourtant difficiles à conduire telles quelles sans un accompagnement fort des personnels enseignants et sans un minimum de consensus.

 

Plus encore, il n’est sans doute aucunement possible d’envisager sérieusement une dé-hiérarchisation des filières sans modifier le sens et la nature de l’examen final. Si le baccalauréat reste le premier diplôme du supérieur, alors il revient à l’université en liaison avec l’enseignement secondaire de définir les conditions minimum d’accès dans chaque type d’études supérieures et l’élève doit pouvoir construire un parcours original et décider, à la fin du cycle terminal, du type de baccalauréat envisageable pour lui. Cela suppose qu’existe un choix de modules de formation plus importants en nombre que ceux qui seront présentés pour le passage dans la voie choisie dans le supérieur. Cela suppose aussi que, dans ces modules de formation, l’acquisition des compétences puisse  être validée dans le courant du cycle afin que l’élève puisse changer de module soit parce qu’il aura rempli le contrat, soit parce qu’au contraire un autre choix lui semblera plus adapté. En ce sens les modules d’exploration et d’approfondissement ne doivent pas être absolument déterminants quant au choix des modules du cycle terminal ; ils devraient être complétés dès la première année du cycle terminal par des modules de mise à niveau pour tous les élèves restés hésitants jusqu’à la fin de la seconde dans leurs préférences.

 

Il revient à l’Etat et aux autorités académiques de mettre en place un accompagnement à l’évolution du métier d’enseignant

L’accompagnement des élèves… et des enseignants

Il nous semble que l’accompagnement doit être décrit avec plus de précision dans ses objectifs comme dans son fonctionnement pour éviter le  risque de le voir se réduire à une énième forme de soutien scolaire. L’accompagnement peut s’imaginer sous plusieurs formes :

-         encadrement de projet de type TPE,

-         suivi de stage en approfondissement d’une vocation,

-         aide au travail personnel, apprentissage de méthodes,

-         entraînement à l’oral, travaux de mémorisation,

-         aide à la recherche documentaire

-         intervention d’experts

-         construction du projet d’orientation, soutien disciplinaire ponctuel pour réaliser ce projet,

-         etc

 

On voit que l’accompagnement devrait devenir un volet essentiel du projet d’établissement, que les parents, les élèves et d’autres  partenaires peuvent y être associés, et qu’il mobilise le conseil pédagogique et le conseil d’administration. La pédagogie devient affaire de pilotage pour l’établissement tout entier. Aussi est-il urgent de préciser pour les établissements les marges de manœuvre dont ils disposeront.

Enfin, s’il convient de faire confiance au niveau local pour imaginer des solutions dans un cadre national, il revient à l’Etat et aux autorités académiques de mettre en place un accompagnement à l’évolution du métier d’enseignant. Ce projet est soumis à la condition que les enseignants eux-mêmes soient conduits à en percevoir l’enjeu. Or le risque n’est pas écarté que ces changements changent tout... pour tout laisser en place et même que la continuité jusque là observée des réformes soit rompue.

La réforme invite à raviver les fondements de l’école républicaine et démocratique et à renforcer l’engagement de ses acteurs. Il nous semble essentiel de rappeler et de faire partager avec force les objectifs qualitatifs de nos missions : former des citoyens libres et responsables, prêts à apprendre et à se former tout au long de leur vie, capables de porter eux-mêmes la même ambition pour ceux qui les suivront.

 

 

La classe de seconde une classe difficile

Extraits des conclusions du cahier n° 10 (décembre 2007)

 

 

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Une réforme doit s’appuyer sur un engagement politique clair qui concerne  l’adhésion au postulat de l’éducabilité des élèves, le respect de leur rythme personnel d’acquisition des savoirs et de leur formation. Elle vise à donner à tous, à travers des supports, des cursus différents une culture commune de niveau élevé. Elle n’a de chance d’aboutir que si la nation tout entière participe à la révolution culturelle qui permettra la reconnaissance, y compris financière, des métiers manuels ou peu valorisés socialement. Elle implique enfin que la mission de l’Ecole « la formation de tous » soit prioritaire par rapport à celle de la détection et de la promotion des élites.

