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Croiser les regards : un atout pour la réussite des élèves Près de 400 personnes à Narbonne pour débattre avec Philippe Meirieu ! |
Présentation | |
Education & Devenir, en partenariat avec la FCPE et la FAOL ( Ligue de l’enseignement dans l’Aude), a, le mercredi 19 avril, invité Philippe Meirieu pour une conférence débat dont la problématique reprenait celle de notre dernier colloque : "Croiser les regards, un atout pour la réussite de tous les élèves." Après avoir, avec la rigueur intellectuelle mais aussi l’humour qu’on lui connaît, décliné le "regard pluriel" qui croise celui de l’enfant, à savoir la famille, les enseignants, les animateurs mais aussi les « pairs », le récent ex directeur de l’IUFM de Lyon a montré l’importance qu’il accordait à la nécessaire collaboration entre ces différents co-éducateurs. Loin des solutions de facilité et de la démagogie qui caractérisent certaines prises de positions actuelles, notamment le projet d’apprentissage à 14 ans, Meirieu a défendu une Ecole qui nous est chère, celle d'un espace citoyen qui permet de lutter contre la ghettoïsation qui gangrène chaque jour davantage notre société. |
L'échange, avec une salle composée d’enseignants mais aussi de nombreux parents d’élèves et d’animateurs socioéducatif, fut ensuite très riche. Il y a manifestement un désir de débattre, sans concession, avec le sentiment partagé par tous les participants qu’il faut, plus que jamais, résister aux dérives actuelles, à la prégnance de la politique libérale qui caractérise la politique du ministre mais aussi à la nécessité d’échanger sur les pratiques en partageant les doutes, parfois, mais aussi les projets souvent ! Le nombre de jeunes collègues présents lors de cette conférence est en ce sens une très bonne nouvelle ! Il y a, chez ces jeunes professeurs, pour reprendre une partie du titre d’un des derniers bouquins de Meirieu, une désir de changement dans les approches professionnelles, Education & Devenir doit pouvoir les accompagner sur cette voie ! Outre une rapide présentation orale de l’association, tous les participants ont eu en main un dossier présentant notre association. Certains connaissaient notre site, la question qui nous est posée est alors simple et très complexe à la fois : comment transformer le capital de sympathie dont nous jouissons manifestement en adhésions venant enrichir notre réflexion interne ? | |
1ère Série de réflexions
Pourquoi l’enfant a-t-il besoin de plusieurs éducateurs ou plus exactement de plusieurs instances éducatives : la famille, l’école, le groupe de pairs ou d’amis ?
1) La famille est le lieu de la filiation, de la construction de l’origine et non le lieu du commencement, ce qui est différent. Dans la société traditionnelle, la famille était le lieu du commencement et l’origine se confondait avec le commencement. L’enfant commençait sa vie dans la famille et ses origines étaient ses parents, ses grands-parents et au-delà c’était la tradition familiale dans laquelle il s’inscrivait. Une des caractéristiques de la modernité, c’est que cette tradition familiale ne va pas de soi, qu’elle n’est plus donnée, qu’elle est à construire et que la question des origines n’est pas résolue d’emblée dans la famille. Elle est posée dans la famille et travailler dans la famille, je ne parle pas seulement des familles mono parentales ni reconstituées ou séparées, écartelées par les problèmes sociaux et économiques mais je parle de toutes les familles pour lesquelles il est nécessaire, aujourd’hui, de réinventer un présent et un avenir commun, parce que le monde va vite, que nous ne pouvons pas nous contenter de dire ce qu’il en était du passé et qu’il faut reconstruire de l’origine pour l’avenir. Il y a là un paradoxe extraordinaire, on a de l’avenir quand on a des origines. On ne peut se projeter dans le futur que quand on sait d’où on vient, pas forcément parce que c’est là d’où on vient mais parce que c’est là où on s’est construit une origine. L’enfant se construit une origine même dans un orphelinat, il se construit une histoire, un passé, il se construit une mythologie. Il a besoin de cette mythologie : souvenez-vous de vos réunions familiales, de ce qui marque la construction de cette mythologie, de ces histoires que vous vous racontez entre vous, auxquelles vous riez mais qui sont un rituel familial, qui vous installent dans un passé commun et qui vous construisent une origine.
Le problème pour un certain nombre d’enfants et pour un certain nombre de familles, c’est que cette construction de l’origine est difficile, elle fait défaut, elle n’est pas là. On est dans le commencement, l’enfant est sommé de se commencer lui-même comme dans « Les aventures du baron de Münchhausen » où le personnage se tire par les cheveux lui-même pour se sortir de la mer. Les gens qui pensent que les enfants peuvent être leur propre commencement sont comme le baron de Münchhausen. L’enfant ne peut pas se passer de ce travail difficile, complexe, de la construction de sa propre origine. Je suis de ma famille même si ce n’est pas « ma » au sens possessif, je suis d’un lieu, d’un endroit, d’un espace, d’une histoire. Et nous voyons à quel point ce déficit de la construction d’une histoire va handicaper un certain nombre d’enfants dans leur vie personnelle, dans leur vie scolaire et plus tard dans leur vie sociale.
La famille est donc fondamentale à cet égard, lieu de travail et de construction de l’origine, lieu d’élaboration d’une histoire avec l’enfant. La famille est le lieu de la découverte du monde, c’est la première découverte du monde et c’est une découverte difficile. Venir au monde, c’est rencontrer la souffrance, la frustration. On vient d’un lieu où on était logé, nourri, blanchi, sans désir, satisfait en permanence par les soins que nous prodiguait in utero notre propre mère et voilà qu’il se met autour de nous à faire froid, à faire chaud voilà que nous sommes mouillés, que nous avons faim, voilà que nous n’avons pas ce que nous voudrions, voilà que nous sommes frustrés. Naître, c’est découvrir qu’on ne peut pas être satisfait tout le temps, qu’il y a de la frustration, qu’il faut attendre, que le monde n’est pas centré autour de l’enfant, que le monde est construit autrement et qu’on a une place dans ce monde mais qu’on n’a pas toute la place. D’ailleurs je le dis aux enseignants, aux parents et aux acteurs associatifs, quand un gamin est pénible et qu’il prend toute la place, c’est qu’il n’a pas de place. Les gamins qui ont une place ne veulent jamais prendre toute la place. Quand dans une fratrie, il y en a un qui enquiquine les autres, c’est qu’il n’a pas encore trouvé sa place.