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Il convient ensuite de prendre en compte concrètement la diversité des individus en renforçant le souci de faire du lycée à la fois le lieu de la différenciation et un outil au service de la cohésion sociale. Le lycée unique, avec ses trois voies de formation, ses passerelles entre chacune d’elles, est certainement une piste intéressante, pour peu que soient évités les errements bien repérés du collège unique.

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C’est possible à condition que les établissements puissent mettre en place une organisation nouvelle des groupes d’élèves et une gestion différentes des cursus, à condition aussi que cette organisation favorise un véritable travail d’équipe des formateurs. Plusieurs pistes sont présentées dans ce cahier.

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Il est évident que l’orientation telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui est responsable de nombreux échecs, qu’elle est la cause de beaucoup de gâchis. Il faut en en finir avec cette école qui pratique, dès l’école élémentaire, le principe de la distillation fractionnée. Cette évolution implique un profond changement des mentalités. Les établissements peuvent participer dès maintenant à cette nécessaire évolution. Tout ne ressort pas de décisions venues du haut.

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L’évaluation qui vise à sélectionner est l’instrument de la sélection précoce. Il est certainement plus efficace, pour faire progresser les individus, de constater les compétences acquises que de se contenter de repérer leurs insuffisances. Un travail important est donc nécessaire pour faire évoluer la culture de l’évaluation, non seulement des élèves mais aussi du fonctionnement de l’établissement et de ses acteurs ;

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Rien ne sera possible sans une réforme du métier de professeur, parce que celui-ci occupe la place essentielle dans la réussite des élèves. Trois chantiers sont incontournables: la formation, l’organisation et la nature du travail, la posture face aux élèves.

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Ces évolutions sont possibles à condition que chacun acteur du système joue le jeu, sans attendre tout de l’autre. Les évolutions demeureront cependant limitées, lentes, chaotiques si le ministère ne joue pas son rôle de pilote ; il doit définir les priorités, dire les missions, ne pas fuir ses responsabilités face à des dossiers aussi difficiles par exemple que celui de la réforme du statut des enseignants. Les cadres intermédiaires (recteurs corps d’inspection…) sont indispensables dans l’accompagnement des équipes qui sont confrontées aux difficultés des pratiques innovantes. Enfin, les établissements disposent d’ores et déjà de marges d’autonomie qui méritent d’être mieux utilisées.                                                  

 

Claude Rebaud

   

 

 

   

 

 

 

 

Quelle réforme pour les lycées ?

 

Philippe Meirieu, professeur émérite en sciences de l’éducation à l’université LUMIERE-Lyon2, responsable, en 1998, de la consultation et du colloque : "Quels savoirs enseigner dans les lycées ?" réagit aux annonces du 30 septembre 2008 dans LE FIGARO sur la réforme des lycées

 

La politique éducative du ministre de l’éducation nationale peut sembler aujourd’hui assez étonnante. Ainsi, après avoir très largement critiqué le « pédagogisme » qui aurait pris le pouvoir dans l’école primaire, le voilà qu’il propose une réforme ambitieuse du lycée qui paraît très largement inspirée des réflexions menées ces dernières années par les « pédagogues ». Le lycée qu’on nous annonce serait modularisé, fondé sur une conception plus ouverte du travail des élèves, avec une marge de choix beaucoup plus grande et des heures de suivi ou soutien personnalisé.

La contradiction se résout, de manière très traditionnelle, en faisant appel à l’idéologie largement dominante aujourd’hui : les jeunes enfants doivent acquérir les mécanismes et les savoirs de base qui, permettent, plus tard, de laisser aux grands adolescents qu’ils seront devenus, une grande marge d’initiative. En d’autres termes, l’obéissance et la contrainte précèdent nécessairement la liberté ; le dressage est un préalable à l’émancipation ; la soumission à des exercices répétitifs et à une pédagogie de l’entraînement systématique rend possible, mais seulement dans un second temps, l’accès à des « pédagogies de projet ».

Pour banale qu’elle soit, cette idéologie mérite d’être interrogée : ne convient-il pas, à tous les niveaux de la scolarité, d’articuler la mobilisation des élèves et la formalisation des savoirs ? Doit-on renoncer à donner du sens aux apprentissages à l’école primaire pour, en revanche, laisser penser qu’au lycée seule la motivation doit opérer ? Peut-on laisser dominer, en primaire, un processus d’intégration et développer, en fin de secondaire, un processus de différenciation ? Outre que se pose la délicate question de l’accompagnement de la transition, le risque est réel d’un clivage, à terme, entre une « école du conformisme », en primaire, et une « école de l’individualisme », en secondaire, « une école normée », d’abord, et une « école consumériste » ensuite… Quand il faudrait plutôt, tout au long de la scolarité, une école qui permette, dans la même démarche, d’intégrer les normes et de s’en émanciper. Je crains, pour la France, la juxtaposition entre une école primaire « à l’ancienne » et une école secondaire « à l’américaine »… sans véritable travail sur les conditions de la construction d’une citoyenneté solidaire. Le silence actuel sur le collège renforce d’ailleurs mes craintes dans ce domaine : nous risquons de continuer d’y faire cohabiter une logique d’ « école primaire supérieure » pour les uns et une logique de « petit lycée » pour les autres. Sans un vrai travail pédagogique sur ce chaînon aujourd’hui à l’abandon et qui concentre toutes les contradictions, les collèges resteront ces espaces difficilement gérables où l’on tente d’instruire des groupes d’élèves indifférenciées, plus que jamais et irréductiblement « de passage ».

Cela dit, la nécessité d’une mise en cohérence pédagogique de toute la scolarité et le nécessaire travail en amont ne peuvent nous faire oublier la nécessité de réformer le lycée. Plusieurs éléments, à égard, sont décisifs dans le projet que nous connaissons : il est très important, en effet, de faire découvrir aux lycéens de seconde les disciplines vers lesquelles ils peuvent s’orienter et d’éviter les choix « à l’aveugle » ; il est fondamental de permettre une diversification progressive des parcours, dès lors qu’elle est réfléchie et accompagnée ; il est essentiel de promouvoir au lycée des travaux qui préparent réellement à l’université (comme, par exemple, les Travaux Personnels Encadrés pratiquement supprimés par le ministre actuel et ses prédécesseurs). Il est déterminant, enfin, de penser autrement les emplois du temps des élèves et de sortir de cette « tranche napolitaine » actuelle où rien ne peut vraiment être approfondi… Concernant la place et les horaires offerts aux différentes disciplines, il conviendra, bien sûr, de regarder de près, quand nous en saurons plus, la question des programmes et des moyens réellement donnés aux élèves et aux enseignants pour parvenir à acquérir les savoirs requis. Une remise à plat est nécessaire et il faudra qu’elle s’émancipe, autant que faire se peut, des jeux de pouvoir et d’influence des différents lobbys. Il est temps de se demander sereinement ce qu’un lycéen, selon la célèbre formule d’Octave Gréard, « ne peut ignorer ».

En attendant, il me paraît important de rappeler quelques principes qui doivent, à mes yeux, guider le travail en cours.

1) Le lycée doit permettre la construction d'une "culture commune", ce qui suppose des objectifs culturels communs pour tous les lycéens des trois voies  - y compris la voie professionnelle souvent traitée de manière séparée - et de toutes les filières. Il existe, en effet, des domaines de savoirs où l'on ne peut accepter une spécialisation trop rapide et où il est essentiel que tous les lycéens "parlent la même langue" : c'est vrai pour l'histoire, l'histoire des idées et l'histoire des sciences, la connaissance des oeuvres fondatrices, les sciences humaines et sociales, les techniques à l’œuvre dans notre monde, les langues vivantes, l'éducation physique et sportive, l'éducation artistique, l'éducation civique juridique et politique. Je pense même que, dans ces domaines, on pourrait imaginer un "tronc commun" où se retrouveraient côte à côte, dans les mêmes cours, des élèves des voies générale, technologique et professionnelle : c'est dans ce sens que j'ai pu parler d'un "lycée unique".