La famille est le lieu où on apprend à trouver sa place ; c’est là qu’on apprend qu’on n’a pas toute la place, qu’il y en a d’autres à côté de nous, que le monde n’est pas en notre pouvoir et que nous devons sortir de la pensée magique. Nous aimerions bien, même nous adultes, rester dans la pensée magique, celle qui consiste à dire : « Je veux très fort une chose et elle va arriver parce que j’y pense très fort ». Bien sûr la pensée magique, c’est une vieille nostalgie de tout humain. Même les hommes politiques sont dans la pensée magique, ils croient qu’il suffit de dire très fort des choses pour les faire arriver. A cet égard, ils sont peut-être des adultes mais ils restent dans l’infantile. La pensée magique, c’est ce qui caractérise l’infantile, qui n’est pas l’enfance bien évidemment. On peut être infantile sans être un enfant. Alors aider un enfant à grandir dans la famille, c’est l’aider à sortir de la pensée magique. La pensée magique, c’est la pensée de la toute puissance. Nous savons bien que ces élèves difficiles sont des élèves qui sont dans la toute puissance : je fais tout ce que je veux, j’ai droit à tout, mes désirs sont des ordres, mes pulsions font la loi ; tu n’as rien à me dire et si tu me dis quelque chose c’est que tu es méchant, que tu m’en veux, que tu ne m’aimes pas. C’est ça la toute puissance infantile : se considérer comme une sorte de monarque absolu au centre du monde. Et la famille est le lieu où on apprend progressivement qu’on n’est pas un monarque absolu, progressivement parce que c’est difficile. L’enfant n’est pas fou, il sait qu’il a un pouvoir terrible qui est lié à notre fragilité : c’est que nous autres adultes nous n’avons besoin que d’une chose c’est d’être aimés et que nous avons tellement besoin d’être aimés que nous ferons tout pour que nos enfants nous aiment.
Et cela s’installe de plus en plus aujourd’hui, encouragé par l’évolution parce que la place donnée à l’enfant et à la décision de l’enfant dans un certain nombre de décisions de justice, parce que la place donnée à l’enfant en tant que vecteur de consommation en particulier par la publicité, parce que la place donnée à l’enfant comme organisation de la vie sociale le met en permanence en situation de faire ses caprices et d’être au centre du monde. Et si nous voulons l’accompagner pour qu’il grandisse, il faut que nous lui apprenions qu’il n’est pas le centre du monde, que quand on ne le regarde pas ce n’est pas qu’on ne l’aime pas, c’est tout simplement parce qu’on a quelque chose d’autre à faire. Voilà quelque chose de difficile à entendre, les enseignants le savent bien, quand un enfant se pense au centre du monde et que tout est interprété en fonction de ça, accepter d’être un parmi d’autres, de ne pas être au centre du monde, c’est un renoncement difficile. On voit bien que ce renoncement se fait d’abord dans la famille à travers les rituels de repas, du coucher, du partage, à travers la parole même quand l’enfant ne sait pas parler. Si nous attendions que nos enfants sachent parler pour leur parler, ils ne parleraient pas très vite. Il faut leur parler très tôt, à travers les activités qu’on fait avec eux et dans lesquelles on apprend à partager un objectif commun. La famille est le lieu fondamental pour tout cela. Elle permet d’accéder à l’altérité et elle permet progressivement de se décoller de son narcissisme et de sa toute puissance pour entrer en relation avec les autres et avec le monde.
Mais il est difficile d’être parents aujourd’hui, plus difficile que cela l’était il y a 10, 20 ou 30 ans. Pourquoi ? Parce qu’il y a des réalités sociales et économiques différentes : la famille est moins structurée qu’elle ne l’était ; il y a des situations économiques brutales qui cassent les familles. Mais aussi parce que les choses vont vite : pour la première fois dans l’histoire des hommes, la génération chargée d’éduquer les enfants ne peut plus utiliser les recettes qui avaient été utilisées avec elle. Mes parents ont utilisé avec moi à peu près les mêmes principes, les mêmes recettes éducatives que ce qui avait été utilisé par mes grands-parents. Si je remonte dans le temps, je vais m’apercevoir, dans le fond, que depuis très longtemps les familles faisaient avec leurs enfants à peu près la même chose que leurs parents avaient fait avec elles parce qu’il y avait une sorte de tradition installée et parce que les situations se reproduisaient à l’identique. Autrement dit, vous arriviez parent avec un bagage, c’est le bagage de ce que vos propres parents avaient fait pour vous. Vous l’avez toujours partiellement ce bagage, sauf que vous avez aussi une multitude de problèmes pour lesquels vous n’avez pas de bagage : à quel âge faut-il acheter un téléphone portable ? Comment faut-il demander à l’enfant de l’utiliser ? Vous lui prenez un forfait de 2 heures ou illimité en 4ème ? Vous me direz que ce ne sont pas de vraies questions ; bien sûr que si ce sont de vraies questions, des questions déterminantes pour beaucoup de parents. Ces questions, vous ne les aviez pas dans votre bagage et pour cause les téléphones portables n’existaient pas. « Mon fils est en addiction aux jeux videos, il y passe 15 heures devant. On m’a envoyé l’AS, l’infirmière ; on va m’envoyer chez le psychiatre parce qu’on me dit que je suis un mauvais parent, parce que mon fils ne fait plus rien à l’école». Vous avez des recettes pour ça ? Les jeux videos, ça existait en 1930 ? Vous avez une multitude de choses comme ça qui sont apparus, qui vont très vite et devant lesquelles on est complètement désarmé, tout petit. L’usage de la télécommande, ce petit objet qui a une importance symbolique très grande et que j’appelle le phallus high tech, parce que ça a la forme et que c’est de la haute technologie, parce que ça donne la toute puissance : vous pouvez changer de monde en l’espace d’un instant, passer d’un film porno à une émission d’informations, à un jeu télévisé ; vous pouvez suivre trois feuilletons en même temps. Cette possibilité d’accéder à des milliards d’images avec un tout petit objet, c’est quelque chose qui n’a jamais existé dans l’histoire du monde, quelque chose qui change radicalement le rapport au réel chez l’enfant. D’ailleurs beaucoup d’enseignants me le disent : les enfants, ils arrivent en classe avec une télécommande greffée dans la tête. Alors ils s’installent un peu comme dans leur salon, puis ils commencent à regarder le truc qui cause dans un coin, mais quand même il y a là quelque chose de différent, on ne peut pas changer de chaîne.
Voilà des problèmes nouveaux qui apparaissent et face à ces problèmes nouveaux, la France n’a pas pris la mesure des problèmes liés à la parentalité. Quand vous avez des problèmes d’éducation avec vos enfants, on vous envoie soit chez l’AS soit chez le psychiatre. Avoir des problèmes avec ses enfants, c’est soit être fou et on vous traite avec des médicaments, soit relever de l’AS et être un « cas sociaux ». Je dis un « cas sociaux » volontairement parce que c’est une manière d’associer un singulier avec un pluriel. Je me suis investi dans l’association ATD quart monde et je rencontre en permanence des gens qui me disent : « je suis un cassociaux », parce qu’ils entendent parler de cas sociaux et ils croient que c’est un mot. Donc ils disent : « je suis un cassociaux » comme ils diraient : « je suis un narbonnais ». C’est quand même extravagant de voir que les problèmes éducatifs et familiaux ne sont pas traités en France autrement que sur le registre psychiatrique et social et que les parents qui ont des problèmes normaux et légitimes liés à la nouveauté du monde, aux problèmes qui se posent à eux, au choc économique qui s’est abattu sur les familles, n’ont d’autres interlocuteurs que des gens qui leur disent : « Mettez-vous sous Temesta » ou « Vous êtes coupable d’abandon d’enfants ou de surprotection et vous allez pour cela être repéré, identifié, fiché ; et pour cela on vous sucrera peut-être les allocations familiales ; alors faites attention ».
La plupart des pays du monde, y compris en Amérique Latine ou en Asie, ont compris, depuis plusieurs années, la nécessité d’une aide à la parentalité, c'est-à-dire des instances qui aident les familles sur un registre qui ne soit pas celui de l’assistanat mais celui d’une réflexion avec elles sur les problèmes éducatifs : comment faire lire un gamin qui est en 4ème, qui est accroché à son jeu vidéo et à qui j’aimerais bien faire lire Balzac ? Ce n’est ni le psychiatre ni l’AS qui ont la réponse, c’est un problème éducatif. Qui aide les parents à résoudre ce type de problème aujourd’hui ? Personne. Sauf les associations où il y a des espaces de parole qui peuvent aider des familles démunies. On dit : les familles sont démissionnaires. Je prétends qu’elles sont pour l’essentiel démunies et non démissionnaires. On dit : l’enfant est roi partout. Je prétends que l’enfant est d’abord roi dans la publicité, que l’enfant est d’abord roi dans la télévision et que les familles n’ont pas les moyens de résister contre ce rouleau compresseur qui partout dit à l’enfant : « tes désirs sont des ordres, achète-moi ». Je pense qu’il y a un vrai travail des familles à faire et à cet égard les associations, en particulier les associations de parents, doivent travailler en forte relation avec toutes les autres instances pour croiser les regards et pour que sur des questions comme la lecture, le travail scolaire, il y ait construction de solutions collectives.
Je pense au statut sexué du travail scolaire. Vous savez qu’aujourd’hui il y a un problème important, bien identifié, qui est que les garçons sont très en retard par rapport aux filles : globalement il y a 30% de bonus pour les filles dans toutes les étapes de la scolarité. Pour dire les choses de façon caricaturale une fille cancre est aussi rare qu’un garçon brillant, c’est quasiment inexistant. Globalement à peu près partout, au-delà de la puberté, dans toutes les filières, y compris les filières scientifiques, les filles, si elles sont de milieu modeste, sont 50 à 60% au dessus des garçons et si elles sont de milieu favorisé, elles sont 20 à 30% au dessus. Ce qui ne veut pas dire qu’elles vont être mieux traitées et qu’elles auront de meilleurs salaires parce que vous savez que la France est un pays dans lequel nous savons rectifier les erreurs de la nature. Donc ce n’est pas parce que les filles travaillent mieux et ont de meilleures notes qu’elles seront mieux payées. On a des astuces, on sait comment faire, l’école a une masse de trouvailles pour faire en sorte de dévaloriser le travail des filles et valoriser celui des garçons qui ont pourtant de moins bons résultats. Tout le monde sait bien que quand une fille a de bonnes notes ce n’est pas parce qu’elle est intelligente, c’est parce qu’elle travaille, sous entendu elle compense son manque d’intelligence par un travail plus besogneux. Moyennant quoi, si vous arrivez en fin de 3ème avec 9,5 et si vous êtes une fille, on dira « elle est appliquée », ça c’est le couperet qui tombe ! Si vous êtes un garçon, « c’est un feignant mais il a des réserves ». Au bout du compte, si vous êtes uns fille : « allez STT, c’est assez bon pour elle », mais si vous êtes un garçon : « on pourrait tenter la terminale scientifique, il a le profil s’il se réveille ». C ‘est comme ça qu’on élimine les filles.
Ce dont je voudrais vous parler, c’est du caractère extrêmement délicat du statut du garçon dans l’école et en particulier dans les milieux défavorisés. Il faut savoir, et ce n’est un secret pour personne, que dans un collège difficile, pour un garçon, s’intéresser à l’école, au travail scolaire, ne parlons pas à la poésie de Verlaine, c’est être un « PD » ou « une gonzesse », c'est-à-dire prendre le risque d’être humilié parfois même violenté par ses camarades. Il y a là un vrai problème de société, un problème de représentation de la virilité. Si vous n’êtes pas convaincus par ce que je vous dis, ce soir écoutez dans votre voiture Sky Rock ou Fun Radio. Vous vous focalisez sur ce que vos enfants regardent à la télévision mais vous ne savez pas ce qu’ils écoutent à la radio. Vous n’avez aucune idée de l’idéologie qui se diffuse dans Sky Rock ou Fun Radio et encore c’est probablement les moins mauvaises. Vous ne savez pas à quel point ces médias sont machistes, violents et diffusent une idéologie auprès de laquelle le Darwinisme est quasiment de l’angélisme. Par rapport à cette image de la virilité archaïque comme étant la violence, la force, le refus, nous sommes tous démunis, les parents comme les enseignants, comme les associations. Nous avons à échanger, à travailler comment faire pour réconcilier le genre masculin avec le travail scolaire et en particulier dès lors que l’on touche des milieux défavorisés dans lesquels précisément le sexe masculin, qui n’est pas le genre, se caractérise par le refus du travail scolaire.
Voilà un certain nombre de vraies questions qui se posent aux parents, aux éducateurs aujourd’hui et par rapport auxquelles nous devrions croiser nos regards. J’appelle de mes vœux de véritables universités populaires des familles organisées par les établissements scolaires ou les associations dans lesquelles ces questions soient posées avec des parents sans culpabilisation inutile et dans lesquelles on cherche ensemble à trouver des solutions.
2) Je pourrais longuement vous parler de la famille mais je vais vous parler du 2ème acteur fondamental quand il s’agit de l’enfant : l’école.
L’école c’est la découverte, au-delà de la famille, que non seulement l’enfant n’est pas au centre du nid mais que le nid n’est pas le centre du monde. C’était déjà douloureux pour un enfant de savoir qu’on n’était pas au centre du nid, c’est encore plus douloureux de savoir que son nid n’est pas le centre du monde. Et là, l’école joue à la fois dans le registre de la continuité et de la rupture : continuité parce qu’il s’agit bien de découvrir de l’altérité, de l’autre et rupture parce qu’on va sortir du cercle familial pour découvrir qu’il y a d’autres familles qui pensent autrement, qui se comportent autrement, qui ont d’autres idées, d’autres représentations ; et puis on va découvrir que non seulement il y a d’autres familles qui parlent autrement dans la classe mais dans le quartier, puis il y a d’autres quartiers, d’autres villes que ma ville, d’autres régions que ma région, d’autres pays que mon pays, d’autres langues que ma langue, d’autres générations que ma génération. L’école, c’est le lieu de l’altérité, autre, l’autre c'est-à-dire le refus du repli sur soi. C’est pour ça qu’il y a une contradiction fondamentale dans l’expression « école privée ». Il n’y a pas d’école privée par définition car l’école est un lieu public. La famille est privée mais l’école c’est le public ; l’école, c’est là où il y a des sphères privées qui cohabitent pour fabriquer du public. Dire « école privée », c’est un oxymore, une contradiction dans les termes : « une belle ordure », « la neige brûlée » ce sont des oxymores. On est ou école ou privé, on ne peut pas être « école » et « privée ». Si on est école, on est par définition un lieu de l’ouverture à l’autre et à toutes les formes d’altérité. Et j’y insiste car ce sera très important pour la suite de mon propos. L’autre, c’est l’autre famille, l’autre manière de voir et de penser, c’est aussi l’autre manière de parler, l’autre manière de raisonner. C’est aussi le savoir, le savoir c’est l’altérité : l’autre langue, l’autre pays. La géographie, c’est l’autre pays.