2) Le lycée doit structurer ses enseignements autour de filières susceptibles de conférer une unité aux apprentissages. Je n'étais, moi-même, pas favorable à cette formule au début de la consultation de 1998. Ce sont les débats et les multiples concertations qui m'ont convaincu qu'il ne fallait pas abandonner complètement l'idée de colonne vertébrale avec des dominantes disciplinaires. Nous risquons, en effet, avec un système complètement à la carte, une véritable atomisation... De plus, le lycée doit permettre de s'engager progressivement vers des domaines cohérents et, à un moment donné, il faut que des enseignements spécialisés émergent et que leur configuration fasse sens de manière homogène... J'ai souvent cité la phrase de Brillat Savarin : "On ne forme pas les gastronomes de la même manière que les cuisiniers"... On ne forme pas, en sciences, des futurs scientifiques comme des littéraires qui doivent, certes, avoir une culture scientifique, mais d'une autre nature : pour accéder en faculté de sciences, il faut des savoirs techniques précis, tandis qu'un littéraire devra avoir des connaissances plus orientées vers la vie sociale (comme les statistiques, par exemple). Modulariser complètement les enseignements, c'est risquer de perdre cette "spécialisation épistémologique" progressive qui est la spécificité du lycée... et qui ne s'oppose pas à la culture commune, mais la complète.

3) Le lycée doit mettre en place un suivi rigoureux des élèves. Un lycée à la carte ou modulaire nécessite un renforcement de l'accompagnement individualisé. Le danger est grand, en effet, de favoriser les élèves déjà autonomes ou particulièrement débrouillards, au détriment de ceux qui ne connaissent pas vraiment les codes scolaires et n'ont pas encore stabilisé de "stratégie de réussite". Sans un tutorat très construit, avec des outils de liaison élaborés, la liberté de choix, pour certains élèves, sera une liberté du vide.

4) Le lycée doit donner un nouveau statut au lycéen. Si l'on veut un lycéen autonome et impliqué, il faut changer radicalement les rapports au sein des établissements. Alors que près d'un tiers des élèves de terminale sont majeurs aujourd'hui, ils continuent à être traités comme des élèves de sixième... reproduisant ainsi le comportement potache le plus traditionnel et bloquant la construction d'une véritable "maison des savoirs". Il faut absolument revoir complètement la "participation lycéenne". Celle-ci est aujourd'hui caricaturale : au mieux les délégués peuvent donner leur avis sur le déplacement d'un banc dans la cour, mais ils ne sont jamais sollicités sur la construction des emplois du temps, le planning des contrôles, les méthodes de travail, l'équilibre entre cours magistraux et recherches individuelles, l'utilisation du travail de groupe, la place de la recherche documentaire, de la démarche expérimentale, etc.

5) Le lycée doit se conclure par un autre type de baccalauréat. Je sais bien que Xavier Darcos affirme qu'il ne veut pas toucher au baccalauréat (il a dit qu'il n'était pas chargé de "démonter la tour Eiffel"), mais nous savons à quel point la formation est pilotée par l'évaluation. On finit toujours par ne former que ce qui sera évalué. Or, les épreuves du baccalauréat d'aujourd'hui, qui réduisent la plupart des savoirs à des exercices formels individuels en temps limité, ne permettent pas un véritable enseignement rénové. Si l'on veut réformer le lycée, il faut réformer le baccalauréat et changer la nature des épreuves, voire introduire un système d'évaluation par unités capitalisables, chacune d'entre elles étant validée par un "projet abouti", ce que j'appelle un "chef d'oeuvre".

6) Le « nouveau lycée » impose de repenser le service enseignant.Je suis pour une redéfinition du service enseignant, avec une réduction des heures de "cours" proprement dites et l'introduction, dans le service enseignant, d'autres types d'activités avec les élèves sur la base d'horaires annualisés : il faudrait pouvoir faire, à côté de ses heures hebdomadaires, un stage d'informatique pendant les vacances de Toussaint, des permanences quotidiennes de trente minutes de SOS MATHS ou une classe-enquête de trois jours... Sur ce point, je n'ai pas varié depuis 1998. C'est, à mes yeux, un levier essentiel pour la transformation des pratiques. 