Une école qui referme les gens sur eux-mêmes, une école construite sur le vieux principe « mieux vaut ma femme que ma cousine, ma cousine que ma voisine… » est une école qui par définition n’est pas une école. J’insiste bien sur le fait qu’il y a là quelque chose qui relie la fonction intellectuelle et la fonction sociale de l’école qui est l’altérité, l’autre. Je ne peux pas apprendre c'est-à-dire découvrir autre chose que ce que je sais, que ce que je pense et que ce que je crois dans un lieu où je ne suis pas avec d’autres, avec des gens qui sont autres que moi, qui pensent autrement que moi et qui sont sur d’autres registres que moi. Donc il y a une profonde liaison quasi fondatrice entre l’évolution psychologique de l’enfant et la construction politique de l’école publique.
C’est le même mouvement, c’était déjà en germe chez Piaget mais nous le savons mieux aujourd’hui, par lequel l’enfant apprend, découvre un texte, la lecture, ce qui lui résiste, ce qui lui est autre et qui vient d’ailleurs. C’est pas lui qui dit ce que dit le texte, le texte dit des choses qui s’imposent à lui. Il y a une altérité radicale du savoir par rapport à moi et cette altérité je ne peux la découvrir que si je la découvre avec d’autres dans une relation d’altérité. L’école est le lieu de l’altérité, de l’autre. C’est la raison pour laquelle la question de la mixité sociale, idéologique, intellectuelle est fondamentale à l’école. C’est la raison pour laquelle une école est par définition le lieu de l’hétérogénéité sinon elle n’est pas école. L’hétérogénéité, quand je dis ça j’ai bien conscience de ne pas être dans l’air du temps puisque ce que nous montrent aujourd’hui tous les sociologues c’est que précisément nous assistons au mouvement inverse, à l’homogénéisation, à la création de ce qu’Eric MAURIN appelle, dans son petit ouvrage « Le ghetto français », l’ « entre nous systématique ». On est entre nous, on cherche à être entre nous. Ce mouvement est à l’œuvre actuellement, avec son corollaire qui est la peur de l’autre, la peur de l’étranger, la peur de celui qui ne nous ressemble pas. Alors on a peur, on se replie avec ceux qui nous ressemblent, qui sont pareils.
Et je crois qu’il faut résister à l’école à ce repli ; je crois que l’école est l’institution dans laquelle précisément nous devons militer pour l’altérité, l’hétérogénéité, la diversité, la reconnaissance de la différence sous toutes ses formes, bien sûr le handicap. Bien sûr qu’il faut intégrer les enfants handicapés mais aussi ceux qui ne sont pas identifiés parce que la loi l’interdit mais qui sont d’une origine ethnique différente. On arrive à des paradoxes extravagants aujourd’hui : on est plus marginalisé si on s’appelle Hamed que si on est en fauteuil roulant. Ce n’est pas politiquement correct ce que je dis là mais c’est la vérité et c’est ce que vivent un certain nombre de gamins. Je suis évidemment pour l’intégration des handicapés d’une manière totale, absolue et complète. Je dis simplement qu’il faut faire attention de ne pas avoir ses pauvres, comme les dames patronnesses qui avaient leurs pauvres ce qui leur permettait de ne pas s’occuper des autres pauvres. On a aujourd’hui un gouvernement qui a ses pauvres, les bons pauvres. Puis il y en a d’autres qui sont les mauvais pauvres, ceux-là on ne les intègre pas.
Je dis bien « soyons attentif à cela » parce que là l’école est en train de rater quelque chose d’extraordinairement important, c’est la constitution de la république. La république, c’est le creuset social, c’est la richesses de la différence, c’est l’hétérogénéité, c’est la capacité de se retrouver identique en étant d’horizons différents, c’est la mixité sociale. Vous me direz que la mixité sociale, c’est impossible à faire ; ce n’est pas vrai. On n’a jamais essayé de faire la mixité sociale dans les établissements. Tout le monde sait comment faire. Quiconque a réfléchi 2 minutes sait comment il faut faire même dans les établissements privés : il faut rendre la dotation proportionnelle à la CSP des parents. Vous avez un collège dans lequel la CSP est 50% au dessous de la moyenne nationale, vous lui donnez une dotation de 50% supérieure, en personnel, en horaire et en moyens. Vous verrez qu’on ira les chercher les élèves en difficulté pour avoir une dotation supérieure, on justifiera en disant qu’il est important de s’occuper d’eux. On prend la CSP moyenne française et on dit : tel collège, il est 50% au dessus, on lui enlève 50% de ses moyens ; vous allez voir tout de suite les collèges de centre ville, ils vont avoir besoin d’en chercher des gens dont la CSP est inférieure à la moyenne nationale. On sait faire ça mais personne ne veut jamais prendre des décisions un peu hardies. Alors on laisse se creuser les ghettos, s’organiser la fracture scolaire telle que nous la voyons aujourd’hui en France. Elle est sous nos yeux. Alors bien sûr, elle est plus importante dans les grandes villes, là où s’organise tout un système extrêmement complexe de dérogation à la carte scolaire, de privatisation, y compris au sein de l’enseignement public par des systèmes de filières, d’options, de classes internationales bilingues, de classes CAMIF comme on dit entre nous.
Alors je crois qu’il y a à travailler sur cette école, à se redemander sans cesse comment elle pourrait être encore plus publique qu’elle n’est aujourd’hui, se redemander sans cesse cela et accepter qu’elle soit vraiment ce lieu de rencontre de la différence.
3) La famille, l’école et vous voyez que c’est dans le prolongement de l’altérité : le tissu associatif.
J’y tiens beaucoup. Entre la famille et l’école ça peut être la lutte ; ça peut être l’enfant au milieu du jugement de Salomon, il y a la famille qui tire d’un côté et l’école qui tire de l’autre ; de quel côté va l’enfant ? Il y a toujours une méfiance entre les deux. C’est la vieille histoire du joueur de flûte : les parents ont toujours craint les enseignants ; les enseignants sont les joueurs de flûte qui viennent amener l’enfant dans des lieux un peu étranges et loin de leurs parents. C’est quasi consubstantiel tout ça : la mythologie du joueur de flûte, elle est quasiment inscrite dans l’anthropologie. On craint quand on est parent que d’autres viennent nous voler nos enfants pour les amener se damner. Quand il y a bras de fer entre les deux, il y en a toujours un des deux qui gagne et un des deux qui perd. C’est pour ça qu’il faut un tiers. J’ai l’habitude de dire : « quand on n’est que deux, il y a toujours un mort ». Et le troisième pour l’enfant c’est le groupe de pairs, pas pères, le groupe de pairs : c’est le lieu où il va pouvoir s’investir, choisir des gens avec qui travailler, se donner à sa passion. Il va faire du théâtre, de la philatélie, des maquettes, de l’informatique, du jardinage, il va faire des tas de choses. Il va se mettre à faire quelque chose sans limite, sans programme et avec un accompagnant qui est en général quelqu’un, un jeune adulte ou un senior comme on dit aujourd’hui, quelqu’un dont on a besoin pour grandir, quelqu’un qui joue le rôle anthropologique de l’oncle, l’oncle dont Lacan disait dans cette belle formule : « que c’est le père sans le pire ». Je trouve que c’est joli. L’oncle, vous savez, c’est celui à qui vous pouvez dire des tas de choses ; il ne vous approuvera pas mais il ne vous grondera pas. « J’ai raté mon devoir de maths parce que je pensais à ma copine », ça je ne peux pas le dire au prof de maths, il n’aimera pas ; mon père, si je lui dis ça, il va me gueuler dessus ; il faut que je puisse le dire à quelqu’un qui ne soit pas dans un statut d’autorité, qui ne soit pas dans une posture d’autorité à mon égard, un passeur. Aucun enfant ne grandit sans ses compagnons de route, sans un intermédiaire, un interlocuteur.
Le tissu associatif est le lieu où l’enfant va rencontrer des personnes qui ne sont pas dans une relation institutionnelle. On est dans le « faire ensemble », on est là pour faire avancer le projet. L’intérêt collectif l’emporte sur l’intérêt individuel. L’autorité, c’est la compétence. La compétence donne l’autorité. Dans un projet collectif, la compétence fait avancer le projet, elle est au service de l’activité. Le tissu associatif est le lieu où on découvre une dynamique collective dans laquelle s’inscrivent les compétences et la solidarité.
Ces trois partenaires sont essentiels pour le devenir de l’enfant. Chacun régule le pouvoir de l’autre. Ces trois lieux se configurent ensemble au service de l’enfant. |
2ème Série de réflexions
Je veux insister sur ce qui est apparu en filigrane dans mes propos : pourquoi est-il important de croiser les regards, pourquoi l’éducation a-t-elle besoin en permanence de cette tresse de liens que j’ai évoqués, des liens tressés ensemble qui aident l’individu à se construire, parce que l’éducation, c’est la découverte de la dialectique, du dialogue du même et de l’autre. Je suis moi et lui est autre. Il est différent de moi, mais dans sa différence il y a quelque chose de moi et je peux parler avec lui. Il y a quelque chose de fondamental là. J’évoquais le handicap tout à l’heure. Ce qui fait peur dans le handicap, c’est pas que l’autre soit différent, c’est que l’autre soit pareil que moi en dépit du fait qu’il est différent. Ce qui me fait peur c’est sa ressemblance, pas tellement sa différence. Mais ce qui est la condition pour l’accepter, c’est que je l’accepte à la fois comme différent et ressemblant. Et la construction de la vie, c’est la capacité à travailler toujours en terme individuel et en terme collectif, la dialectique du même et de l’autre, de la ressemblance et de la différence. Il faut échanger avec l’autre dans sa classe, dans tous les lieux. Il faut que, chaque fois, j’aie des points communs qui me permettent de parler avec lui et assez de différence pour me permettre de m’enrichir. C’est parce que l’autre est semblable à moi que je peux parler avec lui, c’est parce que l’autre est différent de moi que j’ai intérêt à parler avec lui.
Trouver nos ressemblances fondatrices, c’est le rôle de la famille, de l’école et des associations. C’est le rôle de la culture, en particulier. Pourquoi je suis si attaché à l’éducation populaire ? C’est parce que l’éducation populaire met la culture comme outil essentiel de la construction de la ressemblance et du lien social. Elle considère que par la culture les hommes découvrent qu’ils se ressemblent. Ils se ressemblent de l’un à l’autre et entre les générations. Bien sûr que tous les enfants se ressemblent. Tous les enfants ont peur d’être abandonnés par leurs parents. Tous les enfants sont terrorisés par l’ogre. Nous aussi, adultes, nous sommes terrorisés par l’ogre. Il y a un problème fondamental qu’on n’a pas résolu, c’est le problème de l’anthropophagie, du cannibalisme. C’est comment aimer quelqu’un sans le manger ou comment être aimé par quelqu’un sans être mangé par lui. Ne me dites pas qu’il y en a un parmi nous qui a résolu ce problème. Je n’en croirai rien. Et d’ailleurs il vaut mieux que personne ne l’ait résolu car il n’y aurait plus ni cinéma, ni littérature, ni poésie, ni quoi que ce soit si on avait trouvé la solution à cette question : comment aimer quelqu’un sans le manger ou comment être aimé par quelqu’un sans être mangé ? C’est la seule question qui nous préoccupe. On ne vit que pour cette question là. Donc nous sommes tous hantés par l’anthropophagie, c’est un invariant fondamental. Nous nous ressemblons tous parce qu’aucun d’entre nous n’a trouvé la solution à : « Comment aimer quelqu’un sans le manger ? »
Alors qu’est-ce qui nous amène à nous découvrir ? C’est la culture. Je raconte Le Petit Poucet. Je ne dis pas au petit Joseph : « Tu as peur que ta maman ne vienne pas te chercher ce soir ». Ce serait un peu sadique. Bien sûr que le petit Joseph a peur que sa maman ne vienne pas le chercher à 4 heures 30. Tous les enfants ont peur d’être abandonnés. Si je raconte Le Petit Poucet, je fais quelque chose d’extraordinaire parce que je lui dis qu’on est tous pareils, qu’on a tous peur que notre maman ne vienne pas nous chercher. C’est ça la culture : la culture, c’est une œuvre qui relie l’intime à l’universel. Ce qui caractérise la culture, c’est ce que ce que j’ai de plus intime, mes peurs les plus intimes, mes problèmes les plus intimes, je les retrouve dans la sphère de l’universel ; à ce moment là je me retrouve de plain pied avec les autres. C’est ça qui est formidable, cette reliance entre l’intime et l’universel qui fait que nous nous retrouvons les mêmes ; mais nous ne sommes pas obligés d’être les mêmes, nous restons un peu autres, avec nos différences.
Nous tressons le même et l’autre en permanence sur la plan individuel mais aussi sur le plan collectif : une démocratie, c’est le même et l’autre. C’est la capacité à fabriquer du bien commun avec des intérêts individuels. Nous sommes chacun des individus qui avons des intérêts individuels qui sont légitimes. Dans une démocratie, tous les intérêts individuels sont légitimes. Ce qui n’est pas légitime, c’est que le bien commun se réduise à la somme des intérêts individuels. Tout le monde a des intérêts individuels mais ce qui caractérise une démocratie, c’est que chacun a son intérêt individuel mais qu’en même temps on construit de bien commun. Une démocratie, c’est comme un presse-purée : avant il y a des pommes de terre, après il y a de la purée. Vous ne pouvez pas aller chercher votre pomme de terre dans la purée. La purée, c’est autre chose. Et de quoi nous manquons en France, de presse-purée ; c'est-à-dire d’institutions qui fabriquent du bien commun avec des intérêts individuels. C’est une métaphore un peu grossière mais qui a le mérite d’être parlante. Il y a des intérêts individuels et des intérêts collectifs. On dit : « ça, c’est l’intérêt collectif ». Mais entre les deux, les gens ne voient pas qu’on a pressé les uns pour faire les autres. Donc ce qui apparaît comme l’intérêt collectif, c’est le caprice des gens qui sont en haut parce qu’on n’a pas fabriqué ensemble l’intérêt collectif et le bien commun, parce qu’on ne l’a pas travaillé, parce qu’on n’en a pas fait un objet de travail.