Il y a, cependant, deux conditions pour que cela fonctionne. D'abord que les heures récupérées ne soient pas purement et simplement un moyen de supprimer des postes. Aucune réforme ne sera acceptée si elle apparaît comme un habillage pédagogique de la pénurie. Ensuite, il faut des "unités pédagogiques fonctionnelles" pour gérer ces heures et le suivi des élèves. Le principe est de sortir du fractionnement systématique, de l'anonymat et de la dilution des responsabilités : il faut constituer des unités de cent à cent cinquante élèves et les confier chacune à une équipe de professeurs qui en auraient collectivement la responsabilité (et qui y effectueraient la grande majorité de leur service). Dans ce cadre, l’équipe disposerait d’un ensemble d’heures qu’elle pourrait utiliser en fonction de ses besoins. Elle aurait les moyens de regrouper tous les élèves pour préciser le cadre et les exigences du travail, de mener des projets en commun, mais aussi d’organiser des regroupements différenciés avec des activités spécifiques. Elle serait l’interlocuteur privilégié des parents et des élèves, avec une existence institutionnelle et une visibilité qui font cruellement défaut aujourd’hui…

Mais, à cet égard, l'autonomie des établissements, dont le gouvernement affiche la nécessité, n'est pensable que dans le cadre d'une politique nationale et d'un cahier des charges fort et ambitieux pour tous les établissements. Sinon, les pires dérives nous menacent... en particulier l'accroissement fantastique des inégalités et du consumérisme scolaire. Il faut inverser la tendance actuelle qui laisse les établissements libres de leur politique éducative dès lors qu'ils respectent les normes administratives. Il faut alléger les normes administratives, mais en étant bien plus rigoureux sur les objectifs éducatifs : relations avec les familles, suivi des élèves, formation à la démocratie et au travail solidaire, etc. Or, le pilotage par les seuls résultats quantitatifs qu'on nous annonce est complètement contradictoire avec cela. Il risque de renforcer la sélection et le bachotage au moment même où l'on nous promet des "pédagogies actives". Ce n'est pas une des moindres contradictions du projet... La plus grande restant, quand même, l'annonce simultanée d'une réforme des lycées faisant une large place à la pédagogie de projet interdisciplinaire et la suppression, de fait, de la formation pédagogique des enseignants, en particulier du second degré. Avec qui ferons-nous ce fameux "lycée finlandais" ? Je crains que nous ne trouvions que quelques militants pédagogiques volontaires qui se donneront clandestinement la formation nécessaire dans quelques caves récupérées par les mouvements pédagogiques.

 

A propos du lycée

 

Georges.Roche

IA honoraire

« L'Education civique aujourd'hui : Dictionnaire encyclopédique » (sous la direction de G. Roche) ESF

 
 

Le texte proposé [de la Ligue de l'enseignement, les cahiers pédagogiques, la FCPE et E&D] n’appelle pas de critique fondamentale. C’est une mise au point, une demande de précisions à partir d’une nouvelle déclaration ministérielle sur une «  réforme » différée et édulcorée concernant le Lycée.

Ce constat doit nous déterminer à élargir nos perspectives, nos contacts et rechercher des accords avec, tout particulièrement, les associations de parents d’élèves et d’élèves, les organisations parties prenantes en recherche pédagogique ainsi que celles des spécialistes (enseignement supérieur compris) et les syndicats.

Le problème soulevé est éminemment politique. La nation doit se prononcer sur la volonté qu’elle a - ou non - de faire de l’éducation des générations montantes une priorité fondamentale, un investissement économique et financier à longue échéance. Toutes les nations démocratiques en font leur préoccupation première. Le rôle de l’Etat et du pouvoir est un système d’éducation pour tous, de formation intellectuelle, scientifique et technique de tous les futurs citoyens. L’investissement à assurer engage l’avenir de la communauté nationale, dans le domaine de la recherche en particulier : il ne peut être qu’à la mesure de l’enjeu. L’exigence s’adresse aux politiques et aux acteurs du système pour les conditions de leur formation, de leur travail au quotidien.

 

Quel lycée ?

       

A la suite de l’école obligatoire le lycée est l’établissement phare pour la société d’aujourd’hui : classique et moderne, technologique, professionnel. Il entretient encore la ségrégation sociale et l’inégalité des « chances » .L’ambition déclarée est celle d’autorités nationales ou internationales qui soulignent que l’avenir des sociétés est celui de la connaissance et que pour cela la nation doit à moyen terme conduire »50% des lycéens au niveau licence «.