La famille, l’école et les associations sont trois lieux fondamentaux pour fabriquer de l’intérêt collectif et du bien commun. Dans la famille, il y a des intérêts individuels et pourtant on mange ensemble, le même repas ; et pourtant on fait la même sortie le dimanche, enfin de temps en temps, un dimanche sur trois. Dans une classe, il y a des intérêts individuels et pourtant on travaille ensemble. Dans une association, chacun a son intérêt individuel et malgré ça on mène un projet commun. Le travail est là : comment avec des intérêts individuels faire du bien commun ? L’accompagnement de l’adulte, c’est d’aider à identifier comment ça se passe, comment ça marche. Nous, nous disons dans notre jargon : il faut des institutions, il faut des lieux, des espaces, des cadres où ça cause, où ça discute, où ça se contredit, où on élabore des projets, des plannings. Je pense que ça existe un peu à l’école primaire mais que ça a pratiquement disparu au collège. Le collège ne vit pas bien la formation à la démocratie. Il n’y a pas d’assemblée de délégués élèves ni des délégués parents. Je suis partisan qu’on élise un conseil des parents et que les parents représentent l’intérêt collectif dans les conseils de classe et non l’intérêt de leur enfant. Si on prend cette idée de construction de bien commun au sérieux, on va vers la fabrication d’institutions intermédiaires qui auraient pour objectif de casser les coagulations, de casser l’indifférenciation, d’introduire des machines désirantes comme on disait quand j’étais petit, des trucs qui bricolent, où ça se parle, où ça discute, où ça décide, où ça travaille au lieu d’être dans le face à face, le corps à corps, dans le « c’est pas moi, c’est l’autre », le « ce n’est pas toi, c’est moi », dans la violence, dans le bruit et au bout du compte le désespoir.
Vous voyez que nous sommes là devant une idée fondamentale que nos institutions, et plus particulièrement l’école, ont besoin d’être revigorées par des instances collectives qui fabriquent du collectif. |
3ème Série de réflexions
Ce sera ma dernière série de réflexions. Si on prend tout ça au sérieux, il y a des chantiers qu’il faut ouvrir, au moins trois mais qui sont de gros chantiers.
1) La fonction de l’école dans la société : Le chantier de l’école unique est un chantier qui a été ouvert après la guerre de 14 et qui, à mon avis, n’est pas clos, qui est encore en chantier. L’école primaire est en grande partie une école unique mais ce n’est pas encore suffisant. Je pense qu’il faut y développer massivement ce qu’on appelle les réseaux, c'est-à-dire une intégration massive de tous les enfants et une aide spécialisée et ciblée apportée par des spécialistes de manière ponctuelle aux enfants qui en ont besoin. Il y a un travail important à développer et à poursuivre dans ce sens.
Le collège unique, j’y suis favorable à condition que ce collège développe aussi quelque chose qui ressemblerait aux réseaux, c'est-à-dire des classes hétérogènes où on apprend la différence mais en même temps des lieux où on traite chaque individu dans sa différence, avec sa difficulté et où on l’aide pour réussir le mieux possible. Je dis souvent : Plus d’école et moins de cours ; ça veut dire plus de suivi, plus d’activités, plus de travail rapproché, moins de cours au sens où « tu écoutes et tu iras faire ton travail à la maison ».
Il faut poser la question du lycée. Non seulement je n’abdique pas sur le collège unique mais je propose des lycées à taille humaine, polyvalents, comprenant les trois voies (générale, technologique et professionnelle) aboutissant chacune à un baccalauréat d’égale dignité. Je suis pour transformer certains CAP en baccalauréat par une série d’aménagements pour éviter cette orientation par l’échec vers un certain nombre de métiers que tout le monde ne cesse de stigmatiser.
2) 2ème chantier, la gestion des établissements et de l’institution Education Nationale. Je le dis avec simplicité : l’Education Nationale est une armée mexicaine, il y a trop de chefs qui ne servent à rien ; on aurait besoin de moins de chefs et beaucoup plus besoin de soutien aux actions de terrain. Globalement, on est encore dans un système de délégation monarchique avec un monarque et des petits monarques, quand il faudrait qu’on soit au contraire dans un cahier des charges national politique très fort mais avec une assez large autonomie de gestion des établissements dès lors qu’ils accepteraient de s’inscrire dans le cahier des charges national.
Il y a tout un travail à repenser. Nous sommes encore dans une situation qui infantilise trop les acteurs et dans laquelle les parents ne comprennent strictement rien. Quand on veut trouver un interlocuteur, ce n’est jamais le bon, c’est toujours dans un autre bureau qu’il faut aller. Il y a un vrai problème dans cette organisation bureaucratique, lointaine par rapport aux usagers. Je le dis en toute simplicité, ayant occupé des responsabilités institutionnelles, parfois j’ai honte de la façon dont les usagers sont traités, les parents et les élèves. Aucune entreprise privée ne pourrait se permettre de traiter ses usagers comme ça. Les réunions des parents par exemple au collège, c’est inénarrable. On vous fait asseoir sur des petites chaises, on vous dit que votre classe c’est la plus mauvaise. Les professeurs se poussent du coude pour savoir qui intervient. On vous dit que le prof de maths est dans une autre classe et qu’on ne pourra pas parler des maths aujourd’hui. A quoi ça ressemble pour des professionnels ; le premier budget de l’état, quand il invite ses parents, il n’est pas capable de leur faire une réunion comme il faut, préparée à l’avance avec un ordre du jour, des intervenants qui savent dans quel ordre ils doivent parler et où les gens sont assis correctement. Le premier budget de la Nation n’est pas capable de traiter ses parents correctement. Ce sont des choses qui me mettent en colère. Je pense qu’il y a là un effort à faire, un chantier à ouvrir pour respecter la dignité des personnes et je pense que les enseignants comme les parents et les élèves auraient tout à y gagner.
3) 3ème chantier, repenser le travail des élèves, repenser l’école autour du travail des élèves. Les élèves ne travaillent pas assez en classe : ils viennent en classe pour écouter pas pour travailler. Les élèves doivent venir travailler en classe. Je n’ai dit qu’une chose en 5 ans de direction de l’IUFM de Lyon à mes stagiaires : « Quand vous allez en classe, ne vous demandez jamais ce que vous allez leur dire mais demandez-vous ce que vous allez leur faire faire ». Il n’y a pas de secret, quand vous vous serez demandé ce que vous allez leur faire faire, vous vous demanderez pour faire quoi, pour apprendre quoi. Il faut les mettre au travail. Quand je dis ça, ça passe très bien dans le primaire, tout le monde le fait. Mais dès qu’on arrive dans le secondaire, ça ne passe plus, sauf en EPS. Ce n’est pas par hasard si les enseignants d’EPS sont pédagogiquement ceux qui font avancer les choses. Ils ont une discipline dans laquelle on ne peut pas passer son temps en disant aux élèves « Taisez-vous ! Chut ! »
Quand je faisais des visites de stagiaires, je comptais les « Chut ! ». Au-delà de 100 par heure, ça devient préoccupant. Vous ne pouvez pas imaginer le nombre d’enseignants qui disent 100 fois « Chut ! » par heure, sans s’en rendre compte. C’est affreux parce qu’ils continuent à parler sans que les élèves se taisent, ce qui veut dire qu’ils disent simultanément « taisez-vous » et « ne vous taisez pas ». Ils disent à leurs élèves : « je vous dis de vous taire mais faites comme si je n’avais rien dit ». Ce n’est pas la peine de dire !
Repenser les élèves au travail, repenser aussi l’architecture scolaire pour que les élèves puissent travailler. Je suis de ceux qui pensent que nous avons laissé le grand chantier de l’architecture scolaire. Au 17ème, 18ème et 19ème siècle, l’architecture scolaire s’est nourrie de la caserne et du couvent pour aboutir à quelque chose qui n’était pas sot du tout et qui était en cohérence avec la religiosité laïque du 19ème siècle. La religiosité laïque, c’était la caserne et le couvent. Et ça marchait très bien. Le problème, c’est que nous n’avons pas inventé une architecture pour l’école du 20ème et du 21ème siècle. Nous continuons à entasser des boîtes à chaussure sans réfléchir sérieusement aux conditions réelles de travail. Je suis très matérialiste de ce côté-là et je pense qu’il faut réfléchir aux conditions réelles et matérielles de travail. D’ailleurs la plupart des pays européens nous montrent la voie : une classe de travail dans laquelle chaque élève a un casier pour ses affaires, un foyer par classe et un bureau pour le professeur principal dans lequel il a un ordinateur, un téléphone, une bibliothèque et une documentation. On est loin derrière. Alors bien sûr, ça coûte cher. Si on en profitait pour ouvrir les établissements scolaires un peu plus dans l’année, on pourrait y investir plus et rentabiliser beaucoup mieux ces investissements. Il n’y a rien qui me scandalise plus que ces établissements scolaires bourrés de ressources mais fermés pendant la moitié des jours ouvrables et la moitié de la journée.
Je m’occupe d’une université populaire pour ATD Quart Monde, nous sommes dans une cave alors qu’en face il y a un grand lycée qui est fermé à cause du gardiennage. C’est un vrai problème, je ne dis pas que le gardiennage n’est pas important mais on pourrait trouver une solution pour faire de l’école une vraie maison des savoirs, ouverte à tous et moins fermée sur elle-même.
Alors trois chantiers qui sont de vrais chantiers, des chantiers difficiles sur lesquels il faut faire preuve d’audace.
Je terminerai la dessus pour ouvrir le débat : il faut absolument nous autoriser à penser, nous autoriser à proposer, à sortir des clous, à imaginer des choses nouvelles. Nous sommes terriblement guindés dans nos méthodes, dans nos façons de faire ; nous ne nous autorisons pas, il y a une sorte d’inhibition. Il y a des tas de choses qui pourraient se faire : les élèves pourraient quitter les cours quand ils s’ennuient. Pourquoi ne le font-ils pas ? Pourquoi c’est interdit ? C’est vrai, ce n’est pas forcément le bon exemple mais je le prends volontairement pour dire : « ça peut être autrement ». Tout peut être autrement, rien n’est définitivement fermé. Nous sommes dans un monde où on cherche à verrouiller notre imagination. Quand je dis « on », je veux mettre des gens derrière ce « on ». Je pense qu’il y a un vrai conflit, une vraie contradiction entre ceux et celles qui croient à la marchandise et au primat de la marchandise et ceux et celles qui croient au primat de l’homme sur la marchandise. Ceux qui croient au primat de la marchandise ont intérêt à nous faire croire que l’on est ringard, que nous n’avons aucune idée, aucune imagination, aucun avenir et que ce sont eux qui ont des idées, de l’imagination et de l’avenir, que nous sommes des radoteurs, des idéologues.
Nous devons nous autoriser à avoir des idées, à imaginer des choses, même si tout ne se réalise pas. Les idées, c’est comme avec Darwin, ce sont les plus adaptées qui survivent. Mais il faut avoir des idées. Il faut nous autoriser, je le dis avec toute mon énergie, nous sommes trop timides, nous ne nous autorisons pas suffisamment à critiquer et surtout à proposer. Nous ne nous autorisons pas à faire des propositions alternatives alors que nous en aurions particulièrement besoin. Dans ces propositions là, personne n’a le dernier mot, c’est le débat qui importe, notre parole, nos échanges que nous allons ouvrir maintenant. |
Débat |
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Massification / démocratisation
Quand il y a eu massification c'est-à-dire démocratisation de l’accès, il n’y a pas eu démocratisation de la réussite. Cela a produit des effets désastreux en particulier dans les milieux populaires. Je suis originaire d’Alès dans les Cévennes, une ville minière, et j’ai eu la chance que mon père soit contremaître ; mon grand-père était mineur et mon père avait réussi à faire quelques études et à être contremaître. J’ai donc été à l’école et on m’a mis à la petite école du lycée. J’ai fait ma maternelle et mon primaire dans le lycée où j’ai fait mon secondaire, ce qui existe toujours de manière illégale à travers certains collèges situés dans des lycées. Les lycées organisent alors leur propre recrutement en ayant un collège en interne alors que ce devrait être supprimé depuis belle lurette. J’avais des camarades qui étaient fils de mineur. Ils étaient à l’école communale, ils finissaient très tôt l’école. Nous vivions dans une ville dominée par le PC et la CGT dans laquelle il y avait une idéologie relativement facile à utiliser ; mes copains disaient ce que disaient leurs parents : « Si on échoue à l’école et si on veut pas de nous, c’est la faute aux patrons et au grand capital ».
Qu’est-ce que nous avons fait ? Nous avons ouvert la porte de l’école à ces enfants-là. Ils sont rentrés mais ils se sont « cassé la gueule ». Ils ne sont plus victimes, ils sont coupables : « On t’a ouvert la porte, on t’a dit de venir et regarde, tu ne fais rien et en plus tu enquiquines les autres ». On a, avec la massification, fait semblant de donner des chances à un certain nombre d’enfants qu’en réalité on culpabilise de ne pas les saisir, qu’on culpabilise d’échouer. Pourquoi ? Parce qu’on n’a pas pris le plan Langevin-Vallon au sérieux c'est-à-dire on n’a pas vu qu’il n’y avait pas de démocratisation sans changement des pratiques pédagogiques. Ce que le plan Langevin-Vallon disait, c’est qu’il ne suffit pas d’ouvrir les portes, il faut aussi changer les pratiques et en particulier compenser l’absence d’accompagnement familial pour toute une série d’élèves. Ces élèves se sont cassé la figure et ça a produit de la rancœur sociale. Ce qui s’est passé dans les banlieues en novembre, c’est un signe fort qu’il faut entendre. C’est le signe d’une génération qui ne peut plus transformer son échec en militantisme politique. Mes copains, fils de mineur, pouvaient transformer leur échec en militantisme politique. Ils échouaient parce qu’il y avait des gens, le grand capital pour faire gros, qui ne voulaient pas qu’ils réussissent. Et il y avait un consensus général là-dessus.