Ces effets d’annonces devraient conduire à faire du lycée un établissement de détermination, expression réservée à la classe de seconde.

 

1 – Il devient indispensable d’organiser les études selon des principes reconnus : enseignements obligatoires, optionnels ou modulaires.

 

2 – d’engager des modalités d’orientation positive, d’accompagnement de chacun à partir d’une évaluation des compétences acquises en amont et les aptitudes révélées par le collège. Un livret de suivi consignant observations, résultats scolaires, mais aussi aptitudes, affinités et ambitions de chacun ; ce livret servant de lien entre les maîtres, les familles et les élèves.

Les choix modulaires et optionnels en cours d’études sont déterminés par la mise en valeur des compétences acquises au cours des années de lycée.

 

3 – les orientations recherchées sont pour tous les lycéens déterminantes, qu’ils s’engagent sur le long chemin des enseignements supérieurs ou sur celui plus court mais ouvert des enseignements professionnels.

Les compétences transversales deviennent essentielles : travail en groupe, travail-recherche interdisciplinaires ( TPE).

 

4 – La seule réforme de la classe de seconde est de peu d’intérêt ainsi que celle du baccalauréat, certification sans doute indispensable pour l’opinion. Le problème posé est bien celui de sa place dans le cursus scolaire, de son rôle sélectif

 

 

Quelles finalités pour le lycée ?

 

Toute civilisation, toute culture ne peut survivre et se développer que si la nation se dote d’un état promoteur et formateur de citoyens éclairés, travailleurs compétents, sereins dans une activité choisie et appréciée. Une politique digne promeut un système d’éducation accepté par une société convaincue.

Accompagner l’élève dès l’enfance et durant son adolescence c’est, avec ses parents, le guider vers des choix possibles, leur offrir un accès à des filières multiples, lui permettre d’exploiter ses aptitudes révélées et valorisées tout au long du cursus scolaire.

Les équipes enseignantes doivent leur disponibilité pour chacun dans un travail d’équipe : imaginer des méthodes et des stratégies associant parents et élèves, construisant des projets, élaborant des tutorats et des accompagnements.

Les choix et les itinéraires possibles sont propres aux différents types d’établissements (littéraires et scientifiques, technologiques, professionnels). Leurs  rapprochements géographiques sont des réalités. Il faut en urgence tenter le travail en commun : c’est ici qu’intervient  la notion de réseau d’établissements.

Le concept de réseau est valorisé aujourd’hui dans le domaine économique et de l’entreprise . « Il repose sur la confiance. La convention est le moyen adopté pour résoudre le problème de la coopération «  disent ses promoteurs et réalisateurs.

Il faudra revenir sur ce concept de réseau appliqué aux lycées, concept qui écarte la notion de lycée unique sans doute prématurée.

La démarche peut être accessible par l’innovation amorcée ici et là sans directive ministérielle. La tutelle pédagogique et administrative est évidemment sollicitée, son aide et son soutien sont importants. Mais elle vaut engagement pour des participants qui deviennent complémentaires dans leurs projets.

Démarche difficile qui demande aux chefs d’établissements, aux inspecteurs une approche volontariste bien différente de leurs fonctions respectives : la part relation-négociation est primordiale. La notion de gouvernance se révèle plus ouverte pour eux ; la finalité c’est l’avenir de l’élève, le refus de n’en laisser aucun sur le bord de la route .Les notions de concurrence et d’autonomie apparaissent relativisées.

En outre le réseau devient aussi un instrument de gestion répondant à la suppression (ou au maintien) de la carte scolaire. Les établissements sont solidaires, dans une offre partagée de modules ou d’options spécifiques : ainsi un élève pourrait éventuellement accéder à un type d’enseignement complémentaire dans un autre lycée que le sien.

 

« Le principe de mise en réseau est celui de coopération », « Le fonctionnement par projet est une réponse aux difficultés de coopération », « Gérer par projet avant de gérer des projets ».

Ces dernières citations de chercheurs en science sociale restent pour l’éducation, sujets de méditation pour tous.