Il faut qu’on arrive à faire 2 choses :
Pourquoi en militantisme ? Non pas pour une école qui forme directement à l’emploi. Moi, je ne crois pas, pour des tas de raisons, en particulier pour une raison qui est dans le plan Langevin-Vallon dans lequel il y a une phrase très belle : « La culture générale réunit, la culture professionnelle sépare ». Cette phrase, il faudrait beaucoup la méditer, elle est très juste. Et Langevin-Vallon ajoutait : « Reculons donc la formation professionnelle après la culture générale », ce qu’on appelle aujourd’hui la culture commune.
Moi je suis pour une école qui éduque, une école qui donne l’accès à la culture c'est-à-dire l’accès aux moyens de comprendre le monde dans sa dimension historique, scientifique, philosophique, littéraire, mythologique et non pas une école qui recrute le plus tôt possible, d’une manière extrêmement filiarisée et avec des formes tubulaires, des gens pour des métiers qu’ils seraient censés obtenir à la sortie. D’autant plus que là aussi, les comparaisons internationales nous éclairent : l’Allemagne, par l’apprentissage précoce, a réussi à éponger, pendant un petit moment et de manière très partielle, le chômage des jeunes, parce qu’effectivement on rentrait très facilement dans l’entreprise. Ce qu’on oublie de dire, c’est que l’Allemagne qui a aujourd’hui un taux de chômage légèrement supérieur, a un chômage des jeunes moins important mais décalé : les jeunes rentrent tout de suite dans des tâches subalternes après l’apprentissage en entreprise mais plafonnent, c’est ce qu’on appelle l’effet du plafond de verre, à l’âge de 25/26 ans. Ce plafond de verre est invisible mais on ne peut pas le passer et à ce moment-là on reste un an ou deux et puis on s’en va. Même en termes économiques, le fait de penser l’école en adéquation systématique à l’emploi ne marche pas. C’est un mauvais calcul, même pour les économistes, a fortiori pour moi qui considère que la formation générale est importante et qu’il n’y a pas de formation professionnelle sans une formation générale décisive.
Alors si on va au bout de cela, il faut lutter contre l’apprentissage à 14 ans qui est une mesure inique. Je suis d’ailleurs sidéré, en tant que français, que les protestations légitimes contre la loi qui comportait un article 8 sur le CPE, n’aient pas englobé cela. L’opinion publique ne s’est pas mobilisée contre cette loi comme étant aussi celle qui organisait l’apprentissage à 14 ans, c'est-à-dire contre un acte qui pour la première fois dans l’histoire du monde réanticipe l’âge de la scolarité obligatoire. Aucun pays ne l’a fait avant nous. Tous les pays du monde ont toujours gagné en montant l’âge de la scolarité obligatoire. C’est la première fois dans le monde qu’un pays baisse l’âge de la scolarité obligatoire et c’est passé comme une lettre à la poste. Personne ne s’en occupe. On voit bien pourquoi c’est passé comme une lettre à la poste. Faisons un peu de sociologie : les classes moyennes ont eu pendant tout un temps intérêt à la démocratisation de l’école. Aujourd’hui les classes moyennes n’ont plus intérêt à la démocratisation de l’école. Elles sont dans l’école. Ce qu’elles veulent c’est que les classes inférieures n’y soient pas. Comme les classes moyennes sont majoritaires en France et qu’elles sont dominantes idéologiquement, l’apprentissage à 14 ans passe comme une lettre à la poste. Il ne serait pas passé il y a 20 ou 30 ans parce que les classes moyennes n’étaient pas encore assurées d’être dans l’école. Aujourd’hui, les classes moyennes sont toutes assurées d’être dans l’école, donc qu’est-ce qu’elles veulent ? Que les 15/20% d’enquiquineurs, les enfants des couches populaires, n’y soient pas. Et comme ces gens sont minoritaires, il n’y a aucun problème. On continuera à exclure les minoritaires sauf s’il y a un sursaut politique et qu’on en vient à la bonne vieille formule : une chaîne vaut ce que vaut son maillon le plus faible. Une société ne vaut que ce que valent ses plus démunis, ses plus faibles, ses plus fragiles, ses moins instruits. C’est, donc, sur eux qu’il faut faire porter l’effort. Mais ça, ça suppose un sursaut politique. Ainsi sociologiquement, c’est parfaitement explicable que l’apprentissage à 14 ans soit passé comme une lettre à la poste.
J’ai tellement été sidéré que d’abord je n’y ai pas cru, ensuite je me suis dit : il y aura un million de personnes dans la rue. Quand Bayrou a voulu réformer la loi Falloux, c’était anecdotique, mais on a mis un million de personnes dans la rue pour lutter contre la privatisation, comme on disait à l’époque. Mais l’apprentissage à 14 ans, c’est la vente au privé de 1/5ème de la population des lycées puisque c’est l’objectif fixé par la loi d’orientation ? On vend au privé 1/5ème du lycée et on privatise. Pourtant il n’y a pas eu un million de personnes dans la rue, il y a eu un silence de mort des intellectuels sur cette question, y compris de ceux qui n’arrêtent pas de dire : « la culture, la culture, la culture ». On n’a entendu personne là-dessus. Qu’on envoie les pauvres en apprentissage à 14 ans, cela ne gêne personne, surtout pas les intellectuels. 73% des français étaient « pour », ce qui est normal au vu de ce que nous avons dit précédemment.
La question est de savoir si nous acceptons, tout en étant majoritaires, d’exclure une frange de gens qui sont considérés aujourd’hui comme étant à la marge. C’est un vrai problème politique qui se pose et il y a aussi une question de courage politique de la gauche sur ces questions. Est-ce que la gauche a le courage de dire : oui, c’est vrai les classes moyennes ont globalement eu satisfaction dans le système éducatif, ce n’est pas une raison pour mettre dehors les couches populaires, c'est-à-dire les lascars des banlieues ? Est-ce que la gauche pourra dire cela ou est-ce qu’elle ne le dira pas par peur de perdre une partie de son électorat ? C’est un problème de courage et de stratégie politique. C’est très compliqué, il faudrait faire une série de 12 débats sur la démocratisation. Je terminerai en disant qu’on ne règlera pas cette question de la démocratisation, de l’accès au savoir tant qu’on n’aura pas véritablement défini les fondamentaux de la citoyenneté c'est-à-dire ce qu’on estime que tout le monde doit savoir. Je ne veux pas entrer dans ce débat qui serait vraiment trop long mais je ne pense pas que l’entrée par ce qu’on appelle aujourd’hui « le socle » soit une entrée pertinente. Je pense que c’est même une entrée qui ne correspond pas du tout aux ambitions de notre République car cela consiste à pointer, dans la scolarité obligatoire, une partie du programme qui est obligatoire dans l’obligatoire et donc, sous prétexte d’augmenter les ambitions, à institutionnaliser une école à deux vitesses, ce qui pour moi est un renoncement majeur. |
Retranscription faite par Marie RENNES à partir de 2 enregistrements de la conférence. (Le débat est incomplet). Narbonne, Mai 2006. |